Participations au Rendez-Vous des Plumes – Août 2023

Bonjour à tous !

Voici les textes qui ont alimenté la boîte mail du Rendez-Vous des Plumes en août, et dont nous avons pris connaissance avec grand plaisir à l’atelier !
Restez connectés, les deux appels à textes de septembre ne sauraient tarder 😄 Belle fin d’été à tous !

Les textes ne sont relus qu’au moment de leur publication, et ce uniquement dans le but de vérifier qu’ils ne contreviennent pas au règlement de l’atelier d’écriture. Si le cas devait se produire, le texte ne serait tout simplement pas publié, sans autre recours possible de son auteur. La Petite Boutique des Auteurs n’est pas responsable des coquilles, fautes d’orthographe, syntaxiques ou grammaticales éventuellement présentes dans les textes qui participent au Rendez-Vous des Plumes. Merci d’en prendre note avant lecture.
___ Amelia


Thème-guide d’août : Chemins (non obligatoire dans le traitement de la consigne)

Type d’inspiration : phrase à insérer au milieu du texte

⭐ Inspiration n°1

Tuy Nga Brignol

Prise de conscience de Catherine : oser laisser briller sa lumière
Lorsque nous sapons notre lumière en cachant nos aptitudes et en anéantissant nos rêves, nous privons nous-même et notre entourage d’une richesse d’expériences. Exprimer sa lumière permet de libérer l’expression de talents propres à chacun….
Nous sommes tous nés dans ce monde avec des dons uniques. Nous portons en nous une lueur divine, une lumière qui peut potentiellement embellir le monde.
Mais souvent cette lumière reste endormie, étouffée par des peurs et des sentiments d’inadéquation. Peur de l’allumer, par peur d’attirer l’attention, peur de faire face à la possibilité d’un rejet ou peur à la responsabilité du succès, ou peur de risquer d’être qualifié de manque de modestie.
Nos capacités font partie de notre identité et lorsque nous en sommes fiers, nous affirmons notre confiance en soi, l’amour de soi et l’estime de soi.
Et puis, un jour, tout a changé
Catherine a remarqué que lorsqu’elle examine vraiment ses craintes à propos de quelque chose, elle constate qu’elles ne sont pas toujours fondées sur sa propre expérience. Si elle remonte à la source de sa peur, elle découvre que c’est plutôt l’un de ses parents qui l’a transmise. Catherine est venue au monde avec la peur intense du manque d’argent, issue des propres expériences de vie de ses parents. Si cette peur n’a pas été résolue au moment de sa conception, il y a de fortes chances qu’elle en ait hérité. Elle sait qu’elle ne peut pas résoudre la peur de quelqu’un d’autre, mais elle peut décider de se débarrasser de sa propre peur.
Plus elle effectuera ce travail intérieur profond avec ses peurs, mieux elle pourra élever ses propres enfants sans les accabler de peurs qui ne leur appartiennent pas. Certains d’entre nous feront tout ce travail avant de devenir parents, tandis que d’autres y travailleront même lorsque leurs enfants sont devenus adultes. Quoi qu’il en soit, les effets se feront sentir, car une fois que nous avons rompu nos liens avec les peurs du passé, les liens de nos enfants avec ces peurs seront considérablement affaiblis. Il est donc important de se rappeler qu’il n’est jamais trop tard.
Nous avons tous des traumatismes liés aux événements de la vie. De nos émotions découlent nos pensées, et c’est notre système de pensées qui régit notre vécu.
Aucune transformation n’est possible si elle n’est pas initiée par un désir intrinsèque.
Nous avons tous une liberté, celle de changer notre système de pensées.
Tout le monde a cette liberté de choix, et personne ne peut nous l’enlever sans notre consentement.
Souvent, il faut quelque chose d’important pour nous réveiller, pour nous libérer de l’emprise du mental s’efforçant de maintenir l’illusion qu’il a le contrôle. Chaque expérience agréable ou désagréable est une pierre pour construire l’escalier de notre évolution.
La perte de contrôle nous rend humble, et nous permet de voir la situation dans son ensemble.
Nous ne sommes pas conscients de toutes nos pensées. Il y en a qui nous limitent, nous empêchant de déployer notre potentiel. D’autres nous propulsent, nous permettant d’évoluer. Les dons avec lesquels chacun de nous est né ne nous ont pas été accordés de façon arbitraire. Même si parfois nous ne découvrons toujours pas l’impact de notre lumière sur notre entourage, nous pouvons être certains que lorsque nous embrassons nos talents pour les partager avec autrui, nous contribuons à répandre notre part de lumière dans le monde.
Catherine a caché sa lumière depuis si longtemps qu’elle s’est réduite à une braise. Maintenant, elle s’accorde le droit d’expérimenter un autre choix pour s’aligner sur ses aspirations. Avec cette nouvelle conscience, elle comprend, elle voit le puzzle de chaque phase de sa vie. Elle a compris que tous ces processus contribuent à façonner qui elle est vraiment. Elle dresse une liste de tout ce qu’elle sait bien faire afin de les manifester dans son quotidien.
La Clé de l’Univers réside dans ce que nous ignorons, un mystère que chacun essaie de percer à jour. Ce que nous savons déjà n’est qu’une petite fraction du Grand Mystère dans lequel nous vivons. Et au fur et à mesure de notre évolution, nous continuerons à intégrer de nombreuses vérités.
Lors d’une nuit de pleine lune, Catherine a vu en rêve, un corbeau qui CROAsse : CROA, CROA… « CROIS en toi. Laisse briller ta lumière. Aie foi à ce pouvoir de transmuter les mémoires de tes blessures. Accepte-toi ! Prends ta place, pour enfin offrir au monde le talent que tu portes en toi. »


  • C.D.

Ce sentiment familier, d’avancer, sans t’avoir à mes côtés. Un homme, très peu conscient de ce qu’on attend. En même temps, ce père-enfant n’était pas sur les bancs, pour apprendre à être parent.
Seulement présent, au second plan.
Mais non loin, en cas de besoin.
Et puis, un jour, tout a changé. Quand cette sonnerie a retenti, comme un cri, au fond de la nuit.
Face aux dilemmes, à défier les problèmes. Noyé dans le désespoir, sans trouver d’échappatoire.
Pour unique exutoire, cette solution rédhibitoire. Sans au revoir.
Seul refuge, mon interprétation. Obligée de m’en remettre à mon imagination. Mais attention, de ne pas se perdre, dans ce déluge d’affabulations.
Maintenant, reste ton absence, comme un long silence. Et dans la souffrance, l’acceptation d’avoir rien décelé. Preuve incontestée qu’on était deux étrangers.
Acte insoupçonnable, pour toi méprisable. Enfin, je crois. Facile, difficile. Pas de place au jugement, juste à l’apaisement. Pour toi, pour moi.
Il est temps, ensemble, d’emprunter le chemin. Celui de la rédemption est opportun. En quête du pardon, avec pour compagnon, la mémoire de notre histoire. L’Amour puissant, chérissant fièrement, nos précieux moments. Chacun, son moyen, d’embrasser la liberté. Le mien est certain. Par ce serment, tu m’entends. Continuer à te faire vivre, à travers nos souvenirs.


  • Davi Méaille

Je m’engageais au milieu de ces longs buissons sinueux. Une voix m’appelait, inlassablement, chuchotait mon nom, à répétition, presque une invitation. Je la connaissais, comme depuis très longtemps, elle m’était devenue familière.
Je l’écoutais depuis quelques mois déjà. Elle était comme constamment perchée sur mon oreille, une susurration sans pareille, qui semblait m’appeler à elle. Souvent elle parlait pour ne rien dire, engagée dans de ces conversations insensées. Elle monologuait toute seule, changeant parfois de ton comme si d’autres voix lui répondaient. Puis elle s’arrêtait, semblait me regarder, et je me sentais alors exister. Je voulais bondir de joie, mais je crois que ça effrayait la voix, alors souvent je me retenais.
Je vivais comme seul, dans cette nature immense, comme livré à moi-même. Aussi loin que mon regard portait, il ne dépassait jamais les frontières de ce petit univers. Et il ne rencontrait jamais personne. Malgré cette solitude, je sentais toujours la présence de la voix. Elle était mon réconfort, ma raison de vivre, ma survie, mon pain quotidien, elle était mon tout.
La nuit tombée, je m’allongeais sur les sentiers, en quête d’une position confortable. Balloté comme je l’étais, je me retrouvais parfois les quatre fers en l’air au réveil. Mais peu m’importait, un lit de mousse n’a pas d’avant ni d’arrière, il n’est que douceur. Le léger poids de la voix qui venait se frotter à mon visage, se frotter sur mon corps, me berçait dans l’obscurité nocturne.
Je ne manquais de rien. Au matin, comme au midi et le soir, je recevais de tous les mets les plus fins. Je n’eus jamais su dire comment, mais une mystérieuse magie semblait assurer ma nutrition.
Et puis, un jour, tout a changé. Cette osmose parfaite avec mon environnement s’est rompue brusquement.
La voix s’était faite plus régulière, plus pressante. Le petit havre de paix dans lequel je vivais semblait tout aussi affecté. J’en voyais les parois trembler, être secouées, je voyais les murs de mon monde se contracter à répétition, et l’espace lui-même se distordait violemment.
Alors que je barbottais tranquillement dans mon petit lac, un violent courant m’avait soudain entraîné. Tiré vers le fond, par les pieds. Avant de me relâcher, presque aussi soudainement.
Je me débattis frénétiquement pour remonter. Cependant, à peine retrouvai-je la liberté, qu’un autre courant m’entraîna à nouveau. Je luttais un long moment, cherchant désespérément à m’échapper du tourbillon qui m’avait attrapé. Cela dura un bon moment : j’étais balloté de courants en courants, ne me laissant aucun répit. J’avais beau résister, chaque nouveau courant semblait plus puissant que le précédent, et j’étais toujours plus fatigué. Je sentais le désespoir s’emparer peu à peu de moi.
Puis la voix se fit entendre, plus distinctement que jamais. Elle était stridente, comme si elle poussait des cris de douleurs. Elle s’arrêtait, comme pour reprendre son souffle, avant de recommencer sa longue complainte. Ses cris m’étaient insupportables. J’essayais tant bien que mal de les ignorer, mais c’était difficile, balloté comme je l’étais.
Je luttais ainsi, jusqu’à l’épuisement. J’étais jeté hors de mon petit univers, coupé de mon foyer, de ce lieu que j’avais toujours connu, et qui m’avait vu grandir. Même ce bassin, source de ma vie, se retournait contre moi ; les mouvements de ses parois me noyait, m’entraînaient désespérément vers le fond.
Etrangement, plus je m’enfonçais, plus la voix semblait se faire proche, presque réelle. Et plus elle semblait souffrir. Fallait-il que je plonge vers elle, que j’accepte d’être entraîné à l’extérieur ? Même si c’était au péril de ma vie ?
Je devais y aller, je devais plonger pour la sauver.
Abandonnant toutes mes craintes, ma vie confortable, au creux de ce petit monde, j’osai le grand saut, je franchissais le pas. Tête la première, je plongeai.
Je dus serpenter au milieu des courants, constamment ralentis par les mouvements de respiration des parois du lac. La souffrance de la voix s’amplifiait, au fur et à mesure que j’avais le sentiment de m’approcher de sa source. Soudain, je quittai l’océan, pour m’enfoncer dans un chemin sinueux, dont la sortie était parsemée de buissons nombreux. Je dus encore lutter pour sortir, aidé par les contractions de la paroi caverneuse qui m’éjectaient.
Et puis, soudain. Plus rien. J’avais quitté mon monde, arrivant, nu, dans un espace encore plus grand. Hostile. Le dernier lien qui me reliait à mon foyer céda, tranché. Je me retrouvais exposé, dans un nouvel univers.
Une pulsion de vie s’empara soudain de mon corps, m’arrachant une douloureuse respiration.
Tout autour de moi semblait s’agiter. Je discernais des formes, aller et venir ; rapetisser et grandir ; des tons de gris variaient, plus ou moins lumineux.
Et au milieu de tout ce chaos, se distinguait une présence, une lumière qui irradiait et m’attirait irrésistiblement. Je ne pouvais l’expliquer, mais il y avait comme une chaleur qui s’en dégageait, des notes de conforts et d’amour qui semblaient m’appeler.
Elle tendit un bras vers moi, et en réponse à cette injonction, je fus transporté auprès d’elle.
Ses yeux, les doux traits de son visage, sa bouche légèrement incurvée par un sourire, les perles scintillantes qui brillaient sur son front, tout cela m’était si familier.
Je compris alors ce que j’étais en train de voir : la voix. Je pris, pour la première fois, la parole :
« C’est toi que je viens voir … maman. ».


  • Jérôme Bertin

Passages
Cela fait pas mal d’années maintenant que je tourne sur la province, mon travail fait que je reste deux, trois ans dans une ville, et puis je pars. Trois ans, c’est suffisant pour les explorer… Ces petites villes, ces villes moyennes que ceux qui vivent dans les grands ensembles méprisent, alors que chaque ruelle a une histoire a raconter. Je ne me lasse pas d’explorer ce labyrinthe, m’arrêtant devant chaque détail, un mur, une statue, une place…Des historiens locaux éditent souvent des plaquettes qui disent tout de l’histoire des rues, j’en ai une belle collection.
Je suis arrivé à Gerlac pour un remplacement. Je devais rester au minimum un an, peut-être plus.
Je suis très vite tombé sous le charme de cette ville, d’autant que l’appartement que j’avais loué se trouvait dans un immeuble qui était pile en amorce de multiples rues qui toutes, ouvraient sur des chemins très différents au cœur de la ville. J’ai découvert le charme d’édifices très divers, de jardins, de places. Ici, il y avait, comme dans pas mal de villes du Sud-Ouest, énormément de maisons dans cette brique rose qui capture la lumière et le soleil et se pare dès lors de mille nuances.
Et puis un jour, tout a changé.
Ca s’est fait sans transition. J’avançais dans une rue étroite, bordée de belles maisons, dont une avec un jardin magnifique que l’on pouvait apercevoir par une grille, je commençais à connaître les lieux.
Je savais que j’allais déboucher sur une grande place, qui elle-même, face à l’abbaye, donnait sur un pont.
Et c’est bien ce qui s’est passé.
Mais tout était…A la fois semblable et différent.
Il y avait du monde sur cette place, différente de celle que je connaissais. Pas de voitures, pas goudronnée, pavée, l’abbaye étaient différente, le pont aussi. Et surtout les personnes assemblées là portaient des vêtements d’un autre temps. Je n’étais pas expert, difficile de dire l’époque, j’aurais pensé à la Renaissance. Ce qui était sûr, toutefois, c’était c’était qu’il y avait, au milieu du cercle, deux hommes qui se battaient en duel à l’épée.
J’ai pensé qu’il s’agissait d’un tournage. Et puis je me suis rapidement dit que non, ce n’était pas le cas. Il n’y avait aucune caméra, et aucun décorateur n’aurait pu à ce point modifier les lieux.
J’en ai eu la confirmation quelques minutes plus tard quand l’un des deux bretteurs a proprement embroché l’adversaire. Le sang, la souffrance et la mort étaient bien trop réels. Tous comme le chagrin de celle qui s’est précipitée près du duelliste qui vivait ses derniers moments.
J’ai rebroussé chemin, horrifié par ce que je venais de voir, et surtout le fait d’être dans un moment aussi décalé. Ce que je venais de voir était vraisemblable, non, mais ce n’était pas ma réalité.
Je me trompais d’ailleurs du tout au tout, car ce que j’avais vécu était bien logique, mais appartenait en fait à un autre temps.
Je l’ai compris dans les jours qui ont suivi.
Impressionné, perturbé, j’ai repris la même rue le soir même. Mais tout était redevenu normal, s’il y avait une normalité quelconque.
C’est dans les semaines qui ont suivi que, parcourant la ville, je suis tombé sur de nouveaux moments qui étaient eux aussi d’un autre temps. J’ai cru reconnaître les Années Folles, mais aussi la Seconde Guerre Mondiale…Et aussi des scènes médiévales…
Ce que j’ai compris aussi, c’est qu’il y avait une sorte de portail, sans doute ouvert à certains moments, et à d’autres non.
Et que ce portail avait un gardien.
C’était un vieil homme sans âge. Je ne le voyais pas au moment de basculer mais à celui du retour. Il était sur le côté, se fondant avec le décor, mais toujours là.
Devais-je lui parler ? L’ignorer ? Je ne savais pas quoi faire.
La question ne méritait peut-être pas d’être posée,, car il s’est décidé un jour à me parler.
–Tu es un des élus ! Les portes du temps ne s’ouvrent que pour eux.
–Je suis heureux de le savoir, mais ça me conduira où ?, je n’ai pu m’empêcher de lui jeter.
–Cette ville est spéciale. C’est l’un des rares lieux où on peut basculer sur le passé.
–Pas l’avenir ?
–Le passé est écrit. On peut y accéder par dix mille chemins. Pas l’avenir.
–Oui, j’ai répondu, comprenant sa logique.
–Tu as un don.
–Je ne m’en serais pas douté.
Il y avait quelque chose qui me mettait mal à l’aise chez lui. Mais j’aurais été bien en peine de dire quoi.
J’ai continuité mes pérégrinations dans la ville, basculant sans trop bien comprendre pourquoi c’était à quel moment et pas à tel autre dans des périodes passées. Au-delà de ma première réticence, je me suis risqué dans chaque capsule temporelle, pour découvrir la ville à un autre temps. Les gens semblaient ne pas me voir. Et c’était troublant de découvrir une autre époque.
Ce qui me semblait important c’était de ne pas oublier où j’étais rentré. J’arrivais maintenant à percevoir le passage. Il y avait une sorte de flottement, un vide autour de moi, et puis un courant qui me transportait.
Ca a duré plusieurs mois comme ça.
Jusqu’à ce jour où j’ai basculé dans le passé.
Et en revenant vers la porte, j’ai senti que je ne pouvais PAS revenir. Je me suis senti prisonnier de ce moment sans espoir de retour.
Il est apparu.
–Je savais que vous cherchiez à me piéger, j’ai dit, plein de colère.
–Ce n’est pas moi, c’est…On va dire ce système…Il veut changer régulièrement de gardien…Apparemment vous convenez. Moi je vais retourner à ma vie de mortel. Elle était déjà bien avancée quand j’ai été choisi. Je vais retrouver des plaisirs simples dont je suis privé.
J’ai réfléchi très vite. J’étais sûr qu’il me mentait, mais aussi que s’il était là avec moi, c’était qu’il avait laissé le portail ouvert, pour pouvoir sortir. Je repasserais certes le portail, mais je serais enchaîné à mon nouveau rôle.
J’ai plongé en avant, et le hurlement que je l’ai entendu pousser m’a fait comprendre que je n’avais pas tort.
En me retournant, je l’ai vu, son visage marqué par la colère et la stupéfaction.
Puis il a disparu.
Je ne suis resté qu’un an mais je ne me suis plus jamais aventuré dans ces ruelles, heureux de partir pour une autre ville.


  • Marie Thomas

Encore une nouvelle journée. Une de plus dans la vie de Lisa. Elle aurait aimé se souvenir de la façon dont elle avait atterri dans son lit, mais rien n’y faisait : le black-out avait encore frappé. Comment était-elle rentrée chez elle cette fois ? En voiture, très certainement. Une seule certitude, elle était en vie. Elle se souvint vaguement des premiers verres de vin, de cette ivresse progressive qui envahissait son être, puis plus rien. Devant ce constat d’échec, elle prit son téléphone qui, par miracle, se trouvait être à proximité. L’annonce qui suivit lui glaça le sang. Un jeune garçon avait perdu la vie après avoir été fauché par une voiture dans la nuit. Tout en déverrouillant son écran, un long frisson lui parcourut la base du cou. Le lieu indiqué était un petit village qui se trouvait sur sa route. Elle commença sa lecture dans la précipitation, ce qui eut pour effet immédiat de réduire sa gueule de bois face à l’adrénaline grandissante. Ce qu’elle découvrit l’immobilisa : le jeune garçon avait été renversé sur un passage piéton à l’entrée du village et la voiture suspectée aurait pris la fuite. Lisa sortit de son lit à la hâte et se rendit dans son garage. Son colocataire l’attendait.
— Je me suis demandé aussi si c’était toi, mais en tout cas, ta voiture n’a rien.
Interloquée, aucun mot ne réussit à sortir de sa bouche. Elle inspira profondément.
— J’ai aussi cru que c’était moi… Enfin, je n’en avais aucune certitude comme je ne me souviens de rien…
— Lisa, il serait peut-être temps que tu arrêtes de boire et de conduire.
Nouvelle claque pour Lisa. Depuis plusieurs mois, sa débauche avait pris une telle ampleur qu’elle commandait désormais sa vie. Toutes les opportunités qu’elle saisissait devenaient des importunités qu’elle subissait. Malheureusement, chez les alcooliques, la route de l’enfer est pavée de promesses.
— Nico je te le promets, j’arrête de boire.
— Cette fois, tu aurais pu tuer quelqu’un Lisa. Ça aurait pu être toi !
— Je sais…
Tout en allant se recoucher, quelques larmes se mirent à perler sur sa joue. Le maquillage de la veille, toujours présent, traçait des sillons noirs sur sa peau pâle. Elle ne pouvait s’empêcher de culpabiliser. Bien que sa voiture soit indemne, elle n’avait aucune certitude que ce n’était pas de sa faute. Elle se rendormit avec cette idée en tête.
Et puis, un jour, tout a changé. Depuis ce jour-là précisément. Face à la crainte d’avoir tué quelqu’un, Lisa décida de se rendre dans un centre d’aide pour malades alcooliques. Elle raconta son histoire à un infirmier addictologue, qui lui indiqua un psychiatre. Apparemment le meilleur. Ce fut le début de son sevrage. Il se marqua intensément par des tremblements, des sueurs froides et des vertiges à chaque fois qu’elle tentait une activité un tant soit peu physique. Malgré tout, cette fois, elle était motivée. Consciente que son addiction résultait d’un environnement défavorable, favorisant la prise de produit, le tout comblé par sa faille psychique préexistante, Lisa décida de reprendre sa vie en main et de se soigner. Face au chemin de la guérison, nous ne sommes pas tous égaux. Certains parviennent à s’en sortir sans cure, sans médicament, avec leur seule volonté, tandis que pour d’autres, c’est un long travail thérapeutique qui les attend. Lisa avait voulu sortir des sentiers battus mais elle s’était brûlée les ailes.
Elle avait entendu dire qu’un groupe de parole aidait les malades à sortir de leurs addictions. Elle se rendit alors à la réunion qui était officiée le week-end suivant l’accident. Face à ses angoisses, elle faillit rebrousser chemin à maintes reprises. Lorsqu’elle poussa la porte de la salle de réunion, elle fit face à quelques personnes réunies autour d’une table. Un monsieur assis au centre se leva et prit la parole :
— Bonjour, je t’en prie, viens t’installer.
Lisa s’installa sur la première chaise qu’elle trouva. Ses tremblements avaient repris de plus belle.
— Nous étions en train d’écouter l’histoire de madame qui se trouve à côté de toi. Elle vient de perdre son fils la semaine dernière, une personne ivre l’ayant renversé.
Lisa se tourna vers la personne à sa droite et vit une dame, une cinquantaine d’années, recroquevillée sur elle-même et les yeux rouges. À son allure, il était aisé de deviner qu’elle avait cessé de vivre depuis l’accident.
— Je suis ici pour essayer de comprendre pourquoi les gens prennent la voiture lorsqu’ils sont ivres. J’ai besoin de pardonner pour avancer.
Lisa se mit à trembler d’autant plus qu’elle se souvenait bien de cette histoire, c’est celle qui l’avait décidé à arrêter de boire. Elle posa délicatement sa main sur l’épaule de la dame en larmes.
— Bonjour, je m’appelle Lisa et je vais vous raconter mon histoire. Peut-être que ça vous aidera à comprendre, tout comme ça m’aidera à arrêter de consommer.


  • Laetitia Gagnaire

Le célèbre berger
Issu d’un village perché au sommet d’une montagne, Émile était un jeune berger. Chaque jour, il parcourait les sentiers rocailleux et les chemins escarpés de la montagne avec son troupeau de moutons fidèles.
Émile connaissait chaque recoin de cette montagne comme sa poche. Les sentiers sinueux, les ruisseaux cristallins et les falaises vertigineuses faisaient partie de son quotidien. Mais il aspirait à quelque chose de plus, à un chemin qui lui ouvrirait de nouveaux horizons.
Un matin, Émile se réveilla avec cette sensation étrange que quelque chose allait changer dans sa vie. Il prit ses moutons et commença à longer le chemin habituel jusqu’à ce qu’il aperçoive une bifurcation qu’il n’avait jamais remarqué auparavant. Curieux, il décida de s’y aventurer.
Ce nouveau chemin était différent de tout ce qu’Émile avait connu auparavant. Les arbres étaient plus majestueux, les fleurs plus colorées et le chant des oiseaux semblait plus doux à l’oreille. Il sentait comme un air de mystère planer autour de lui, comme si le destin l’invitait à explorer ce chemin inconnu.
Au fur et à mesure qu’il avançait, il remarqua un doux murmure qui semblait provenir des profondeurs de la forêt. Intrigué, Émile s’approcha et découvrit une cascade magnifique cachée entre les arbres. Il s’agenouilla près de l’eau cristalline et sentit une paix profonde l’envahir.
Et puis, un jour, tout a changé. Émile était devenu le berger le plus célèbre de la région grâce à cette découverte inattendue. Les gens venaient de loin pour admirer la cascade enchantée et prétendaient que l’eau avait des pouvoirs guérisseurs. Émile se retrouva alors au centre de l’attention, mais cela ne l’intéressait pas. Tout ce qu’il souhaitait, c’était la tranquillité et la compagnie paisible de son troupeau.
Malgré cette nouvelle renommée, Émile n’oublia jamais son amour pour la montagne et les chemins qu’il avait arpentés depuis son enfance. Il savait que c’était grâce à cette exploration inattendue qu’il avait trouvé son vrai chemin, celui qui l’avait mené à la cascade magique. Et c’est là qu’Émile était le plus heureux.
Au fil des années, Émile continuait à emprunter cet ancien chemin, en suivant le doux murmure de la cascade. Il partageait avec les moutons ses joies et ses peines, ses rêves et ses espoirs. Sa vie était simple, mais profondément épanouissante.
Et puis, un jour, tout a changé. Émile se réveilla en sentant une brise légère sur son visage, une sensation de calme absolu. Il comprit alors que son voyage sur cette montagne touchait à sa fin. Épuisé mais comblé, il s’endormit paisiblement à côté de la cascade, entouré de son troupeau et des échos de son chemin.
Ainsi se termina l’histoire d’Émile, le berger qui avait trouvé son chemin et sa paix intérieure grâce à une simple bifurcation. Son histoire perdure encore aujourd’hui dans le village perché au sommet de la montagne, où les gens se remémorent avec respect et admiration cet homme humble qui a suivi son cœur et a découvert son destin.


  • Philippe Botella

En ce temps là, c’était il y a longtemps, il n’y avait pas de routes. Que des sentiers d’animaux qui, un jour, deviendront des chemins qui, un jour, deviendront des routes… Les sentiers menaient à des antres, les chemins, à Rome, et les routes, ma foi, souvent à des déroutes.
Cependant, tout le monde était content. Le monde était petit et l’on se contentait de peu. Il faut dire que nous n’étions pas nombreux et que nous pensions plus à profiter des jours qui s’écoulaient, de la beauté des choses et des êtres, et de ce que nous avions, que de courir comme des dératés, ou des ratés, après ce que nous ne possédions pas.
Je me souviens qu’alors, ce n’était pas la mer qui reflétait le ciel, mais le ciel qui reflétait la mer. Aussi, parfois, dans les nuages, nous voyions des silhouettes de poissons et les enfants essayaient de les attraper avec des filets à éléphants.
Et puis, un jour, tout a changé.
Le fait le plus marquant fut que la mer s’est mise à refléter le ciel et, dans le creux des vagues, les poètes ont alors aperçu des papillons qui avaient des yeux de merlans frits. Des merlans en colère qui plus est. Ils en furent effrayés et s’enfuirent sur les sommets des plus hautes montagnes, en pagayant et en fouettant les airs avec leurs filets à provision qui, heureusement, étaient vides. Ils auraient pu se blesser.
Par un phénomène inexplicable et encore à ce jour inexpliqué, les routes qu’ils empruntèrent se transformèrent en chemins, et les chemins, en sentier.
Dans les antres, les animaux se réunirent. Ils avaient à débattre. Mais en ce temps là, qui pourtant étaient des temps nouveaux, il n’y avait plus ni arbre à palabres, ni bâton à paroles. Alors, les animaux décidèrent de ne pas s’exprimer. Ils haussèrent leurs épaules et chacun retourna chez lui.
Au loin, on entendait la mer et le ciel se disputer.


  • Patricia Forge

Différente.
Entraînée sur le chemin de l’existence, courir était le maître mot de ta vie.
Dès le saut du lit, courir pour prendre ton petit déjeuner, pour prendre ta douche et te maquiller.
Courir pour déposer les enfants à l’école. Courir pour être à l’heure au bureau. Courir entre deux réunions, deux rendez-vous, deux missions urgentes, deux dossiers à boucler.
Courir pour remplir le cellier et préparer le dîner.
Et puis, un jour tout a changé.
Le monde semblait sur le point de s’écrouler. Le monde ? Non. Mais ce monde fait de courses perpétuelles contre la montre sans avoir le temps de t’interroger sur tes vrais désirs, tes vraies envies, tes vrais besoins.
Mars 2020, confinement.
Et tu as redécouvert la vie. Entre deux réunions virtuelles et tes dossiers brusquement devenus moins urgent. Tu as découvert le plaisir d’avoir du temps. Le temps de chanter. Le temps de danser dans ta salle à manger. Le temps des câlins dans le canapé. Le temps de rêver devant les étoiles.
Tu as savouré l’extase de travailler avec ton chien-plume blotti sur tes genoux, le bonheur des repas équilibrés à table sans se presser. Le plaisir de cuisiner et d’expérimenter.
Retrouver le goût de l’écriture, de la lecture, le goût du silence, des rêves éveillés.
Contempler … le milan royal planer.
Ecouter… les tourterelles amoureuses chanter.
Sentir la brise du printemps qui murmure dans les branches du frêne.
Voir la nature s’éveiller.
S’autoriser enfin le droit de rire et de pleurer. En accord avec tes émotions.
Libérer ton hypersensibilité.
Enfin … pouvoir buller sans devoir justifier.
Déconfinement…
Pas question de rechuter. Résiste !
Terminer de s’oublier. Terminer les faux semblants et les injonctions à rentrer dans le rang.
Ton esprit sauvage est revenu. Rebelle. Têtu.
Le monde est égoïste et individualiste. Il ne te convient pas, à toi, idéaliste. Tu ne feras plus l’effort de t’y plier.
Résiste !
Désormais, tu ne cours que pour rêver le nez en l’air ou penchée sur le papier. Tu n’as pas besoin de briller en société, pas d’ego surdimensionné à soigner.
Tu es différente, tu l’as toujours été. Mais tu as décidé de ne plus le dissimuler.
Désormais tu préfères marcher.
Et personne ne t’imposeras d’accélérer.
Liberté !


  • Mikael Kassighian

Les bons bulletins scolaires sont des mensonges épistolaires pour cacher à notre entourage l’aigreur livide de notre mal-être. Je m’appelle Léa, j’ai 16 ans et j’ai décidé de devenir musulmane. Je sais que la présentation de ces mots a dû produire en vous, au mieux un malaise, au pire une éruption explosive de colère et de jugements.
Alors imaginez-vous mes parents !
Tout cela aurait dû se passer entre le café et le dessert, mais le rôti de porc précipita l’annonce. Ma mère posa de son gant de cuisine le fameux plat et éprouva lors de sa téléportation la résistance physique de la chaise. Le bruit ne surprit pas mon père, dont le regard chargé et le corps avancé annonçait l’imminence d’un bombardement aveugle. Mon frère quant à lui, continuait mécaniquement à manger les patates coupées en pomme, baignant dans l’huile chaude qu’il s’était lui-même servies. Il remplaçait par sa rythmique le son ancien des horloges de maison que ces espaces de vérité rendaient carillonnant. “Victor, file dans ta chambre !” ordonnait mon père avec gravité. On pouvait le comprendre, un témoin c’est toujours gênant.
Mon frère d’un an mon aîné était de cette période où seuls les potes, les jeux vidéo et la bouffe était à même de combler un visage moissonné de boutons, une sexualité contrainte aux seules revendications et un corps dont le cerveau n’avait pas été informé de son rapide dilatement. Pour cette souffrance, il lui était toléré une insolence brumisée, qu’il activait à chaque frustration ou effort en gesticulant et proférant des menaces floues d’émancipation. Aucune inquiétude, il avait l’âge de La Boétie, le génie en moins.
Pourtant cette fois il sut faire preuve de discrétion et s’exécuta la bouche pleine.
Élevés dans un athéisme non ostentatoire, nous avions de la religion une vision historique, lointaine, artistique, respectueuse et caduque. Mon père, tout comme ma mère, aux tatouages cachés d’un baptême d’enfant et d’une première communion, s’était séparé par circonstance et sans colère d’un catholicisme filial. Nous n’avions, par effet de résistance, aucune relique de ce christianisme moribond. Bien que ma mère, professeur de français émérite, me poussa dans la lecture de Chateaubriand, Hugo, Huysmans, Mallarmé, leur christianisme m’était fictif et irréel, la grande chartreuse de Léon Bloy n’avait pas plus d’existence pour moi que le château de Poudlard.
On ne peut pas déduire l’existence du sublime !
J’avais 13 ans quand ma mère me fit danser dans le salon du XIXe, la tête levée dans la musique de ces mots inconnus, mon cœur jalousant le désespoir amoureux et le destin provoqué sur le champ clivant du duel. Ils vivaient tous pour le bonheur, mais ils étaient nés pour souffrir. Et moi comme toute ma génération j’étais née pour le bonheur, mais je vivais pour souffrir.
Cela a commencé sans semonce par mon anorexie. La nourriture était pour moi ce siècle insipide, je refusais qu’il prenne un instant plus de place dans ma vie.
Il y avait mon autre qui me comprenait, elle m’accompagnait par ses mots. Tous les jours je lui écrivais et elle pareillement, dans un même journal, avec la même main, la même plume.
Dans ma classe, tout se prêtait déjà à la concurrence des désirs.
Leurs 13 ans, c’était l’oncle suisse attendu, avec ses deux présents tant désirés : les règles et Instagram.
Ce n’est qu’à partir de mes 14 ans que ma maladive maigreur commença à se faire remarquer auprès de mes compagnes scolaires. C’est là que je fus cooptée comme on peut l’être en maçonnerie.
Nos compteurs ne s’incrémentaient plus seulement par les regards malhabiles et diurnes des ados du lycée, mais aussi sur le terrain international des “likes” où nos décolletés en devenir, nos danses transpirantes et nos expressions infantilisées se propulsaient dans le vaste tunnel virtuel des candidates à la notoriété.
Plus mon indicateur à ego montait, plus je me sentais triste, seule et abandonnée. Les joies d’apparat et les sourires de situations voilaient l’informe masse de mon cœur massacré par ma mascarade. Tout le monde m’apportait en modèle et dans l’arrière-cour obscure des fins de journées, je vomissais et griffais avec mon cutter l’intérieur de mes cuisses. Sans effusion de sang, il ne peut y avoir de pardon des offenses.
Je sentais mon père, comme s’il avait pu par sa respiration embaumer la pièce. Il fit tout passer à la tronçonneuse de sa rhétorique : Le djihad, la burqa, les femmes, les interdits alimentaires, les mariages forcés, l’excision. C’était bien trop compliqué pour moi, tout ce que je savais c’est qu’à présent je voulais vivre et que ma vie avait un sens. Je n’étais plus obligée de répondre à ces invectives péremptoires de succès professionnel ou de séduction. J’eu cette phrase : “Que m’avez-vous proposé d’autre ?”. Ma mère pleura, elle allait donc mieux. “On aurait dû la mettre au catéchisme, elle aurait compris la débilité de ces choses” dit mon père agacé en regardant ma mère.
Bien que tout cela fut désagréable, je me rappelais de ma souffrance passée, et je tenais tête pour ce qui était de plus bête. Lorsque le saucisson arriva sur la table du tribunal de ma foi, je répondis : “Et si j’avais étais végane, on aurait parlé hamburger en plus ?”. Mon père pouffa. Ma mère quant à elle voulait savoir.
Je pris le parti de prendre fermement la parole.
J’ai commencé par ces deux années de suivi psychologique. Ces rendez-vous hebdomadaires, plein d’introspection stérile, d’exercices futiles et d’adages puérils. Je pénétrais l’intériorité de ces opérateurs d’âme, plus inquiets de dérouler proprement la procédure, que de poser un regard humain sur la singularité d’une personne cherchant abrasive, à définir le périmètre de son existence. On n’était pas plus aimé dans un cabinet de psy que chez les courtisanes de Balzac.
Ensuite il y a eu l’accès aux médicaments, douce jouvence ! Je peux tout reprocher, sauf cette médecine. Ma part ténébreuse avait cessé de hoqueter les parois de mon cœur, elle ronflait félinement désormais discrètement pendant qu’une folie légère à l’arôme pacifié s’emparait du local. Cette magie me transforma, l’onde était la même, mais la réception était à présent colorée. Je ne sais pas ce que je serais devenue sans tout cela.
Un soir alors que je divaguais sur le web, sans me rappeler parfaitement du cheminement, je décidais de regarder le documentaire Salam. Mélanie c’était moi, tout ce qui précédait sa conversion résonnait heureux en moi, sa solitude existentielle, ce maquillage mensonger, ces succès pour les autres et l’envie furieuse et bâillonnée de quitter ce monde.
Je finis aini :
“Et puis, un jour, tout a changé, puisque ce jour-là je suis devenue musulmane… Nadia m’avait donné le matin même un petit livret vert en français sur les dix raisons de devenir croyant. Cela expliquait très bien la beauté de la création, et comment Allah avait organisé le monde en l’ajustant avec des constantes très précises. J’y découvrais la réalisation des prophéties et le caractère unique du Coran ! Cela parlait aussi de l’importance d’être une bonne personne, de prendre soin des autres, et d’accepter le rôle qu’Allah avait pour nous sur terre. On n’a plus besoin de se soumettre aux regards des autres, quand c’est seul le regard du miséricordieux qui vous juge. Depuis ce soir-là, je n’ai jamais été aussi bien !”
Mon père s’est levé puis il est sorti, tandis que ma mère s’est mise à ranger la vaisselle. Le silence fut la conclusion de notre discussion. Je serai désormais épiée, contrôlée, interrogée caricaturalement. Nous venions tout juste de commencer les négociations.


⭐ Inspiration n°2

  • Athénaïs Grave

C’est arrivé à un carrefour. Comme on en traverse mille dans une vie. De ceux qui nous font hésiter un instant, et puis, finalement, on poursuit notre route. Parfois, on se dit : « Mince ! J’aurai dû tourner à droite, plutôt que de foncer tout droit tête baissée. » On voudrait faire demi-tour, mais c’est un luxe que ne nous accorde pas la vie. Alors, on continue à avancer, en essayant de ne pas avoir trop de regrets, en essayant de ne pas trop penser, en essayant de ne pas trop fantasmer ce chemin perdu.
Ce jour-là, j’avais encore une fois de plus traversé trop vite. Et ce n’est qu’alors que je m’éloignais tranquille sur ma nouvelle destinée, que je l’ai aperçue. Sa chevelure rousse s’effaçant déjà sur la voie de droite, déjà disparaissant à tout jamais de ma vue. Cette perte, je ne l’avais pas vue venir, trop aveuglé par ma propre route. C’en était plus que je ne pouvais le supporter. Alors, j’ai remonté les aiguilles de ma montre et j’ai fait demi-tour. Vraisemblable, non, mais ce n’était pas ma réalité. C’était un rêve, ou plutôt un cauchemar éveillé, une nage à contre-courant.
Je suis retourné au carrefour, où elle n’était pas encore arrivée. J’ai pris la voie de droite et je me suis assis sur le bas-côté, et je l’ai attendue. Pas longtemps.
La voilà déjà débarquant sa chevelure de feu taquinant le vent. Un instant, mon cœur s’est arrêté. J’ai presque failli oublier de me lever pour la rejoindre, perdu à l’admirer. Mais on n’affronte pas la roue du temps pour laisser s’envoler ses rêves. Alors, cette fois-ci, j’ai couru, pour rattraper la poignée de secondes qui me séparaient d’elle. À force de jouer avec les heures, c’est un peu déboussolé que j’arrive à sa hauteur. Elle me regarde. Les yeux un peu songeurs, accompagnés d’un sourire rieur devant mon air d’ailleurs. Nous flottons entre deux eaux. Je suis une anomalie dans son espace, une rencontre hors-temps.
Et dans le silence nous avançons ensemble sur ce chemin que j’avais refusé et qui devrait m’être interdit. Et le temps, encore lui, est suspendu. Et pas après pas, seconde après secondes, les choses reprennent leur cours. Nous discutons, nous rions. Nos âmes sont en osmose. Je ne sais pas quel instinct m’a poussé vers elle, à contrer la montre pour la rencontrer, mais il ne s’était pas trompé.
Nous avons continué à avancer ensemble sur cette route. Notre route. Puis un jour, on a commencé à marcher à trois, puis à quatre…
Mais tous les rêves, et même les cauchemars ont une fin. Et ce matin, le réveil est amer, seul, entre mes draps. Je me demande de quel côté est le cauchemar, entre ce monde censé être réel et cet univers onirique qui était pourtant si palpable. Quoi de pire que de se réveiller et de découvrir que la femme de votre vie n’était que le fruit de votre imagination ? Que vos enfants n’ont jamais existé ? Je crois que c’est pire que le deuil. Quand un être proche meurt, il vous reste des photos, des objets qui vous rappellent la personne disparue. Moi, je n’ai rien. Rien, hormis quelques vagues faux souvenirs de plus en plus flous. Rien, sauf un fait terrible qui me saute au visage et qui va désormais pouvoir me hanter jusqu’à la fin de mes jours : je ne connais pas son prénom ! Mon esprit n’a visiblement jamais jugé opportun de lui en donner un. Toute une vie, certes rêvée, au côté d’une personne dont on ignore l’identité. Ça aurait dû me mettre la puce à l’oreille…


⭐ Inspiration n°3

  • Sonia Gendre

Choisir son chemin
Je me trouvais à la croisée des chemins : je pouvais soit continuer comme j’avais toujours fait, soit décider de prendre ma vie en main. Je me sentais triste et seule, coincée dans un mode de fonctionnement qui ne m’épanouissait pas. Mon quotidien était si bien ordonné qu’il en était terne, sans saveur.
Il y avait longtemps que je n’étais plus une enfant, pourtant les principes inculqués dans mon enfance me collaient à la peau, comme une toile d’araignée poussiéreuse : ne pas se faire remarquer, ne pas déranger, se faire à l’idée que la vie est difficile, qu’on ne peut rien y changer. Une chape de plomb qui m’empêchait d’avancer, voilà ce que représentait ces paroles maintes fois entendues. Et pourquoi devrais-je rester dans l’ombre ? Pourquoi ne réussirais-je pas ce que j’entreprenais ? Pourquoi ne pourrais-je pas être heureuse de ma vie, quelles que soient les difficultés que je traversais ?
J’en avais assez d’être une bonne petite fille qui se comportait exactement comme les autres attendaient que je le fasse. J’aspirais à plus de fantaisie et de spontanéité.
A force d’y penser, je trouvai une idée un peu folle.
C’était décidé, j’allais intégrer une troupe de théâtre, non pour jouer, mais pour le plaisir de participer à une œuvre collective, et aussi pour faire partie d’un groupe. La troupe en question était déjà toute trouvée : Les joyeux lurons, celle de mon village. Ni une ni deux, je contactai le président via leur site internet.
— Oui, nous avons toujours besoin d’aide durant la préparation d’une nouvelle pièce, me répondit Samuel Durant. Nous nous réunirons chaque premier mercredi du mois dès le 6 septembre pour préparer la prochaine saison. Le comité de lecture sélectionnera trois pièces à choix, que nous mettrons au vote en décembre. Ensuite, nous nous rencontrerons durant le printemps pour décider quelle pièce nous allons monter, ainsi qu’attribuer les rôles.
— J’adorerais lire des pièces ! Est-ce qu’il y a encore une place dans le comité pour moi tu penses ?
— Certainement. Viens à la prochaine réunion. Je te présenterai aux autres membres.
Dès l’automne, j’intégrai donc une troupe de théâtre amateur.
Pas facile de me mettre en avant et d’oser donner mon avis sur les pièces que je lisais, mais en même temps, personne ne me jugeait. Les autres membres du comité de lecture attendaient de moi que je lise et que je donne mon avis, ni plus ni moins que ce qui était demandé à chacune et chacun. Je me sentais valorisée. Oui, ça peut paraitre bête à une personne qui a l’habitude qu’on s’intéresse à elle, mais pour moi, c’était un grand pas vers les autres.
Nous avons décidé de monter Impair et pair de Ray Cooney. Un sacré chalenge pour le comédien qui avait décroché le rôle principal, car il était sur scène presque en permanence durant les deux heures que durait la représentation. En fait, toute la pièce demanderait une grande implication de la part des personnes ayant décroché un rôle. Le rythme était soutenu du début à la fin, avec des réparties humoristiques qui allaient régaler le public.
Les répétitions commencèrent à l’automne suivant, soit un an après que j’aie intégré la troupe. Tout se passait bien jusqu’à ce que Madeleine décide du jour au lendemain de nous quitter. Patatras, plus de comédienne pour le rôle de Mamie, à deux mois de la première.
— Je ne vous cache pas qu’on est dans la mouise, déclara Samuel devant nos mines atterrées. Madeleine ne veut plus jouer car son mari et elle vont partir en voyage début mai, pile au moment des représentations. Ils veulent fêter la retraite de Robert en participant à un voyage organisé par l’entreprise de ce dernier.
— C’est n’importe quoi ! Elle ne peut pas nous faire ça ! Je vais lui parler.
— Désolée, Odile, mais ta mère a été clair, elle ne viendra plus. Elle dit ne plus en avoir envie. Je préfère trouver quelqu’un d’autre, plutôt qu’elle gâche avec sa mauvaise humeur le travail que nous avons accompli.
Malheureusement, aucun membre ne trouva de remplaçante à Madeleine dans les deux semaines qui suivirent.
Quand je vis arriver Samuel vers moi au début de la répétition ce mercredi-là, je sus tout de suite qu’il avait quelque chose à me demander.
— Catherine, toi qui as été présente presque tous les mercredis, tu connais le rôle de Mamie, non ?
— Oui, à peu près… et alors ? répondis-je, inquiète.
— Tu ne voudrais pas reprendre le rôle ?
— Et bien sûr, c’est moi que tu viens voir… Je l’ai déjà dit, je ne veux pas jouer, je préfère rester dans l’ombre.
— On a besoin de toi, pitié. Tu seras parfaite, TU ES Mamie !
Les autres comédiennes et comédiens s’en mêlèrent, me promettant tout leur soutien et toute l’aide qu’elles et ils pourraient m’apporter. J’avais beau argumenter, il y avait toujours quelqu’un avec une réponse à mes protestations, si bien que de guerre lasse, j’acceptai le rôle, sous les bravos de mes bourreaux.
Six semaines plus tard, le soir de la première, je fus particulièrement soulagée quand la pièce se termina. Le public nous applaudit debout, tant il avait apprécié. Lors de la verrée qui suivit, plusieurs personnes vinrent me féliciter. J’étais fière, mais surtout étonnée d’avoir réussi ce chalenge, de ma capacité à me trouver dans la lumière sans que cela me tétanise. Quant à mes parents, ils s’enorgueillissaient de voir leur fille sur scène ; ils avaient vite oublié leurs grands principes.
Les huit représentations suivantes eurent lieu devant une salle comble et comblée. Les spectateurs riaient tant que nous avions du mal à garder notre sérieux sur scène.
Jour après jour, je réalisais à quel point l’éducation que j’avais reçue m’avait empêchée de progresser dans ma vie. Je venais de me libérer d’un boulet. J’avais l’impression que tout était possible depuis que j’étais capable de dépasser mes barrières psychologiques. Le monde m’appartenait. Si je pouvais le rêver, je pouvais le réaliser.
Cette expérience me donna des ailes. Je demandai à mon employeur de réduire mon temps de travail, ce qu’il m’accorda avec réticence.
— Vous savez, si je travaille à 80% au lieu de 100%, je serai plus efficace car mieux reposée. Je pourrai prendre mes rendez-vous sur mon jour de congé et je n’aurai ainsi plus besoin de m’absenter durant les quatre jours restants. De plus, le temps consacré à certaines taches pourrait être réduit ou la tâche supprimée.
— Je ne suis pas convaincu, mais je veux bien essayer. Je vous accorde votre 80% dès le mois prochain.
Je changeai également ma façon de voir le travail salarié. Plutôt que de compter les jours où je travaillais et ensuite les jours de liberté, je décidai de considérer en premier mes jours libres et ensuite seulement les jours de travail, mettant la priorité sur ma vie privée. Je n’étais plus une employée qui avait des jours de congé, mais une femme qui louait ses services trente-quatre heures par semaine à une entreprise.
Chaque personne peut choisir son propre chemin de vie. Il est parfois plus confortable de rester sur celui que l’on connait, que d’opter pour celui du changement qui est tortueux, risqué, inconfortable, long, parfois difficile, mais qui offre une vue imprenable quand on arrive au sommet de la montagne.


  • Paul Lautier

Les bouclettes
Héloïse est seule dans sa cellule. Elle est agenouillée sur son prie-dieu, face à la fenêtre. Son regard porte sur le jardin que les premières lueurs du jour commencent à révéler. Ses yeux paraissent pourtant être dans le vague, chargés et riches d’émotions.
Elle se souvient en effet de brèves distractions passées sous cet arbre ou sous tel autre, éloignées de l’indiscrétion même involontaires de ses consœurs qui auraient pu la surprendre, les surprendre dans leur intimité singulière, propre manifestement à favoriser la confession de secrets. Car Héloïse pense à ces moments précieux avec Marie qui lui apportent tant dans cet univers de repli, hors du monde, empli de silences et des rituels immuables.
Héloïse vit dans l’abbaye depuis l’âge de ses douze ans, lorsqu’elle y a été placée par sa famille qui avait désigné la benjamine comme un sacrifice à accorder à Dieu pour le salut de tous. Être mariée à Dieu, pourquoi pas ? Mais cela ne représente toujours pas grand-chose même aujourd’hui pour la jeune femme qu’elle est désormais devenue.
Son teint est blanc, presque pâle, comme celui de la plupart des autres pensionnaires d’ailleurs, par faute pour elles de vivre souvent en plein air. Ses sœurs biologiques, au contraire, ont la peau hâlée, à force de travailler dans les champs. La famille est modeste, mais non miséreuse. Elle correspond à sa classe, celle de paysans exploitants tourangeaux aux confins entre les XVIIème et XVIIIème siècles. Des gens respectables, comme il faut pour être favorablement considérés des autres villageois et par le Père Grégoire, l’éminent ambassadeur séculier du Seigneur dans la contrée. C’est donc bien parce qu’elle méritait de représenter dignement la famille qu’Héloïse a été confiée à Dieu, non parce qu’on aurait voulu l’exiler par honte. Malgré tout, la dote exigée par le couvent est moindre que celle qu’auraient pu réclamer les parents d’un prétendant. Au moins là, entre ces murs, elle acquiert une certaine éducation, certes bien moindre que celle d’un garçon, mais elle sait déjà lire et écrire. Aussi, n’éprouve-t-elle aucune rancune vis-à-vis de ses parents. Elle leur est même reconnaissante de l’avoir soustraite à un avenir préconçu dont les fiançailles et le mariage, presque arrangés, sont les arcs-boutants. Alors, si Héloïse éprouve maintenant un certain malaise face aux siens, ce n’est en fait pas du ressentiment ; elle sait plutôt pertinemment qu’ils ne la comprendraient plus. Elle ne pourrait leur confier, cela ne serait pas « convenable », que la petite fille obéissante a depuis sa puberté entendu l’éveil de ses sens. Voilà pourquoi Héloïse reste conventionnelle lors de leurs visites et répond parfaitement à ce qu’on attend d’une jeune femme au service de Dieu. Elle est lisse, parfaitement aimable, mais ne dévoile rien de ses aspirations personnelles.
Pourrait-elle alors s’épancher auprès de Marie ? C’est justement ce qui taraude Héloïse qui fixe le jardin en cet instant. Peut-elle lui dire réellement ce qui la tourmente, sans risquer de tout gâcher ? Elle ne pourrait pourtant s’en remettre à personne d’autre ici-bas. Cette jeune consœur paraît être son indéfectible confidente… avec ses charmantes bouclettes dorées et rebelles qui dépassent trop souvent de son voile que la Prieure aimerait bien voir plus ajusté.
Seigneur, pouvez-vous m’aider, murmure-t-elle, agenouillée. Si seulement vous pouviez m’éclaircir le chemin pour trouver la bonne voie.
Elle n’a pas conscience d’être fautive, car ne déroge nullement aux règles de l’ordre. Elle n’a pas commis le péché de chair et s’astreint sans relâche à la stricte vie monacale. La sincérité de sa foi reste intacte et elle aime du plus profond de son être, de l’intensité de cet amour dont se glorifient d’ailleurs celles qui ont prononcé leurs vœux.
Aussi, si l’amour ne serait être coupable, aurait-elle une raison de le dissimuler auprès de l’être cher ?
Non, je dois forcément tout lui dire !
Cette conclusion lui apparaît, ce matin-là, comme une révélation, une évidence qui s’impose à son entendement.
Elle se lève, reprend appui sur le temps présent, puis, rassérénée, se prépare aux primes. Sans faillir, elle se faufilera au travers de ces couloirs froids et humides, encadrés de murs ternes où se dessinera à peine l’ombre de son humble chasuble. Mais elle ne fléchira pas malgré la fatigue et la fébrilité qui l’anime depuis tant de semaines, et elle assistera à l’office, baignée d’espoir, de joie, transpirante de bonheur.
Héloïse se montre en effet aux primes comme elle l’a été aux dernières vêpres, entière dans ses prières silencieuses. Mais au fond, toute son âme est vouée à l’être dont elle est amoureuse.
Elle est agenouillée sur les dalles glacées de l’abbatiale, ne sent plus ses genoux calleux. Elle adore ce moment précieux de communion entre elles, toutes rassemblées et profondément versées dans la prière murmurée. Elle lève la tête vers cette sculpture et qui orne l’une des chapelles rayonnantes. Il s’agit d’une Vierge à l’Enfant bien sûr. Mais Héloïse ne s’y pas trompée, elle qui adule ce personnage de la féminité à l’état de grâce par excellence. Cette composition est un chef-d’œuvre de la Renaissance italienne qui est parvenu jusqu’ici sans que personne ne sache comment. Toujours est-il sa contemplation procure à Héloïse une immense béatitude intarissable à chacun de ses coups d’œil à la dérobée. Elle admire particulièrement l’expression subtile de ces yeux emplis de tendresse, mais aussi lourds d’inquiétude, de douleur contenue, comme si la mère pressentait déjà le destin de son enfant sans vouloir le laisser paraître.
A la fin de l’office, lorsque l’abbesse se lève, intimant à toutes de la suivre, Héloïse s’efforce de se rapprocher de Marie dont elle connaît la position immuable dans la procession. Elle sait que celle-ci prendra le corridor Est menant au cloître avant de se rendre au chauffoir où elles devront s’affairer à leurs travaux manuels. Héloïse sait qu’il leur est autorisé à cet instant de s’attarder quelque temps autour du jardin et que Marie ne lui refusera pas une telle diversion, pourvu que les Supérieures n’en perçoivent aucun son.
Marie et Héloïse ont évidemment établi un code pour s’entendre parmi ces règles strictes. Quelque mouvement ou changement de démarche de la part de l’une signifie une invite à la suivre pour l’autre. Cette manœuvre est encore une fois parfaitement maîtrisée, bien que les Supérieures l’aient déjà identifiée et la tolèrent complaisamment. Il faut bien que la jeunesse s’exprime.
Elles sont maintenant toutes deux à l’écart, marchent de front, ce qui est déjà une attitude éhontée, le long de la galerie Nord du cloître. Héloïse se risque à se retourner. Personne d’autre à vue. Elle s’arrête. Marie s’immobilise également. Toutes deux se font face. Héloïse a ce regard perçant qui exprime une attente, mais aussi une pointe de défi teinté d’une discrète soumission, comme une respectueuse familiarité.
— Marie, j’ai besoin de parler.
— J’ai cru le deviner.
— Cela se voit ?
— Rien ne m’échappe, tu le sais bien. Et bien sûr, c’est moi que tu viens voir… je m’y attendais depuis quelque temps.
— Ah bon…
— Je connais tes tourments.
— Tu n’en connais pas la cause.
— Je pense que si.
— Je suis aux prises avec l’amour.
— Moi aussi.
— Je veux dire un amour terrestre.
— Oui, moi aussi.
— Tu aimes quelqu’un ?
— Quelqu’une…
— Comment ça ?
— Comme toi, n’est-ce pas ?
— Que veux-tu dire ?
— Tu m’as tout à fait comprise. Je t’aime aussi. Mais tu sais très bien ce que cela veut dire… Alors, continuons ainsi et soyons déjà heureuses de savoir nos sentiments partagés. Nous devons absolument pouvoir continuer à vivre notre chemin ensemble, parmi nos autres sœur, même s’il est différent à leurs yeux.
Elles reprennent leur marche à pas feutrés, sereinement, sous l’aile Nord, l’une devant l’autre cette fois, mais non sans s’être effleurées fugacement du bout des doigts, peut-être d’ailleurs inconsciemment ou presque…


  • Yza

Tempus fugit
Je t’observe remonter la rue sur le trottoir d’en face, à demi dissimulé par les voitures stationnées sur la chaussée. Je t’ai repéré dès que tu as tourné le coin de la rue Soufflot. Mains dans les poches, tu ne fais même pas semblant d’accélérer le pas, et pourtant, ton laconique « j’arrive » par SMS il y a 10 minutes ne t’empêchera pas d’être en retard. Comme d’habitude. Ça fait bien 20 minutes que je t’attends à la terrasse de ce café où tu m’as donné rendez-vous. « Notre café ». Depuis toujours ou presque. Depuis les années fac.
Je t’observe et je me dis que la vie est vache. Avec tes cheveux en bataille, si blonds que le fait que certains commencent à blanchir ne se voit pas, cette coupe improbable, intemporelle, toujours la même depuis 20 ans malgré les caprices de la mode, tu ne changes pas. Tu as toujours cet air perdu, dans le vague, comme si submergé par tes pensées tu t’échappais du monde qui t’entoure, de notre monde dans lequel tu sembles nager au milieu des requins. Et l’arrogance de ton sourire qui en insupporte certains cache encore probablement un drame de plus dans ta vie. Un drame que tu me raconteras, comme à chaque fois que ta phrase commence par : « J’ai besoin de toi… ».
Je t’observe attendre patiemment que le signal piéton passe au vert pour me rejoindre. Tu ne m’as pas encore aperçue, tu ne portes pas tes lunettes et ta myopie t’empêche de voir net à plus de 2 mètres. Des années que tu clames que tu vas te faire opérer, des années qu’on sait tous que tu ne le feras jamais, la trouille de te faire charcuter la cornée l’emportera toujours sur le bénéfice de l’intervention chirurgicale. Tes sourcils sont froncés au-dessus de tes yeux clairs, quel souci ombrage ton esprit cette fois ? Tu passes ta main dans tes cheveux et dans ce geste familier, tant de fois répété à l’identique, je retrouve le garçon insolent qui s’est assis à côté de moi dans cet amphithéâtre gigantesque, dans cette fac de sciences peuplée d’inconnus, pour notre premier cours magistral. J’étais au bout du rang mais ça ne t’a pas empêché de me pousser pour te faire une place, sans t’excuser mais avec un sourire charmeur et un aplomb exagéré. Un « salut » aura suffi à débuter notre amitié, il y a déjà plus de 20 ans.
— Salut !
Le même sourire avant de me faire la bise et de t’affaler sur ta chaise en plastique. Le même aplomb pour héler le serveur et commander deux cafés.
— Ça te va ? demandes-tu en haussant les sourcils dans ma direction. Heureusement que oui, le serveur a déjà tourné les talons.
— Tu es de plus en plus en retard…
— Mais non, je t’ai dit que j’arrivais…
Je te connais depuis toujours, il est difficile pour toi d’admettre que tu es en tort, te prendre en défaut relève de l’exploit et j’ai cessé depuis longtemps de vouloir perdre mon temps sur des sujets aussi futiles.
Je t’observe maintenant de plus près, tu souris mais je sens bien que quelque chose te tracasse. Vas-tu me raconter que ton chef te casser les couilles et que tu vas lui poser ta démission dès demain ? Tu l’as déjà fait et bien entendu ça n’a eu aucun effet, puisque ton chef est ton meilleur ami, plutôt associé que chef d’ailleurs. Mais que tu t’emportes facilement ! Heureusement Adrien sait comment s’y prendre, il laisse passer l’orage, t’écoute en silence, hoche la tête pour approuver tout ce que tu trouves à reprocher à tout et tout le monde. Et puis vous tombez dans les bras l’un de l’autre et partez boire un verre comme si de rien n’était. Non, si tu avais disjoncté au travail Adrien m’en aurait informé….
Alors quoi ? Ta femme t’a quitté ? Ça aussi c’est déjà arrivé, j’ai droit à toutes tes peines de cœur depuis que tu t’étais vanté lors de la soirée étudiante de rentrée d’avoir embrassé dix blondes. Mais qu’en fait la dixième blonde n’avait pas cédé à tes avances et que tu avais pleuré, ivre, sur mon épaule déjà compatissante. Et mon épaule serait compatissante depuis, je crois que je sais tout de tes conquêtes et de tes râteaux, de tes prouesses sexuelles et de tes déceptions, de tes goûts en matière de femmes. Et même si je ne ressemble en rien au stéréotype de la blonde pulpeuse que tu sembles apprécier, je me rappelle un soir d’été dans le parc de la fac où nous nous étions embrassés, allongés dans l’herbe, presque par mégarde. J’avais vu dans ton regard alors le désarroi, et j’avais coupé court au malaise qui risquait de s’installer entre nous en me levant en riant, ébouriffant tes cheveux déjà décoiffés pour aller quelques mètres plus loin prendre une bière. Je m’étais assise au milieu des autres filles, écoutant les derniers potins de couples du groupe de première année. Dès le lendemain, comme oublié, ce baiser n’avait pas changé nos relations amicales.
Ton chien est mort ? Merde alors, pas ça, je ne supporterai pas de te voir pleurer ce pauvre bâtard de Tequila. Ce chien vieux et galeux qui tu as recueilli entre deux blondes pour combler ta solitude, toi qui ne supportes pas de vivre seul. Ce chien moche au regard toujours inquiet, à la truffe qui se colle à toi dès que tu rentres dans ton appartement. Ce chien trop âgé que tu ne veux pas laisser partir malgré toutes ses pathologies liées à ses douze années d’existence sur Terre. Mais non, je ne pense pas, tu me l’aurais dit au téléphone, tu n’aurais jamais pu attendre si longtemps. Je serais venue chez toi, on aurait bu, on aurait appelé le vétérinaire ensemble, j’aurais été celle dans les bras de qui tu peux pleurer sans te retenir, pas besoin de façade sociale entre nous.
— J’ai besoin de toi.
Ça je sais, c’est ce que tu dis toujours quand tu veux qu’on se voit pour discuter d’un sujet important, grave, douloureux… Mais là tu sembles soudain plus vieux, ton front est barré de plusieurs rides horizontales, tes sourcils se sont de nouveau froncés et, tourné vers moi, tu as attrapé mes mains. Et du coup je m’inquiète vraiment. Tu sembles chercher tes mots, tu me regardes droit dans les yeux, et dans une grande expiration :
— Tu sais que je veux me séparer de Katia mais je ne sais pas comment lui dire, ça ne va plus depuis longtemps mais elle s’accroche, elle refuse de voir l’évidence…
— C’est pas nouveau…
— Oui ! Mais j’ai enfin pris conscience d’une chose, une chose très importante, une chose qui était sous mes yeux, dans ma tête, depuis toujours en fait…
Est-ce que tu es gay ? C’est la première chose qui me vient à l’esprit, mais quand même je n’y crois pas trop, qu’est-ce que tu vas bien pouvoir me sortir comme absurdité ?
— Et bien sûr, c’est moi que tu viens voir…
— Je t’aime.
Comme ça, d’un coup. Et comme une évidence, je sais, je sais que cette phrase que j’ai attendue depuis tant d’années, depuis ce baiser furtif et pourtant si intense, ces trois mots dont je ne savais pas qu’ils avaient autant d’importance pour moi, je sais qu’il est trop tard pour que je puisse les recevoir. J’éclate de rire. C’est méchant, cruel, et je te vois te décomposer, tu ne comprends pas ma réaction. Alors je me penche vers toi et je murmure « Moi aussi ».


  • Aurélie Gloux

Les rosiers jaunes

Paul plante les rosiers qu’il est allé acheter à la première heure au marché. Ensuite, il s’occupera d’enlever les gourmands des plants de tomates. Puis, s’il a le temps, il retirera les mauvaises herbes des massifs de fleurs. Entre chaque petite pelletée de terreau, il s’arrête quelques instants pour admirer son jardin et pour en respirer les odeurs.
Un véhicule s’arrête devant le petit portillon blanc du pavillon: un homme vêtu d’un jean et d’une veste en cuir descend de la voiture.
— C’est une visite bien matinale!
— Bonjour Paul.
— Bonjour Jérôme. Ça fait une paye. Ça me fait plaisir de te voir. Rentre, je vais te faire un café.
— Ce n’est pas une visite de courtoisie Paul. Je suis en service.
— Et qu’est-ce qui t’amène aussi loin de ton commissariat?
— Il y a eu un cambriolage dans une maison cette nuit, rue des Primevères.
— Et bien sûr, c’est moi que tu viens voir…
— C’est une enquête de voisinage Paul. C’est pas la peine de t’énerver.
— Une enquête de voisinage, tu parles! La rue des Primevères, c’est même pas dans le quartier.
Un silence s’installe entre les deux hommes jusqu’à ce que Paul reprenne la parole:
— Pose-moi la question Jérôme, qu’on en finisse.
Le jeune policier sort un carnet et un stylo de la poche intérieur de sa veste:
— Peux-tu me dire où tu étais cette nuit entre minuit et trois heures du matin?
— J’imagine que tu ne seras pas étonné si je te dis que j’étais dans mon lit en train de dormir.
— Quelqu’un peut-il le confirmer? demande Jérôme d’une voix hésitante.
— Comment oses-tu me demander ça? s’insurge Paul, le visage rouge de colère et les larmes aux yeux.
— C’est la procédure, répond Jérôme gêné en détournant le regard. Tu plantes de nouveaux rosiers?demande-t-il afin de changer de sujet. De quelle couleur seront-elles?
— Jaune. C’était les préférées d’Elise. Ça fait cinq ans aujourd’hui, dit Paul des sanglots dans la voix.
Les deux hommes se regardent pendant quelques instants. Leurs yeux disent des choses mais les mots ne viennent pas. Jérôme coupe court à ce moment:
— Je dois y aller, j’ai du travail, dit Jérôme en se dirigeant vers sa voiture.
— Pourquoi tu ne passerais pas dîner un soir? Je te ferai ma soupe de légumes. On discutera un peu du bon vieux…
— Arrête Paul! crie Jérôme soudainement pris de colère. Arrête de faire comme si rien n’avait changé.
— Il y a une chose qui ne changera jamais, répond Paul. Je serai toujours ton frère.
Jérôme se met à rire nerveusement:
— Je me serais bien passé d’avoir un frère cambrioleur qui a passé la moitié de sa vie en prison.
— Quand est-ce que tu admettras que c’est fini tout ça? J’ai payé ma dette et je me suis remis dans le droit chemin depuis longtemps. Même maman m’a pardonné.
— Laisse maman en dehors de tout ça. C’est vrai qu’elle t’a pardonné et je ne comprends toujours pas pourquoi. Mais je n’ai pas oublié tout le mal que tu lui a fait: quand tu partais des nuits entières, quand la police venait faire des perquisitions à la maison, quand elle devait faire des centaines de kilomètres pour un parloir. Elle avait bien assez de nous élever toute seule.
Paul s’assoit sur le banc en fer forgé. Il semble subitement vieux et fatigué:
— Est-ce que tu te souviens de ton septième anniversaire Jérôme?
— Oui, mais je ne vois pas le rapport.
— La veille, j’ai surpris maman en train de pleurer dans le salon. Elle pleurait parce qu’elle n’avait pas d’argent pour t’acheter un gâteau et encore moins un cadeau. J’ai pas supporté de la voir comme ça et je supportais encore moins qu’on ne puisse pas t’offrir un anniversaire. C’est ce jour-là que j’ai commis mon premier vol: je suis allé dans l’épicerie du père Monier. J’ai piqué un fraisier, une boîte de crayon de couleur et un cahier. Tu adorais dessiner en ce temps-là. Quand je suis rentré, j’ai dit à Maman que j’avais aidé les bénévoles de la banque alimentaire et qu’ils m’avaient donné ça pour me remercier. Je ne sais pas si elle m’a cru mais elle était heureuse qu’on puisse fêter ton anniversaire.
— Tu es en train d’insinuer que c’est à cause de moi que tu as commencé à voler? dit Jérôme en tentant de dissimuler son émotion.
— Arrête, c’est pas du tout ce que je dis. Je veux juste que tu comprennes pourquoi je l’ai fait. A partir de ce moment-là, dès que je voyais que maman n’avait plus assez d’argent pour remplir le frigo, j’allais dans une grande surface ou dans une épicerie et je ramenais de quoi manger. Je ne le faisais que par nécessité. Et au fur et à mesure, je fais des coups de plus en plus gros. Je voulais m’arrêter Jérôme, tu dois me croire. Mais je n’y arrivais pas. C’était comme une drogue. Voler me semblait être la solution à tout.
Jérôme s’approche de Paul, les poings serrés pour retenir ses larmes:
— Tu étais mon grand frère, tu étais mon modèle. Tu étais censé me protéger. Et au lieu de ça, tu m’as abandonné.
— Je sais frangin. Je m’en suis voulu toute ma vie et je m’en veux encore.
Jérôme ne peuxplus retenir ses larmes. Paul se lève et le serre dans ses bras. Le jeune policier profite de ce moment quelques instants puis se reprend:
— Je dois y aller.
En partant, il regarde les rosiers une dernière fois:
— Je suis sûr qu’elles seront très belles. Et pour la soupe de légumes, pourquoi pas un de ces soirs.
Paul adresse un signe de la main à son frère et regarde la voiture quitter la rue. Aussi sec, il se dirige vers les rosiers, les déterre et saisi trois petits sacs. Il entre dans la cuisine et attrape son téléphone:
— C’est moi. J’ai des bijoux à refourguer le plus vite possible. Tu peux m’arranger ça?



  • Ma participation, hors concours, sur l’inspiration n°2

Une goutte de sueur s’amusait le long de mon échine, comme pour chatouiller ce qui restait du peu de vie en moi. Le spectacle devant lequel j’étais prostrée relevait purement et simplement de la folie. Mon cerveau refusait les images que mes rétines s’évertuaient pourtant, seconde après seconde, à lui transmettre. Ma langue, aussi tétanisée que l’ensemble des membres de mon corps censés être mobiles, enflait sans que j’en comprenne la raison. Le choc ? L’envie de hurler qui demeurait bloquée au creux de mon estomac, asséchant ma gorge et tapissant ma bouche d’une espèce de carton dégueulasse ? Mes yeux niaient l’évidence, car elle ne pouvait être. Le message à livrer était tordu, ne répondant à aucune logique, et une parcelle de mon coeur persistait à croire que tout ceci était de l’ordre du fantasme. Et pourtant, si rien ne semblait réel… Ce qui se passait autour de moi n’était pas…
Vraisemblable, non, mais ce n’était pas ma réalité.
Je savais au plus profond de moi que si je m’évertuais à refuser qu’elle le soit, elle finirait par vampiriser la dernière étincelle de lumière qui maintenait mes neurones en éveil, au lieu d’abdiquer comme la plupart des propriétaires des corps qui m’entouraient l’avaient fait lorsque la lame avait tardé à achever sa mission.
Un reflet métallique sur ma gauche. Une respiration rauque ajoutée à mon souffle restreint par le choc. Et un sursaut de vie, ma main se levant pour me protéger…


Merci à tous pour vos participations et lectures !

A bientôt 💋

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