Participations au Rendez-Vous des Plumes – Août 2022

Bonjour à tous 😊

Bienvenue sur cet article qui reprend les participations à l’atelier d’Août, organisé sur le thème, non obligatoire, “Symbole“. Suivez-moi à la découverte des textes qui ont été envoyés dans le cadre de cet appel à textes basé sur des photographies fortes…

Les textes ne sont relus qu’au moment de leur publication, et ce uniquement dans le but de vérifier qu’ils ne contreviennent pas au règlement de l’atelier d’écriture. Si le cas devait se produire, le texte ne serait tout simplement pas publié, sans autre recours possible de son auteur. La Petite Boutique des Auteurs n’est pas responsable des coquilles, fautes d’orthographe, syntaxiques ou grammaticales éventuellement présentes dans les textes qui participent au Rendez-Vous des Plumes.
Merci d’en prendre note avant lecture.

Amelia

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· Texte de L. Gagnaire ·

Le voleur de frites
Des passagers montent à bord d’un A380, se font servir des repas, profitent des messages d’accueil du personnel naviguant mais ne décollent jamais du tarmac de Tokyo.
Sophie, déjà installée, savourait une assiette de frites chaudes et bien dorées, comme elle les aimait A ses côtés, Alexandre, son jeune frère, en était déjà à la mousse au chocolat. Leurs parents les avaient emmenés dans ce restaurant un peu particulier pour fêter l’anniversaire de Sophie. La jeune fille s’imaginait la tête dans les étoiles, être au-dessus des nuages, voler vers une destination inconnue. Personne ne remarqua le garçon qui venait d’entrer dans l’engin.
Personne ne bouge, cria un homme armé et cagoulé.
Celui-ci venait tout juste de monter à bord de l’avion que déjà, il se présentait comme un vulgaire et méchant malfrat. Personne n’osa parler. Personne n’osa bouger. Ils étaient tous terrifiés.
Si tout le monde fait ce que je lui dis, tout se passera bien.
Il passa dans l’allée centrale.
Je fais circuler un sac parmi vous, mettez-y vos frites !
Tout les passagers s’exécutèrent après avoir râlé un peu. Le sac fut vite plein.
Voilà. Merci d’être resté sage, dit l’homme avant de commencer à s’éloigner.
En se retournant, l’homme bouscula Alexandre, qui fut loin d’apprécier. Il se leva ; d’un seul sursaut et d’un seul coup de pied dans le ventre, il fit perdre l’équilibre au méchant, comme dans les films d’action qu’il adorait regarder le soir. D’un autre coup de pied derrière la tête, après s’être retourné dans les airs, il l’assoma. Le jeune héros venait de sauver tout le monde, ainsi que l’ensemble des frites. Les passagers l’acclamèrent et il fanfaronna dans l’allée centrale.
C’est l’heure de manger. Descends ! Cria la voix d’une femme. N’oublies pas de ranger tes jouets.
Alexandre se dépêcha de ranger les petites briques colorées, attiré par l’odeur des frites.


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· Texte d’Alshaad Kara ·

La dame de fer

À carreaux avec son épée, la dame de la justice avec les yeux bandés, tenait l’équité de la paix, une ligne d’espoir pour le peuple. Mais la justice n’est jamais égale à la loi. Pourtant une femme tenait sa vérité comme l’épée de la vérité et l’équité de la justice, une ligne d’espoir pour le peuple. La chute de la vérité sera le véritable équilibre de la paix, un triomphe traditionnel pour le monde.


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· Texte de Pierre Leseigneur · 2ème place

La foule scande sa haine.
Moi, c’est de la peur que j’entends Les flashs fragmentent le jour qui finit par ne plus savoir s’il est lui ou s’il est nuit. Les minuscules yeux noirs filment, n’en perdent pas une miette. Ils enregistrent tout. Les images. Le nerf de notre époque. Elles en disent tant, les images, de vérités falsifiées dont on fait des idoles.
Ils ont tous l’air possédé. L’œil torve et l’écume aux lèvres des océans enragés.
S’ils se voyaient.
— Madame Témisse. Prénoms : Anne, France, Simone. Née le 9 avril 1990, dans la ville de T… Vous comparaissez devant cette cour en ce jour, 3 janvier de l’an de grâce 2023…
« An de grâce », an de crasse, oui !
J’entends mais n’écoute plus. La bêtise m’épuise. Elle traine et s’accumule depuis qu’un idiot de singe a décidé de marcher sur deux pattes. Que serons-nous demain ? Y aurait-il seulement un demain ?
— … pour ces motifs, en vertu de la loi VS732022, vous allez faire l’objet d’un jugement équitable en trois phases. La première…
Ne l’écoute pas. Le plus grand honneur à faire à un prêcheur, c’est de l’écouter.
Il continue d’énoncer le programme et je devine aux rictus de la foule que ce sera une partie de plaisir pour eux et donc le jour le plus long de ma vie.
Déjà ce matin au réveil, j’ai pu sentir le poids des murs de la cellule qui m’écrasaient. Comme si tout s’était suffisamment lentement écroulé sur moi dans la nuit pour me garder en vie et me claustrer le plus étroitement possible.
J’ai à peine eu droit à un café pisseux et un morceau de pierre qu’on m’a fait passer pour du pain. Je n’ai rien pu avaler. J’ai une vague idée de ce qui m’attend et ça a de quoi couper l’appétit.
On en parlait sur les réseaux, mais la loi n’a pas encore été rendue publique. Je serai donc la première jurisprudence de cette nouvelle chute de l’humanité.
J’ai le ventre vide.
Le cœur aussi.
— Madame Témisse, avez-vous bien compris ? m’aboie dessus le juge, écarlate sous une perruque blanche ridicule.
Je soutiens son regard injecté de sang et jauni par un probable alcoolisme socialement acceptable. Je ne réponds rien. Je ne leur ferai aucun honneur.
— Madame Témisse, que vous obtempériez ou non, la justice fera son œuvre. Vous ne faites qu’aggraver votre cas.
Tais-toi ! Tais-toi !
Ils n’attendent que ça, que je pète les plombs et placarder « hystérie » sur mon front.
Le juge poursuit sont laïus, les veines du cou et du front prête à exploser. Je parierais ce qu’il me reste de temps à vivre qu’il ne cracherait pas sur un bon verre de Whisky japonais à cet instant.
Moi, tout ce que je voudrais, là, tout de suite, c’est sentir le soleil sur ma peau. Il n’y a rien de plus salvateur que le soleil de la nouvelle année. Celui qui fait sa percée en plein milieu d’un froid – devenu de plus en plus relatif à mesure des années – et qui rappelle la chaleur légère d’une caresse.
On me prend par les bras et on m’entraine à l’extérieur du tribunal. Mon vœu est exhaussé… Mais je déchante en constatant que de lourds nuages gris asphalte encombrent mon ciel.
Il fait un froid à briser les pierres. En plein réchauffement climatique ! Une malédiction pèse sur moi, comment l’expliquer autrement ?
Les deux types qui me maintiennent me conduisent jusqu’au Lac Des Espoirs. Le lieu de rendez-vous des amoureux passionnés, à l’aube de leur propre histoire. Il ne m’a jamais paru si sinistre. Les arbres sont des squelettes de bois qui ont l’air mort vus d’ici. Même l’eau du lac n’a rien de sa superbe habituelle. Si lisse qu’on dirait un miroir dans lequel le soleil ne parvient pas à se contempler.
On me fait avancer sur un ponton flambant neuf.
Le public est bien là, fidèle à son poste de voyeur pervers. Les yeux noirs filment. Le juge est soudain plus détendu, malgré l’air glacial qui s’attaque à l’épiderme et contracte les muscles.
Le doute m’assaille.
Ils ne vont quand même pas…
Mais déjà les deux types m’enlèvent mes menottes et m’arrachent mes vêtements avant de m’entraver à nouveau. J’ai froid. J’en ai le souffle coupé. Mais l’humiliation de tous ces gens qui m’observent comme un bête est pire que la morsure glaciale de janvier.
Le sol se dérobe. On me pousse dans l’eau.
La douleur de l’eau glacée sur ma peau est comme mille lames de couteau plantées en même temps dans ma chair.
Je me débats. En vain.
Les ténèbres m’enveloppent.
J’ai peur.
J’ai mal.
Tout s’efface.
Et soudain une lueur. Il me suffit de flotter !
Je réunis mes forces pour recouvrer mon calme, gonfle les poumons et me hisse sur le dos. Je flotte mais mes jambes coulent et cherchent à m’entrainer vers le fond. J’ondule comme je le peux pour me maintenir à la surface.
J’ai mal.
J’ai froid.
J’ai la haine.
Je perds connaissance.
On me sort de l’eau. La peau bleuie, l’air misérable.
C’est impossible ! ce n’est pas un procès équitable ! C’est une putain de chasse aux sorcières ! Et les sorcières, ce sont toutes les femmes qui ne répondent pas aux exigences craintives d’un patriarcat mal dans sa peau et en pleine renaissance. L’effroi noie l’exaspération, l’appréhension et la colère, avant de les engloutir tout à fait pour prendre toute la place…
Les membres paralysés, je cherche du regard le soutien de quelques âmes encore éclairées, des pancartes brandies, des poings levés, une étincelle dans une prunelle…
Rien.
Personne.
Solitude.
— Vous avez passé la première phase du procès.
Il a la voix tremblante. Il est rongé par la déception. J’ai dû réussir cette partie-là de leur test à la con.
— À présent, nous allons procéder à la seconde vérification.
Sa voix se pose à nouveau. Il jubile.
Cette fois, c’est devant un gros objet recouvert d’une bâche que je me trouve. On soulève cette dernière et je découvre avec stupeur une immense balance à l’ancienne.
On me pousse sur l’un des plateaux, pitoyablement frêle dans ma tenue charnelle.
Je grelotte.
C’est d’hypothermie que je mourrai ?
L’inquisition, croit-on, est l’accablant fardeau d’un autre temps.
Et pourtant…
Voilà le juge qui dépose sur le second plateau… Un exemplaire neuf de la Constitution.
Je n’en reviens pas.
On libère la balance des arceaux qui la maintiennent à l’horizontale, et une mascarade de pesée débute.
C’est foutu foutu foutu foutu…
Comment se pourrait-il que… Et pourtant contre tout attente et défiant les lois de la gravité, c’est le code civil qui s’abaisse tandis que je m’élève, toujours plus à disposition du voyeurisme de la foule.
Le juge fulmine.
Je devine d’ici ce qu’il hurle dans sa tête.
« Quoi ? mais comment ? C’est impossible ! Cette pute ne peut pas peser moins lourd qu’une saloperie de bouquin ! »
Oui Monsieur le juge, j’ai l’intime conviction que vous-même crachez sur vos propres textes, vos propres lois et… Et cette Constitution est bien putain de plus lourde que moi !
Après plus d’une heure de vérification, les techniciens concluent que la balance est défectueuse.
— Au regard de la situation, nous allons procéder à la dernière étape de ce procès. Madame Thémisse, votre calvaire prendra bientôt fin…
La foule est transie.
Les temps modernes meurent à cet instant, quand on m’attache sur un bucher dont ma sorcellerie est censée pouvoir me sauver.

Ils allument le brasier.

Je m’appelle Anne, France, Simone, Thémisse.
J’aime hommes et femmes indifféremment. Parce que l’amour n’a pas de loi.
Je suis un homme né dans le corps d’une femme. Parce que c’est comme ça.
Et pour ce bébé qui aurait dû naitre… J’ai fait ce qu’il fallait. Pour moi, pour ce que je suis. Et pour lui, parce que notre monde n’a plus rien à offrir.
Je suis trois fois criminelle aux yeux de la folie des Hommes : identité sexuelle non-traditionnelle », bisexualité, avortement…
Voilà contre la liberté d’être, la soi-disant justice et son châtiment.

Un rayon de soleil avorte les ténèbres. Il fait bon se savoir encore en vie. Même un peu. Même un bref instant.
Au loin, dans un arbre, je devine les restes d’un nid de geais. J’aimerais m’y blottir. Il n’y a pas plus juste équilibre que celui d’un nid, calé dans son houppier.


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· Texte d’Athénaïs Grave ·

Thémis se bande les yeux. Si à première vue, elle peut paraître aveugle, elle n’est cependant point sourde. Elle entend. Elle écoute. Elle jauge, attentive, le poids des âmes.
Elle ne saurait se faire distraire par un sourire charmeur. Elle ne saurait se laisser corrompre par la plus fine dorure. Elle ne saurait se détourer de sa divine mission.
Et alors qu’une plume fait pencher la balance, elle brandit son glaive, scellant le destin des Hommes.
Aux apparences trompeuses, la Justice n’épargne aucun supplice. Aux rois, elle n’accorde aucune préférence
Regarde-la dans les yeux. Elle écoute avec le cœur.


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· Texte de Jérémy Gressier ·

Bandage et bandeau

Femme de justice
Je crois en tes principes
Femme de justice
Je n’appelle plus la police
Les gens se meurent sur le bitume
Pour des clopes, des biens et des conneries qui fument
Enlève ton bandeau pour enfin voir mes yeux humides
Laisse-moi t’enlacer pour que ma vie me semble plus limpide
Je craque,
Je croque,
Je me démène comme un croc pour me trouver de quoi manger
Je partage, je fulmine, je triche et je me dandine
Pour quelques billets, pour quelques instants
Où je me bouche les yeux autant que les oreilles
Regarde les anges, ils descendent, j’espère qu’ils m’emmènent
Que ce monde est sombre à travers ma paire de jumelles encrassée dans la terre ou dans la merde
Les secondes sont longues, et le temps se rallonge
Il n’y a que des montagnes, et elles sont mes muses
Alors le manège tourne dans toutes les sensations
J’ai peur, et quand j’ai peur, je ferme les yeux
Je m’enfume dans mon monde
Je perçois encore un peu la lumière du jour à travers mes paupières infinies, si fines
Alors c’est décidé, je fais comme toi, chérie, je me bande les yeux.


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· Texte de Sandrine B Holder ·

Liberté ! Je crie ton nom !

Que de belles promesses tu m’as vanté,
Lorsque je me suis présentée
Devant toi la toute première fois.
Moi, femme blanche, femme noire,
Du ghetto, d’une banlieue dorée,
Femme-enfant, jeune femme, femme mûre,
Malade, handicapée, battue, abusée,
Érudite, peu instruite,
Analphabète… et pourtant point bête !

Liberté ! Je me dresse devant toi !

Comment oses-tu aujourd’hui m’abandonner ?
Laisser des esprits étriqués
Décider de ma vie ?
Je sens leurs mains, leurs yeux,
Parcourir mon âme,
Je me sens sale, violée,
Exempte de toute intimité,
Exclue à disposer de mon corps selon ma volonté.

Liberté ! Regarde-moi !

Ta flamme devenue fragile, vacille,
Anéantissant de nombreuses familles.
Ton bras s’arme de feux
Aux relents bien trop scabreux
Qui attisent des haines
Depuis des contrées lointaines.
Ta toge est couverte du sang
De tous ces enfants
Qui porteront à jamais
Les stigmates de ne pas avoir été désirés.

Liberté ! Ne me tourne plus le dos !

Pose ton regard sur ce ventre tendu
Qui abrite une souffrance dont je ne voulais plus.

Du plus profond de mes entrailles,
Je hurle ma rage le poing levé !

Liberté ! Je crie ton nom !


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· Texte de Guettaf ·

Amérique
Rien de mieux que l’Amérique pour se sentir seul. C’est grand et indifférent. Ça fait semblant d’ignorer la mort du rêve qu’elle pense poursuivre encore. On ne s’est pas demandé à qui ça ferait de l’ombre quand on a monté les gratte-ciels. Des banlieues oubliées aux couleurs dépressives. Des routes larges pour montrer qu’on avait la place, et qui rendent le peu de voitures qui passent un peu ridicules. Des fissures aux trottoirs. Des carrés de pelouse jaunie d’un voisin à l’autre. Je veux traverser des parkings immenses le dimanche, mes cernes éclairés par des enseignes en néons bleus d’indifférence. Je voudrais prendre cette Amérique dans les bras et lui dire que c’est pas si grave. On y a tous cru, et le temps que ça a duré, c’était bien. Je lui dirais que bercer un rêve mort ne l’a jamais ramené à la vie, et qu’à part donner une cadence aux regrets, ça n’a jamais rien produit de bon. Je prendrais la statue et sa liberté, et on ira fleurir la tombe de ceux tombés pour cet idéal pas toujours défendable. Ceux des rues comme ceux des champs de bataille. Elle posera sa flamme qui se voulait éclairante et qui est incendiaire aujourd’hui plus qu’autre chose. Faut plus faire semblant. Ça fatigue de croire au passé. Sois une somme de frontières étranges, une belle addition de paysages à couper le souffle, et arrête de penser que tes peines nous concernent. Tu as assez de tes malheureux. Amérique, ton rêve s’est réalisé. C’était juste pas le bon.


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· Texte de Léa Leboucq ·

Liberté

La quête de toute une vie, la vraie, la grande et sublime liberté.
Arrive t-elle un beau jour de printemps, saison de renaissance, où les feuilles laissent place aux bourgeons ?
Arrive t-elle en vous frôlant délicatement la main pour éclaircir votre chemin, impatiente de vous révéler sa lumière ?
Ou choisit-elle de se cacher jusqu’à vous abandonner à jamais.
Peut être est-ce à nous de l’apprivoiser.
Doucement, mais sûrement.
En douceur, mais avec ardeur.
Abandonner enfin sa parure, son masque, son fardeau et suivre une voie inconnue bourrée de passions, de révélations suscitant en nous des émotions inattendues.
Se découvrir devient alors la quête.
Nous étions esclaves de nos souvenirs, contraints à rester prisonniers dans le monde du regret et de la solitude.
Quand l’évidence réchauffa notre raison frigide, le pas, grand s’avança machinalement, comme s’il y étais habitué.
Notre corps avait compris.La liberté faisait parti de nous depuis toujours.
Elle n’attendait alors que le signal de notre doux réveil.


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· Texte de Didier Colpin ·

LANGUE FOURCHUE DES VISAGES PÂLES…

Dans le port de New-York se dresse une statue
Ma pensée y dépose un bouquet d’œillets noirs
Cela sur ses talons regardant vers les terres
Où le crime a sévi -lugubres inventaires-
Aurore pour certains pour d’autres sombres soirs
– Ad vitam æternam le mal s’y perpétue-…
Toujours une médaille a bien sûr un verso
Ici la Liberté d’une vile assurance
Tourne à jamais le dos aux multiples indiens
Les Droits de l’Homme sont bagous de comédiens
Qui méprisent leur texte -avec indifférence-
Leur histoire est marquée au fer rouge d’un sceau…


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· Texte de Luc André ·

Où porte son regard, si loin vers l’horizon ?
Par delà l’océan, les montagnes et les plaines,les paupières alourdies d’avoir trop longtemps veillé sur cette idée folle, belle et vagabonde.
Très chère liberté…
À travers les ténèbres, jaillit son grand flambeau, triomphant des idées sombres qui partout se dessinent, à l’encre de la haine, dans la nuit toujours elles griffonnent.
À quand le petit jour?
Très chère liberté…
Trônant sur son île avec honneur et fierté, chaque jour passé à la conquête de nouveaux cœurs, épris de ce vent soufflant vers les cieux, à travers les nuages, les orages et les tourments, ils prendront leur envol,brisant net leurs lourdes chaînes.
Très chère liberté…


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· Texte de Mélissa Bouabdallah ·

Le temps passe à vive allure et les années défilent une à une sans que son visage ne soit jamais tâché de la moindre petite ridule. Toujours aussi jeune et à jamais mère de l’américanité , elle exhibe fièrement le flambeau d’une valeur perdue et sans cesse retrouvée : la liberté.

Représenter une telle vertu par une simple statue , est une manière bien déguisée et fort bien pensée de graver dans le fer l’absolue nécessité de vivre en humain comblé d’indépendance et d’indocilité.

Aujourd’hui encore et pour longtemps sûrement , la dame de fer demeure toujours une importante figure du moment. Et aussi figée qu’elle semble être depuis bien des années , elle est parfois le seul repère qu’il reste aux humains prisonniers de choix trop politisés.

Traversant le temps sans effectuer le moindre battement de cils , présentant un électrocardiogramme plat sans jamais mourir et contemplant de toute sa grandeur la petitesse de notre condition humaine , elle est immortellement porteuse d’une valeurs humaine parmi les plus fantastiques et saines.

La symbolique est d’autant plus forte de nos jours que la liberté est incarnée par une femme, une fille , une lady liberty. Une figure féminine libérant le monde en général et les femmes en particulier de leurs lourdes menottes et de leurs chaînes au pied. Un appel de phare au bon féminisme , un contre-pied tranchant aux inégalités et au sexisme , n’est-elle pas finalement aussi quelque part une superbe représentation du féminisme.

Une icône femelle , une femme si bien sculptée , portant la torche enflammée d’un amour de peuples en quête de liberté. Elle résiste aux idées extrémistes qui voudrait bien l’attaquer , aux pratiques dictatoriales insensées et aux vieilles pratiques coloniales toutes aussi délirantes qu’effrénées.

La liberté , comme ses valeurs cousines , ont toutes besoin d’une représentation réelle , fine et d’une forte symbolique. Un quelque chose qui rappelle à la société que l’Homme n’est pas plus fort que les valeurs qu’il doit protéger.

Les fatalistes n’y verront pourtant qu’un vulgaire tas de fer érigé en monument absurde. Tandis que les visionnaires y voient la figure d’une âme passionnément révolutionnaire et pure.

Quoi que l’on en dise , en réalité , bien peu importe. Quoi qu’on en pense , aussi , n’a que peu d’importance. Le symbole , par essence-même n’a pas la prétention d’être aimé , lui qui n’est pas animé de quelconque sentiments d’humanité.

Il est là pour commémorer les batailles et les combats sanglants menés pour une quelconque liberté. Il ne sert qu’à la souvenance intense d’un passé révolu éclairant le présent .

Et par extension , le symbole dispose d’un pouvoir sur l’avenir de chaque enfant dont l’esprit frais est formaté par ces principes directeurs de l’humanité , ainsi devenu sacralisé.

Pensons donc de cette statue ce qu’il nous semble bon de penser , croyons ce que nous voulons croire et de toute manière nul n’aura échoué pourvu seulement que ce que l’on pense soit le fruit de notre liberté.


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· Texte de Sandrine Drappier Ferry ·

C’était en automne. A Central Park. L’été indien resplendissait. Les ormes américains et les quelques cent cinquante autres espèces d’arbres s’étaient teintés de brun, de jaune, de rouille, de rouge et je courais follement, naturellement tout autour du Réservoir, ce sublime plan d’eau long de deux kilomètres et demi, avec mon amie américaine. Nous étions entourées par des centaines d’hommes et de femmes, qui couraient pour la plupart ensemble, et cela semblait si naturel de courir, de suer dans cette nature chatoyante.
Mon amie et moi nous sommes arrêtées. Nous venions de courir nos cinq kilomètres quotidien. Nous nous sentions légères, pleines d’entrain et de puissance après cette course.
Erin était une New-Yorkaise pur jus. Très sûre d’elle, allant toujours de l’avant, comme si aucun obstacle ne pouvait se dresser sur sa route. J’étais encore une jeune française du vieux monde qui regardait des deux côtés de la route avant de traverser. Elle était fonceuse là où j’étais bien trop prudente. Et surtout, elle était fan d’athlétisme. Elle courait le huit cent mètres. C’était devenu presque une obligation de pratiquer un sport quand on était en fac aux Etats-Unis.
— Tu sais, cela ne s’est pas fait du jour au lendemain, le droit de courir ainsi pour les femmes.
Je l’ai regardée. Un peu exaspérée. La condition féminine, les luttes pour acquérir les mêmes droits que les hommes, l’égalité salariale, le droit de vote était le cadet de mes soucis cet automne-là. Pour la première fois de ma vie, je vivais à l’étranger, en colocation, loin de mes parents, et je me sentais terriblement libre.
— As-tu déjà entendu parler de Kathrine Switzer ?
J’ai ri.
— Non. C’était une suffragette anarchiste du dix-neuvième siècle ?
— Tu es bête
— Allez, ne te fâche pas, c’était pour rire.
Erin s’est levée et nous avons repris le chemin de l’appartement. Mais pendant deux ou trois jours, ce nom m’a hanté. Bien sûr, j’aurais pu ouvrir mon ordinateur. Taper son nom dans Google. Mais quelque chose m’en empêchait. Ma moquerie, sans doute, me donnait mauvaise conscience. C’est encore Erin qui est venue à mon secours. Un soir.
— Tiens, voilà Kathrine Switzer.
Elle m’a tendue trois photos en noir et blanc. On y voyait une jeune fille en jogging clair. Elle courait dans la rue, entourée d’hommes. Un individu, en habit de ville, tirait sur ses habits. On l’a voit se retourner, tenter de se dégager, puis un autre sportif, un grand gaillard, fait déguerpir le malotru.
— C’était en 1967. Tu vois, il y a pratiquement cinquante ans seulement. Kathrine avait vingt ans à peine. Depuis qu’elle avait douze ans, elle courait, poussée par son père. Mais à ce moment-là, dans ce pays, et partout ailleurs, on interdisait aux femmes de courir. Cela les rendrait masculines, cela ferait pousser leurs poils. Cela les empêcherait aussi de tomber enceintes. Cela leur ôterait leur grâce. Alors, les femmes, pour toutes ces raisons stupides, ne pouvaient accéder aux compétitions sportives.
Je restais bouche bée.
— Dans les compétitions sportives, on n’autorisait les femmes à courir que huit cents mètres maximum. En 1966, une femme, Roberta Gibb, prend le départ du marathon de Boston en sortant d’un fourré où elle s’était cachée. L’année suivante, Kathrine Switzer s’inscrit en mettant uniquement les initiales de son prénom sur le dossier d’inscription. Elle prend le départ avec le dossard numéro 261. Kathrine est juste une jeune sportive qui ne comprend pas pourquoi elle ne pourrait pas courir le marathon alors qu’elle court cette distance sans aucun souci. Ce n’est pas une militante, juste une jeune femme qui veut réaliser sa passion. Les six premiers kilomètres se passent bien. Elle obtient des encouragements, quelques remarques désobligeantes, mais elle continue en compagnie de son entraîneur et de son petit ami. Puis, la voiture de presse arrive à sa hauteur. Quelques instants plus tard, c’est un véhicule avec les personnes de l’organisation de la course. Là, l’un des officiels sort de l’automobile et tente de lui arracher son dossard. Son ami s’interpose et fait partir l’organisateur. Kathrine est secouée, elle ne sait plus si elle doit s’arrêter ou continuer. Elle pleure mais elle comprend aussi que, si elle s’arrête, son échec sera encore mis sur le compte de la faiblesse des femmes. Une spectatrice se met d’ailleurs à genoux et lui dit de continuer. Kathrine reprend du poil de la bête et ira jusqu’au bout des quarante-deux kilomètres cent quatre-vingt-quinze mètres. Elle dira plus tard qu’au départ elle était une jeune fille, et qu’à l’arrivée elle était devenue une femme. Mais elle sera disqualifiée et suspendue par la fédération d’athlétisme. Elle passera sa vie ensuite à se battre pour faire courir les femmes. Dans les compétitions sportives. Sur tous les continents.
— Quand on pense aujourd’hui au nombre de femmes qui participent à des marathons.
— En 2016, au marathon de Boston ouvert aux femmes en 1972, elles représentaient la moitié des coureurs soit plus de douze mille personnes.
Ainsi, le combat pour l’émancipation des femmes passait aussi par le sport. Des pionnières avaient ouvert la voie et avaient permis à des millions de femmes aussi, après elles, à courir sans peur et à participer à des compétitions.
— Quand je pense qu’aujourd’hui on dit que les femmes courent comme des gazelles. Que les athlètes arrêtent leurs compétitions pour faire des bébés et reviennent ensuite performer.
Je n’ai pas cessé de penser à Kathrine Switzer. Et à la lutte des femmes pour être reconnues socialement, intellectuellement, culturellement et sportivement.
J’ai couru tout l’automne, tout l’hiver. Chaque matin, je mettais mes lacets, je m’habillais et je partais courir. Concentrée pour bien placer mes appuis et pouvoir allonger mes foulées jusqu’au bout de mes objectifs. Et j’ai dépassé la barre fatidique des quarante-deux kilomètres et cent quatre-vingt-quinze mètres. Peu à peu, je me suis sentie légère et puissante. En courant, j’écoutais mon corps, ses frottements sur les vêtements, la musique de mes pas, celle de la nature, des oiseaux, du vent. Je remarquais très vite comme courir avait réussi à me donner confiance en moi, comme désormais je me sentais forte,
En plein cœur de l’hiver, j’ai pris ma décision. Moi aussi, je courrais le marathon de Boston et, sans ne rien dire à personne, j’ai rempli mon bulletin d’inscription en y nommant fièrement mon prénom entier.
Nous étions en 2017 soit cinquante ans après le marathon de Kathrine. Elle avait désormais soixante-dix ans et j’appris quelques jours avant le dix-sept avril qu’elle serait sur la ligne de départ, avec son fameux dossard 261. C’était son quarantième marathon. Et cela serait mon premier.
Bien sûr, je ne la vis pas. Mais je mis mes foulées dans les siennes. Et je passais la ligne d’arrivée en pleurant de joie, de fierté et de reconnaissance. Alors, je me décidais à lui écrire quelques jours plus tard. Un simple merci. Un parmi des centaines de milliers d’autres depuis ce marathon de 1967. Un merci pour m’excuser aussi d’avoir oublié d’être respectueuse vis à vis des femmes qui, tout au long de leur existence, avaient œuvré pour que nos vies à nous, leurs descendantes, soient plus faciles. Un merci pour la Liberté de tous. Afin de permettre à chacun et chacune d’aller au bout de leurs envies.


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· Texte de Tuy Nga Brignol ·

Pourquoi est-ce si important de cultiver le sens de sa vie ?

Le sens est avant tout une expérience subjective, que l’on peut cultiver, influencer et faire exister. D’après Sartre, ”être libre” ne signifie pas “obtenir ce que l’on a souhaité”, mais plutôt “déterminer par soi-même ce que l’on souhaite”, au sens large de choisir. Autrement dit, le succès n’est pas aussi important que la liberté. Suivre une envie, cela demande la liberté. La liberté de décision, de temps et d’action.

Le sentiment de liberté le plus fort que nous pouvons ressentir est le sentiment d’être vraiment qui nous voulons être. Il suffit de chercher ce qui nous passionne et de nous y consacrer. Il se définit comme le point de rencontre entre les aptitudes et les aspirations personnelles.
A chacun sa propre vision de la plénitude. Elle est associée au sentiment de notre propre liberté, de la vastitude intérieure et de l’harmonie. Être rempli, c’est s’épanouir, c’est être clair avec soi-même.
Lorsque notre expérience subjective courante a une certaine qualité de résonance, qu’il s’agisse d’un sentiment de justesse, d’une expérience significative ou de joie, nous avons la sensation que la vie a un sens, qu’elle est parfaite. Mais en général, nous ne sommes pas formés pour prendre conscience et nommer ces expériences comme étant significatives. Par exemple, nous pouvons assister à un magnifique coucher de soleil sur la mer, le sourire aux lèvres, parce que quelque chose a été éveillé en nous, mais sans pour autant le considérer comme un moment significatif.
Nous avons vécu l’expérience, mais nous n’avons pas su l’étiqueter comme telle ou la créditer comme telle. C’est pourquoi certains moments de notre vie réelle passent inaperçus et ne sont pas reconnus. C’est une disponibilité qui se cultive. Il faut être dans l’instant présent du ressenti pour s’émerveiller. S’émerveiller est un présent que nous offrons à toutes les dimensions de notre être. S’émerveiller de petits riens, s’émerveiller de tout.
La façon dont nous conceptualisons le sens a une grande importance. En fait, elle dicte entièrement la façon dont nous allons vivre notre vie et vivre l’expérience que nous allons en tirer. Pour certains, le sens de la vie est à rechercher à l’extérieur de soi. Pour d’autres, c’est une expérience subjective, qui peut se manifester parfois de manière spontanée. Mais le sens peut aussi être forcé à exister, et s’il est absent, nous devons essayer de le créer. Nous pouvons en élaborer une idée intelligente et fonctionnelle autour de laquelle nous pouvons nous rallier même si ce que nous faisons n’a pas encore vraiment de sens. Pour rester sur la bonne voie et garder la motivation, nous nous dirons : “Je comprends que quelque chose – qui peut s’avérer utile à faire – peut maintenant ne pas avoir de sens à faire.” En gardant une perspective claire sur son fonctionnement, nous gardons le moral même si nos efforts quotidiens ne sont pas si significatifs que cela. Nous ne renonçons pas à la possibilité de faire l’expérience du sens même si une action donnée n’a pas encore procuré le sentiment que nous recherchons. Nous continuons à vivre le but de notre vie, en gardant l’espoir qu’en le vivant, beaucoup de sens sera généré.

Qu’est-ce qui fait perdre le sens de notre vie ?
Le fait de ne pas prendre l’habitude de nommer et de vivre les buts de notre vie nous fait perdre ou diminuer le sens de notre vie. Il est essentiel de savoir traduire nos connaissances et idées en une vision cohérente de la façon dont nous entendons vivre notre vie. Nommer les buts de notre vie implique de relier divers points de tout ce qui nous habite, nos désirs, nos rêves, nos objectifs, nos valeurs, nos principes, nos intentions, nos aspirations…
La meilleure solution est de rester simple. Rédiger une déclaration du but de notre vie – en prenant en compte des valeurs que nous voulons défendre, les rêves et les objectifs que nous nous fixons, la vision que nous avons de notre comportement dans le monde – et consacrons le temps qu’il faut pour transformer ces données en une déclaration cohérente qui reflète réellement nos aspirations profondes sur notre vie.
Apprendre à saisir les opportunités de sens, apprendre à créer et à mettre en œuvre notre déclaration d’intention de vie – est un excellent apprentissage utile pour le reste de notre vie. Le fait de disposer d’une déclaration d’objectif de vie à emporter avec soi partout où nous allons, et de l’utiliser dans toutes les situations de vie nous protège contre l’insignifiance.
Notre santé mentale en dépend, du fait que nous avons une bonne idée de ce qui favorise l’expérience du sens en nous. L’amour, les bonnes œuvres, la créativité, les relations, l’accomplissement de soi… font partie des expériences potentiellement significatives.

Dans notre vie de tous les jours, nous sommes continuellement bombardés par de petites – et parfois de grandes – menaces à notre expérience de vie comme ayant un sens.
Il est probable que nous allons ressentir ces événements comme un coup dur pour notre sens de la vie. Pour y faire face, prenons l’habitude d’acquérir rapidement une réparation du sens : 1) reconnaître et admettre que quelque chose de grave s’est produit. 2) ressentir le sentiment d’inconfort sans le réprimer ou le dénier. La répression des sentiments ou le déni de la réalité ne contribue pas à notre santé émotionnelle. 3) se rappeler que le sens est une source et une ressource renouvelable dès que l’émotion s’estompe. 4) donner un nouveau sens à notre vie en prenant des mesures appropriées.
Si nous souhaitons vivre de manière authentique, l’un de nos objectifs dans la vie est de vivre de manière significative et de faire en sorte que cela corresponde à nos valeurs.
L’expression “création de sens basée sur les valeurs” représente nos jugements réfléchis sur la manière dont nous voulons provoquer l’expérience du sens.
Il est très difficile d’honorer nos valeurs lorsque notre liberté est en jeu.


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· Texte de Claire Sauvage ·

Au crépuscule d’été
Tandis qu’un papillon
Ose encore s’élever vers le ciel
Déployant tout doucement ses ailes
Au coup du carillon
D’un battement léger

S’envole, vole, vole, vole…

Un court instant de paix
Quand les couleurs éclatent
L’horizon décline fleurs et pétales
Puis la nuit tombe, la fraîcheur s’installe
Sur l’herbe délicate que je sens sous mes pieds

Me caresse, reste, reste, reste…

Je n’ai plus qu’à rentrer
Mais je guette un moment
Le passage de la chouette en un souffle
Ou le chant du hibou qui s’essouffle
Un petit bruissement
Sous la voûte étoilée

Me surprends, attends, attends, attends…

Un dernier écureuil
Se faufile dans les feuilles
De l’arbre auquel je suis adossée
Il s’en vient retrouver sa nichée
Tu as raison, l’ami
Il est tard, il suffit

Temps d’un rêve, rêve, rêve, rêve…


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· Texte de Jean-Charles Paillet ·

La verticalité tenace
par des racines sûres
j’accorde mon souffle
à la patience de l’arbre
ma voix est celle
du feuillage bruissant

La confiance reliée au ciel
est profonde
je n’ai de saison
que la force
de l’instant présent


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· Texte de Marina Leridon ·

Dès qu’il sut marcher et, surtout, osa s’éloigner tout seul de sa mère et de la maison, l’enfant partait au fond du jardin.
Oh, ce n’était pas une longue marche ! Le jardin était petit et bien clôturé. La maman ne s’inquiétait donc pas. Elle devait s’avouer que ce petit moment tranquille la reposait.
Elle l’adorait, son petit chérubin. Mais qu’est-ce qu’il était épuisant : toujours à courir partout, à toucher à tout, à poser mille questions…
Alors, elle ne cherchait pas à savoir où il allait ni ce qu’il pouvait bien faire.
Au fil du temps, elle réalisa qu’il partait de plus en plus longtemps. Il ne lui racontait jamais ses aventures mais revenait avec un petit sourire, l’air détendu.
Quand il allait à l’école, il se précipitait au fond du jardin après son goûter. Elle finit par se sentir un peu abandonnée, voire trahie, par ce petit à qui elle consacrait sa vie.
Un jour, elle lui posa la question :
— Tu fais quoi au fond du jardin tous les jours ?
Il sourit timidement, rougit un peu mais ne répondit rien.
— Tu me montres ?
Il secoua la tête pour refuser et elle se sentit un peu bête, vexée même. Mais bon, il a bien le droit d’avoir ses secrets.
Ce refus lui trottait dans la tête et finit par l’obséder. Elle pouvait quand même aussi savoir ce que faisait son enfant !
Son mari se moquait gentiment :
— Mais laisse-le vivre ! Tu as bien des secrets aussi toi !
N’y tenant plus, elle décida de faire le tour de son jardin, innocemment, alors que l’enfant venait de rejoindre son coin secret.
Elle le trouva, allongé sur le ventre, le menton sur les mains. Il admirait une petite statue et lui parlait. Elle n’avait jamais vu cette figure de pierre, un peu cachée sous la végétation. Sérénité et gentillesse se dégageaient de son visage. Elle semblait à l’écoute, les yeux mi-clos, un léger sourire aux lèvres.
Le petit garçon posa une oreille sur ses mains et ferma les yeux. Il se ressourçait auprès de son amie.
La maman sourit et s’éloigna en silence. Elle venait de réaliser que, tout comme elle, son enfant avait besoin de solitude et de calme.


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· Texte de Luc Baudot · 1ère place

Le 7 janvier, un volcan éteint, selon les répertoires internationaux, eut un petit hoquet qui aurait à peine fait bouger l’aiguille d’un sismographe s’il y en avait eu un à proximité. Le hoquet fut accompagné d’une minuscule bouffée de gaz et une petite flaque de lave s’échappa du cratère. Personne ne vit le phénomène et personne n’en parla.
La micro-coulée de lave descendit la pente, brulant quelques brins d’herbe et aspirant les particules métalliques trouvées sur son passage. Elle fut bloquée par une aspérité du terrain : un trou plutôt chaotique mais dont la taille recueillit la totalité de la flaque incandescente et la retint prisonnière.
Le jour passa, le vent se leva et refroidit la lave durant toute la nuit.
Le lendemain matin, le volcan eut un deuxième hoquet qui provoqua un séisme de magnitude -2. Un bloc noir fut éjecté mollement du trou et roula le long de la pente, laissant des traînées de calamine le long de son parcours pour finir sa course contre un mur de pierres sèches.
Les six jours suivants, il se mit à pleuvoir à verse. La pluie lava les restes de calamine collés au bloc et attaqua ses pigments métalliques mis à nus, commençant son long travail d’oxydation et donnant une jolie teinte bronze à la forme nouvellement apparue.
Le huitième jour, un moine en robe safran longeant le mur de pierres, trouva le bloc et le ramassa. Soigneusement, il le débarrassa des poussières de la nuit en soufflant dessus, puis le regarda. Le bloc était un magnifique bouddha de bronze au sourire indéfinissable : la bonté incarnée.
Le moine, chargé des quelques kilos de son trésor, continua son tour journalier du mur d’enceinte, pour aboutir à la porte du monastère. Le frère portier lui ouvrit et il traversa la cour pavée de marbre brut jusqu’à un bâtiment d’où s’échappaient des volutes de fumée et des senteurs d’encens. Il entra dans une salle emplie de bouddhas en bronze, soigneusement alignés sur des étagères en bois rouge incrustées de filets d’or et montant jusqu’au plafond. Il posa sa trouvaille à un emplacement libre puis se recueillit brièvement en récitant les mantras appropriés.
Il retourna à l’entrée du bâtiment où une pancarte “closed” était accroché en haut d’une porte sculptée de minuscules éléphants s’aspergeant au milieu de fleurs de lotus encore plus minuscules. Il retourna la pancarte côté “open” et, satisfait de son œuvre et de la grandeur du monde, alla s’assoir sur une natte, à côté d’une caisse enregistreuse posée à même le sol.
Il attendit alors les premiers touristes de la journée.


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· Texte de Nathalie Webert ·

Il fait noir,

Paupière lève-toi !

J’entends mon cœur,
Quel vacarme dans ce noir

Comme le goût de mon sang au creux de mes lèvres,
Fermées,
Enveloppées de pénombre.

Rien n’y fait

Jolie paupière close sur mon âme

Allongée
Immobile
J’ai froid

Depuis combien de temps
Combien de temps
Suis-je là ?

Des pas là,
Là tout à côté,
De moi
Qui suis là,

Qui suis-je alors?
Posée là
Je sens l’air des jupons
Mousseline en rime
Se soulevant en vagues
Des pas…
Là!
Des voix,

Sur mon visage,
Un souffle de mots réveille mes cils,
Ceinture chaste de mon regard
Au monde,
Si sombre,
Si froid…
Cette voix Je l’entends… mon prénom….Joséphine murmuré…
Joséphine…
Un rire en moi,
Réveillée
Je suis réveillée…

Enfant,
Je me revois…
Joséphine la lapine,
hi hi hi
Je ris
ha ha ha
Je râle…
J’ai mal au creux de moi.
Une ronde qui tourne,
Et moi au milieu,
Bas blancs et souliers,
Noirs,
Vernis,
Blancs
Mes bas,

Joséphine tourne, tourne,
Badaboum boum,
Boum, boum

Joséphine est au sol,
La lapine a chuté,
Un rire en moi,
Aigre doux,
Doux amer

Souvenirs qui me reviennent….

Joséphine m’entends-tu?

Une voix au creux de mon oreille
Une voix
Maman ?
OUI
Oui
O
U
i

Pas de son
Oui
Oui
Tout hurle en moi
Dans un silence de mort

Maman
Maman
Je t’entends

La voix sanglote
La voix s’éloigne

Maman
Maman
Ne pars pas
Je suis là
Éveillée
Joséphine
La lapine
Je suis là
Regarde
Regarde
Je tourne boule
Pas chassés
Pas de coté
C’est moi
Maman

La voix n’est plus
Le souffle non plus
Elle est partie
Partie
Loin de moi

Torpeur du vide
Mon cœur veut s’échapper
Partir aussi
Souviens-toi maman
Tu m’as donné ton cœur
Prends le mien
Il bat
Reviens maman,
Reviens…

Il fait noir
Plus âme qui vive
Mon corps inerte
Allongé quelque part
Je ne vois pas
Ne bouge pas

J’ai soif
Comme ce jour de printemps
Où assise sur un banc
A l’arrêt d’un bus
A L’orée de ma vie
Je t’attendais
Maman
Ma maman
Assise sur un banc
Mes bas blancs
Ramassés
Sur mes souliers noirs
Le rideau est tombé
Noureev pendu à sa corde
Rudolf mort
Pauvre jeune homme
Petit danseur
La gorge serrée

Je t’attendais
Maman

Le temps
Combien de temps
Avant de sentir ce souffle à nouveau
Sur mes paupières lassent

Ding Dong
Ding Ding
Dong Dong

Une horloge au loin
Je l’entends
6 coups ont sonnés

Le noir du jour
La lueur de la nuit
Est-ce le matin ?
Est-il parti ?
Le soir arrivant
Tout en fanfare

6 coups ont sonnés
6 heures
Qu’importe le soleil
A l’est, A l’ouest
Il est toujours soleil

Une larme à ma joue
Je la sens
Rouler
Bouler
Tout en douceur
Sur mon visage
Que je ne connais plus
Reconnais plus

Le temps s’en va
Le temps s’en vient

Te souviens-tu du temps ?
Maman
Mauvais
Joyeux
Le Temps…

Rire
Envie de rire
J’essaye d’entrouvrir mes lèvres
Entendre mon rire
Ravalé aussitôt
Rien ne bouge
RIEN

Le rire est là
Il veut partir

6 heures

J’attends la 7éme
Cette Heure où la noire disparait dans le soupir d’une blanche
Mes souliers noirs dans mes bas blancs
La 7éme heure
Eblouie par cette lumière
Blanche
L’apocalypse de l’au-delà
La révélation
De la 7éme
Heure

Comme ce point d’interrogation inachevé
Où est le point ?
Le point
A la ligne
Entre aurore et obscurité
Le 0 comme un A accomplit

Noir
Silence
Immobile
Allongée

Dans un temps que je ne connais pas

Allongée

De mon corps alors une jambe s’échappe
Puis l’autre dans un écart grand
Un arc
Demi-cercle
En ciel
Plaff
Mes pieds au sol je me redresse
Droite la tête
Perchée
Qui va qui vient
De droite de gauche
Cours à jardin
Métronome du temps
Pendule du cœur
Le torse haut
Souple la nuque
Port de charme
Petite princesse
Petite danseuse
Jeune fille en papillon
Intemporelle
Ephémère chenille

Je suis debout
Sur la pointe de mes pieds
Une ronde en arrière
Petit pont sur le monde
Mes bras le long du corps
Mes mains le long des cuisses
Remontent
Mes jambes s’écartent et s’entremêlent
Des X à n’en plus finir
Vite vite
Virevolte, virevolte
X X X
Mes genoux se heurtent et se bousculent
Mes mains s’évitent et se rejoignent
O un O
Oh mon bonheur
Je danse
Ah, Ah, Ah
Je danse
Des petits pas s’ensuivent
Des petits pas s’enchainent
Un petit pas
Deux petits pas
Des tas de petits pas
De côté,
Chassés,
Croisés
Mêlés
Vite, vite

Et Vlan
La lapine
Vlan, Vlan, Vlan
Chute la princesse
Face contre cieux
Bas blancs sur les souliers
J’ai soif
Maman
Maman
Sur un banc
Je vais t’attendre

Plus RIEN
Le point de l’horizon ou le temps d’avant et le temps d’après sont réunis

Mais,
Ding Ding
Dong Dong
Ding Ding
Dong Dong
Ding

9
9 ?

Où est le 7 ?
Mon heure nouvelle
Où est le 8 ?
Abasourdie,

Mon cœur s’affole
Où sont ces heures ?
L’aiguille en course folle
Le temps s’émancipe
Le temps s’enfuit
Il est parti
J’ai dû dormir
Danser
Chuter
Mourir
Allongée là
Inerte
Tout est noir
J’ai froid dedans
Tout hurle
Tout hurle

9 moins 7…
2 heures déjà
Dans mon univers de vide et de néant
2 heures déjà…..

Une voix
Une porte
Non
Des voix
Une porte…
Ils sont là, tout près

Et patati et patata
Non ne chuchotez pas

Que dites-vous ?
MORTE
Que dites-vous ?
MORTE

Je vous sens là tout autour
Plus fort !
Parlez plus fort !

Oui j’entends
Oui je ressens
Oui, oui, oui
Oui je vis
Ah……désespoir

Ne partez pas
Je vous en prie

Ne
Partez
Pas

Un pas,
Une main caressante
Sur ma joue…
Maman,
Ta douceur
Ta main
Maman
Une larme à ma paupière
Trébuche sur ta main
Un cri étouffé
Je l’entends
Ton cri maman
De douleur
De torpeur
A ma larme ta main a trébuchée

Ne pleure pas
Je vis vois-tu ?
Ne pleure pas
Maman

Les murmures s’achèvent dans un silence retrouvé
Ils sont partis
Je hurle pourtant
Ils sont partis à pas feutrés

Pourquoi ?
Je ne dors pas
Je vis
Je ris
Je pleure
Je suis la

Emmènes moi maman
Emmènes moi

Partir d’ici
De moi
Oublier
La chute
Tout oublier
Danser
Tourner
Bas blancs et souliers noirs

Noir
Noir
Que du noir
Mon âme est grise

Combien de temps
Depuis combien de temps
Suis-je allongée là…
Immobile,
Décomposée
Sur ce lit
En prison
Dans ce corps qui ne bouge plus
Ne répond plus

La Jeune fille est tombée
Badaboum Boum Boum
Une heure ?
Un jour ?
Une année ?

Une éternité…

Une VIE
Ma vie
Démantelée
Oubliée
Pendue à…..
MORTE

Maman ?


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· Texte de Patricia Forge · 3ème place

Je suis la sagesse minérale.
Face aux coups du sort fatals, aux changements climatiques, aux vents cataclysmiques et aux sécheresses historiques, je reste imperturbable posé sur un piédestal fait de rondins de chênes et de quelques branches de mon ami le Frêne.
J’ai dix, cent ou mille ans, je me moque du néant. Ma philosophie a voyagé dans les recoins du monde entier mais l’humanité est loin d’être toujours bien inspiré
Face à l’inconscience des hommes, le seul animal qui détruit volontairement son lieu de vie, j’essaie de montrer le chemin de la sérénité et l’union du corps et de l’esprit.
Non, l’Amour n’est pas une faiblesse. C’est au contraire la plus grande force, la carte maîtresse à la survie de l’espèce.
Face aux démons modernes, pour contrer l’obscurité, la seule vraie arme est l’Amour, surtout ne pas en douter.
Tiens, voici une amie, une femme un peu fée. Je sais que son corps souffre, c’est une louve blessée. Et pourtant tous les jours elle est là devant moi. Elle ne vient pas prier, seulement rêver je crois.
Tous les jours elle espère que l’homme cesses ces misères, ses outrages aux forêts, ses saccages à la mer. Elle rêve d’une communion avec les éléments. Elle, elle écoute encore le murmure du vent.
Parfois, ses doigts effleurent ma douceur minérale, parfois aussi elle pleure face à la froideur de cette humanité bestiale. Elle embaume l’odeur des fleurs fraîchement coupées que l’on trouve dans les prés. Elle s’émeut à la vue des coquelicots, des bleuets dans les blés.
Trotte menue, dans le crépuscule de l’été ou dans l’aube de l’hiver, je la vois parfois enlacer mon ami Frêne qui en est très fier.
Je suis la sagesse minérale. Mais qui se souvient encore que trop d’envies peuvent être létales. Que l’humanité crée ses mauvais sorts, ne pas respecter la nature c’est se condamner à mort.
Les femmes et les enfants ont encore dans leurs mains, comme une once d’espoir, leurs rêves pour sauver le monde. C’est la clé de leur destin.
Et moi, j’essaie de leur montrer le chemin.


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· Texte de Dorothée Fourez ·

Sur le chemin de l’éveil,
Assis au pied du bo,
Au centre de l’enso
Il essaye de trouver la lumière.
L’œil de l’âme à son fronton,
L’omniscience au bout des cils,
Il sourit, il médite,
Il apaise les maux de la terre.
Il écrit la paix des êtres
En tournant le Dharma chakra,
Par le nœud de l’infini
Sagesse et compassion, il relie.
En murmure d’Aum,
Il touche au divin
Et retrouve l’énergie originelle.
Il quitte le samsara
Pour atteindre le nirvana
Et goûte à la figue sacrée.
Toucher à l’essentiel,
À l’essence d’elle,
À l’éternel.


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· Texte de Jean-Jacques Camy ·

Le puits

J’ai marché toute la journée,
le long du noble sentier.
Une pauvresse m’a donné
un bol de riz tout entier.

J’ai rencontré un vieillard
qui portait ses infirmités,
jusqu’à plus loin, jusqu’à plus tard.
J’ai vu un bucher crépiter.

J’ai marché ainsi toute la journée,
et sans rien que je n’ai pu oublier.
Les gens avaient soif sur le sentier,
et je n’ai pas pu m’y désaltérer.
Je me suis assis sous un banian,
et j’y demeure ainsi , communiant.
Je regarde dans le puits de moi-même,
les yeux clos, pour mieux y puiser de l’eau ;
un sourire bienveillant se dessine.
Je vois le fond extrême
dans ce qu’il a de beau,
je me love aux racines.


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· Texte de Coraline Perrier ·

L’apaisement, la liberté, tout un symbole qui ainsi réuni nous berce dans la quiétude. Qui ainsi crée la liberté. La liberté tout un symbole, chacun en a sa propre vision, sa propre idée.
Je pense pour ma part que le symbole est quelque chose de grand qu’on peut trouver même et surtout dans les toutes petites choses. Il y a le symbole de la paix, le symbole d’un modèle, le symbole d’une morale et tant il y’en a, je ne peux tous les citer. La grandeur d’un symbole et ça force d’impact que la douceur peut créer, face à l’écoute, la peur, le courage, la vie tout peut si trouver, d’un petit rien qui pourtant si grand puisse changer le monde.
De par ces mots je tiens à remercier tous mes symboles qui aujourd’hui m’aident chaque jour à avancer.


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· Texte de Bertille Gilante ·

Pas perdus au pied de la montagne. Pas frigorifiés battant la forêt. Pas frénétiques, pas effrayés, l’enfant courait. Il ne sentait ni la morsure des ronces, ni les gifles du branchage. Il n’entendait pas le vent qui l’implorait de rentrer. Les bois seraient sa demeure et les loups ses amis. Il l’espérait.

La porte de l’auberge était de bois massif, crevassé par endroits. Il y posa ses deux mains, puis son oreille, écoutant la respiration du bois ancien qui le rassurait. Il fit le tour de la masure. Aucune lueur, aucun son ne lui parvint. Cette auberge abandonnée serait son refuge.

En ouvrant la grande porte, il sut que jamais il ne reviendrait. De ses mains, il visita la taverne dans l’entrée et finit par trouver quelques chandelles et une lanterne dans les tiroirs, derrière le comptoir. La lueur des bougies éclaira la grande pièce encore imprégnée de l’odeur du bon pain et des effluves de bière. La salle était propre. Pas une trace de poussière sur les grandes tables à manger. Pas une fissure sur les assiettes du vaisselier. La cheminée était nettoyée de ses cendre et les canapés, un peu enfoncés, semblaient toutefois assez confortables. Il pourrait s’y plaire. Oui, il pourrait vivre là, ce serait bien gentil, bien confortable. Il posa la lanterne sur la table basse entre les deux divans et s’affala entre les coussins. Sa fuite l’avait épuisé.

Il y avait cru, pourtant, que tout irait bien. On le lui avait promis. Il s’en voulait à présent d’avoir été si naïf. Il s’en voulait d’avoir joué dans la comédie qu’ils avaient monté sans lui. D’avoir, comme chaque jour, fait couler le café du matin. D’avoir aidé Lili à préparer le goûter, riant avec elle des petits morceaux de l’abaisse qu’ils grignotaient en tapinois. D’avoir vu sa mère écrire et de l’avoir laissé partir. D’avoir entendu son père gémir et de l’avoir laissé sévir. La vie tenait à un morceau de papier.

Sa main glissa sur une drôle d’étoffe rouge un peu râpeuse. Une cravate ! Il la noua dans ses cheveux. Il serait désormais un samouraï. Le cœur vaillant, il grimpa deux à deux les marches de l’escalier. Quelques lits aux matelas mauvais s’alignaient en désordre dans le dortoir que seule l’obscurité emplissait. L’odeur viciée de la pièce lui retourna l’estomac. Il ouvrit la fenêtre au fond de la pièce pour laisser le vent assainir le dortoir. Un rai de lune poussé par le vent fila droit dans la pièce et éclaira le plus petit lit. C’était un berceau aux voiles blanches. L’enfant écarta délicatement les drap et les referma aussitôt avec dégoût. Paralysé par la peur, il resta longtemps accroupi au pied du lit sans bouger.

Il ne fallait pas rester immobile, pourtant. Il avait l’habitude de déménager, de changer de maison sans arrêt. Sa mère avait rassemblé tous les trésors hindous que ses parents avaient rapportés de leurs expéditions. Et ils étaient partis. Elle les avait emmenés, lui et Lili, de maison en maison, reconstruisant chaque fois le foyer chancelant. Petit Jules les avait accompagnés pendant un temps aussi. Et puis, il n’avait pas bien su pourquoi, petit Jules était resté immobile, en arrière. Et il ne l’avait plus jamais revu. Maman et Lili ne parlaient jamais de petit Jules. Avait-il vraiment existé ? Tous l’aveint oublié. Voilà pourquoi il fallait continuer de courir et de voyager.

Il reprit rapidement ses esprits et son courage. Il se planta devant le berceau et repoussa les draps blancs. D’entre les langes, il exhuma le nourrisson maculé et inerte et le prit dans ses bras. Il alluma un feu dans la taverne et serra le bébé bleuté encore plus fort, pour le réchauffer. Peut-être que, là où il était, il aurait un peu moins froid. Le vent chantait si doucement que l’enfant crut un instant sentir le souffle du nourrisson dans le creux de son cou. Bercé par cette mélodie, l’enfant s’endormit apaisé.

Au matin, les doigts de l’enfant étaient aussi bleus que le peau du bébé. Le froid semblait avoir gelé ses poumons et sa poitrine le faisait terriblement souffrir. Il se leva avec difficulté pour rallumer le feu. Il n’y avait plus de bûches. Il sortit de l’auberge par la porte de derrière, le bébé serré contre son cœur. Au fond de la cour enneigée, il aperçut un appentis. À l’intérieur, un gros tas de bois l’attendait joyeusement. L’enfant déposa délicatement le bébé au sol et entreprit de ranger les bûches dans la corbeille. La bonne odeur de la sciure lui chatouillait les narines.
« Tu vois, petit Jules. Nous n’aurons pas froid cet hiver. Nous avons bien assez de bois. Et nous trouverons certainement de quoi manger dans la forêt. Nous chasserons comme des loups. Ce sera amusant, tu verras. Dis, ça ne te dérange pas que je t’appelle petit Jules, j’espère ! »
L’enfant, guilleret, se mit à siffloter, une vieille berceuse que sa mère lui avait apprise. Lorsque toutes les bûches furent entassées dans la corbeille, il s’arrêta de siffler et se glaça soudain : la berceuse ne s’était pas arrêtée. On avait sifflé. On avait répondu à son chant. Mais qui ? Qui ? L’enfant prit peur et s’empressa de récupérer petit Jules. Mille images défilèrent dans son esprit. Sa mère, petit Jules, Lili. Et surtout son père. Son père, visage crispé, lavallière en désordre, yeux grand ouverts.

Pris de panique il se jeta dans l’alcôve au fond de la pièce. On n’y voyait rien. Il s’assit silencieusement contre le mur de sorte à ce qu’on ne puisse le voir depuis l’entrée de l’appentis. Roulé en boule, il enserrait de ses bras gelés le nourrisson aux yeux fermés. Le sifflement s’était interrompu mais l’enfant resta dans sa cachette, par prudence. Peu à peu, la pénombre s’éclaircit.
Ses yeux parvinrent à dépiauter une à une les ombres de la pièce, écartant les morceaux d’obscurité pour retracer les volumes de sa cachette. C’est alors qu’il la vit. Une statue de bois orientale avait été abandonnée là, dans cette auberge, trésor oublié d’un voyageur négligent. Elle était si grande que sa tête touchait le plafond de bois. Son propriétaire l’avait malmenée. Le bois rouge était entaillé par endroits et la statue était inclinée si bien que son épaule gauche et son genoux droit touchait les murs opposés de l’appentis. Malgré cette incurie, elle souriait. Immobile, les yeux fermés, elle était enveloppée d’une aura infiniment sereine. Comment faisait-elle pour vivre en paix ?

Avec beaucoup de précautions, l’enfant se leva et redressa la statue. Il l’épousseta rapidement.
« Je te confie petit Jules. » murmura-t-il à l’oreille de la femme de bois en glissant le poupon dans ses bras et il se rua hors de l’appentis. Il lui fallait trouver de quoi subsister au cas où… Au cas où quoi ? Les paroles de sa mère lui revinrent en mémoire. « Avance où que tu sois. Avance où que tu ailles. Mais ne cesse jamais de marcher. » Il attrapa quelques biscuits apéritifs abandonnés sous le comptoir du bar. Ses doigts glissèrent sur un couteau tranchant. Il s’en empara et le fixa longuement. Ses mains tremblaient. Il le glissa pourtant dans sa poche – savait-on jamais.

« Qu’es-tu statue aux yeux clos ? Sauras-tu prendre soin de nous ? Prends cette cravate pour te remercier de veiller sur petit Jules et moi. Elle t’ira très bien et te tiendra chaud, peut-être. »
Une fois la cravate nouée, il installa petit Jules sur ses genoux et se blottit contre la statue. Il leva les yeux sur le visage paisible de la statue. Dans sa main, le couteau ne tremblait plus.

Ils avaient enfin fait parler le garde-forestier : la statue volée se trouvait dans l’appentis de l’Auberge du Vieux Chêne. Il n’y avait plus de temps à perdre. Les gendarmes ouvrirent doucement la porte de l’appentis et se figèrent, horrifiés. Le corps d’un petit garçon pendait le long d’une statue de bois. Une cravate rouge enserrait leur deux cous. Le nourrisson gisait à leurs pieds. S’empêchant de régurgiter son déjeuner, le lieutenant pointa sa lampe torche dans leur direction. La statue avait les yeux ouverts. Dans sa main droite, il y avait un couteau.


Et pour terminer cette sélection, je vous présente le mien, hors concours :

bike chain number one

· Texte d’Amelia Pacifico ·

Mille visages, mille décisions, mille individus, mille situations, mille problématiques, mille condamnations, mille salles d’audience, mille projections, mille pas perdus, mille précautions, mille procès, mille confusions, mille défenseurs, mille chefs d’accusation…
Elle revêt tout et son contraire, coup rendu et dette à la société, revanche et humanité, elle ne parle pas, mais règle les conflits, elle ne transige pas, mais médiatise le rififi, elle ne négocie pas, mais condamne les délits.
Elle se dresse face au peuple, figure de proue d’une société bien ordonnée, policée, rangée.
Elle se bande les yeux pour assumer sa droiture et son impartialité.
Elle hisse fièrement son glaive prêt à plonger dans le coeur des hommes et des femmes.
Elle tient fermement sa balance, guide suprême pour la pesée des âmes.
La justice et son revers, la médaille a deux facettes.
Côté pile, côté face, si tu me condamnes, tu me voiles la face. Si tu le condamnes, tu me sauves la face.


Merci à tous pour vos participations et lectures !

A bientôt 💋

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