Participations au Rendez-Vous des Plumes – avril 2022

Bonjour à tous 😊

Le mois d’avril du Rendez-Vous des Plumes s’est organisé autour d’incipits qui proposaient de créer une “ambiance“, thème du mois, pour donner de l’épaisseur à vos nouvelles, et le moins qu’on puisse dire et que vous avez été vraiment inspirés ! Découvrons-les ensemble !

Les textes ne sont relus qu’au moment de leur publication, et ce uniquement dans le but de vérifier qu’ils ne contreviennent pas au règlement de l’atelier d’écriture. Si le cas devait se produire, le texte ne serait tout simplement pas publié, sans autre recours possible de son auteur. La Petite Boutique des Auteurs n’est pas responsable des coquilles, fautes d’orthographe, syntaxiques ou grammaticales éventuellement présentes dans les textes qui participent au Rendez-Vous des Plumes.
Merci d’en prendre note avant lecture.

Amelia

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· Texte d’Elodye H. Fredwell · 3ème place

“C’était juste pour rire, vraiment.”
Que pourrait-il bien se passer, une nuit de pleine lune, dans une forêt ?

— C’était juste pour rire, vraiment.
Mais elle était déjà partie. Les bras serrés contre son corps, elle marchait à pas rapides à travers la forêt. Les larmes roulaient sur ses joues et y laissaient des grandes coulées de noir. Dans l’obscurité, ses chevilles cognaient contre les branches. Elle manqua de trébucher plusieurs fois jusqu’à retrouver le sentier de terre et la silhouette rassurante de sa voiture.
Quel abruti, ne cessait-elle de penser. À quel moment l’emmener au fin fond d’une forêt à la pleine lune était drôle ? C’était un guet append, un piège sordide, avec pour seul but de la faire hurler de frayeur. Ils avaient gagné. Ils étaient contents d’eux tandis qu’elle, son cœur se brisait à mesure qu’elle progressait vers son véhicule. Était-elle assez sotte pour croire qu’il l’aimait ? Qu’il l’aimait vraiment ?
Seuls quelques mètres la séparaient du vieux Range Rover de son père, garé devant l’entrée du bois. Déterminée à s’y réfugier, elle accéléra le pas. Elle ne fit pas attention où ses pieds se posaient et son tibia percuta un obstacle de plein fouet, la faisant trébucher. Ses mains ralentirent sa chute et elle grimaça de douleur en se retournant vers sa jambe. Elle pesta tandis que de nouvelles larmes perlaient au coin de ses yeux. Au moment de se redresser, tant bien que mal, elle essaya de distinguer la chose qui l’avait interrompu dans sa marche. La forme, volumineuse, était indistincte. Plus pour se rassurer qu’autre chose, elle sortit son smartphone de sa poche et éclaira l’ombre devant elle.
Son hurlement déchira la nuit.
Il n’avait rien à voir avec celui qu’elle avait poussé quelques minutes auparavant, quand ses camarades avaient déboulé de nulle part en plein milieu de cette forêt sinistre. Celui-ci était plus guttural, plus glacial… Il venait de ses tripes. Comment aurait-il pu en être autrement ? Quand le corps sans vie d’un immense cerf se trouvait à ses pieds, en plein milieu d’un bois faiblement éclairé par les rayons d’une lune pleine, et que les chouettes hululaient en rythme, la peur ne pouvait s’exprimer d’une autre façon.
Lorsqu’elle reprit son souffle, ses membres flageolaient, ses dents s’entrechoquaient et des torrents de larmes asséchaient ses paupières. Elle fit un pas en arrière, puis un second et finit par se retourner pour courir aussi vite que possible vers sa voiture. Mais elle ignorait que le cauchemar ne faisait que commencer.
— Juste pour rire, juste pour rire, répétait-elle, la voix tremblante, d’un ton sarcastique. Je t’le f’rais bouffer ton “juste pour rire”.
Angoissée, elle ne parvenait à faire glisser la clé dans le contacteur et grogna plusieurs fois entre deux sanglots. Alors qu’elle s’échinait à calmer ses doigts qui ne cessaient de tressauter, elle entendit des rires lointains. Son corps se tendit immédiatement. Elle scruta l’horizon afin d’y déceler l’origine de ces sons, mais ne vit rien de plus que l’ombre des hauts arbres et une lune ronde éclairer le ciel. Prenant une grande inspiration, elle délaissa ce détail pour se concentrer sur le démarrage de sa voiture. Par miracle, elle finit par enfoncer la clé, la tourna… Mais contre toute attente, le Range Rover demeura muet.
— Bordel, mais quand est-ce que cette soirée de malheur se termine ?
Malgré ses jurons, ses gémissements désespérés et ses essais infructueux, elle ne parvint pas à remettre son seul moyen de secours en état de marche. Elle frappa son volant, violemment, blessa ses mains sur le revêtement synthétique, y laissa même une goutte de sang. Mais rien ne lui faisait plus mal que de rester ici, face à cette forêt, près de cet animal mort, entourée de rires effrayants. Un instant, elle songea retrouver les garçons… Mais leur compagnie n’était pas plus enviable après leur blague de mauvais goût.
Elle soupira et fixa la forêt, reprenant peu à peu le contrôle de ses émotions. Comment ce cerf était-il mort ? Elle ne pouvait se l’expliquer. Elle ne pouvait pas dire qu’elle l’avait assez longuement analyser pour déceler les causes de son décès. Un autre animal ? Un chasseur ? La vie, tout simplement ? Elle tenta de chasser ses questions, mais elles revenaient sans cesse à la charge. Rester enfermée dans cette cage de ferraille ne l’aidait pas. Elle avait besoin d’air.
Prenant sur elle, elle quitta l’habitacle et poussa un soupir bruyant avant de faire le premier pas. Les suivants furent plus faciles ; une fois sur sa lancée, elle ne s’arrêta pas. Sur ses gardes, elle parvint à l’orée de la forêt, guettant les sons de la nuit, les bras croisés sur sa poitrine. Le souffle de plus en plus saccadé, elle progressa, encore et encore… Mais sur son chemin, le cerf ne refit pas surface. À la place, éclairé par la lampe de son smartphone, elle aperçut une longue traînée de sang. Des frissons la parcoururent tandis qu’elle suivait le rouge mêlé aux graviers du sentier. Une fois dans l’herbe, elle hésita : ne pouvait-elle simplement pas retourner dans la voiture, appeler une dépanneuse et rentrer…
Un bruissement la fit sursauter. Un gémissement quitta ses lèvres. Elle tremblait de ton son être. Regardait tout autour d’elle. N’osait plus bouger.
Et soudain, dans la lueur de sa torche, elle les vit.
Ces deux yeux brillants. Jaunes.
Elle serra la mâchoire, bloqua son souffle, retint un cri.
— C’est encore une blague ? osa-t-elle en reconnaissant une silhouette humaine. Ça n’a rien de drôle !
Effrayée, elle ne bougea pas, mais les yeux, eux, s’avancèrent vers elle. C’est alors qu’elle les reconnut. Ces yeux dont elle était tombée amoureuse. Elle n’osa demander pourquoi leur couleur était si dorée, profitant juste de la détente de ses muscles après des minutes de totale tétanie. Et, alors qu’elle souriait, soulagée que ça ne soit que lui, il se jeta sur elle et enfonça ses canines dans sa gorge.Un hurlement déchira le silence de la nuit. Haletante, elle quitta ses draps et reprit sa respiration. Ce n’était qu’un rêve, se dit-elle. Un simple rêve. En sueur, elle se dirigea, chancelante vers la salle de bain. La lumière agressa aussitôt ses yeux et elle peina à se voir dans le reflet du miroir. Quand, enfin, sa vue devint nette, son cœur s’emballa.
Du sang.
Beaucoup de sang.
Elle tâtonna son cou et découvrit, avec horreur, la marque de crocs.
Sa respiration s’accéléra. Elle recula.
Un bruit lui fit tourner la tête.
Il était là, du sang sur le menton. Un sourire carnassier barrait son visage.
— Tu croyais que c’était juste pour rire, vraiment ?


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· Texte de Juliette Amiot ·

C’était juste pour rire, vraiment. Je ne comprends pas pourquoi ils l’ont mal pris.
On était dimanche, il faisait beau, on était tous posés au parc avec notre pique-nique. Les oiseaux chantaient, le printemps commençait enfin à arriver, il faisait chaud. L’ambiance était douce. Julia était assise sur son éternelle veste en cuir, pieds nus, Zen avait enlevé son haut pour bronzer, révélant une adorable petit brassière, et Mad dessinait, comme toujours. Adel somnolait, et même si Jonas n’osait pas lui tenir la main, il avait l’air détendu, pour une fois.
Ça faisait longtemps que je ne l’avais pas vu, Jonas. On était surtout proches en L1, on avait le même groupe de potes, et il nous faisait rire en imitant les profs. On a commencé à moins se voir quand il a rencontré ses nouveaux amis. Je n’ai pas grand-chose de commun avec eux, ils sont un peu bizarres je trouve. Je ne dis pas ça pour être méchante, mais entre celle qui se prend pour une princesse avec ses robes à froufrous, celle qui lit l’avenir dans une veste en cuir par 25°C et l’autiste qui dessine tout le temps, on les remarque de loin.
Je crois que Jonas se sentait un peu coupable qu’on se voie moins qu’avant, en tout cas c’était sympa de sa part de m’avoir invitée au pique-nique, ça nous avait donné l’occasion de rattraper un peu le temps perdu, même si je ne suis pas hyper à l’aise avec ses amis. Rien que ce silence gênant… J’avais l’impression que personne n’avait rien dit depuis au moins un quart d’heure, bonjour le malaise ! Il fallait que j’essaie de trouver un sujet de conversation, mais c’est pas facile avec ce genre de personnes…
— Tiens, j’avais oublié mais j’ai emmené des bières ! Qui en veut ?
J’ai commencé à les faire passer. On dira ce qu’on voudra, mais l’alcool, on n’a pas encore trouvé mieux comme lien social.
Mad a rattrapé celle que je lui avais lancée d’une main, sans même lâcher son crayon. Elle ne s’est pas arrêtée de dessiner tout en décapsulant la bouteille avec ses dents avant de la poser devant elle, en équilibre dans l’herbe. Julia et Zen ont commencé à boire les leurs, et Adel s’était redressé, se rapprochant imperceptiblement de Jonas.
— Non merci, pas pour moi, a dit Jonas.
— T’es sûr ? Elles sont encore fraîches.
— Mais qu’est-ce qui t’arrive, mec ? Il fait super chaud, tu ne vas pas refuser une bière !
— N’insiste pas, me lança Zen en souriant. Fais-m’en passer une deuxième, tiens.
Avec le recul, je me rappelle qu’ils regardaient tous tantôt moi, tantôt Jonas, comme si l’atmosphère s’était tendue. Adel se tenait tout près de lui à présent, comme pour le soutenir. J’ai alors essayé d’arranger l’ambiance.
— Où est passé le Jonas qui aimait les kebabs et la bière ? Vas-y, prends-en une, c’est pas ça qui va te rendre alcoolique !
C’était juste pour rire, vraiment.
Ils se sont tous figés sur place. Mad a arrêté de dessiner. Pour la première fois depuis le début du repas, elle m’a regardée droit dans les yeux, a saisi sa bouteille et l’a vidée dans l’herbe.
— Personne ne boira de bière venant de toi. Maintenant, dégage.
— Wow ! C’était juste une blague, je…
— J’emmerde tes blagues, j’emmerde tes bières et je t’emmerde. Dégage, et ne t’approche plus de mes amis.
J’ai cherché autour de moi, en quête de soutien, déstabilisée par cette agressivité injustifiée, mais tout le monde me regardait d’un air hostile, même Adel, un bras protecteur passé autour des épaules de Jonas. Lui seul regardait ailleurs, visage fermé.
Mad montrait les dents, on aurait dit un chien enragé, ça faisait presque peur. J’ai essayé une dernière fois de la raisonner :
— Tu n’es pas obligée de me regarder comme ça, heu…
— Dernier avertissement. Si je dois te le répéter encore, je te pète le nez.
Elle en était capable, c’était sûr. J’ai ramassé mes affaire sen vitesse en essayant de ne pas montrer à quel point cette weirdo me donnait la trouille. J’étais dégoûtée que Jonas, le seul que je connaissais vraiment, ne me défende pas. Et je n’en revenais pas qu’on ait osé me parler comme ça. C’était juste une blague !
Je les ai entendus rire pendant que je m’éloignais, et j’ai attendu d’être assez loin pour crier : « Vous êtes tous tarés de toute façon ! » mais je ne me suis pas sentie mieux.
J’ai croisé Adel à la fac, plusieurs jours plus tard. Je pensais qu’il m’ignorerait, mais il est venu me parler.
— Si c’est pour des excuses… ai-je commencé sans être sûre de savoir comment continuer ma phrase.
— Pas la peine. Je ne m’attends pas à ce que tu aies compris. Tu n’as pas la moindre idée du temps qu’il a fallu à Jonas, et des efforts aussi, pour nous revoir tous ensemble. Pour passer du temps avec nous sans avoir peur que quelqu’un propose à boire. Pour nous en parler. Pour réussir à nous suivre à nouveau dans les bars. Pour être détendu quand on boit une bière lors d’un pique-nique. Tu n’as aucune idée du temps, des efforts et de la patience qu’il nous a fallu à tous pour qu’il réussisse à faire tout ce chemin.
— Je ne savais pas… Enfin je veux dire… Il est alcoolique, du coup ?
Adel poussa un grognement de dédain.
— Et bien, à l’avenir, tu sauras que quand quelqu’un refuse de l’alcool, il faut juste te taire. Et tu n’es pas la bienvenue parmi nous.
— J’avais bien remarqué que Mad ne m’aimait pas.
— Ça n’a rien à voir avec Mad, c’est de toi que je parle, si tu t’approches encore de mon petit ami, elle n’aura même pas le temps de se lever que je t’aurai déjà pété le nez.
Et il partit, me laissant toute bête devant la machine à café, sans savoir quoi penser.
Je haussai les épaules. J’avais toujours trouvé Jonas bizarre de toute façon.


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· Texte de Ludivine Barillot ·

C’était juste pour rire, vraiment. Ça avait toujours été comme ça entre nous. Lui et moi, on était comme des enfants. Facile, on se connaissait depuis tout petits. Et puis, on n’avait pas grandi. On jouait toujours au même jeu, on se testait à coups de « même pas cap » et ça nous faisait rire. On le faisait pour s’amuser, juste pour voir jusqu’où ça pouvait mener. Pas très loin la plupart du temps. Parce que lui il était toujours cap et moi j’étais toujours cap aussi. Alors à force, on manquait d’imagination. On a essayé de grandir, puis on a continué à jouer. On riait toujours autant mais pas avec la même conviction. Et on s’est rendu compte qu’il était difficile de garder son âme d’enfant dans un monde qui nous oblige à être adulte. « Les choses de la vie » disaient-ils. Mais nous, on ne voulait pas être adulte, on voulait jouer encore et encore, et rire aussi, beaucoup. C’est comme ça qu’on marchait, nous. Alors, on a imaginé d’autres défis plus drôles encore, plus difficiles aussi. Juste pour rire. Pour continuer à jouer. C’étaient des jeux d’enfants plus sérieux ou des jeux d’adultes moins sérieux. On se testait toujours à « même pas cap » mais ça allait plus loin. On faisait plein de trucs, sur un coup de tête, et on riait toujours autant. C’était ça le plus enivrant. Finalement, on ne voulait pas simplement rester des enfants, on voulait se sentir vivants. Et le jeu nous rendait vivants. Le rire aussi. Le temps est passé et on avait épuisé toutes nos cartes. On avait exploré toutes les choses possibles, on avait profité de la vie et on l’avait vécue de toutes les façons imaginables. Au bout du compte, il ne nous manquait qu’un seul truc … « Cap ou pas cap de tomber amoureux ? » On s’est regardés, en riant comme à chaque fois, parce qu’au fond on le savait déjà. On était deux adultes amoureux comme des enfants. Et puis de toute façon, c’était juste pour rire.


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· Texte de Dominique Brunet ·

C’était juste pour rire, vraiment. Assis en tailleur au milieu du salon, des dizaines de légos éparpillés autour d’eux, Louis et Tom, les deux frères, se font face.
Louis : ” Allez, on y va “
Ils se pincent mutuellement le menton entre le pouce et l’index.
Ils chantonnent en chœur :
” Je te tiens, tu me tiens par la barbichette…”
Louis : ” T’as ri “
Tom : ” pas du tout “
Louis : ” Allez, on recommence “
“Je te tiens, tu me tiens …”
Tom, moqueur : “Tu as ri ! “
Louis : ” Mais non, non ! “
Tom : ” Bon, on y va “
“Je te tiens, tu me tiens par la barbichette, le premier de…”
Louis : ” Alors, là, tu as ri ! “
Tom, énervé : ” Non, j’te jure ! “
” Je te tiens, tu me tiens…”
Louis, narquois : “Oh la la ! le tricheur ! Tu as ri “
Tom , criant : ” Menteur , c’est pas vrai, c’est toi qui as ri “
Louis : ” Allez, on reprend “
” Je te tiens, tu me tiens par…”
Louis : ” Alors là, t’as ri, même que j’ai vu tes dents ! “
Tom , avec une voix stridente : ” Menteur, menteur ! “
Le vacarme est tel que la mère surgit en trombe de la cuisine :
” Mais vous allez vous taire ! tout le quartier vous entend! “
Tom, pleurant et hurlant : ” C’est Louis, il triche , dis-lui d’arrêter! “
En guise de réponse, une gifle s’abat sur la joue de Tom.
” Je n’en peux plus , vous me fatiguez ! “
Tom est en larmes. Ce n’est pas juste, il n’avait même pas ri…


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· Texte d’Hélène de Oliveira ·

Mettre un bémol

Tout s’est joué en un regard, sans tambour, ni trompette. Croche, deux croches, et nos deux yeux se sont accrochés, aussi vite que la musique ! Comme tout était bien orchestré, j’ai donné le la, pour que nos cœurs chantent en chœur.
Mais nous avons échoué à nous mettre au diapason. C’était toujours le même refrain en couple, avec des couplets d’attentes décuplées. Alors nous nous sommes raisonnés que plus rien entre nous, ne résonnait.
Ne sortez pas les violons ! Car à présent, nous avons changé de disque. Mais quand je pense à la chanson de notre rencontre, il y a des frissons à la clé.


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· Texte de Léna Blanès ·

Duel de regard

Tout s’est joué en un regard. Juste avant, je sentais mes doigts trembler frénétiquement contre cet objet inconfortable et lourd. Je pensais que ma force n’existait plus, qu’elle n’était dorénavant que le fruit d’un passé lointain. Il y avait devant moi un torrent de regards, d’incompréhension et d’attente. Tous attendaient d’entendre le mot juste, mais je ne pouvais même pas leur offrir le son de ma voix. Il a suffit d’un regard familier pour que soudain l’air revienne à mes poumons. Les yeux envoient des signaux singuliers qui vous font comprendre à la perfection les sentiments de leurs émetteurs. Alors, prise par un élan de courage, je me mis à parler face à la foule, et ce micro lourd devint plus léger. Mon réel exploit n’était pas mon discours, rempli de banalités et de formules clichés que j’énonçais comme une enfant récite une leçon. Mon exploit c’était ma capacité à ouvrir ma voix alors que je croulais sous l’intimidation. Une fois ce joli discours fini, je me senti satisfaite. J’avais le sentiment d’avoir gagner un duel. Mon oncle pensait avoir eu raison de m’avoir supplier pour ce discours. Il avait le sentiment que j’avais su célébrer son amour en mariant les mots que j’avais choisi. Je n’étais pas vraiment de son avis, puisqu’à mes yeux, mon discours ne valait pas grand-chose. Cependant, j’étais heureuse d’avoir plu à tous ces gens, et de leur avoir communiquer l’émotion que je souhaitais libérée.
Après quelques minutes passée à sourire et remercier les personnes venues me complimenter pour ma prestation, je quitta la salle où la majorité des invités se régalaient de petits fours, et je rejoignis le jardin. Mon oncle avait choisi un somptueux château datant de la Renaissance pour se marier. Le jardin était assez grand, et les arbres étaient ornés de guirlandes lumineuses. Il y avait un petit banc au bout de l’allée qui rejoignait le château au fond du jardin. Je décida d’aller m’asseoir sur ce banc. Je me laissa portée par l’ambiance agréable de cet évènement et la délicieuse musique qui provenait de la salle de fête. Je me sentais apaisée par la verdure de jardins, rempli d’acacias, de roses, de pensées et de boutons d’or. Soudain, face à cette rêverie florale, je sentie une présence près de moi. Une présence qui m’était familière. Je reconnus alors ce regard sombre et doux, qui me rappelle le ciel étoilé d’une soirée comme celle-ci. Ce regard, c’était celui de Benjamin. C’est lui qui m’avait sauvé lorsque ,quelques instants plus tôt, je perdais pieds face aux invités pour prononcer mon discours. Ce qui était étrange, c’est que Benjamin m’avait rempli de courage, et pourtant, à ce moment, je me ressentais faible face à lui. Je savais que sa présence signifiait qu’il attendait sûrement de moi ce que je ne lui offrirais pas. Au fond, il devait le savoir. Il connaissait mieux que personne mon côté indomptable. Benjamin me souriait avec beaucoup de tendresse, mais ce geste était pour moi un affront déstabilisant. Mon orgueil refusait de lui offrir ce plaisir délicieux de sentir mes yeux se noyer dans les siens. Alors, comme un chevalier accepte un duel, je lui souri le plus faussement qu’il me soit permis, et je détourna le regard vers la verdure, qui, dans une autre situation, aurait réellement été l’objet de mon intention. Il compris que je feignais l’indifférence. Il s’approcha doucement de mon oreille, et je resta impassible. Peu à peu, je sentais son souffle près de mon cou. Je me sentais comme prise au piège par la Gorgone Méduse. Un regard, et c’est fini, tout vacille. Un regard, et Benjamin comprendra que ce duel, il n’a pas besoin de le gagner, car il lui appartient. Benjamin saurai qu’il est celui a qui je dévoue mon existence. Il s’approchait de moi comme un chat prêt à se jeter sur sa proie. Il mis une mèche de mes cheveux derrière mon oreille, et chuchota « faut-il toujours que tu croises mon regard pour daigner parler ? ». Le coup de feu était parti. Le duel était terminé, et j’étais bel et bien touché. Son ironie était brillante, et tellement réelle, que dépassée par la surprise, je me tourna vers lui. Et là, nos yeux eurent ce pour quoi ils se battaient. Nous éclations de rire, ce qui sonnait étonnamment bien avec la musique qui nous entourait. Nous étions à cet instant trahi par notre amour. Notre amour qu’on ne parvient pas à cacher malgré nous. Je compris à cet instant-là que ce soir, je n’avais pas réussie à gagner tous mes combats. Mais je compris surtout que certains valent la peine d’être perdue.


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· Texte de Mehdi Adghigh ·

Providence

Tout s’est joué en un regard, et pourtant, il était loin d’être guérit. Malgré les nuits blanches qu’il enchaînait depuis quelques jours, les rêves étranges et l’atmosphère étouffante de cette matinée Lélio s’est quand même réveiller de bonne humeur, décider à affronter cette nouvelle journée au salon du livre. C’était la première fois qu’il se retrouvait aussi loin de chez lui, son vieil ami de toujours, Arsha qui l’hébergeait dans la capitale, mais depuis qu’il est arrivé tout se passe mal. C’est qu’il n’est pas doué pour parler aux gens, il a toujours l’impression de déranger, surtout quand il faut parler de lui-même et se mettre en lumière, il perd toutes ses capacités, il bégaie, tremble, perds ses mots et finis par s’excuser sans cesse jusqu’à fuir discrètement la conversation. Avant il était tout l’inverse mais depuis sa dernière relation amoureuse, il s’est reclus du monde pour se consacrer exclusivement à sa passion, l’écriture.
Comme chaque matin depuis cinq jours Arsha le déposait au salon avant de partir travailler, et revient le chercher le soir quand il terminait. Vu qu’il tournait en rond depuis des jours sans oser se l’avouer à lui-même, il s’est lancer le défi d’écrire des poèmes en demandant des thèmes aux personnes intéressées, et d’un seul mot il pourrait ainsi étaler tout son génie et surprendre les gens grâce à son travail sans être obliger de parler de lui. C’était astucieux comme idée mais c’était sans compter sur le désintérêt général pour la poésie, et surtout les regards hautains et assassins que les gens qu’ils aborder lui lançaient.
C’était le dernier jour du salon, il en avait déjà marre du dédain et de l’ignorance générale auxquels son cœur se heurtait sans cesse. A la fin, de la journée une gracieuse ondée tombait des nuages, reconnaissant, il lève la tête au ciel et s’interroge sur le sort que la vie lui réserve, pendant que des larmes coulent sur son visage.
En baissant les yeux, il aperçoit au milieu de la foule une aura bleutée qui ondule la foule dans une grâces majestueuse.
Sans s’en rendre compte Lélio s’élance d’un pas sûr vers cette créature céleste qui reflète dans ses yeux toute la poésie égarée en ce lieu depuis une semaine, il marche de plus en plus vite, esquive les passants et tente de vaincre les quatre cent quarante-trois voix dans sa tête qui tentaient de ralentir sa démarche, la dame éthérée s’arrête au milieu d’un carrefour, lève la tête au ciel, regarde de chaque côté, elle semble chercher son chemin. Plus Lélio s’avançait vers elle plus il remarquait qu’elle semblait accompagnée, elle n’était pas seule, une autre femme était à ses côtés. Toujours à l’arrêt, un livre à la main, un masque au visage, Lélio arrive auprès d’elle mais se détourne aussitôt et poursuis son chemin dans la même cadence en effleurant sa dernière chance.
A l’arrivée d’Arsha il ne se sentait plus lui-même, perdu dans ses pensées, honteux d’avoir céder à la peur, intimidé par cette beauté qui lui semblait intouchable et inaccessible.
Arsha avait remarquer aussitôt son agitation, et en une fraction de seconde Lélio lui conta l’histoire. Arsha sentit la tristesse et le regret dans la voix de son ami, mais encore davantage la peur du rejet qui avait envahi son cœur à ce moment précis, il lui proposa de refaire un tour avant de partir car il voulait voir à quoi ressemblait cette déesse décrite par son ami.
Première boutique, elles sont là toutes les deux, à la caisse pour payer les livres achetés. Lélio se sentit prit d’une soudaine énergie en compagnie de son ami, il se colle à lui pendant qu’il le voit s’avancer sûrement et tranquillement vers elle, il se saisit d’un livre et semble chercher le moment adéquat pour approcher les jeunes filles, c’était sans compter sur le désistement de Lélio qui se sentait très mal à l’aise, car il s’est dit que sa démarche honteuse à sûrement dû être remarquée, et il n’avait pas besoin d’en refaire une deuxième. Il arrive à convaincre son ami qui se moque tendrement de sa complaisance exagérée, en allant vers la voiture les deux amis rigolent ensemble de cette étrange situation, pendant que Lélio semblait traîner dans son silence à intérieur le regret de toute une journée, de toute une semaine, peut-être même de toute une vie.
En ouvrant les portes de la voiture, Arsha lance un regard dirigé vers Lélio pour l’inviter à tourner les yeux, derrière lui se trouvaient les deux femmes, au milieu du Parking, pendant que la colombe éthérée admirer le ciel religieusement, son ami prenait des souvenirs photos à emporter, à consommer ultérieurement.
Pendant que la pluie tombée et que le ciel s’assombrissait Arsha insiste encore auprès de son ami. Emporter par l’immobilité de l’instant présent Lélio retrouve peu à peu son courage et regarde son ami avec des yeux certains, Arsha content s’élance vers les jeunes, pendant que Lélio le suivait au trot timidement, avec la peur au ventre, une peur inexplicable car depuis une semaine sa principale activité c’était d’aborder les gens, et malgré les rejets, les méprises et il ne s’est jamais décourager, mais cette fois-ci, qu’est ce qui est différent ? Pendant qu’il se posait la question silencieusement, Arsha se retourner vers et lui répond : C’est l’enjeu. Lélio, surpris s’éveille et regarde son ami avec admiration.
Arrivés auprès d’elles, Arsha s’introduit en captant l’intention des deux filles avec grandiloquence, pendant que Lélio timide, en silence, regarde tantôt l’une, tantôt l’autre. Les deux étaient absorber par les mots les explications bêtes précises d’Arsha, Il n’avait pas la moindre connaissance en poésie, pourtant on le regardait comme s’il était maître en la matière. Pendant qu’Arsha finissait d’expliquer le concept, Lélio attendait impatiemment d’entendre le mot que la femme en bleu allait prononcer. Elle se retourne brusquement vers lui, le regard droit dans les yeux, en esquissant un sourire bienveillant et reconnaissant dit : L’évidence.
Lélio lève la tête au ciel, essaie de suivre l’ange invisible venu murmurer la certitude dans l’oreille de cette créature éthérée. La pluie le tombe dans ses yeux, le temps s’était arrêter, une brèche s’était ouverte dans la réalité, un regard, un sourire, l’évidence la reconnaissance, un instant d’éternité.


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· Texte de Shimuya ·

Tout s’est joué en un regard, et tu n’es plus là.
Nuit d’ivresse me mène à toi ; les étoiles se confondent dans l’étang devant moi, errantes entre les quelques nénuphars et les âmes du ciel noir brillant dans mon iris larmoyant. Est-ce possible que mon reflet soit le tien ? Comme un bruit de criquet, un lampadaire à ma droite ; il ronronne tel une abeille, son écho réverbérant la poudre nivéenne teintant les troncs d’arbres. Eux aussi, ils doivent rêver pendant la dormance de mes illusions.
Je laisse mes papilles s’emplir de l’odeur sucrée mêlant rosée et Lui. Des flocons cristallisés se déposent délicatement sur mon crâne, mais son ombre les avale dans ses remous. Là, mon reflet n’est plus mien ; je perds la tête. Bouffée d’air. Une bourrasque presque aussi douce que le goût amer de nos lèvres pressées l’une contre l’autre s’abat. Narcisse ô Noe. Psyché, psychique délire ; tout devient flou, les sons sont songes, sonnets sifflants sonnants d’un seul être résonnent dans ton soupir. Les sens se fondent et s’abiment quand mon corps se dérobe ! Nue. Les couleurs ont perdu leurs toiles, elles se confondent et s’allongent ; roulent des gouttes d’eau salée sur mes joues ridées.
Chimérique. Tu m’inspires le néant, j’expire Toi. Nos pensées me font divaguer, mes joues s’empourprent au souvenir de ta voix prononçant ces quelques mots difformes. Ah ! Que c’est bon, l’air frais. Le temps passe, passe. Te rappelles-tu ces nuitées privilégiées que tu m’accordais ? Le goût exquis du secret alimentait ce désir interdit ; je ferme les yeux, le goût de la brise givrée envahit mes narines.
Et puis, je tombe, lentement, dans les abymes des souvenirs.
Cette fois-là, je me perdais au bord de Nous. Les couleurs oniriques s’envolent, virevoltent, se valent ; et se vautrent. Elles finissent toujours par composer un noir profond, absurde, mélancolique ; dans lequel je m’effondrais lâchement. Destin. Les pétales de cerisiers autour de moi dansent avec le vent séduisant, coquin ; effleurer les fleuves des corps ne devrait pas être aussi simple pour toi. L’effluve de tes mots embrasés me mène à une fleur des plus étranges, embrasée ; il faut la nourrir, cette flamme ! Un peu de bois, un peu de Toi. Je l’aime tellement que j’écris mes cris et crie ton nom, ton nom, ton nom ; ces lettres, si je les prononce, elles perdureront, et ce, à chaque seconde. J’aimerais tellement l’aimer ; mais je crois que je t’adore.
Tic. Tac. Un autre vieillard à ma droite. Quelle heure est-il ? Je me frotte les yeux abimés par le temps, perdus entre mille et une nuits. Ma main fripée sur mes cuisses tremblotantes ; oh ! Les étoiles se sont envolées… Je peux enfin poser ma tête sur ton épaule.
Et puis, je tombe, lentement, dans les prémices de ta nuit.
J’ouvre les yeux ; tu es là, et tout s’est joué en ton regard.


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· Texte de L. Gagnaire · 2ème place

Tout s’est joué en un regard. Pas besoin de mots. Elle avait tout compris rien qu’en le regardant. Il avait été décidé que toute la famille allait rendre visite à Papi. Cette visite, en maison de retraite, était loin d’enchanter Lise. Déjà qu’elle passait des vacances pourries, loin de tout et surtout de ses amies, il fallait en plus qu’elle se coltine le vieux. Les couloirs étaient austères et dès qu’elle fut arrivée, elle n’eut qu’une seule envie : repartir. Ils se rendirent à la chambre du vieil homme et après s’être fait la bise, chacun s’installa. Lise en eût rapidement marre et elle se leva.
— Je vais me chercher un truc à boire, informa-t-elle.
— D’accord.
Elle mit quelques pièces dans le distributeur et récupéra sa canette avant de traîner un peu.
— Hé ! Psssitttt !
Alors qu’elle était perdue dans ses pensées, elle releva la tête. Elle aperçut un vieil homme, à la porte de sa chambre.
— Et toi ! Lui dit-il. Oui, toi, rajouta-t-il alors qu’elle regardait à droite et à gauche pour être sûre que c’était à elle qu’il s’adressait. Viens ! Approche-toi !
D’une démarche peu rassurée, elle fit quelques pas dans sa direction.
— Allez ! Dépêche ! Je vais pas te bouffer ! J’ai pas mon dentier !
Elle s’approcha, énervée.
— Qu’est-ce que vous voulez ? Lui demanda-t-elle sèchement.
— T’aurais pas des bonbons ?
— Quoi ?
— T’aurais pas des bonbons ? Ici, ils nous interdisent tout, soit disant pour notre santé. Pas de trucs sucrés, pas de gras…
— Non, j’ai pas de bonbons.
— D’accord.
Il lui fit signe de la main de s’approcher davantage et elle se pencha vers lui.
— T’aurais pas un téléphone portable à la place, murmura-t-il. Faut que j’aille voir mon compte Tinder.
— Quoi ?
— T’es déjà sourde pour ton âge ou quoi ?
— Non.
— Alors me force pas à tout répéter. T’as un téléphone oui ou non ?
— Oui.
— Alors passe.
— Dîtes, vous pourriez demander plus gentiment, lui fit-elle remarquer.
— S’il te plaît, est-ce que tu peux me prêter ton téléphone portable ?
Lise attrapa l’appareil dans sa poche, à contre-cœur, et le lui passa.
— Vous avez besoin d’aide pour vous en servir ?
Il ne répondit rien. Il se contenta seulement de s’en saisir et de taper sur les touches avec une rapidité déconcertante.
— Merci, lui dit-il en lui rendant son téléphone.
— De rien.
— Allez, c’est l’heure de la douche. Il faut que je me prépare. Merci fillette.
Sans rien lui dire de plus, il ferma la porte de sa chambre. Elle retourna voir son grand-père.
— Ah te voilà ! T’en as mis du temps pour une simple canette, lui dit son père.
Elle s’assit sans rien dire et attendit que tout le monde se décide à partir pour se lever. Alors que ses parents discutaient avec l’infirmière, elle vit passer le vieil homme. Il s’arrêta lorsqu’il s’aperçut qu’elle l’avait vu. Il la regarda intensément, droit dans les yeux et elle comprit. Il ne fallait pas qu’elle parle. Il lui fit un clin d’œil, avec un grand sourire, juste avant de tirer sa révérence par la porte d’entrée ouverte.
Le lendemain matin, l’évasion du vieux faisait la une du journal. Louis Dupuis. C’était son nom. Son âge : 85 ans. Il avait, selon l’article qu’elle lisait avec beaucoup d’attention, fait une fugue sans que personne ne le remarque. Toutes personnes le rencontrant dans la rue étaient priées d’en informer la gendarmerie. Celle-ci avait lancé une enquête pour disparition inquiétante. Après tout, si le vieux, comme le surnommait Lise, était en maison de retraite, c’était parce qu’il perdait la boule et qu’il ne pouvait plus se débrouiller seul. Elle finit de prendre son petit-déjeuner et elle alla au marché avec ses parents.
— Ptissss ! Hé ! Petite !
Elle se retourna. Elle aperçut un homme entre deux stands. Une casquette sur la tête, des lunettes de soleil sur les yeux, il était à moitié caché par les vêtements qui pendaient sur des cintres du stand.
— Hé ! Gamine !
Elle le reconnu.
— Qu’est-ce que vous faites là ? La police vous cherche de partout ?
— Hé bien ils peuvent chercher partout, je suis ici. T’as ton téléphone ?
— Vous vous êtes enfuis !
— Écoute-moi, là-bas c’est n’importe quoi. Ils viennent te réveiller le matin à sept heures pétante pour prendre un petit-déjeuner dégueulasse et après ils me laissent sur ma chaise pendant toute la journée. Je m’ennuie à un point que tu ne peux pas comprendre. Les seules activités qu’ils proposent c’est la lecture du journal et des mots croisés. Tu m’as bien regardé ?
Il se calma quelques instants.
— Alors ? Ce téléphone, tu l’as ? T’inquiète, s’ils m’interrogent, je ne parlerai pas de toi, même sous la torture.
Elle sortit l’engin qu’elle lui passa.
— Mais qu’est-ce que vous allez faire, maintenant, tout seul ?
— Je vais retrouver de vieilles connaissances.
Le vieux continua de taper sur le clavier tactile. C’était impressionnant la dextérité avec laquelle il faisait ça. C’était pourtant pas de sa génération. Il lui rendit l’appareil et après un merci, il disparu à nouveau. Elle retourna auprès de ses parents, toujours à la queue du stand du boucher.
Une fois le repas terminé, elle se dépêcha de débarrasser la table et d’aider à faire la vaisselle. Elle n’avait qu’une idée en tête, retrouver Louis. Elle se dirigea directement sur son téléphone et elle regarda l’historique. Il avait effectué une recherche d’itinéraire. Elle prétexta une balade et elle suivit le chemin indiqué par son smartphone. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’elle arriva devant les portes d’un cimetière. Elle pénétra dans ce lieu calme et silencieux et elle sillonna les allées. Elle finit par le trouver.
— C’est ça vos vieilles connaissances ? Demanda-t-elle sans préavis.
Le vieil homme se retourna en poussant un cri.
— Ça va pas ! Lui dit-il. Tu veux ma mort ou quoi ?
— Je vous ai fait peur ?
— Oui. On approche pas les gens comme ça. Surtout dans un cimetière.
Il eut un moment de silence.
— Et puis, d’ailleurs qu’est-ce que tu fais là, fillette ?
— Je suis venue vous voir.
— Comment tu savais que j’étais là ?
— Grâce à l’historique.
— Grâce à quoi ?
— L’historique. C’est ce qui enregistre toutes vos recherches sur Internet.
— C’est fou. On est surveillé de partout. Et pourquoi tu voulais me voir ? Ne me dis pas que je te manquais…
— Je voulais juste être sûre que vous alliez bien.
— Ça pour aller bien, je vais bien. Ils m’ont supprimé le gras et le sucre. Hier, ils m’ont fait bouffer des trucs végétariens. Je pète la forme… oh Georgette ! S’exclama-t-il en pointant une tombe.
Elle le regarda se précipiter.
— Alors toi aussi, dit-il d’un ton las.
— Vous la connaissiez ?
— C’était une amie d’école. On avait à peu près le même âge.
Son regard se tourna sur la tombe d’à côté.
— Et là, c’est Éric. On faisait la fête ensembles. Je peux le dire maintenant, il m’énervait quand il faisait des blagues. Elles étaient nulles. Et on riait. Cet abruti n’a jamais compris qu’on ne rigolait pas parce que ces blagues étaient drôles mais parce qu’elles étaient nulles.
Il se tourna vers elle.
— C’est deux œufs qui sont dans une poêle. L’un des deux dit : pfff qu’il fait chaud ici. Alors l’autre œuf s’exclame : au secours. Un œuf qui parle. Tu le crois ça ? C’était sa préférée. Il l’a sortait chaque fois qu’il draguait une nénette. Autant te dire qu’il est resté célibataire un long moment.
Lise sourit. Il continua son chemin.
— Là, dit-il en s’arrêtant, c’est Hervé. Lui, c’était un intello. Toujours son avis sur tout mais quand il fallait agir, on ne le voyait pas.
Lise le suivit alors qu’il continuait de parcourir les allées.
— Regarde Giselle.
— Là Mireille.
— Et là…
Louis s’arrêta.
— Là, c’était la plus belle de toutes.
Lise regarda ce qui était écrit.
— Apolline Dupuis.
— C’était votre femme ?
— Oui.
Lise resta un long moment avec Louis. Il lui parla de sa femme, de ses enfants qui l’avaient oublié dans sa maison de retraite et de ce qu’il prévoyait de faire. Il n’avait aucune envie de retourner là-bas. Il était venu voir sa femme une dernière fois avant de partir.
Les jours suivants, le journal parlait toujours de la disparition de Louis. Tout le monde ignorait où il était. Seule Lise recevait quelques nouvelles. Louis se promenait ; faisait le tour de France.


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· Texte de Sandrine Drappier ·

Tout s’est joué en un regard. Sans aucun calcul logique. C’était un samedi matin brumeux, au bord du Doubs, sur le pont Battant. Je me rendais au collège. J’étais sans doute en retard. Je suis toujours en retard. Je devais marcher rapidement mais je ne m’en souviens plus. Il ne me reste plus rien, aucune mémoire de ce qui se passa ce jour-là, avant notre rencontre.
Il faisait froid et j’étais enveloppée dans un gros manteau vert. Mon cou entouré de cinq ou six rangs d’une écharpe, en laine rêche, rose. Sur ma tête, le bonnet bleu que m’avait tricoté ma grand-mère maternelle. Une sorte d’oiseau bigarré, un ara criard dans le morne matin. Et je l’ai vu, à l’autre extrémité du pont. Un grand échalas au corps de corbeau noir. Tout en lui respirait le vieux punk anarchiste qui rentrait chez lui,le pas traînant après une nuit de débauche, épuisé de trop de mots et de vin. Encore un littéraire, quoi !
D’habitude, j’aurais détourné le regard. Aucun dénominateur commun entre lui et moi. Le genre de garçon que je fuyais. Mais là, comme une évidence ! Ses pas parallèles aux miens déjà. Un, deux, dix, cent vingt-huit pavés franchis, minutieusement calculés, et à l’approche de la statue de Claude François Jouffroy D’abbans regardant la rivière en contrebas, son regard noir accroché au mien. En parfaite symétrie. Un deux-à-deux entre son regard pudique et le mien, effronté. Une attente en point de suspension. Un insolite court-circuit sans aucune marge d’erreur.
Aucun de nous n’a cherché à feinter, à s’esquiver. Son cerveau brumeux a juste mis un peu de temps pour réagir. J’ai coupé ce grand blanc qui s’installait avec la phrase la plus construite de ma vie. Une vraie démonstration mathématique.
— Bon, ben ça s’est fait
— Oui, on dirait bien !
— Il nous reste à faire connaissance quand même
— Ça a peu d’importance, non ?
Il avait raison. Malgré l’excès de rhum, il lui restait cette incroyable lucidité qui me stupéfie toujours. Je pensais, à ce moment là, qu’il ne serait qu’un échantillon médian, une variable dans la longue série de mes essais masculins. Je ne le visualisais qu’ en abscisse de mon king-size. Lui imaginait une autre équation.
— Il y a un bistrot que j’aime beaucoup un peu plus loin. Tu connais ? Le matin, ils servent des petits-déjeuners extra. On y va ?
Je me suis collée à sa hanche, sans proportion gardée. Le voyage fut exotique. Café brésilien, tartines d’avocat aux œufs mollets et purée de haricots rouges. Une combinaison explosive.
En sortant — ses Doc Martens flirtant aussi avec mes ballerines — nous avons prolongé la même ligne d’horizon. Longeant le Doubs, remontant le chemin de hallage, à l’ infini jusqu’à Casamène où se trouvait son appartement, fait de bric et de broc. Un singulier cabinet de curiosité où traînaient d’ étranges restes de monstres indéfinissables sur sa table de cuisine, cinq ou six canapés et un théâtre de marionnettes dans son salon, et clou du spectacle, des toilettes dignes de Versailles.
Cela n’a pas traîné. Le café brésilien avait dû le réveiller sensiblement. Sans mesure, sur l’axe de notre rencontre, il s’attaqua à mon ordonnée. Nos polynômes dérivant sur des courbes aléatoires. Enchaînant combinaisons à intervalles réguliers. A la cinquième ascension, j’ abandonnais toute hypothèse statistique. Il distribuait. Je recevais. Entre deux graphiques, je me laissais aller à toutes nos dérivations.
Au bout de quelques heures de calculs arithmétiques, la médiatrice complètement à plat, je me précipitais dans sa salle de bains. Après une longue douche bienfaitrice, je me remaquillais et recoiffais, prête à partir. Quelques bisous plus tard, je filais jusqu’à la porte. C’est alors qu’il me demanda où j’allais, si pressée.
Je lui fis remarquer que nos opérations avaient bien du me faire manquer trois heures de cours.
— Ah, tu es prof
— Oui, prof de maths au collège Victor Hugo, et toi ?
— J’écris des chansons, paroles et musique. Des poèmes aussi.
J’étais trop mordue pour relever toutes nos différences et les calculer. Déjà prête à conjuguer le verbe déguster à tous les temps du présent de l’indicatif.
— On se reverra ?
— J’en ai très envie
Il vint se camper devant moi avec précision. Son corps épuisé prêt à une nouvelle démonstration. J’en déduisis qu’il était temps de prendre la tangente. Ma main frôlant une dernière fois son inconnue.


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· Texte de Tuy Nga Brignol ·

Tout s’est joué en un regard. On dit souvent que notre regard trahit nos émotions. Et c’est vrai en matière de séduction et d’attirance réciproque mutuelle. Le regard d’une personne amoureuse est pétillant, rempli d’amour, de tendresse et d’admiration pour l’autre. Elle cherche constamment le regard de l’autre. Elle ne regarde pas simplement, elle voit. Là est toute la différence !
Le regard est certainement l’un des plus flagrants et des plus fiables parmi les signes d’attirance réciproque. Il peut se faire plus langoureux, voire insistant. Une personne attirée par une autre aura tendance à ne jamais la quitter des yeux. Lorsqu’il y a une attirance mutuelle entre deux personnes, il y a nécessairement des regards appuyés. La personne amoureuse est focalisée sur l’autre. Il y a alternance entre deux positions dans un regard amoureux. C’est un regard qui cherche et qui s’offre tout à la fois. Une personne amoureuse ne regarde pas l’autre mais regarde une lumière en l’autre.
Le cerveau humain est fortement programmé pour se plonger dans le regard d’autrui. Il existe un large réseau neuronal servant uniquement à l’action de regarder. Regarder quelqu’un dans les yeux durant une période prolongée libère de la phényléthylamine, responsable des sentiments en lien avec l’attirance, et produisant un effet d’euphorie. Les contacts visuels libèrent également de l’ocytocine qui favorise l’attachement. C’est dès le début de la relation amoureuse qu’elle est produite.
L’importance du regard a déjà été soulignée par Cicéron en 55 av. J.-C dans un de ses trois traités « De Oratore » : « Le regard est essentiel. Il permet de maintenir l’attention. Il permet de percevoir les réactions de l’autre : Les yeux nous ont été donnés par la nature, comme au cheval et au lion la crinière, la queue et les oreilles, pour traduire les mouvements de l’âme. C’est l’âme, en effet, qui anime toute l’action, et le miroir de l’âme c’est la physionomie, comme son truchement ce sont les yeux. Car si le visage est le miroir de l’âme, les yeux en sont les interprètes » (De Oratore, III, 22).
Dans nos relations avec autrui, la communication non verbale a une grande influence. Si nos paroles ont un impact certain, notre attitude, notre gestuelle, notre regard en disent bien plus que les mots.
D’après les spécialistes de la communication, 93% d’une communication serait non-verbale : 38% de cette communication est vocale (intonation et son de la voix), 55% est visuelle (expression du visage et du corps). Ce sont les yeux qui apportent de la crédibilité aux messages oraux. Notre interlocuteur adhère ou non à ce qu’il entend en fonction de notre regard qui donne à nos messages une grande partie du sens. Une durée trop longue de regard dans les yeux d’autrui risque d’être interprétée comme une attitude agressive, dominante. Une durée plus courte, à une attitude fuyante, soumise.
Par ailleurs, voir le monde sous un autre angle, que ce soit spatialement ou mentalement, peut nous faire découvrir des trésors cachés. Regarder à travers des yeux différents permet de trouver un tout autre point de vue. La racine du processus de découverte réside souvent dans la recherche d’une autre façon de regarder le monde. L’océan peut avoir une apparence très différente, selon que nous nous tenions sur le rivage, planions au-dessus dans un avion ou nagions sous ses vagues. De même, une montagne peut sembler très différente par rapport à l’endroit où nous nous trouvons. En fonction du regard, chaque individu voit le monde de son point de vue unique. C’est à chacun de bien s’ancrer dans le présent et de faire son choix parmi le champ des possibles. Il y a des expériences dans la vie qui peuvent nous sembler déroutantes, alarmantes ou inquiétantes. Le fait de nous tenir en retrait peut nous aider à apprécier une image plus large de ce que nous regardons. Ce faisant, nous découvrirons des mondes très différents.


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· Texte de Naïma Guermah ·

Tout s’est joué en un regard, celui de Rosa. Je rentrai vite à la maison après mon dernier cours pour cette journée. C’est ce que je fais depuis au moins un semestre, depuis qu’on a diagnostiqué à ma mère Rosa un cancer du foie. Elle est faible, souffrante et semble avoir lâché les armes depuis que mon père a rendu l’âme, voilà à peine trois mois.

Je l’avais trouvée encore recroquevillée dans son lit, espérant une présence humaine, la mienne. J’ai ouvert les persiennes pour aérer les lieux, j’ai passé un gant de toilette humide sur son visage blême, j’ai vérifié si je devais changer ses draps, et j’ai actionné l’aspirateur pendant qu’une soupe dansait sur le feu de la cuisinière.

Le soir est un moment magique entre nous qui sommes restées ensemble, en tandem. Je convainquis ma mère de décoller son corps du lit et de se mettre à table pour qu’elle puisse prendre des couleurs et pour que je puisse lui raconter ma journée et les bêtises que j’ai réalisées avec mes amies, pour que je puisse me régaler de son rire.

Après quelques menues bouchées, son visage s’illumina comme si elle revenait de loin. Elle décida alors de m’apprendre la nouvelle de cette journée.
— J’ai reçu l’appel de la clinique ce matin. Tout ira mieux pour moi si je trouve un donneur.
— Un donneur de quoi ?lui demandai-je. De sang, de plaques, Je ne comprends pas.
— Il me faut un bout de tissu de foie.
— Tu es sérieuse ?commençai-je à me moquer de ce que je venais d’entendre.
Je la vis gênée car elle-même ne savait pas si elle avait bien saisi les dires du docteur. Je me sentis coupable d’un coup. Coupable de m’être montrée arrogante et dédaigneuse à l’égard de cette femme illettrée qui m’avait portée dans son ventre, et qui, avec l’aide de son mari, a mis tous les moyens possibles et improbables à ma disposition pour que je puisse intégrer la grande école d’administration.

Le lendemain, j’accompagnai ma mère à la clinique pour qu’ensemble nous tirions cette histoire au clair. Le médecin lui confirma à elle et m’apprit à moi :
— Avec une transplantation hépatique à donneur vivant vous accèderiez plus rapidement à un greffon. Le don doit être uniquement intrafamilial.
Je lançai un regard penaud vers ma mère qui devine ma position et me rassure d’un sourire affectueux.
— Je suis la seule à avoir un lien de famille avec elle. Je suis prête à lui donner mon foie tout entier, mon cœur, mes yeux, ma chair, ma mère doit guérir, rebondis-je
Le médecin baissa un moment la tête ce qui me laissa penser que la chose n’est pas aussi facile que je l’eus cru. Il dit peu après :
— On va devoir vous soumettre à des examens. Voilà comment ça va se dérouler…
— Peu importe.

En sortant de la clinique, ma mère tenta de me dissuader de ma démarche en gestation. Elle me rappela que j’avais mes études auxquels je dois me consacrer et un avenir radieux m’attendait. Elle me conseilla de ne pas gâcher mon temps dans les salles d’hôpital et surtout à me tenir loin de ces questions de souffrances et de chirurgies. Je lui répondis que j’y aurais songé si j’avais une maman d’échange. Mais nous n’avons qu’une seule mère, et une mère c’est l’univers.
Le résultat de mes analyses était prêt et, coup de théâtre, rien ne correspondait aux données biologiques de Rosa. Le médecin médusé me fit part de son désarroi en me demandant :
— Est-elle ta mère naturelle?
Je sortis complétement sonnée de la clinique. Après vingt années d’existence on venait me demander si ma mère est vraiment ma mère ? Absurde. Au lieu d’aller à mon école, je pris inconsciemment la direction de la maison. Ma mère était toujours là, dans son lit, le visage tourné comme une vielle mayonnaise.
— Pourquoi t’es là Sonia, tu n’as pas eu cours ?
— Rien à foutre des cours, criai-je en pensant que c’est le moment opportun de passer à l’attaque.
— Mais qu’y a-t-il ma fille, tu sembles préoccupée.
Je regardai Rosa dans les yeux de façon à ce qu’elle n’ait pas l’occasion de fuir ma question que je trouvai moi-même bizarre d’un coup.
— Dis-moi qui est ma vraie mère, lui lançai-je.
Contre toute attente, le visage de Rosa s’illumina sur le champ comme si elle s’était débarrassée d’un lourd fardeau par un coup de baguette magique. Je sus alors que mes doutes étaient fondés.
— Tu ignorais que la science allait faire éclater cette histoire au grand jour, hein ? Tu n’es finalement qu’une pauvre ignorante et tu as foiré ta démarche de façon aussi bête que toi-même.
— Tu l’as si bien dit, Sonia. Je suis une ignorante. Ton père et moi étions trop employés à te donner la meilleure éducation qui soit. Tout autre chose était inutile à notre sens.
— Ah ! Tu parles d’inutile ! Comment avez-vous pu me cacher cette vérité tout ce temps, mon identité, mon histoire, mes racines. Mais même une ortie en possède, bon sang !
Je sortis de cette maison qui renfermait l’odeur de Rosa, la vie de Rosa, le mensonge de Rosa. Je partis chez mon amie Nathalie pour essayer de me remettre de toute cette sordide cacophonie. Une semaine passée chez Nathalie, sans fac, sans bêtises, sans rires juste l’abominable acharnement de mon esprit qui cogitait. J’entendais mon amie appeler sa mère maman et je compris pourquoi Rosa ne m’a jamais appris à l’appeler ainsi. Elle ne m’a pas trompée, Rosa. Elle a été intègre depuis le jour l’instant ou elle m’a prise dans ses bras. Elle ne m’a pas menti aussi. Sauf qu’elle ne m’a jamais dit la vérité. En fait, je ne savais plus où j’en étais.

J’ai pensé à mes études que j’ai délaissées depuis quelques jours. Où pourraient-elles m’emmener si le fil de mon histoire est rompu. Je ne sais si un oiseau peut prendre son élan sans avoir à ses pieds la terre ferme. Je n’avais rien à mes pieds, je ne pouvais ni m’élever, ni me poser, je flottais dans le vide de l’ignorance, comme Rosa.

La mère de Nathalie vint m’annoncer que Rosa va de plus en plus mal. Il semblerait que le paquet de traitements que l’on lui administrait n’a plus grand effet positif sur elle. Elle m’apprit qu’elle pourrait être au stade final.
— Il est clair qu’elle va s’en aller rejoindre son mari. Tous deux m’avaient tué avant de disparaitre.
— Sois clémente, Sonia. L’erreur n’est jamais intentionnelle.
— Tu appelles ce que je subis une erreur ? Eh bien non. Pour moi c’est de la malfaisance, pire que ça, cette femme m’avait abusivement soumise à son vilain nombrilisme.
Je n’arrivais pas à amnistier Rosa mais ce que l’on appelle la moindre des choses m’intima d’aller jeter un œil sur ce qu’elle devint.

Je franchis la porte du service cancérologie comme un fauve colérique. Je voulais en finir avec cette femme qui m’a baladée durant vingt années. Si jamais elle disparaissait avec sa vilaine imposture ! Restait que je sache lequel des fils par lesquels elle est branchée pourrait la torturer en étant coupé de son corps.

Rosa était allongée dans son lit le corps raide et étroit comme une baguette de pain moisi.

Impénétrable est la nature humaine. Depuis que j’ai su la nouvelle de ma bâtardise, j’ai détesté ma mère et je me suis désintéressé de sa maladie et ses douleurs, j’ai prié que son mari ne goûtât point au repos dans sa tombe mais voilà que des jours ont filé et mon cœur abattu come un pauvre arbre qui n’a rien demandé commençait à régénérer. L’agonisante avait pansé les blessures aux genoux de l’enfant turbulente que j’étais, m’avait acheté les plus beaux habits que je désirais, avait fêté mes anniversaires un à un, m’avait inscrite en cours de piano, m’avait accompagné dans mon cursus scolaire jusqu’à ce que je sois digne d’intégrer une école de renom.

Je me tins debout à sa droite en observant les machines qui évaluait le travail de ses organes. Je pris sa main dans la mienne et scrutai son regard triste et, chaleureux à mes yeux malgré tout. Je me revis couchée dans mon lit douillet au milieu de mes pantins et peluches respirant la santé, comblée et insouciante.
«Je ferai tout pour te sauver, maman » dis-je à Rosa.


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· Texte de Camille Goelands ·

Tout s’est joué en un regard. Une œillade entre la nouvelle souveraine, Althéa, et une jeune fille, une prisonnière. Le seigneur d’une autre contrée, intransigeant et dur, lui transférait des prisonniers en attente d’exécution. Althéa avait accepté sans grande conviction, n’étant pas adepte du régime que son compatriote appliquait, mais voulant conserver les relations stables pour le moment. Elle n’était au pouvoir que depuis peu de temps, la gouvernance était nouvelle. Ce qui était sûr c’est que la femme souhaitait que l’ambiance dans ses contrées ne s’améliore.
— Comme l’exige mon roi, nous devons procéder aux exécutions du jour, rassemblez votre peuple, annonça l’homme venu avec le convoi.
— Vous ne manquez pas de toupet dis-donc ! Non seulement vous venez chez moi en ayant plus ou moins forcé les choses, mais en plus vous me dictez ce que je dois faire ! N’oubliez pas votre rang et à qui vous vous adressez ! Ici vous êtes chez moi, et j’ai tous les droits en mes terres ! Vous pourriez visiter le cachot également ! siffla Althéa en se rapprochant dangereusement de l’homme.
— Mes excuses votre majesté… Il est juste de mon rôle de faire respecter l’organisation décrété par mon seigneur.
— Oui et bien vous allez attendre mon bon monsieur ! Les gens de mon royaume ont d’autres choses de prévu pour la fin de journée. Ils ont eu travaillé, sont épuisés, vous n’allez pas en plus les déranger avec vos exigences que je n’ai pas approuvé ! s’exclama la reine.
— Qui se souci du bas peuple ! pesta l’homme en levant les yeux au ciel.
Tous retenaient leur souffle pendant l’échange, n’ayant vu que peu de fois leur souveraine à l’action. Ils ne la connaissaient pas encore totalement, ne l’ayant pas cerné, ne sachant pas comment elle allait les gouverner.
— Moi je m’en soucie. Un royaume qui fonctionne et un royaume où on prend soin de son peuple. Maintenant hors de ma vue, ou je donne l’occasion à vos prisonniers de se venger de vous avant leur condamnation !
Les villageois eurent le sourire aux lèvres mais ne dirent aucuns mots retournant à leur occupation. Althéa tourna des talons, sa cape claquant dans son dos. De nouveau, elle croisa le regard bleuté de cette jeune prisonnière. Des prunelles si pure, si malicieuse en temps normale. La reine en rêva durant la nuit.
— Madame, pardonnez-moi de vous importuner aussitôt.
— Que se passe-t-il, Raphaëlla ?
— J’ai pensé que vous voudriez être au courant.
Althéa traversa le château en courant, son épée se balançant à sa hanche gauche. Elle fendit la foule amassée sur la petite place du village, l’atmosphère était lourde témoignant de la gravité du moment. La jeune prisonnière était sur un échafaud de fortune, une corde autour du cou, les mains attachées dans le dos rendant sa posture encore plus chancelante. L’homme de la veille se tenait derrière elle, tel un pantin il discourait sur les raisons de la mise à mort de la jeune. Beaucoup le huait, les justifications étant médiocres.
— Silence bande de scélérat ! Garde allons-y ! décréta-t-il en désignant la jeune malheureuse.
— STOP ! hurla Althéa puissamment faisant sursauter beaucoup.
Les gens se tournèrent vers elle.
— Approchez-vous de cette fille et je vous fais mettre aux fers avant de laisser mon peuple vous exécuter ! menaça Althéa en désignant le garde.
— Comment osez-vous ?!
— Je rêve, c’est vous qui dites ça ! Vous êtes sur mon royaume ! Je vous avais expressément dit d’attendre ! On vient me réveiller en catastrophe pour me dire que vous commencez des exécutions l’aube pointant à peine le bout de son nez !
Althéa s’approcha de la jeune à qui elle retira le nœud coulant.
— Doucement de ne pas glisser ma grande, souffla-t-elle en la maintenant.
— Il nous a forcé à nous rassembler, annonça un homme voyant que sa reine était à leur écoute.
— Pardon ?!
Plusieurs autres villageois confirmèrent les dires, l’homme accusé se défendit en disant qu’ils devaient obéir, ce qui ne fit qu’agacer un peu plus Althéa qui finit par le faire arrêter. Elle s’approcha de la jeune prisonnière, s’en allant pour mettre une main dans son dos elle découvrit ce dernier ensanglanté.
— Raphaëlla ramenez-la au palais et soignez-la s’il vous plaît.
La souveraine se pinça l’arête du nez réfléchissant. Elle voulait prouver à son peuple que l’ambiance général de leur royaume s’améliorait. Ce n’était plus une dictature, qu’elle-même serait plus souple, les écoutant, les aidants, qu’ils avaient davantage la parole qu’avec les précédents.
— Vous savez quoi, décidez ce que vous voulez sur lui, vous me ferez parvenir votre décision, déclara Althéa en se retournant.
— Vous n’avez pas le droit !
— Oh si j’ai tous les droits ! Et mon peuple a le droit de donner son opinion.
D’un pas rapide, la brune regagna son palais, trouvant la jeune fille et les domestiques dans l’infirmerie.
— Comment va-t-elle ?
— Ses plaies sont nombreuses, nous les avons nettoyées et pansées.
— Je vous remercie.
Elles s’effacèrent après une courte révérence, les laissant seules. La jeune jouait nerveusement avec ses mains, n’osant pas croiser le regard de la reine.
— Merci votre altesse de m’avoir épargné.
— Ne me remercie pas ma grande. Comment te nommes-tu ?
— Gwladys.
— Enchantée Gwladys. Pourquoi as-tu été condamnée ? N’aies crainte je ne changerai pas d’avis, je suis juste curieuse de savoir comment on peut condamner une jeune fille.
Hésitante, la concernée expliqua que sa maison avait brûlé la mettant sa mère et elle à la rue. Mais que déjà avant, elles étaient mal vu car la mère de Gwladys avait commencé à l’éduquer, lui apprenant un peu la lecture, les plantes et les avantages… Qu’un vendeur de légumes avait été payé par le souverain pour l’accuser de vol, puis une fois arrêté, le roi avait ajouté acte de sorcellerie… Althéa était outré, comment pouvait-on condamner quelqu’un de la sorte ?! Pourquoi instaurer la terreur ? L’adolescente lui faisait pitié, elle aimerait tant voir dans son regard de la joie.
— J’ai un marché à te proposer, commença Althéa.
— Tout ce que vous voulez si ça peut m’éviter la peine de mort ! s’exclama Gwladys en se jetant à genoux devant la reine.
Althéa la releva en lui tenant les coudes.
— Je t’offre l’asile, ma protection, l’éducation que tu souhaites, si en échange, tu m’apprends ton savoir sur les plantes, et que tu me donnes ton avis sur ma gouvernance. Je voudrai une ambiance moins stricte que mes confrères seigneurs.
— Toute l’éducation que… que je veux ? bafoua Gwladys pleine d’espoir.
— Bien sûr, ce que tu veux apprendre.
— Tout ! Je veux tout apprendre et découvrir ! s’exclama Gwladys le regard pétillant.
Althéa rigola face à cette réaction, lui mettant du baume au cœur.
— Je peux vous posez une question ? demanda Gwladys.
— Bien sûr.
— Pourquoi m’avoir sauvé ? Me proposer ce marché ?
— Il y avait quelque chose dans ton regard qui a fait que… Je ne saurais même pas expliquer concrètement pourquoi.
Gwladys l’enlaça heureuse, ses épaules se relâchèrent alors qu’Althéa lui rendait son étreinte.
— Qu’aimerais-tu apprendre pour commencer ? demanda Althéa.
— Lire et écrire. Je sais compter un peu, ma mère m’avait appris pour les tisanes médicinales.
Dans les semaines qui suivirent, Gwladys avait pris ses marques, débuté ses cours. Mais ce n’était pas tout, Althéa la missionnait pour apprendre les tisanes médicinales ainsi que cataplasmes aux guérisseurs. La protégée conseilla sa sauveuse sur pas mal de chose qui modifia la vie dans le royaume qui devînt plus légère, plus festive, Althéa ouvrant les portes du palais pour des bals où les villageois étaient les bienvenus. Baissant les taxes, commerçants plus dur avec les vendeurs extérieurs apportant plus de profit à son peuple. Gwladys lisait des histoires aux enfants du village avec l’accord d’Althéa qui aimait voir la nouvelle ambiance de son royaume. Peu importait les critiques qu’elle recevait par rapport à sa décision de sauver Gwladys sur un simple regard. La souveraine ne regrettait rien, bien au contraire elle en était heureuse.


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· Texte de Jacques Grange ·

Tout s’est joué en un regard. Puis elle a fermé les yeux, l’espace d’un instant. Quand elle les a rouvert, il avait disparu. Bien sûr, elle l’a cherché d’un regard circulaire et inquiet. Elle a aussi cherché dans les alentours mais en vain.
Alors lui est revenu en mémoire l’approche longue et délicate qu’elle avait dû opéré pour venir à sa rencontre. Il est vrai qu’elle avait eu, dans un premier temps, des difficultés à se décider. On lui avait tellement dit d’une part qu’il était très “‘particulier” et d’autre part qu’il était très difficile à rencontrer qu’elle avait longtemps hésité.
Elle en avait parlé à son entourage. Celui-ci, de manière générale et quasiment unanime, l’avait encouragée vivement à tenter sa chance en insistant et en lui prédisant que si elle ne le faisait pas, elle risquait de le regretter amèrement, peut-être durant toute sa vie.
Donc après moult hésitations et réflexions, elle s’était décidée. Elle avait pris un congé, dit au revoir à ses collègues à ses amis et à sa famille. Elle avait réservé un hébergement assez proche de l’endroit où elle pourrait le rencontrer. Elle avait pris l’avion. Elle avait fait un voyage assez long puis elle s’était installée dans un logement petit mais confortable.
Elle avait pris le temps pendant quelques jours de se “remettre” du décalage horaire et de s’habituer au climat qui était fort différent de celui sous lequel elle avait vécu jusqu’à présent.
Ensuite, elle s’était renseigné pour savoir quelles étaient les meilleures conditions pour le rencontrer. On lui avait dit qu’il était préférable de passer la nuit sur le lieu où elle devait le voir. Ainsi, elle serait à même de le rencontrer dès les premières heures du jour.
Elle dût donc quitter son logement car il se trouvait trop éloigné du lieu de rencontre. Après avoir loué une voiture, elle se rendit sur le territoire où il vit. On lui avait indiqué et recommandé une petite habitation où elle pourrai passer la nuit et, si on peut dire, être à pied d’ œuvre dès potron-minet. C’est donc le cœur battant qu’elle fit le déplacement vers la petite cahute qu’on lui avait recommandée.
Elle passa une nuit peuplée de rêves et d’angoisses. Avant le lever du soleil, elle se rendit à l’endroit qu’on lui avait conseillé comme étant le plus propice à la rencontre.
Une fois arrivée, elle attendit silencieusement et emplie d’espoir.
Et soudainement, elle l’entend, il n’est pas loin, il s’approche…
Il est là ! Oui ! Il était là, devant elle, le “Cagou”, cet oiseau rare et endémique de la Nouvelle Calédonie…
Elle était incommensurablement émue. Ils n’ont eu qu’un temps d’échange de regards très bref. car “sous le coup” de l’émotion, elle avait fermé les yeux et lorsqu’elle les avait rouverts, il avait disparu.

Quoi qu’il en soit, elle L’avait vu, une rencontre avait eu lieu et peu importe qu’elle fut extrêmement brève.
Il y a des instants fugaces qui valent une éternité !


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· Texte de Diaba Semega ·

Le sel de la vie

Tout s’est joué en un regard. Juste un.

Je ne parle pas d’un de ces regards superficiels qui partent d’une paire d’yeux vers une autre pour se sentir exister.
Non pas ces regards là.
C’était quelque chose de beaucoup plus profond, de beaucoup plus vivant, et d’infiniment plus intense que tous les regards qu’on a posé sur moi par le passé.
Son regard semblait provenir du fond de son être. Il m’a pénétrée jusqu’aux tréfonds de mon âme. Un frisson m’a parcourue de la tête aux pieds et à cet instant précis, malgré la chaleur écrasante de ce soleil au zénith, malgré ces gouttes de sueur que j’ai senti perler sur mon front, j’ai eu froid. J’ai eu comme le sentiment que je ne pourrais jamais rien lui cacher. Ni de ma vie, ni de mes sentiments, ni de mes secrets les plus profondément enfouis.
Je me suis sentie mise à nue et vulnérable. J’ai eu peur pour la première fois depuis un moment. Pas peur de lui. Bien au contraire. J’ai même trouvé dans la force de son regard quelque chose d’apaisant, de rassurant et de bienveillant. Mais j’ai eu peur de ce qu’il pourrait voir en moi. De ces choses que j’ai mi tant de temps, de soins et d’efforts à camoufler aux yeux du monde. Ces pensées sombres avec lesquelles je me suis retrouvée chaque fois que j’ai été laissée seule avec ma mémoire et mes remords.

Une partie de moi aurait aimé qu’il passe son chemin et qu’il m’ignore. Ou du moins qu’il fasse comme tous les autres jusqu’ici, qu’il se contente de m’observer en surface. Qu’il ne voit de moi que ce que je souhaitait lui montrer soit cette carapace imprenable de la femme forte. Celle qui reste de marbre devant ce qui étonne et surprend le commun des mortels. Celle qu’aucun homme ne saurait charmer et qu’aucune femme n’oserait défier. Celle qui n’a ni le temps, ni l’envie d’être importunée. Celle qui a finit de ressentir et qui se contente d’exister.

Une autre partie de moi s’en est réjouie. Comme si épuisée et lasse de ces combats interne, elle voyait en lui l’homme qui viendrait à bout de tous ces mensonges et de toute cette machination interne dont j’étais épuisée.

J’étais si fatiguée de prétendre que cette fois là l’espace d’un instant je me suis abandonnée à ses pupilles.
Ceux qui ont assistés à la scène n’ont peut être pas remarqué. Bien que je me tenais debout et droite comme un piquet, j’ai flanché. J’ai relâché toute la pression et je me suis laissée aller.
C’est parti du haut de ma tête. J’ai d’abord détaché ce chignon si tiré que mes yeux en paraissaient bridés. J’ai fait glisser l’élastique et comme s’ils se sentaient enfin respirer, mes cheveux se sont renversés sur ma nuque et sur le long de mes épaules. J’y ai passé mes doigts. D’abord en massant légèrement mes tempes. Puis en les caressant dans toute leur longueur. Comment ais-je pu oublier à quel point ils étaient soyeux.
J’ai prit une grande et profonde inspiration. Et en expirant j’ai senti une énorme pression s’en aller. Elle semblait partir du haut du chignon. Elle me tirait le front, me contraignant a regarder toujours droit et loin devant moi. Traversant ma nuque, elle maintenait mes épaules en arrière comme pour me donner l’air fière et toujours déterminée.
Une profonde inspiration, juste une.
Une fois l’air expiré, j’ai ouvert de nouveau les yeux et c’est comme si cette pression, en disparaissant avait laissé place à mes sens qui jusqu’alors n’avaient qu’une fonction pratique. J’ai perçu dans la chaleur du soleil ces caresses qui m’étaient adressés. Sur mes joues, le bout de mon nez. Sur mes avant bras, mon léger décolleté et sur mes mollets. De sa lumière, il a prit soin de caresser toutes les parties de mon corps que ma robe voulait bien laisser entrevoir.
J’ai senti dans une légère brise cette légèreté avec laquelle la beauté du monde s’offre à qui veut bien la percevoir.
La couleur et le parfum des fleurs, la grandeur et l’humilité des arbres. Ces marquages du temps et ces gages d’originalité présents sur chaque visages autour de moi. C’est comme si en une profonde inspiration, en l’espace d’un court instant, de nouveau je suis née.

J’ai de nouveau fermé les yeux, curieuse de voir si en inspirant plus profondément encore je pourrais de nouveau approfondir la réalité. Mais cette fois ci je voulais regarder dans le bleu de ces yeux qui m’ont tant perturbée. J’ai voulu voir et comprendre qu’est-ce qui dans le regard de cet homme avait déclenché chez moi une telle réaction, un tel élan de liberté.

Cette fois les épaules totalement relâchées. Légère comme le vent mais les pieds fermement enracinés j’ai prit une profonde inspiration. J’ai senti mon pouls battre la mesure pendant que mon cœur jouait les métronomes. J’ai souri intérieurement parce que pour la première fois depuis longtemps, j’ai prit conscience du fait que j’étais bel et bien en vie. À cet instant précis je me suis sentie en paix à l’intérieur de mon être. En phase avec toutes les émotions de l’instant. En sécurité malgré mes craintes. En paix malgré mes conflits internes. Je me suis donnée le droit d’être et je me suis juste acceptée.
J’ai expulsé l’air de mes poumons et j’ai ouvert les yeux pour pouvoir les plonger dans les siens.
Seulement il n’était plus là.
Prise d’un léger vent de panique j’ai regardé tout autour, au près puis au loin mais plus rien.
Il avait disparu aussi soudainement qu’il était apparu.

Je ne sais pas qui était cet homme. J’en viens parfois à me demander s’il s’agissait d’un homme. J’ignore les circonstances qui ont fait que nous nous sommes croisés.

Tout ce que je sais c’est qu’il n’aura fallu qu’un regard de cet homme pour me reconnecter à la vie. À l’essence du monde et à la lumière de mon âme.

A toi l’inconnu qui m’a aidé à retrouver le sel de la vie. Merci.


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· Texte de Jos Ros ·

Regard de lyre

Tout s’est joué en un seul regard. Julien ouvre les yeux, une cascade de points du jour, une petite lumière inonde son iris. Sa première pensée inaugure ce début de journée d’un soleil éclatant pour une sortie ce dimanche qu’il essaie de se préciser. Il se frotte les yeux, se remémorant le projet d’une randonnée dans la forêt de Roquefavour le long du canal de Provence entre l’aqueduc et le village de Ventraben. Il jalonnera le sentier botanique, en solitaire, décision qu’il a prise depuis la période d’épidémie virale qui secoue le monde. Puis comme une douleur douce après une piqûre de ronce et le bain dans une eau fraiche pour la calmer, il se rejoue la discussion qu’il a eue avec Isabelle, tout à fait inconnue avant sa rencontre fortuite à la médiathèque Méjane, à Aix-en-Provence, la veille.
Tout s’est joué en un seul regard.Venu écouter une conférence sur le langage des arbres, il prend note d’un poème de Victor Hugo cité par l’intervenant, au début des Contemplations ; il se rend immédiatement à la librairie la plus proche pour acheter ce livre, bien qu’il le possède déjà en version lassique Larousse, mais écorné et passablement blessé de tant de relectures, souvent tombé de ses mains, avant de sombrer dans le sommeil, caressé par les envolées lyriques du poète à barbe blanche. Dans l’espace réduit dédié à la poésie, il aperçoit une silhouette penchée sur le même rayon. Au même moment elle tend la main vers le recueil. Désolés, par politesse, ils proposent de le laisser l’un à l’autre. Il frissonne à l’envol de ce regard. Devant leur embarras, le libraire les rassure. Il a d’autres exemplaires en stock. La conversation s’engage. Elle s’appelle Isabelle, elle assistait à la conférence ; naturellement ils vont se retrouver autour d’un café dans la galerie attenante, le livre à la main, à la page où le poème revit : Le poète s’en va dans les champs. Leurs visages s’éclairent comme les feux du phare du bout des yeux. Le projet solitaire de Justin devient un projet à deux. Ils décident de traverser la forêt, le recueil à la main pour en écrire un autre, illustré par la marche imaginaire du poète qui s’en va…en forêt, avec eux.
Chacun se prépare, agréablement étonné de cette rencontre. Dans leur sac, carnet, crayons de dessin, appareil photo, une loupe et par superstition pour Isabelle, une boussole. Leur état d’âme sera écrit sur le papier recyclé. Mots qui s’échapperont comme des feuilles de monnaie du pape de la poches de leur pantacourt. Ne pas oublier le livre.
Devant le panneau d’entrée du massif forestier, ils lisent les indications précises et recommandations fortes pour ne rien abîmer ou prévenir des incendies. Les visuels ont été pensé pour être lus et décodés par tous. Ils découvrent la carte boursoufflée par l’humidité et la chaleur.
Julien tend la main à Isabelle sensible à cette marque d’affection. Pour ne pas répondre trop vite à cette sirène, elle prend quelques mètres d’avance sur Julien qui marque ce retard d’un sourire. Plus loin il lit à haute voix les deux premiers vers :
Le poète s’en va dans les champs ; il admire,
Il adore ; il écoute en lui-même une lyre ;
— à ton avis quelle musique t’inspire cet endroit où un pin salue notre arrivée ?
Sans attendre elle annonce ouvrant ses bras au pin :
— les quatre saisons de Vivaldi, non ?
— Pas mal, mais je pensais plutôt à harmonie du soir.
— Mais ce n’est pas une composition musicale !
Julien marque un temps ; pour lui, poésie et musique sont une. Plus loin, arrivés dans un espace non arboré, pas tout à fait un champs, Isabelle décline :
“Et le voyant venir, les fleurs, toutes les fleurs,
Celles qui des rubis font pâlir les couleurs,
Celles qui des paons même éclipseraient les queues,
Les petites fleurs d’or, les petites fleurs bleues,
Prennent, pour l’accueillir agitant leurs bouquets,
De petits airs penchés ou de grands airs coquets,
Et, familièrement, car cela sied aux belles”.
Julien, concentré, ses yeux rivés aux lèvres couleur d’œillet sauvage reçoit ces vers comme l’eau fraîche jaillie d’une source, une claque sur le visage. En même temps ils cherchent sur l’immense tapis déroulé sur la garrigue, ce qui est rubis, ce qui est couleur de roue de paon, ou or clinquant comme des pétales dorées, serti sur les colliers de reines, et bleu-ciel de myosotis. Ils ont déposé dans leur herbier imaginaire ce linge piqué par une couturière des champs, habituée aux cœurs cousus par les fils d’herbes vertes.
— Oui il me sied d’être cette belle, ou l’une de ces couturières ; tu en as connu beaucoup ?
Julien est surpris de tant d’arrogance. Et là encore sa réponse est muette. Isabelle prenant le ton d’une comédienne qui répète son texte, tel un merle moqueur, poursuit la lecture :
— tiens ! c’est notre amoureux qui passe ! Disent-elles.
Julien ne peut s’empêcher de déclarer qu’il est, depuis longtemps en pause d’amour. Dépit qu’il étale tous les matins comme du beurre sur la tartine du petit déjeuner qu’il aimerait enfin partager. Avec la rebelle qui l’accompagne ce jour ? Il poursuit, en lisant la suite :
“Et, pleins de jour et d’ombre et de confuses voix,
Les grands arbres profonds qui vivent dans les bois,
Tous ces vieillards, les ifs, les tilleuls, les érables,
Les saules tout ridés, les chênes vénérables,
L’orme au branchage noir, de mousse appesanti…”
Il reprend son souffle, s’assoit sur une roche blanche au pied du grand chêne centenaire qui s’ébouriffe au vent, offrant sa coiffure dentelée à Isabelle. Elle s’approche, se penche et dis à l’oreille de Julien :
— Et murmurent tout bas, C’est lui ! c’est le rêveur !
Julien rejoint à la course Isabelle, essoufflé, il la prend dans ses bras.
— Laissons le livre du poète !
Tous deux le déposent au pied d’un pin, heureux de son nouveau statut de gardien littéraire.
— Écrivons le nôtre.Tiens tu vois ces feuilles, nomme les arbres qui les portent.
Isabelle le regarde droit dans les yeux,
— tu me prends pour un benêt, comment dit-on au féminin, genette ?
Leurs rires résonnent dans le vallon qui débouche sur un bosquet dont les arbres sont des sentinelles variant leur couleur suivant les espèces, énigmes pour les peintres qui ont cheminé sur ces terres. Peintures connues et redécouvertes par nos promeneurs adeptes d’expositions programmées aux quatre coins de la région.
— Nomme cinq arbres et tu auras une récompense, sinon un gage.
— Chêne, pin, cyprès, olivier…
— Insuffisant, rattrapage si tu les cites par leur nom d’ici dans la forêt méditerranéenne
— Et puis quoi, en latin ?
— Oui, d’ailleurs ils étaient signalés sur le dépliant que j’ai pris à l’entrée.
— Tricheur, dis les moi quand même.
— cyprenus simpervirens, e cetera.
Fous rires ; Julien ponctue avec difficulté : pinus alepensis, quercus ilex, quercus pubescens, alba, junipenus oxycedra…
Ils roulent sur les herbes vert-tendres séchées par le soleil, offrant à la forêt les plus beaux rires en stéréo de leurs joues roses d’enfants heureux. La magie de la forêt les transforme en lutins. Ils reprennent leur marche, main dans la main, deux rêveurs apaisés par la découverte des espèces et leurs noms scientifiques, mais aussi par cette sensation de devenir unique et singulier, l’espace d’un temps suspendu aux aiguilles de l’horloge solaire. Le livre déposé au pied du pin a disparu. Isabelle lève sa tête :
— le voilà la haut sur la plus haute branche !Tant mieux !
De retour ils franchissent la barrière. Que s’est il passé depuis ? Ils vont retrouver la société telle qu’ils l’avaient quittée, il y a quelques heures. Non, une autre société est possible, ce que chacun appelle le monde d’après suite à cette malédiction sanitaire .
Aux portes du village tout proche, ils s’étonnent de voir une humanité masquée. Que s’est il passé en leur absence, le temps d’une promenade en forêt ? Simplement peut-être l’antidote virale la plus efficace, tout s’est joué en un seul regard quand on a que l’Amour à offrir en partage.


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· Texte d’Arnaud Boesch · 1ère place

La quintette de cuivres

Les oiseaux pépient leur bonheur autour de nous, ça me donne la nausée. Le printemps aussi, les fleurs, le soleil, les enfants qui jouent et les filles affichant leur décolleté, tout cela sent l’espoir de quelque chose qui ne viendra pas. Place de la République, comme pour exorciser un hiver trop rude, le gingko biloba centenaire exagère sa floraison, c’en est presque indécent. L’optimisme aveuglé des passants, leur insouciance, me sidéreront toujours. S’ils savaient qu’une fin peut être si proche. Je suis seul et j’ai froid, moi. Est-ce parce que je vis la nuit, est-ce parce que tout cela m’empêche de dormir, ou simplement parce que quelque chose s’est éteint à jamais?
C’était un matin d’avril comme on en fait plein depuis des millénaires, un matin identique à celui-ci. Les gelées de février avaient laissé place aux giboulées de mars, elle-même chassées par la rosée précoce d’un mois d’avril trop chaud (le plus chaud depuis que les températures sont enregistrées disaient-ils). Le soleil caressait sa peau au travers des carreaux mal lavés de la chambre de mon ancienne garçonnière du quartier de la Krutenau. Il réchauffait l’appartement dont nous avions ouvert les fenêtres la veille pour que nos voisins puissent nous entendre jouir au fil de notre étreinte de fin de soirée, une de celles dont on a honte le lendemain, quand nos regards se croisent au-dessus d’un café trop serré pour exorciser les démons et les vapeurs d’alcool de la veille. Enfin, la honte de faire l’amour et la garçonnière, c’était avant de la connaître. Elle, la seule, l’unique. Celle pour qui j’aurais donné ma vie et celle des autres aussi. Vous dévoiler son prénom ne servirait à rien, ou à pas grand-chose, si ce n’est l’identifier à votre voisine de palier ou à cette collègue de boulot du bureau d’à-côté. Elle, surclassant toutes les pépées qui passèrent cette porte, avait le regard de ceux qui ont quelque chose à dire, les cheveux bouclés qui ont cette odeur chauffante et sucrée, la peau âcre lorsqu’elle transpirait dans mes draps, le corps nimbé d’une sorte d’aura qui n’avait rien de mortelle. Elle, pour laquelle j’avais arrêté de fumer, m’étais mis ridiculement à faire du sport, stoppé définitivement de courir des jupons et échafaudé des plans d’avenir soigneusement organisés : la maison, le jardin, les enfants…
Après notre désormais classique réveil à 11h30 et le débriefing d’une soirée somme toute banalement excessive, nous sommes allés cuver ce qui nous restait de mauvais vin dans les veines au parc de l’Orangerie, ce petit havre de paix au milieu de la jungle strasbourgeoise. Là-bas, on y cueille des primevères en avril, c’était sa fleur préférée. C’est accoudés au kiosque, mêlé au son de ce quintette de cuivres qu’elle m’annonça notre inévitable rupture.
Silence. K.O. debout, j’encaissai en me demandant malgré tout si ce n’était pas un des nombreux effets secondaires des substances plus ou moins licites que j’avais alors l’habitude d’absorber. Silence. Ses excuses fusèrent : notre jeunesse et cette inexpérience, notre situation borderline, la crainte d’une lassitude, me reprochant au contraire notre intimité trop débridée, l’éloignement des amis à cause de notre fusion, les excès, la jalousie, la fidélité, l’infidélité. Plus elle voulait m’épargner, plus je me sentais persécuté. Comment n’y ai-je pas pensé avant ? Des détails surgissaient comme des évidences, et mon calme apparent n’avait alors d’égal que la violence de ce retour à une réalité que j’avais fui des mois durant. Si je fis à cet instant bonne figure, je savais que c’était le début de ma fin. Que ce fut pour un autre homme ou une fille m’était complètement égal, bien qu’elle jurait que non. Les « c’est pas toi, c’est moi » dont j’avais tant usé par le passé me revenaient en pleine tête, accompagnés d’un incompréhensible « je t’aime » en guise de conclusion. Fin du match.
Une heure après, elle avait fait son sac sans un regard, ce que je suppose, ne l’ayant moi-même pas regardée. Sur la table de nuit, comme une amulette, elle laissa alors la bague que je lui avait gagné à la fête foraine, cette fameuse soirée où nous nous étions embrassés pour la première fois.
Une semaine plus tard, j’avais abandonné mes études pour me lancer dans la musique, chose à laquelle je n’y comprenais strictement rien mais qui me permis d’éprouver le mythe du musicien entouré de ses groupies. L’alcool et la fumette firent rapidement place au crack et à l’héro. Les amourettes de fac remplacées par des coups d’un soir dans des taudis en échange de quelques grammes pour planer un peu plus au-dessus du morne quotidien de ce début d’été. La chute en avant continua lorsque mes parents me coupèrent le peu de vivres dont je disposais suite à l’annonce de mon éviction de la faculté de droit et mon soi-disant penchant pour la « débauche ». C’est vrai que pour devenir un homme, paraît-il, il faut savoir se débrouiller par soi-même. Ce qui devait selon eux me servir de leçon, me servit d’ascenseur vers le tréfonds. Si dormir à la belle étoile tout un été s’apparente à une chance, la caresse des nuits de septembre laissent vite place à la morsure du crépuscule de novembre, et les petits bourgeois qui venaient discuter le bout de gras sur les quai de l’Ill en août filèrent dare-dare préparer leur calendrier de l’Avent chez maman lorsque nous n’étions plus que trois à regarder le mercure frôler les -10°C, la nuit où Le Claude s’est fait emmener lors d’une maraude.
C’est le lendemain de cette glaciale soirée que je la vis à nouveau pour la première fois. Puisque le hasard fait bien les choses selon l’adage, j’aurais aimé cette fois ne pas le faire mentir. Son regard pénétrant n’avait pas changé, je devinais son odeur inoubliable, le grain éraillé de sa voix était tel que lorsqu’elle me laissât hier, seule sa tête enturbannée m’interdisait d’entrevoir cette chevelure d’ébène aux milles reflets que j’avais si souvent malmenée lors de nos étreintes passées. Et pour cause, la pâleur criante de son visage aurait dû me mettre sur la voie, tout comme les tremblements de ses mains maigres, ou ses lents gestes froids. En une fraction de seconde je compris ma méprise, lorsque j’osai lui demander « Cancer ? » elle me dit « Foie », je lui répondis « Depuis ? » elle rétorqua « Avril », me tendit un euro puis tourna le dos. Ce fut l’ultime fois que je la vis.
Quelques mois auparavant, aveuglé par mon nombrilisme, je n’avais pas reconnu ce geste d’extrême pudeur, cette volonté de m’épargner le partage des dernières heures d’une condamnée. Elle avait voulu me préserver de cette cynique réalité en me mettant volontairement hors-jeu, et mon égoïsme exacerbé ne m’avait même pas fait me questionner sur la raison de cette éviction.
Narcisse eut été fier de moi, me noyant dans ce torrent d’excès pour apaiser mon détestable égo.
Mais j’étais déjà tombé si bas qu’il m’était impossible de revenir à la surface. Dans mon bunker de carton, les vaisseaux dilatés par la vinasse que consentait à me vendre le gérant de la supérette du coin en échange du fait que j’aille dormir cent mètres plus loin, je passais un hiver presque agréable à côté du sien. On me rapporta que les chimios n’ont eu pour effet que de retarder l’inexorable, qu’elle fut sédatée en février pour partir quelques longues semaines après.
Ses obsèques ont lieu aujourd’hui, je me suis lavé lundi dernier, ça devrait aller en restant loin du cortège ; je passe le moins miteux de mes complets guenilles-haillons puis lui cueille un dernier bouquet de primevères, et ces putains d’oiseaux pépient leur bonheur autour de nous.


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· Texte d’Athénaïs Grave ·

Pique-nique en famille

Les oiseaux pépient leur bonheur autour de nous. Le soleil est éclatant. Des graines de pissenlit volent et se collent dans nos cheveux. Le sourire éclatant sur ses lèvres. Nous rions. Le temps s’est arrêté à l’ombre de ce grand chêne où nous nous racontons de vieux souvenirs. Où nous refaisons le monde. J’admire ma petite famille au grand complet. L’atmosphère est chaleureuse et légère. Un petit bouquet de fleurs repose sur la serviette que nous utilisons en guise de nape de fortune. Nous mangeons à la bonne franquette. Ma fille ouvre de grands yeux ébahis quand elle découvre un grand papillon, probablement un machaon, posé sur l’épaule de son grand-frère. La présence de l’insecte majestueux illumine leurs deux jeunes visages. Le rayonnement de leur joie rivalise avec celui de l’astre du jour.

Soudain, l’alarme de mon téléphone sonne. Le temps ne s’arrête jamais bien longtemps. Il est l’heure de plier bagage. De refermer la parenthèse. La bouteille d’oxygène est presque vide. Il reste seulement de quoi retourner à l’hôpital. Je range nos affaires, sachant que nous vivons sans doute les derniers instants de notre famille réunie. La réalité me revient en pleine face. Nous vivions un merveilleux arrêt sur image mais la télécommande de la vie à rappuyer sur play. Je croise alors son tendre regard qui me fixe. Son visage est barré par ce tuyau en plastique sous son nez. Maigre fil le retenant encore à la vie. Ses grandes pupilles courageuses semblent me dire, rassurantes : « Ne t’en fais pas Maman, tout ira bien. »


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· Texte de Dorothée Fourez ·

Des saisons

Les oiseaux pépient leur bonheur autour de nous, dans les arbres en bourgeons, ils tiennent conversation et ravissent nos oreilles à l’heure du coq, la brume matinale les rend invisibles. La campagne résonne de leurs babillages incessants, pourtant, la lune Illumine encore la voûte astrale. Ils s’éveillent et accueillent un autre jour. Ils annoncent le printemps et ses jeunes pousses, le retour du soleil et des fleurs colorant la nature, un renouveau enjolivant nos paysages.

Migrateurs ou pas, ils nous montrent le chemin vers de meilleurs lendemains, et l’été s’en vient. Dans leurs battements d’ailes un sentiment de liberté et dans leurs envols nos rêves d’ailleurs.
Mais attention, si leurs chants deviennent grondement, gare à l’orage et aux tremblements.. De concert, ils préviennent des dangers et s’enfuient vers des terres apaisées. Une fois, le péril écarté, ils réinvestissent nos jardins et leurs mélodies calment nos humeurs, quoi de mieux pour atteindre le céleste qu’une sieste aux sonorités enchantées.

Ils gazouillent et chantent, ils piquent et paradent, quelque soit leur plumage, leur ramage est une ode à l’amour et attise de vibrantes émotions, une aria d’allégresse.Et l’automne passe, pour quelques-uns c’est l’heure du départ et de retrouvailles incertaines. Pour d’autres, c’est l’attente patiente de nouveaux habitants.

Nous n’imaginons pas nous, humains, que dans les branchages se dissimulent des histoires de passions et de familles, d’illusions et de déchirements, de naissances et d’adieux. Simplement des vies aux creux de nids douillets, … les oiseaux pépient leur bonheur autour de nous, jusqu’aux prochains frimas.


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· Texte de Fiorine Donurb ·

Fiorine

Les oiseaux pépient leur bonheur autour de nous. Fiorine maugrée : « Toute la nature a l’air heureuse, mais personne ne voit ma tristesse… »
Fiorine s’en voulait tellement… Oui, tellement d’avoir été trop gentille… Quand est-ce qu’elle redeviendrait de nouveau rayonnante comme ces oiseaux ? Quand ? Oh, pourtant, sur le papier, elle avait tout pour être heureuse : une bonne santé, deux beaux enfants, une maison, un travail qu’elle adorait, une famille bienveillante et un amoureux si charmant… Enfin, pas si charmant en réalité…
Fiorine était spontanément empathique depuis toute petite… Elle était l’aînée d’une fratrie de sept enfants et elle aimait s’occuper de ses petits frères et sœurs, jouer avec eux, les consoler, les écouter quand ils avaient un secret à lui confier, et réciproquement. Et c’est tout naturellement qu’avec ce trop-plein d’empathie, elle devint psychologue pour enfants.
Côté cœur, elle rencontra un amoureux. Il était charmant et attentionné : il lui mitonnait de bons petits plats, la submergeait de compliments et de cadeaux : des robes hors-de-prix, des bijoux, des week-ends en amoureux à l’hôtel… Tout alla très vite : la maison, la grossesse… Ah là, les oiseaux pouvaient pépier leur bonheur !
Et puis, la dégringolade… insidieuse… Fiorine passa le premier mois après la naissance de leur fils à pleurer… Oui, à pleurer ! Elle ne l’aurait jamais cru… Pourtant, elle avait tout pour être heureuse ! Oh cela devait être le baby-blues…
Quand même, certains comportements de son si charmant amoureux l’avait déçue… Le premier soir lors du retour de la maternité, il avait hurlé sur leur bébé qui pleurait alors que, le pauvre, il souffrait car il avait des coliques et un reflux gastro-œsophagien… Ensuite, son si charmant amoureux avait passé tout son congé de paternité à la pêche avec ses « potes »… « De toute façon, c’est toi qui l’allaite, je ne vois pas ce que je pourrais faire ! », lui répondait-il quand elle lui réclamait d’être davantage présent…
Enfin, Fiorine se résigna en se disant qu’après tout, son si charmant amoureux n’était peut-être pas à l’aise avec les nourrissons et qu’il redeviendrait attentionné lorsque leur bébé grandirait… Et puis, sa belle-famille était très gentille avec elle et sa mère vint l’aider lorsque leur fils eut un mois…
Toutefois, le bébé grandissait et son si charmant amoureux devenait de moins en moins attentionné jusqu’au jour où il lui annonça en fanfaronnant : « Ça y est : j’ai une maîtresse ! » Elle écarquilla les yeux et lui demanda si c’était vrai car il aimait faire des blagues… En voyant sa réaction, il répondit que, bien sûr, il plaisantait ! Elle eut un doute, mais ferma les yeux car elle voulait s’accrocher à cet idéal de famille, à SON idéal de famille… Quoique, très franchement, elle trouvait que son amoureux était de moins en moins charmant…
Tant bien que mal, la vie continua son cours… Fiorine reprit le travail, s’occupait de son bébé tandis que son amoureux pas si charmant était de plus en plus absent, ne l’aidait pas et commença à la critiquer : « Tu as un Master deux en psychologie, mais tu ne sais même pas t’occuper d’un bébé ! » Oui, c’est vrai, leur fils dormait peu, se réveillait souvent la nuit et était agité… Fiorine était de plus en plus fatiguée et commença effectivement à douter de ses capacités à élever un enfant… Lorsqu’elle était au bord de l’épuisement, elle se demandait à quel moment elle avait bien pu s’embarquer dans cette galère… Mais, elle se disait qu’après tout, c’était peut-être ça la vie de couple…
Et puis, de temps en temps, lorsque vraiment son amoureux pas si charmant sentait qu’elle était au bout du rouleau et qu’elle risquait de s’échapper, il enfilait de nouveau son costume de prince charmant et l’emmenait au cinéma ou au restaurant… Quoique, le restaurant, Fiorine n’aimait plus trop s’y rendre avec lui car elle trouvait sa conversation stupide et il passait son temps à s’extasier sur la beauté des serveuses… Elle se demandait bien ce qu’elle avait pu trouver de charmant chez son amoureux…
En outre, Fiorine, qui était trop gentille, n’aimait pas les conflits et faisait tout pour les éviter, c’est pourquoi elle acceptait beaucoup de compromis. Enfin, plutôt, elle se pliait aux désirs de son prince pas si charmant en pensant qu’après tout, c’était peut-être ça la vie de couple…
Jusqu’aux premiers coups… sur leur fils de trois ans… avec un bâton… soi-disant pour le punir… car il n’avait pas été sage à l’école…
Autant Fiorine pouvait accepter tous les caprices de cet homme pas si charmant, autant elle ne put supporter qu’il s’attaque à leur fils au nom de principes éducatifs obsolètes… Elle s’y opposa fermement. Mais, le lendemain, lors de la douche de son petit, elle vit qu’il avait un hématome de la taille d’un œuf sur la fesse gauche : « Papa t’a puni ? » Décidément, son homme pas si charmant se fichait éperdument des convictions de Fiorine… Hum, quand même, c’était ça la vie de couple ?
Jusqu’aux premiers coups… sur elle cette fois… car elle avait découvert qu’il avait une maîtresse… en regardant dans son téléphone… Après tout, comme il le lui avait expliqué : c’était de sa faute, elle n’avait pas à fouiller dans son téléphone !
Cette fois, elle se dit que, non, vraiment, ça ne pouvait pas être ça la vie de couple… Elle annonça à cet homme pas si charmant et un peu violent qu’elle allait le quitter…
Quel miracle ! Le lendemain, il arriva avec un bouquet de roses rouges, une bague en diamant, un discours charmeur avec des excuses et une demande en mariage ! Fiorine fondit… Après tout, c’était peut-être ça la vie de couple… avec des hauts et des bas… Et puis, ça n’était arrivé qu’une fois… Elle s’accrocha à cet idéal de famille, SON idéal de famille…
Ah, avec ces fiançailles, elle se dit qu’elle allait enfin retrouver son amoureux si charmant, les oiseaux pourraient à nouveau pépier leur bonheur autour d’eux !
Mais non, la dégringolade se poursuivit… de plus en plus profonde… Cet homme pas si charmant et de plus en plus violent la critiquait constamment, la battait et lui faisait du chantage affectif pour qu’elle se soumette à ses fantasmes sexuels : « Tu es ma femme ! Si tu ne veux pas assouvir mes pulsions sexuelles, j’irai voir ailleurs ! » Elle obéissait pour lui faire plaisir, sans même savoir qu’il avait déjà un harem à l’extérieur… Décidément, elle était vraiment trop gentille… Elle lui cherchait des excuses : il n’avait pas eu une enfance facile, et puis, c’était vrai que depuis qu’elle était maman, elle avait moins de temps à consacrer à son homme… Mais, la vérité (qu’elle n’osait s’avouer), c’était qu’elle n’était plus amoureuse de cet homme pas si charmant et très violent, et qu’elle se sentait tellement dévalorisée qu’elle n’avait même plus le courage de partir… Elle eut même un autre enfant avec lui… Ah, elle s’accrochait à SON idéal de famille…
Et tout d’un coup, patatras ! Tout s’écroula ! Ce fut la maîtresse de trop ! Le coup de trop ! un bras cassé… juste après la naissance de leur second fils…
Elle porta plainte à la police et fut reçu à l’unité médico-judiciaire où elle rencontra un médecin et une psychologue. Elle entendit les mots : violences conjugales, pervers narcissique, dévalorisation, infidélité, manipulation, exploitation, déni… Le dernier mot résonnait dans sa tête : DÉNI, oui…le DÉNI… Elle s’était tellement accrochée à SON idéal de famille, à sauver les apparences, qu’elle s’était perdue en route… Et pourtant, elle était psychologue ! Elle aurait dû se rendre compte que cet homme pas si charmant la manipulait depuis le début ! Ah, elle s’en voulait de s’être laissée piéger…
Heureusement, les oiseaux lui pépièrent : « Ne culpabilise pas Fiorine, tant que les victimes sont dans la relation toxique, elles ne se rendent pas compte du manège pervers de leur bourreau… N’oublie pas que ton prénom vient du mot latin flos qui signifie fleur et qu’un jour le bonheur éclora de nouveau sur tes pétales ! »


Et pour terminer cette sélection, je vous présente le mien, hors concours, d’inspiration Hemingway saupoudrée de mystère :

bike chain number one

· Texte d’Amelia Pacifico ·

C’était juste pour rire, vraiment.
Après tout, quand on y pense,
nous n’étions que des enfants
Sans conscience des conséquences…


Merci à tous pour vos participations et lectures !

A bientôt 💋

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