Article invité du mois : Astrid Stérin, consultante en écriture

Pourquoi continuer à écrire si toutes les histoires ont déjà été écrites ?

« Tout est dit, et l’on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes et qui pensent ». Cette citation de La Bruyère peut se révéler très complexante si on l’applique à l’écriture de romans. Quand j’ai commencé à travailler sur un premier projet d’histoire, je repoussais chaque idée qui me venait au motif qu’elle n’était pas assez originale. « Ah non, c’est comme dans Star Wars ». « Zut, ça ressemble trop à ce qu’on voit chez Robin Hobb ». Comment écrire un roman quand on a l’impression que toutes nos idées sont déjà vues ?

Aucune histoire n’est purement originale

Votre histoire ne sera jamais originale à 100%.

Si on y réfléchit, vouloir créer un tel récit serait en fait absurde. Parce qu’on peut facilement en venir à se dire que tout ce qui fait la base d’une histoire manque d’originalité. Intégrer du conflit ? Pff, trop classique. Mettre en scène des personnages ? Tellement cliché. Utiliser des phrases, des mots, des lettres ? Tout le monde l’a déjà fait.

La seule façon de créer une histoire absolument unique serait d’assembler des caractères au hasard. Et encore. Ça n’aurait donc aucun intérêt.
Votre histoire ne sera jamais originale à 100%. Et c’est tant mieux. Aucun roman ne l’est. Tous les auteurs s’inspirent, consciemment ou non, de leur bagage culturel, de toutes les histoires qu’ils ont vues, entendues ou regardées au cours de leur vie.

Ces similitudes peuvent se retrouver dans :

  • Les personnages, dont le rôle et le caractère peuvent se rapprocher de stéréotypes (l’Élu, le Mentor, le Clown, l’Amoureux, le Rebelle…) ou s’inspirer du résultat de tests de personnalité comme le MBTI ou l’ennéagramme
  • Les arcs narratifs, où les personnages évoluent d’enfant à adulte, de cynique à engagé, ou de leader à tyran (pour reprendre quelques exemples proposés par John Truby dans L’Anatomie du scénario)
  • La structure, qui s’appuie généralement sur un schéma préétabli, qu’il s’agisse de la simple structure en trois actes ou de développements plus avancés (le voyage du héros, les 22 étapes de Truby, le cercle narratif de Dan Harmon, etc.)
  • Les thèmes universels, comme la mort, l’amour, la perte, le passage à l’âge adulte, l’acceptation de soi ou de l’autre…
  • L’intrigue, qui sera souvent une variation sur l’une des 36 situations dramatiques identifiées par Georges Polti, telles que résoudre une énigme, venger un crime ou un amour empêché

Ce serait illusoire, voire orgueilleux, de prétendre créer quelque chose à partir de rien.

Si la plupart des histoires populaires fonctionnent en faisant appel à des ressorts bien connus, ce n’est pas pour rien. Ces ressorts sont redoutablement efficaces pour retenir l’attention des lecteurs ou des spectateurs, leur faire ressentir des émotions, voire leur transmettre des messages.

Il serait donc regrettable de vouloir s’en défaire à tout prix pour réinventer la roue.

Pour contrebalancer La Bruyère, je vous propose une citation de l’écrivain Claude Simon, reprise par Martin Winckler dans son livre Ateliers d’écriture.

« Créer, c’est produire ex nihilo, à partir de rien. Écrire n’est pas « créer ». Dieu crée. Un écrivain ne crée pas. Nous sommes les héritiers de tous les écrivains qui nous ont précédés. »

D’ailleurs, dans le podcast Assez Parlé, Martin Winckler lui-même raconte comment il a repris la structure des Trois Mousquetaires pour construire son roman.

La familiarité a du charme

Si vous espériez encore construire un récit absolument inédit, le site tvtropes.org devrait vous convaincre de cette impossibilité.

Ce site recense tous les tropes, c’est-à-dire les schémas narratifs ou les clichés, qui se retrouvent plus ou moins fréquemment dans les histoires. Il répertorie toutes leurs apparitions dans la littérature, mais aussi dans des films, des jeux, des comics, des chansons, du théâtre – et même dans la vraie vie. Ces tropes se comptent par milliers et vont de « une femme en voit une autre porter la même robe qu’elle » à « travailler avec son ex » en passant par « le grand méchant loup« .

Autrement dit : à peu près toutes les idées d’intrigue, de personnage ou d’univers imaginables sont déjà référencées sur ce site.

Mais ce que ce site révèle également, c’est à quel point chacun de ces tropes a des fans qui seront absolument ravis de le retrouver dans un maximum d’histoires. Par exemple, l’autrice américaine Jenna Moreci publie régulièrement des vidéos sur ses tropes préférés.

Cet aspect est particulièrement marqué dans ce qu’on appelle la littérature de genre (science-fiction, fantasy, fantastique, romance, polar, etc.). Les lecteurs qui raffolent de ces genres littéraires vont avoir plaisir à retrouver systématiquement certains marqueurs dans leurs lectures : le détective blasé et alcoolique qui cherche la rédemption, les systèmes de magie complexes, les histoires d’amour qui semblent condamnées au départ, etc.

Par exemple, si vous écrivez de la fantasy, vous hésiterez peut-être à écrire une histoire qui mette en scène de sempiternels dragons et l’inévitable élu d’une prophétie dans un cadre évoquant furieusement l’Europe médiévale. Mais si c’est ce à quoi vous tenez vraiment, pourquoi vous priver ?

Sans doute que certains lecteurs auront déjà lu trop d’histoires similaires et rechercheront davantage de fraîcheur. Mais d’autres, qui découvrent le genre ou ne s’en sont toujours pas lassés, se régaleront de vos chevaliers en armure et autres magiciens à barbe blanche.

Par ailleurs, énormément d’histoires s’inspirent ouvertement d’autres œuvres et en font même la base de leur succès.

West Side Story est une transposition de Roméo et Juliette. Orgueil et Préjugés a donné Bridget Jones et Coup de Foudre à Bollywood, sans parler des nombreux dérivés comme Orgueil et Préjugés et Zombies, de Seth Grahame-Smith, Death comes to Pemberley, de P.D. James, ou encore Longbourn, de Jo Baker. D’ailleurs, tous les romans de Jane Austen racontent des histoires assez similaires : celles de jeunes filles qui cherchent le grand amour dans l’Angleterre du début du XIXe siècle.

Et je ne vous parle même pas de toutes les réinterprétations de contes de fées : la série télé Once Upon a Time, la série de comics Fables de Bill Willingham, Enchantement d’Orscon Scott Card qui reprend la Belle au Bois Dormant, le détournement sordide de contes dans le jeu vidéo The Witcher, Le Livre des Choses perdues de John Connolly… Le filon semble inépuisable. Et n’oublions pas que La Fontaine et Charles Perrault eux-mêmes se sont inspirés des fables d’Ésope.

D’ailleurs, l’histoire de l’Art en général est truffée de modèles convenus et d’artistes qui s’inspirent les uns, les autres. En soi la Joconde, c’est une peinture à l’huile qui représente un portrait de femme, pas de quoi casser trois pattes à un canard.

Mais alors, qu’est-ce qui va distinguer un chef-d’œuvre d’une pâle copie ?

Apportez votre touche personnelle

Plus que l’originalité, c’est votre touche personnelle d’auteur ou d’autrice qui compte.

D’ailleurs, c’est ce qui est à la base du droit d’auteur. Une « œuvre de l’esprit » est une création de forme originale, mais où « l’originalité » est moins la marque d’une innovation que l’empreinte de la personnalité de l’auteur.

Tolkien n’a pas inventé les Elfes ni les Nains. Les Détraqueurs de Harry Potter empruntent beaucoup aux Nazgûls. Pour autant, diriez-vous que le Seigneur des Anneaux ou Harry Potter ne sont pas des œuvres originales ?

Cette personnalité peut se traduire sur le fond comme sur la forme.

Sur le fond, vous pouvez réinterpréter les grands classiques en leur apportant des détails qui les feront apparaître sous un jour radicalement différent.
• Par exemple, Roméo et Juliette réinterprété avec des cartes à jouer.
• Une prophétie qui souffre d’une erreur de traduction et dont l’Élu n’est pas du tout celui qu’on croit.
• Des dragons adeptes du tricot et des cavernes hygge.
• Une Europe médiévale fictive où la diversité est bien mieux représentée.

Quoi que vous choisissiez, le mélange de vos expériences, de vos goûts, de vos valeurs et de vos sources d’inspiration est un cocktail unique qui produira un résultat pareil à aucun autre. Si vous identifiez que l’une de vos idées paraît trop cliché à votre goût, ne la jetez pas tout de suite, mais demandez-vous plutôt comment vous pourriez vous la réapproprier.

Sur la forme, chaque auteur a aussi sa propre voix, son style, qui s’affirme généralement avec le temps et la pratique. Même si vous avez vécu la même chose que beaucoup de personnes, vos ressentis ne sont pas identiques, vous n’exprimerez pas vos émotions avec les mêmes mots.

Au final, qu’une histoire soit vraiment originale ou pas importe assez peu. La vraie question à se poser est la suivante : cette histoire, est-ce que vous avez envie de l’écrire ? Si oui, allez-y gaiement !

Mais si vous vous forcez à écrire un roman qui ne ressemble pas à ceux que vous aimez, juste par peur de manquer d’originalité, j’espère que cet article vous aura aidé à voir les choses d’un autre œil.

Si vous souhaitez continuer la discussion, je serais ravie de vous accueillir parmi les abonnés de ma newsletter et de vous offrir mon guide « 4 phases indispensables pour structurer votre histoire » ! Les exemples de ce guide vous confirmeront d’ailleurs à quel point la plupart des grandes histoires reposent sur des bases communes 😉

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Astrid Stérin – lastreetlaplume.fr

2 réflexions sur “Article invité du mois : Astrid Stérin, consultante en écriture”

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