Participations au Rendez-Vous des Plumes – Avril 2023

Bonjour à tous !

Voici les participations du mois d’avril, réalisées à partir d’une liste de mots choisie parmi trois sélections proposées… 😊 Belle lecture !

Les textes ne sont relus qu’au moment de leur publication, et ce uniquement dans le but de vérifier qu’ils ne contreviennent pas au règlement de l’atelier d’écriture. Si le cas devait se produire, le texte ne serait tout simplement pas publié, sans autre recours possible de son auteur. La Petite Boutique des Auteurs n’est pas responsable des coquilles, fautes d’orthographe, syntaxiques ou grammaticales éventuellement présentes dans les textes qui participent au Rendez-Vous des Plumes. Merci d’en prendre note avant lecture.
___ Amelia


Thème-guide d’avril : Structure (non obligatoire dans le traitement de la consigne)

Type d’inspiration : Mots à intégrer au texte

⭐ Inspiration n°1

Berlingot – Raturer – Chocolat – Jupe – Chien – Soumission – Mystère – Classement – Vote – Fin

  • Yza

Comme à chacun de leur séjour à la montagne ils passaient à la boutique Au berlingot doré de la station. Là ils pouvaient faire le plein de friandises et chocolats. Toujours au premier rang dans le classement des confiseries des Pyrénées, le magasin minuscule à la devanture colorée ne désemplissait pas.
Tandis que Julien attendait sur le trottoir avec leur petit chien Hector, Sandrine poussa la porte vitrée pour ressortir bientôt avec un énorme sac en papier à la main.
En cette fin de journée hivernale ils étaient contents de rentrer se mettre au chaud après une journée de ski. Pendant que Julien remplissait et allumait la bouilloire pour préparer du thé et qu’Hector, après avoir sauté sur le canapé, tourné trois fois sur lui-même et éternué bruyamment, s’allongeait pour sa sieste, Sandrine entreprit d’ouvrir le courrier accumulé pendant leurs trois semaines d’absence.
Rien d’important excepté un envoi du syndic de copropriété du vieil immeuble dans lequel ils avaient acheté leur appartement. Sandrine fronça les sourcils en prenant connaissance du contenu de la lettre. L’assemblé générale extraordinaire, qui devait se tenir la semaine prochaine, comprendrait la soumission au vote du projet de rénovation de la façade, laquelle menaçait de s’écrouler selon l’expert mandaté par un copropriétaire nouvellement arrivé. Par quel mystère l’immeuble avait-il affronté les décennies sans aucun problème et devait-il tout à coup absolument faire l’objet d’un renforcement de sa structure, faute de quoi il s’effondrerait sur la chaussée et ses habitants assez fous pour avoir refusé les travaux ?
Pendant que Julien déposait sur la table basse les tasses, la théière et surtout les délicieuses sucreries achetées tout à l’heure, Sandrine lui révéla ce à quoi ils devaient s’attendre vendredi prochain.
— En plus ces cons ont décalé la réunion à 19h, on devait aller manger à la Cascade avec Fred et Christophe, fait chier !
Julien la regarda de travers, il détestait qu’elle soit grossière mais parfois se lâcher lui faisait du bien, les gros mots faisant s’envoler sa colère.
— Je les appellerai tout à l’heure, calme-toi. On pourra remettre ça au lendemain, rien de grave…
Elle leva les yeux au ciel en le remerciant pour la tasse qu’il lui tendait et engloutit d’un seul coup un énorme chocolat fourré d’un feuilleté praliné délicieux.
Après avoir diné, Julien comme promis appela leurs amis. Sans impératif ce week-end là ils acceptèrent sans soucis le report de leur soirée au restaurant et Sandrine put modifier sur son smartphone l’emploi du temps de vendredi et samedi.
Elle put également raturer dans les cases du grand calendrier accroché au mur de la cuisine le mot RESTO pour y accoler AG 19h. En voulant ranger le crayon dans le pot posé sur l’étagère en bois qui supportait également quelques plantes vertes, elle remarqua une fissure dans l’angle à droite du calendrier. Intriguée elle s’approcha et constata que la fissure courait du sol au plafond, s’élargissant au fur et à mesure qu’elle montait. Sur la pointe des pieds, elle put même atteindre un endroit où elle pouvait faire rentrer le crayon qu’elle avait gardé à la main. Elle pouvait presque l’y faire disparaitre entièrement.
— Julien ! Viens voir !
— Pfff, sacrée fissure ! Il faudra en parler vendredi, peut— être qu’il a raison finalement le parano du rez-de-chaussée.
— Mais en attendant, qu’est-ce qu’on fait ? C’est grave tu crois ?
— Mais non ma chérie, cet immeuble est là depuis la nuit des temps, les murs bougent un peu c’est normal, surtout avec le froid de l’hiver.
Se collant à son dos il l’enlaça et commença à l’embrasser dans le cou.
— N’importe quoi, qu’est-ce que tu y connais ?
— J’y connais rien c’est vrai mais je sais qu’il fait froid, et que si ça continue je vais geler sur place si personne ne me réchauffe…
Tout en continuant à effleurer sa nuque il glissa ses mains sous sa jupe. Elle se retourna pour l’embrasser et caresser ses reins sous son pull.
Quand ils se retrouvèrent sur leur lit Hector se mit à aboyer soudainement. Comme ce n’était pas dans ses habitudes ils cessèrent pour l’appeler. Mais Hector ne répondait pas et ses aboiements se transformèrent en jappements apeurés. Intrigués ils se levèrent pour trouver leur chien devant la porte d’entrée, tournant sur lui-même et semblant paniqué.
— Il doit vouloir faire ses besoins… Pfff, il est tard et il fait vraiment froid.
— J’y vais, dit Sandrine. Je ne serai pas longue et tu peux m’attendre nu sous la couette murmura-t-elle avec un sourire en coin.
Pendant que Julien essayait, en vain, de calmer Hector, Sandrine s’habilla chaudement et saisit la laisse accrochée au portemanteau de l’entrée. N’ayant pas allumé la lumière elle ne vit pas la fissure à moitié dissimulée par les manteaux. Attrapant Hector elle sortit rapidement de peur qu’il fasse ses besoins à l’intérieur.
— Je fais vite souffla-t-elle à julien en l’embrassant sur la joue. Elle rit de son air malheureux.
Sandrine ne comprenait pas son chien. Elle l’avait amené tout de suite dans une partie boisée du quartier où il pouvait tranquillement se soulager, mais il restait près d’elle et tirait sur sa laisse dans la direction opposée à l’immeuble, puis aboyait et changeait de direction, aboyait encore et encore.
Soudain un grondement sourd se fit entendre, suivi d’un fracas épouvantable. Hector se mit à hurler et Sandrine, inconsciente de ce qui se passait, s’agenouilla pour essayer de le calmer.
Des lumières s’allumaient aux façades endormies, des volets et même des fenêtres s’ouvraient sur des visages curieux de comprendre la signification de ce qu’ils venaient d’entendre.
Soudainement prise d’une angoisse indescriptible, Sandrine courut, son chien dans les bras, vers la rue où ils habitaient. Aux ténèbres de la nuit hivernale se mêlait maintenant une poussière fine qui pénétrait dans son nez et sa gorge et la faisait tousser. Des gens sur le trottoir parlaient entre eux et elle entendit les mots immeuble, effondré, catastrophe. Arrivée dans sa rue un pompier l’arrêta et levant la tête elle constata l’effroyable : en lieu et place de la façade de son immeuble il n’y avait qu’un tas de gravats, les trois étages s’étaient effondrés sur eux-mêmes, entrainant la toiture et ensevelissant les occupants. Les pompiers à la lueur des torches essayaient de déblayer les pierres et les poutres enchevêtrés.
Lâchant Hector qui se précipita vers les décombres, Sandrine hurla : Julien ! Mais il ne pouvait pas l’entendre. Plus jamais il ne l’entendrait.


  • Aurore Nivelle

Tout en un,
Tout en chacun,

Un mystère,
La voie,
La voie du mystère.

La voix,
La résonnance,

Pour entendre une voix,
Au fond de soi,
Tout au fond de soi,

Celle d’un chien qui résonne,
Dans son cœur,
Dans le cœur,

Pour ainsi vibrer,
Pour ainsi résonner et,
Livrer ses mystères.

Alors voilà qu’un tiers s’en mêle et s’y mêle pour se glisser, dans l’histoire, sous la jupe de sa maîtresse et,
C’est qui ?
C’est Nestor,

Ce n’est que Nestor,
Le chat de la maison,
Qui fait des siennes,
Qui fait sienne de sa maîtresse,
De sa maîtresse de maison,
Pour ainsi lui caresser et lui frôler les jambes, sous sa jupe fendue, défendue,
Et lui faire des lèches, de la lèche devant le chien « Dourinba », de son prénom.

« Douri » pour les intimes, comme aime à l’appeler ainsi sa maîtresse,
Sa maîtresse de maison,
Sa maîtresse, de la maison.

Tout dodu,
Tout doux,

Doux,
Tout doux,

Est « Douri »,
Comme il aime à être appelé ainsi,
Par sa maîtresse,

Préférée et,
Adorée.

« Douri »,
« Doudi », « Doudi wap »,
Comme aime fredonner et chantonner, sa maîtresse.

« Douri ! »

« Doudi » jappe,
« Doudi » aboie,
Comme aime lui répondre « Dourinba »,
Pour lui prêter attention, affection et lui dire qu’il l’aime à la folie,
Follement !
Inconditionnellement.

Mais voilà que « Douri » est soumis et,
Fait preuve de soumission devant ce chat,
Ce chat de maison,
Ce chat de la maison,
« Nestor »

« Nestor Burma », l’enquêteur, le policier …
Non !
Il n’a pas inventé,
L’eau chaude,
Ni,
Le fil à couper le beurre !

Quoi de plus naturel alors,
De s’enfuir,
De prendre la fuite et,
D’aller chercher,
Quoi ?
Du chocolat,

Planqué dans le sac à main de sa maîtresse,
Qui a laissé traîner son sac par terre, dans la maison,
Et qui planque toujours du chocolat en tablette au fond,
Avec des petits morceaux tombés tout au fond de son sac, dans ce fond de sac.

On peut y voir et apercevoir du chocolat et aussi des berlingots multicolores,
Colorés à souhait,
Un mélange de vert et de rouge,
La menthe et la cerise,
Quel mélange !
Savoureux,
Non ?
Vous ne croyez pas !

Ni vu, ni connu, le petit chien Dourinba,
S’en va en douce,
Chercher dans le sac ouvert, dans ce sac à main de sa maîtresse à lui et rien qu’à lui,
Des billets,
Non !
Du chocolat,
Oui !
Qui est le pêché mignon de Nestor,
Ce fabuleux chat aux poils longs et tellement si gentil.
Quel adorable petit chat, câlin !

Il ne va pas résister devant tant de tendresse et de douceur chocolatées,
Il va fondre !
Fondre en larme.

Il va succomber,
Comme une masse,

Devant ce délice,
Si délicat et si intense … et,
C’est le cas de le dire,
« Succomber »,

Quel raffinement,
Quel supplice,
De le voir dévorer cette douceur sucrée,
Si ensoleillée,
De tendresse,
D’amour et,
D’affection,
Par sa maîtresse,
Qui aurait dû le déguster à sa place.

Quelle audace,
De voir Nestor,
Me narguer,
Moi « Douri »,
Devant tant de sucrerie,
Apportée avec le cœur,
Par ce tendre « Douri » !,
Qui a le cœur sur la main et,
Qui par délicatesse et gentillesse,
Nourrit son chat préféré,
Celui de la maison toute entière.

Mais voilà que Nestor est pris de vomissement, d’étourdissement, de palpitations, qui a les yeux globuleux, ensanglantés et qui s’agite dans tous les sens, qui n’en finit pas de geindre, de s’agiter et de me regarder, moi « Douri » pour lui apporter du secours, de m’appeler au secours …

Il n’en finit pas et,
C’est le cas de le dire,
Il tarde à finir !
A en finir !

Et voilà ce qui se passe, quand on est classé deuxième dans une maison,
En deuxième position,
Quand on se classe à la traîne,
Quand il y a un classement,
Quand il y a une sélection,
Faire de la sélection,
Dans l’anti-sélection et,
S’apercevoir que le premier, n’est pas toujours celui qu’on soupçonne, que l’on croit,
Qu’on agit à patte de velours,
Avec discrétion,
Avec agilité,
Avec délicatesse.

Etre ou ne pas être,
Telle est la question.

Etre et faire,
Du mal aux autres,
Aux siens,
Aux nôtres,
N’est que mal venu,
Mal attentionné et,
Abouti au final,
A la fin,
A un classement,
A un vote,
Celui de la degenerescence
De son psychisme et,
De sa psyché,
Qui ne va pas bien,
Qui est tordue.

Alors au final,
Finalement,
Ne jamais regarder de travers un chien de la maisonnée, sous une jupe fendue, déshabillée,
Déshabillé du regard et,
Le regarder de travers,
Serait malvenu et,
Le chien de la maisonnée, assoiffé de vengeance,
Viendrait peut-être à raturer de l’histoire de la maisonnée,
Un chat, hypocrite et sélectif.

Morale de l’histoire, ne jamais sous estimer un être soumis et notamment le chien d’une maisonnée qui pourrait peut-être prendre ses désirs pour des réalités et comme le dit si bien l’expression, « un chat échaudé craint l’eau froide »….


  • Patricia Forge

Une histoire de famille
Occupée à sucer un berlingot, Caroline paraissait très concentrée, en plein classement de ses recettes de cuisine. Raturer, gribouiller n’était pas dans ses habitudes. Chez elle, la cuisine était un domaine structuré, organisé. Et les recettes se devaient d’être écrites à la main, avec un titre souligné, et classées dans un joli classeur dédié à cet effet.
Chez Caroline, il n’y avait pas la place à l’improvisation, au mystère. Tout le contraire de sa fille, Louise, qui aimait se battre avec la batterie de casserole en pagaille, et mettre les ingrédients en fonction de ses envies. Elle ne respectait que partiellement les instructions, les quantités, les ingrédients. Elle était dans la création, l’inattendu, l’imaginaire. Elle refusait la soumission au diktat des règles édictées par les pâtissiers des générations précédentes.
Aujourd’hui, elles avaient décidé de préparer chacune un dessert et de le soumettre au vote des autres membres de la famille afin d’élire le meilleur gâteau familial. Chacune devait s’inspirer d’une recette traditionnelle laissée par la mère et grand- mère. Elément imposé : le Chocolat. Le vote des gourmands serait le mot de la fin entre respect scrupuleux ou liberté de création.
Caroline finit par se décider pour la recette du succès au chocolat noir, le péché mignon de son époux, la première transmission de sa mère. Elle se souvenait encore de ce temps passé ensemble à confectionner ce gâteau. C’était pour le premier anniversaire de Louise. Et il s’était imposé comme le dessert pour ce moment si particulier, puisqu’il avait été présent pour chaque anniversaire seuil : cinq, dix, quinze, dix – huit et vingt.
Elle passa en revue le moindre détail et consacra un temps conséquent à la réalisation de ce qu’elle considérait comme une petite merveille de la gastronomie.
Après le glaçage final, elle le déposa au réfrigérateur en attente du lendemain et s’endormit le sourire aux lèvres, l’esprit en paix. Elle était sûre, elle allait gagner !
Louise débarqua le lendemain peu de temps avant midi. Sa crinière flavescente en bataille, une jupe à l’imprimé fleuri et virevoltante, son chien loup sur les talons, elle sauta au cou de sa mère manquant échapper la touche sucrée qu’elle avait confectionné. Son trésor caché dans un petit sac isotherme, elle refusa que celle-ci jette un coup d’œil à sa folie du jour. Il faudrait attendre le moment de la pause sucrée pour lever le voile !
Enfin, vint le grand moment où mère et fille dévoilèrent leur inspiration pour ce concours improvisée.
Louise sentit l’émotion la submerger quand « son » gâteau d’anniversaire fut posé cérémonieusement sur la table. Sans le savoir, sa mère avait vu juste. Aujourd’hui, une grande annonce allait être faite et le succès entrerait dans la légende familiale.
Mais elle se leva néanmoins pour présenter à son tour sa gourmandise : des matefaims au chocolat. Cette spécialité locale, nommée matafan en patois, n’était que de pommes pour sa grand – mère.
Louise avait ajouté des dés de poires et surtout un enrobage au chocolat – noir, lait, blond – sur lequel elle avait posé des raisins et fruits secs comme sur des mendiants. L’idée était on ne peut plus originale – personne n’avait jamais imaginé faire cette galette paysanne avec ces ingrédients saugrenus.
Les gourmands se dévouèrent gaiment au concours mais malgré plusieurs passages d’assiettes, repus, ils ne purent départagés les deux adversaires du jour.
Ce fut Louise qui décida en avouant que sa mère avait vu juste. Aujourd’hui, elle était là non pas pour le concours mais pour annoncer qu’une nouvelle participante se joindrait à eux dans quelques mois. Oui Louise allait donner la vie à sa plus jolie création !
Ce fut une explosion de joie et Caroline en larmes assura que l’idée des matafans faisait de Louise une pionnière dans la création pâtissière et que désormais ce serait à elle de créer des gâteaux d’anniversaire. Car il est parfois bon de bousculer les traditions. Ou de les revisiter.
Les hommes de la famille qui n’avait jamais pu se faire une place dans la confection des gourmandises sucrées approuvèrent bruyamment et revendiquèrent avec conviction le droit de bousculer les coutumes familiales et de pouvoir eux aussi se lancer dans cette voie.
Ce concours était finalement une vraie révolution !


  • Marina Leridon

Le chapardeur
Quel est ce mystère ? Mon garde-manger semble être attaqué régulièrement. Mais attention : pas tout ! Les intrus ne sont intéressés que par les confiseries…
J’avoue que je suis une grande gourmande et ce placard regorge de sucreries. Il y en a pourtant beaucoup moins que je ne le souhaiterais.
J’ai dû me raisonner : si je veux continuer à porter ma jupe à fleurs préférée (même si la ceinture est élastique), je dois absolument réduire ma consommation ! Comment faire quand on est accro ? La soumission à la nourriture est une vraie torture.
Une de mes amies que j’admire, car elle résiste vaille que vaille à toute tentation, m’a donné son truc.
Elle crée des listes sur lesquelles figure tout ce dont elle a envie : vêtements, nourriture, livres, chaussures…
Elle procède à un classement aléatoire en fonction de ses envies du moment. Elle met ses listes de côté. Le lendemain, elle rature ce qui finalement ne l’intéresse plus trop.
L’énumération devient ainsi plus raisonnable. Elle organise un vote en notant chaque item. À la fin, elle ne s’autorise qu’une exception : elle choisit la friandise (par exemple ou le vêtement) la moins bien notée.
Alors là, j’avoue que je ne comprends plus rien. Mon amie m’explique que cela l’empêche de craquer totalement : elle s’arrête ainsi plus vite.
Elle est très fière d’être « structurée » comme elle dit.
Moi, je ne suis pas convaincue. Je pense qu’elle est plutôt obsessionnelle avec un cerveau un brin alambiqué.
Je me suis égarée et mon problème n’est toujours pas résolu.
Les berlingots et le chocolat disparaissent régulièrement alors que ce ne sont pas mes préférés. Les fraises Tagada et les oursons en chocolat avec de la guimauve à l’intérieur sont mon péché mignon !
J’espère qu’une famille de souris ne s’est pas installée, alléchée par mes réserves. Non, ce n’est pas possible : Brutus les aurait délogées. Enfin j’espère … je crois que j’ai le chien le plus peureux de la terre !
Tranquillement installée devant la télé, je vois soudain mon Brutus s’approcher, l’air coupable. Captivée par ma série, je ne fais pas attention à lui. Pourtant, inconsciemment quelque chose me titille : il n’a pas sauté sur le canapé pour se blottir contre moi comme il aime tant le faire.
Il finit par poser sa tête sur mon genou : ses babines sont recouvertes de chocolat…
J’ai trouvé mon coupable !


  • Emelyne Ville

La pâtissière

Elle est pâtissière, élue «Reine du Berlingot»
L’année dernière. C’est son astuce, son distinguo.
Mais elle en a assez de ce bonbon sucré,
Elle aimerait au chocolat se mesurer.

Alors elle cherche une nouvelle recette truffée.
Elle note, corrige, rature. Le papier est biffé.
Elle travaille seule. Son chien est son unique complice,
Toujours dans les plis de sa jupe, c’est sa malice.

Elle aimerait voir disputer ses créations
Lors d’un concours où elle devra sa soumission.
Plusieurs épreuves mystère s’enchaînent souvent,
Puis seront cédées au vote pour un classement.

Elle imagine déjà le suprême résultat:
Fin du berlingot, bienvenue au chocolat !


  • Bernard Mollet

Mon coiffeur divorce
Mon coiffeur divorce… Du moins, c’est en état de latence ! Cela n’a l’air de rien, dit comme ça, tout à trac. Vous, bien entendu, qui lisez tranquillement ce texte, ça ne vous gêne pas. Mais moi, imaginez ma position, et dans quelle désagréable situation je me trouve ! Pourquoi ? Je vais partager cela avec vous.
Voilà. J’arrive chez mon coiffeur un matin vers 8 heures 30, et je le surprends, pressé, en train d’essayer d’avaler à grande vitesse un pain au chocolat d’un format inhabituel et un thé. Je le connais peu mais le sais très matinal de nature et me moque gentiment de lui. Il me répond vaguement, assis à la réception et un peu embarrassé, qu’il a eu une panne d’oreiller et qu’il est arrivé juste à l’heure, mais sans avoir le temps de prendre son petit déjeuner.
Je sens planer comme un mystère. À voir son air sombre et ses joues qui ne le sont pas moins sous l’effet d’une barbe d’un jour, je pense à part moi qu’il n’a pas eu le temps de faire quoi que ce soit avant de quitter précipitamment son domicile, s’est-il seulement débarbouillé ? Il entreprend de me faire un shampooing, me mouille les cheveux, me savonne et son poste téléphonique sonne.
Comme le téléphone a maintenant droit de cité et priorité absolue sur tout en ce bas monde, il m’abandonne, mousseux, prend l’appel et commence une conversation à base de oui et de non, car de toute évidence ma présence le gêne beaucoup ! Puis d’un coup, il décide de tout lâcher en ligne à son correspondant, un ami d’après ce que je peux en comprendre, qui l’attendait apparemment la veille pour une sortie « entre hommes » prévue de longue date pour le lancement d’un pub.
Il lui vide donc son sac non sans me lancer quelques coups d’œil inquiets, car je suis obligé d’entendre et de suivre ce qu’il raconte, son salon étant très très petit.
Or donc, hier en rentrant chez lui à la fin de sa journée, il s’apprêtait à passer une bonne soirée avec ses amis dans le lieu qu’ils envisageaient d’investir, après être passé sous la douche et avoir troqué sa tenue « merlan » contre un ensemble bigarré plus adapté à une sortie en célibataire.
Mais sa femme arrive sans prévenir à 19 heures et lui dit tout d’un coup qu’elle sort ce soir avec une copine, qu’elle lui refile le colis, que c’est son tour après tout, qu’il doit garder les filles et le chien, qu’il n’a qu’à se débrouiller pour les faire manger, et ciao !, elle enfile une jupe et part en claquant fortement la porte. Il se retrouve donc, explique t-il, avec ses petites, une soirée gâchée, un repas à préparer, une sensation de soumission, des aigreurs d’estomac et une certaine envie de tuer son encore-épouse.
Il se couche vers 23 heures après avoir rempli consciencieusement ses devoirs de père, tiré un trait sur sa sortie et branché son réveil comme à l’habitude. Il est éveillé vers 2 heures du matin par le retour plus que bruyant de son épouse presque-ex qui habite toujours chez lui, ce qui l’arrange pour voir ses filles mais l’embête profondément pour ce qui est des joies de la cohabitation. Elle a dû faire la clôture du bar !
Et ce matin, voilà donc que, s’éveillant, il constate que son réveil offert par une célèbre marque de berlingot de shampooing marque un peu plus de 8 heures et qu’il n’a pas sonné comme chaque jour à 7 heures. Il précipite donc son départ comme précédemment expliqué et soupçonne fortement sa femme d’avoir exprès déréglé la sélection du réveil, juste pour lui rappeler comme ça en passant qu’on est quasiment en guerre et qu’un divorce, ça reste une affaire sérieuse, qu’il faut raturer le mot amour dans leur dictionnaire commun.
Et alors, pensez-vous dans votre coin, je ne vois pas où est le problème, des choses comme ça, il en arrive tous les jours à des centaines de gens en France…
Peut-être, mais ces gens ne sont pas mon coiffeur !
Ils ne sont pas, comme lui, méridionaux, de ceux qui ne peuvent pas parler sans bouger les mains. Et je ne vous dirai rien de l’énervement comme valeur ajoutée, ses mains volent de tous côtés dans la glace, mais surtout au-dessus de ma tête. Je n’ai jamais, jamais eu de shampooing qui subisse un tel rinçage. En termes de classement, le dernier souvenir d’une expérience similaire me ramène à une douche au jet en maison de cure subie il y a plus de dix années.
Mais le pire reste à venir : mon coiffeur me fait une coupe au rasoir. J’ai réussi de justesse à l’empêcher de tailler ma moustache, car l’exploit me semble plus qu’aléatoire ! Des ciseaux tout petits et tout pointus qui vous arrivent devant le visage, rasant le nez, remontant en flèche devant les yeux lorsque mon coiffeur retrace avec une emphase déraisonnable les sacrifices qu’ Il a consentis pour Elle !
La situation se calme un peu lors du travail des pattes, toujours au rasoir, parce qu’alors il est dans une phase plus calme, évoquant non sans plaisir les précautionneux contrats qu’il n’a pas manqué, prévoyant, de désigner à son notaire lors de ses noces.
Sa clairvoyance d’alors le baigne d’euphorie et me permet de passer le cap extrêmement dangereux du « raclage » du cou autour de la coiffure. Puis une remontée d’adrénaline et d’humeur maligne accompagne le premier tour d’oreille, lorsqu’il se remémore Sa famille.
Et pour mon plus grand malheur, le mot « belle-mère » haineusement proféré arrive sur les lèvres de mon coiffeur à la seconde même où atterrit sur mon oreille droite le rasoir qui devait en principe en frôler le tour pour une finition impeccable.
Mais hélas, hélas, le mot est vraiment trop fort, trop évocateur de mauvais moments, la main qui tient l’outil en subit le contrecoup par une secousse rageuse, l’image de la belle-mère a dû se superposer à celle de l’épouse haïe dans le regard de l’homme, acte manqué ou volonté délibérée de tuer l’image honnie, je ne le saurai jamais.
C’est une véritable parodie de Cyrano : « À la fin de l’envoi, je touche ! »
Déjà un petit morceau de mon oreille droite, que je trouvais ma foi pas si mal, m’arrive sur l’épaule heureusement couverte d’une blouse à motifs alternés, arbre et fleur.
Le drame est donc parvenu à son paroxysme, le sang a coulé, mon coiffeur se voit dans la glace et paraît sortir d’un mauvais rêve, s’active efficacement sur ma blessure, se confond en excuses et en regrets, me panse, termine son ouvrage, paraît accablé…
— Et voilà, Docteur, ce qui m’amène chez vous avec ce morceau d’oreille dans un kleenex.
Le médecin, avant de m’annoncer qu’il ne peut rien pour rectifier ma plastique définitivement endommagée, me demande alors malicieusement si j’ai payé la coupe à ce pauvre homme.
— Mais, Docteur, non seulement je lui ai payé la coupe, mais en plus je lui ai laissé un beau pourboire, parce qu’un homme qui en veut autant à sa belle-mère ne peut pas être totalement mauvais !
Nota Bene : bien entendu, ceci est une plaisanterie. J’aime les belles-mères, s’il y a un jour une élection de ce genre, bingo, je vote pour une belle-mère ! Encore que je n’en aie pas.
Enfin, à dire vrai, je n’en ai plus. Bon, les champignons, tout ça, l’erreur fatale… Mais j’ai été acquitté !
En revanche, le morceau d’oreille, dans le bocal de formol, sur l’étagère, lui, je l’ai toujours…


  • Liat

Le coach
C’était là, devant ses yeux et elle n’arrivait toujours pas à y croire. Comment pouvait-elle encore hésiter ? En douter ? Ses mains se saisirent du bourrelet de graisse qui enrobait son ventre. Les fêtes de fin d’année avaient été un ravage. Le constat était amer. Elle aurait mieux fait de refuser tout les petits feuilletés aux fromages et les berlingots de chocolat. Elle aurait du s’abstenir. Ça lui aurait évité bien des ennuis. Elle avait beaucoup trop mangé et en voilà le résultat. La réalité était là. Elle descendit de la balance, remit correctement sa jupe et passa devant le miroir qu’elle n’osa même pas regarder. Sa main attrapa le bout de papier que son amie lui avait laissé la veille. Elle regarda le numéro qui était inscrit. C’était celui d’un coach. Elle l’avait d’abord raturé, ne voulant pas avoir affaire à lui. Il avait été d’une grande d’aide pour son amie alors, elle le lui avait proposé.
— Tu verras, il est génial, lui avait-elle dit en caressant son chien.
— Je sais pas…
— Si. T’en fais pas, il est gentil, il ne s’énerve jamais et il ne demande pas d’en faire trop. Tu peux faire à ton rythme avec lui. Il t’encourage. Regarde-moi, dit-elle en se tournant, faisant virevolter sa robe. Je suis pas superbe comme ça ?
— C’est vrai, admit son amie.
Elle poussa un soupir. Elle devait s’y résoudre, s’y résigner, plus le choix. Elle attrapa le téléphone et elle composa le numéro. En quelques minutes, ils avaient convenu d’un rendez-vous pour le lendemain matin.
Voilà comment elle s’était retrouvée, là, à attendre le coach sportif qui devait la remettre en forme, lui sculpter le corps comme elle le voulait. Elle regrettait un peu de s’abaisser à ce système, à correspondre à la norme ; c’était un peu une forme de soumission. Elle était assise dans la cuisine, devant une tasse fumante. Elle ne savait pas vraiment comment tout cela aller se passer. Elle n’avait pas vraiment l’habitude de faire ces choses-là. Elle était plutôt d’un caractère réservée. Mais là, il fallait s’avouer qu’avec les années, sa beauté juvénile commençait par disparaître. Elle le voyait bien qu’elle changeait. Alors, elle devait se mettre au sport. Se mettre et pas se remettre au sport. C’était quelque chose qu’elle n’appréciait pas trop et dont elle n’avait pas trop l’habitude. Les soirées cocooning étaient plutôt son genre. Tranquille devant la télévision avec un paquet de gâteau. Voilà à quoi ressemblaient ses soirées. Elle n’avait aucune envie, pour le moment, de se mettre à faire du sport, et ce, peu importe le sport en question. Mais il le fallait. Même si rien ne la motivait. La sonnerie retentit et elle se leva pour aller ouvrir.
— Bonjour, lui dit-il. Je suis Pascal Dumont, votre nouveau coach sportif.
L’homme, en face d’elle qui se tenait dans l’encadrement de la porte était grand et musclé. Son fin tee-shirt blanc laissé tout apparaître. Il avait les yeux bleus et les cheveux coupés, courts bruns. Sa peau légèrement halée lui fit immédiatement de l’effet. Tout à fait son type d’homme. Son charme résidait notamment dans son mystère. Elle le regarda avec un sourire. Autant elle n’était pas motivée par le sport, autant, elle venait de découvrir quelque chose ou plutôt quelqu’un qui allait la motiver à coup sûr.
Elle courait ; il la suivait. En faisant le tour de la propriété de la jeune fille, ils en profitèrent pour échanger quelques mots et quelques phrases, d’abord des politesses, puis les présentations avant de faire plus amples connaissances. Pascal la regardait. Elle était fine, malgré les bourrelets qu’elle voulait faire disparaître. Lui, ça ne le gênait pas. A bien la regarder, à bien l’observer, elle correspondait à son idéal physique féminin mais il s’était imposé de ne pas sortir avec ses clientes. Il faut dire qu’il y en avait plusieurs qui étaient à son goût. Il n’était pas trop dur dans ses choix, dans ses sélections. Il aimait bien profiter de la vie, sortir avec plusieurs personnes ne le gênaient absolument pas.
— Alors, qu’est-ce que vous faites comme travail ? Demanda-t-il.
— Je corrige des documents pour une grande entreprise. Je travaille de chez moi. Je crois que c’est le point majeur de ce boulot. Pas besoin de bouger.
— C’est bien ça mais faire un peu de sport de temps en temps, c’est pas mal non plus ?
— Je trouve que j’en fais déjà assez en passant du salon à la cuisine et de la cuisine au salon.
— Il faudrait en faire un peu plus. Je vais vous aider à y arriver.
— Vous visez haut.
Ses longs cheveux blonds attachés en une queue de cheval au sommet de son crâne, faisaient des allers et retours, suivant les mouvements de son corps lorsqu’elle courait. Elle portait un ensemble gris. Ses yeux marrons pétillaient. Ils s’arrêtèrent quelques instants, puis, ils se remirent en route. A l’arrêt suivant, il lui montra quelques exercices à effectuer. Il passa tout autour d’elle pour vérifier qu’elle se tenait bien. Il mit ses mains sur son ventre pour la redresser.
— Votre dos ne doit pas être vouté, l’informa-t-il.
Elle se redressa un peu, suivant ses ordres, ses exigences. Elle l’écoutait avec beaucoup d’attention. C’était beaucoup plus facile de faire du sport avec quelqu’un d’aussi beau, d’aussi doux, d’aussi sympathique et d’aussi agréable que Pascal. Elle comprenait mieux ce qu’avait voulu dire son amie qui le lui avait recommandé.
— Allez ! L’encouragea-t-il. On fait une série de dix ?
— De dix ?
— Je vous accompagne ! Allez ! Un !
Il souffla. Elle en fit de même.
— Deux. Trois. Quatre. Cinq. Six. Sept. Huit. Neuf. Dix.
Ils se remirent droits.
— C’est fini. Vous pouvez enfin respirer après cette séance de torture.
Elle lui sourit.
— C’était pas si terrible, lui dit-elle.
— Alors, on se dit à demain ?
— Demain ? S’étonna-t-elle. C’est pas un peu trop tôt.
— Non. Il faut faire des efforts tout les jours.
— Vous êtes sûrs ?
— Oui.
— Bon, alors, je vous fais confiance et à demain.
Le coach sortit. Sa présence lui avait fait du bien, même si elle n’avait pas l’impression d’avoir perdu le moindre gramme de graisse. Alors qu’elle essayait se remettre de ses émotions, elle ne cessait de penser à ce fameux coach. Il était difficile à chasser de son esprit.
Les jours suivants, Pascal revint. C’était étrange comme il était arrivé à la motiver assez pour qu’elle se mette au sport et qu’elle se mette à aimer ça. Peu à peu, au cours des séances de sport, ils devinrent plus proche au point d’oublier la relation cliente-coach pour devenir amie-ami. Pascal venait donner son cours et il restait après pour discuter et profiter du moment. Jusqu’à ce fameux jour…
— T’as entendu les dernières nouvelles ? Lança Pascal en arrivant.
— Non.
Elle était assise, face à elle un bulletin de vote pour choisir le meilleur restaurant du quartier.
— Ils organisent un marathon dans le quartier.
Il sembla tout excité. Elle ne comprenait pas pourquoi.
— Et alors ? Demanda-t-elle en haussant les épaules.
— Pour s’inscrire, il faut être deux ; un binôme.
— Et alors ? Répéta-t-elle.
Il la regarda un petit moment d’un air déçu qu’elle ne comprenne pas automatiquement.
— Un binôme…
— Oui ? L’encouragea-t-elle à poursuivre.
— Toi et moi… Tu comprends à la fin ?
Il eut un silence pesant qu’elle finit par briser en éclatant de rire.
— Tu veux rire ? Tu me proposes de faire un marathon avec toi ? Sérieusement ? Tu connais mon niveau… Il est hors de question que je fasse ça. Tout le monde va se moquer de moi.
— On s’en fiche de ça. L’important c’est que tu participes pour te prouver que tu peux le faire, que t’es capable de le terminer et surtout pour te montrer que tout les efforts que tu as fait ont servi à quelque chose. Tu as progressé.
— C’est complètement idiot.
— Mais tu veux bien essayé ?
A partir de ce moment, et pendant plusieurs jours, Pascal revint à la charge et il la harcela tellement pour qu’elle participe qu’elle finit pas capituler.
Et c’est comme ça qu’elle se retrouva sur la ligne de départ, prête à entamer une nouvelle vie avec son fiancé, espérant être dans les premiers du classement.


  • Sophie Beureux

Une journée mouvementée
Mon réveil retentit à sept heures précises. La sonnerie me tire de mon rêve, pourtant fort agréable. Encore ensommeillée, je me lève en bâillant. Sur la chaise près de mon lit, je prends les habits que j’avais préparés hier soir, avant de me coucher : une jolie jupe bleu marine et un chemisier blanc. Je les enfile, me regarde dans la glace derrière ma porte, ajuste mon haut. Aujourd’hui, je dois paraître professionnelle, car je vais enfin avoir les résultats du concours de dessin auquel j’ai participé il y a trois mois. Si je suis repérée par le jury, je pourrais bien avoir la chance de rencontrer mon artiste préféré ! J’ai hâte de découvrir le classement. Tout en brossant mes longs cheveux bruns et en les rassemblant en une tresse, je me demande ce qu’ont fait les autres participants. Les dessins de mes concurrents sont-ils plus jolis ? Plus techniques ? Je respire un grand coup. Il ne sert à rien de me mettre dans tous mes états. J’ai déjà rendu mon œuvre, les autres aussi, et je ne peux rien changer au vote du jury.
Je descends l’escalier doucement. Je n’aime pas mettre de jupe et n’y suis pas habituée, mais je m’y oblige pour les grandes occasions, surtout qu’elle me sied à merveille. Dans la cuisine, je nourris mon chien, Picasso. Il essaye de me sauter dessus pour me lécher le visage, mais je le repousse. Il ne faudrait pas qu’il salisse mon chemisier, je ne peux pas me permettre d’arriver sale. Pendant qu’il mange ses croquettes, je caresse son doux pelage et ce geste me détend. Cela fait désormais cinq ans qu’il partage ma vie et j’en suis ravie.
Je jette un coup d’œil à ma montre. Je ne suis pas en avance… Je me prépare un chocolat chaud et me dépêche de l’avaler quand tout à coup, catastrophe ! Je renverse une partie de mon bol sur mon chemisier. La panique monte en moi. Je me force à respirer, après tout, j’ai d’autres habits dans ma garde-robe. Je remonte l’escalier quatre à quatre, manquant de peu de déchirer ma jupe. Je me précipite dans ma chambre et fouille dans le placard. J’écarte des vieux T-shirts recouverts de peinture et des habits trop fantaisistes. Enfin, je sors un petit haut fleuri. Il fera l’affaire, je n’ai de toute façon pas le temps de chercher plus longtemps. Je redescends rapidement et manque de trébucher sur Picasso. Agacée, je lui lance un « Picasso, pousse-toi ! ». Surpris par cet éclat de voix inhabituel, il me regarde d’un air triste puis s’écarte la queue basse, en signe de soumission. Je me sens coupable de lui avoir parlé ainsi alors qu’il n’avait rien fait de mal, mais je m’excuserai plus tard. Là, je dois absolument y aller.
Je me dirige vers le garage pour prendre ma voiture. Au moment de la démarrer, je me rends compte que j’ai oublié la clé. Pourquoi ces choses-là arrivent-elles toujours quand on est le plus pressé ? Vite ! Je cours jusqu’à la maison, bataille avec les clés, arrive finalement à entrer. Je me précipite vers le meuble sur lequel je pose toujours la clé de voiture. Evidemment, elle n’y est pas !
« Mais ce n’est pas possible ! » m’écrie-je, angoissée à l’idée de perdre plus de temps.
Je fouille le tiroir du haut, puis le deuxième, et ainsi de suite jusqu’à ouvrir le dernier tiroir du meuble, dans lequel se trouvent des nappes et des serviettes en dentelle, que je garde pour les grandes occasions. J’allais refermer le tiroir quand j’aperçois tout au fond ma clé ! Que fait-elle là ? Je me souviens alors qu’il y a deux jours, j’ai récupéré une jolie serviette de ma mère. Mes clés sont sûrement tombées à ce moment-là.
Ma clé enfin en main, je rebrousse chemin pour aller à ma voiture. Je regarde mon carnet dans lequel j’ai noté la date et l’adresse, et entre cette dernière dans le GPS. La voix artificielle me guide à travers la ville. J’ai l’impression d’avoir tous les feux rouges, je dois sans cesse m’arrêter et redémarrer. C’est très agaçant. Je peste intérieurement ! Comment ai-je pu traîner autant, alors que cette remise des prix est primordiale pour moi ? Enfin, il n’y aura de remise des prix que si j’en ai un, ce qui n’est pas sûr…
Les vingt minutes de route me paraissent le triple, mais j’arrive enfin à l’adresse indiquée. Après un rangement en bataille parfait, je me dirige vers l’entrée. Un homme est assis seul derrière un comptoir, et devant lui se trouve une file de quatre personnes. Je me place à la fin de la queue, en priant pour que les autres soient rapides et que je ne sois pas arrivée trop tard. L’homme qui parle avec le secrétaire est un homme d’une cinquantaine d’années, bien habillé. Il porte un costume gris et tient à la main une mallette qui contient sans doute des documents importants, à moins que ce ne soit son déjeuner. Je l’entends exiger d’une voix prétentieuse de voir le patron. J’apprécie beaucoup la façon dont le secrétaire le remet à sa place, d’une voix calme et posée, avec un joli sourire. Malheureusement, leur conversation risque de durer longtemps si l’homme s’obstine et ce n’est vraiment pas ce dont j’ai besoin… Je prends mon mal en patience et observe les autres personnes dans la file.
Derrière l’homme hautain qui est en train de s’énerver se trouve une jeune femme, qui doit avoir mon âge, soit environ 25 ans. Ses écouteurs sans fil dans les oreilles, elle pianote sur son téléphone sans lever les yeux. Sa tête qui se balance fait bouger sa queue de cheval et crée dans ses cheveux de beaux reflets dorés. Je ressens une pointe de jalousie en pensant à ma tresse que j’ai eu le plus grand mal à faire, et à mes cheveux qui n’ont jamais une si belle couleur.
Je m’intéresse alors aux deux personnes devant moi. Il s’agit d’un homme, que j’estime avoir une quarantaine d’années, et de son fils, d’une dizaine d’années, qui est tout bonnement insupportable. Depuis que je suis arrivée, il a déjà fait plusieurs fois le tour de la salle en courant et hurlant. Voyant mon regard désapprobateur braqué sur sa progéniture, le père appelle son fils et lui tend un berlingot dans le vain espoir de le calmer. Je me surprends à imaginer ce marmot s’étouffer sur son bonbon, et y prends un certain plaisir…
La file avance enfin ! L’homme au costume s’est finalement décidé à bouder dans son coin. Parfait. Encore quelques minutes d’attente et c’est à moi de me présenter devant le secrétaire. Il est plutôt mignon avec ses cheveux châtains, ses yeux d’un brun clair et ses quelques taches de rousseur. Dommage que je n’aie pas de temps pour discuter.
« Bonjour, Mademoiselle ! Comment puis-je vous aider ? me demande-t-il avec un sourire charmeur.
Il m’a appelé Mademoiselle ! Cela me fait très plaisir. Je rougis un peu, mais n’oublie ce pour quoi je suis venue.
« Bonjour ! Je viens pour la remise des prix du concours de dessin. Je suis un peu en retard, mais j’ai eu quelques ennuis sur la route… Je suis vraiment désolée. Ce concours compte beaucoup pour moi, j’espère vraiment avoir été retenue par le jury !
— Excusez-moi Mademoiselle, mais aucune remise de prix n’est prévue aujourd’hui. Sauf si vous voulez parler du prix décerné au meilleur jardinier de la ville… Mais je n’ai pas l’impression que vous parliez de ça.
— Mais… Comment cela se fait-il ? La date est-elle déjà passée ? Non, je ne peux pas avoir raté ça !
— Attendez, calmez-vous, je vais regarder ça dans le planning. »
Il a l’air sincèrement désolé pour moi et commence à consulter le planning. En même temps, je plonge ma main dans mon sac pour en sortir mon carnet. Fébrile, je le parcoure jusqu’à tomber sur la bonne page. C’est alors que je me rends compte de mon erreur. A force de raturer la date, qui a effectivement changée plusieurs fois, je me suis trompée ! Inquiète, je lui demande la date du jour. Je compare avec mon agenda.
Soulagée, je me rends compte que je n’ai plus qu’à laver mon chemisier blanc pour demain et à mettre mon réveil un peu plus tôt, et tout ira bien. De plus, il me reste du temps aujourd’hui finalement, assez pour engager la conversation avec ce charmant jeune homme. Ce qu’il en adviendra ? Mystère…


  • Natacha Garnier

Tout était dit
Il se jetait sur son carnet comme on se jette d’une colline. Dégringolant entre les syllabes et les brins d’herbe, entre les sourires et les paillettes, il était ivre de lettres. Mais à peine récitait-il ses textes qu’il ne pouvait s’empêcher de buter sur les consonnes, sur les voyelles. De colère, il s’acharnait à raturer des blocs entiers, à effacer les mots qu’il avait pourtant choisis avec tant d’émotion, de talent et de dévotion. Déboussolé, il déchira tout.
Une envie pressante l’assaillit, il quitta son banc et courut aux toilettes.
— Qu’est-ce que tu fais là ?, s’exclama une jeune fille, les sourcils courbés comme des serpents.
— J-je… Il venait de réaliser qu’il était dans la salle réservée aux femmes. J-je suis dé-désolé, lâcha-t-il, les joues brûlées de honte. La jeune fille le toisa d’un regard sombre et s’en alla.
Pierre visionnait encore la scène dans sa tête lorsque sa mère lui demanda de l’aide.
— Merci pour le linge, souffla-t-elle avec un doux sourire. Tu t’en sors avec le concours ?
— Le c-con-cours ?, Pierre était stupéfait. Comment savait-elle qu’il comptait y participer ?
— Oui, il ne te reste qu’un mois pour le préparer, et ta diction n’évolue pas… Tu fais tes exercices d’orthophonie ?
— O-oui p-pourtant. Pierre comprit qu’elle parlait du concours de médecine. La vérité, c’est qu’il n’en avait que faire. Pierre voulait être écrivain, mais ça n’était pas concevable pour ses parents qui voulaient un « avenir stable ». Sa mère souffla plus fort que d’habitude.
— Avec ton père, on t’a inscrit à un cours pour élèves en difficulté, tu iras tous les mardis soirs.
— Q-quoi ?
Le fils rétorqua mais la décision était déjà prise.
C’est ainsi que le mardi suivant, Pierre se retrouva le cul collé à sa chaise, le regard fixé sur le ciel assombri. Le discours du professeur s’écoulait entre ses deux oreilles comme l’eau d’une rivière, et dans sa tête il inventait des rimes. Mais la voix d’une camarade le sortit de sa déprime.
Elle s’adressait à la classe comme Roméo à Juliette. La voix portant jusqu’aux cieux, ricochant entre le carrelage du sol et les vitres des fenêtres, elle avait foi qu’un jour ses mots toucheraient le cœur de sa mère. Celle qui l’avait élevée à moitié, trop prise par le travail et les contraintes qui découlent d’une naissance non préparée. Elle voulait enfin être écoutée avec toute son attention. De retour à sa table, elle griffonna ses beaux vers. Cependant des milles rayons colorés dans l’air ; au contact du papier, ils n’étaient plus que poussière. Elle était analphabète. Déboussolée, elle déchira tout.
— Taïs, ne fais pas ça, le professeur tentait de la consoler.
Mais la jeune fille restait de glace. Pleine de haine face à son échec, elle triturait machinalement le tissu de sa jupe.
A la sortie de la classe, un garçon lui tapota l’épaule.
— C-c’était ma-magnifi-fique, affirma Pierre, qui s’était au préalable rempli de courage pendant dix bonnes minutes.
— Merci, dit Taïs, sèchement. Attends, mais t’es le pervers des toilettes ?!
Pierre reconnut les sourcils-serpents. Il en resta muet de stupeur.
— Qu’est-ce que tu me veux ?, elle prononçait les mots de manière beaucoup plus brutale, et Pierre envia sa facilité à parler aussi vite sans écorche. Lui ne pouvait jamais être intimidant lorsqu’il était énervé.
— J-je, il ne savait que dire. J-j’ai juste bi-bien ai-aimé ton po-poème. Cé-c’était vrai-ment beau. Son honnêteté adoucie Taïs, qui ne put s’empêcher de sourire un peu.
— Ok. C’est gentil, soupira-t-elle. Bon j’te laisse, j’dois y aller.
Au fil de ces cours du mardi soir, Taïs et Pierre avaient pris l’habitude de discuter un peu avant de rentrer.
— Tu sais, de nos jours les écrivains d-doivent faire la pro-promotion de leurs livres, et si je p-peux pas m’expri-primer ça va être com-pliqué. Je veux prouver à mes pa-pa-parents que je suis sérieux…
Taïs n’avait jamais vu Pierre aussi sombre. Elle avait cependant remarqué qu’il ne butait plus autant sur les mots que lorsqu’elle l’avait rencontré.
— Moi je crois en toi, et même si tu bégaies ça te donne un certain charme. Elle lui fit un clin d’œil et Pierre fut parcouru par un éclair de gratitude. Jamais personne ne lui avait dit ça.
— M-merci, souffla-t-il, détournant le regard.
— Mais toi, p-pourquoi tu p-participes au concours ?, demanda-t-il, curieux.
Taïs prit une inspiration et lui raconta qu’elle considérait ses talents de conteuse, comme elle aimait s’identifier, et de poète comme un don.
— Apparemment, mon père me racontait beaucoup d’histoires avant de dormir, les plus belles que ma mère ai entendues, et il les improvisait ! C’est peut-être très naïf mais j’ai l’espoir que s’il m’entendait, alors il me reconnaîtrait et reviendrait… Au-delà de ça je t’avoue que c’est pas facile de vivre avec le peu d’argent que ma mère gagne, donc le prix nous aiderait un peu…
— Je vais t’apprendre à écrire, Thaïs , promit Pierre. La lueur de détermination dans son regard déstabilisa celle-ci.
— Et moi je te ferais devenir plus éloquent que César lui-même, se dit-elle, mais aucun mot ne sortit. Elle se contenta de le prendre dans ses bras.
Durant des semaines, le jeune homme pensait au grand défi qu’était le passage face au public. Il s’imaginait le moment comme une bataille face à un chien immense et enragé, et il perdrait ses moyens, désarmé. Il se ferait déchiqueter et dévorer. Il gaspillerait sa chance de devenir auteur, de prouver à ses parents, à tout le monde, surtout à Thaïs, de quoi il était capable. Il serait ridicule, complètement ridicule. Et tout le monde se souviendrait de lui comme le garçon ri-ridicule. Mais la jeune fille aux sourcils de serpents le poussa à visualiser la récitation du poème comme de l’écriture dans l’air, à voir les gens comme des bouts de papier, à penser différemment.
Pierre décida alors sur scène d’imaginer les mots comme du chocolat. Il fit fondre son texte avec l’outil de sa langue, de manière fluide, délicieuse, à une température parfaitement régulée. Il attisa au public une faim insatiable, puis le nourrit au fil de ses assonances, de ses épanadiploses, de son timbre de voix doux et affirmé. Lorsqu’il se heurta à un mot, et comme l’avait prédit Taïs, le public n’en était que plus touché, que plus alerte. Et alors à la fin de son poème, l’auditoire ne fit pas un bruit. Il était comme sous l’effet d’un charme puissant, comme s’il avait été, tout entier, changé en pierre.
Les applaudissements vinrent comme une pluie soudaine en mer, d’abord légers, car perçant les nuages de l’hypnose, puis torrentiels. Un torrent coulait d’ailleurs sur les joues de Thaïs car elle redoutait la soumission des textes écrits au jury. Le sien était sûrement plein de fautes, de tâches, de tournures de phrases bizarres, de passages mal-dits… Avait-elle bien découpé et bien compté les vers ? Tant pis, elle essuya ses larmes et le rendit quand même :
Tu t’entremêles et te démènes parmi les hyènes,
qui fracassent le vent contre tes dents, tempête.
Mais ta plume et ton soin parviennent à la dompter,
en jaillissent tes pensées, des joyaux taillés,
et alors de tout mon cœur tu fais la conquête.
Tous mes sentiments se déchaînent.
Tu transformes l’ineffable en si belle métaphore,
même l’infâme en trésor, le vécu en amphore.
Emportée par la voix qui découle de tes mots,
berlingot de mer cramponné au bateau,
je prends le large, goûte à la liberté qu’offre
le voyage au gré des grands flots.
Et si le souffle ne t’offre guère de répit,
tu m’as appris à partager autrement,
évoquer par un trait, peindre des tragédies,
à recouvrir le son d’un drôle d’accoutrement.
Dépouillons l’air, il ne reste que l’important.
Bouillon de mystère, tu es bien là, je t’entends.
— Outre le classement et le vote du jury, vous vous êtes tous dépassés et vous pouvez être fiers de vous !
Pierre et Taïs échangèrent un regard complice, et plus aucun mot n’avait besoin ni d’être prononcé ni d’être écrit. Tout était dit.


  • Alvane Marae

19h, le président du bureau A3 annonce la fin du vote.
En attendant les résultats, chacun prend son mal en patience : certains se restaurent dans les différentes buvettes, d’autres discutent, lisent ou tchattent sur leur téléphone.
Sur une table, un vieil homme s’amuse à raturer des « mots mêlés » en croquant dans une barre de chocolat.
Malgré les enjeux, aux abords de la mairie, il y règne une ambiance bonne enfant.
Dans l’un des stands de confiseries, bondé de monde, une petite fille réclame un berlingot à sa mère.
— Plus tard, ma chérie, répond celle-ci avant de se rétracter sous l’insistance de son enfant.
La mère et la fillette se frayent un passage pour accéder au comptoir.
— Pourrais-je avoir un sachet de berlingots, Monsieur ?
— Tenez, Madame.
Avec tout ce monde, cette agitation et ces marchands de barbe à papa, on se croirait dans une fête foraine.
Alors que je consulte mes mails sur mon portable, je sens une force me tirer vers l’arrière.
— Lâche ma jupe, Max ! criais-je à celui qui partage ma vie depuis maintenant cinq ans : mon chien.
Le mystère autour du classement final des différentes composantes politiques de cette élection, reste entier.
J’ai bien tenté d’obtenir des informations auprès de l’un des assesseurs, sans succès.
En tout cas, une chose est certaine, il faudra patienter encore quelques heures pour connaître le nom du futur maire de la commune.
D’après des rumeurs, la soumission d’une idée de coalition entre les divers partis politiques au sein du prochain conseil municipal, serait envisagée.
Si cela se réalisait, cela serait une première dans notre magnifique ville de Pau.


  • Zoé Winter

Dans un petit parc, un jouet oublié
Le bruit de chaussures contre les graviers le sortit de ses pensées. Une enfant hurlait en courant vers le toboggan. Derrière elle, ses parents traînaient, une poussette les ralentissant. S’il était déjà l’heure de la sortie des écoles, le temps était passé plus vite qu’il ne s’en était rendu compte. Il leva ses yeux hagards vers le ciel trop lumineux, des nuages cotonneux évitant soigneusement le soleil. Le vent faisait à peine mouvoir les feuilles des arbres ; les fleurs offraient leurs multitudes de couleurs au regard, des rires s’élevaient tout près, c’était paisible. C’était vivant. Tellement bruyant. Il passa sa main crasseuse dans ses cheveux et tira dessus, jusqu’à ce que la pointe de douleur le force à reprendre contact avec la réalité. Un jappement le fit sursauter. Des chiens jouaient plus loin, et l’un d’eux se rapprochait dangereusement. Il était terrifié, et comme à chaque fois qu’il était terrifié, il se pétrifia, incapable de bouger, de se protéger, de respirer.
Le chien n’était pas gros, ni menaçant, il n’aboyait pas, mais de sa bouche pendait sa langue et ses crocs étaient visibles. Des crocs qui ressemblaient un peu trop à ceux qui lui avaient laissé une cicatrice sur son bras. Il pouvait presque se voir se briser entre cette mâchoire, le bruit d’un berlingot qu’on croque, le chien qui se lèche les babines en remuant la queue. C’était une fin tentante, si simple, mais il savait que son imagination lui jouait des tours. Il savait que ce serait beaucoup plus sanglant, vraiment douloureux, et avec très peu de chance de réussite ; ce n’était pas le chien d’attaque de son père.
L’animal tournait toujours. Il n’approchait pas, mais il le fixait. Une sueur froide coula le long de son dos. Il se força à prendre une respiration tremblante. Très lentement, sans quitter le chien de son champ de vision, il baissa les yeux vers ses jambes. Il y avait une feuille griffonnée et un stylo posés sur ses cuisses ; rien d’utile. Il fit glisser sa main dans la poche de son pantalon en surveillant que l’animal ne le voit pas ; elle contenait un chocolat un peu fondu par la chaleur. Il le sortit, avalant difficilement sa salive. Le chien suivait chacun de ses mouvements. C’était un poison pour eux, pas vrai ? Il allait tomber raide mort en l’ingurgitant, et lui serrait libéré de ses griffes. Il le prit entre ses deux doigts et attira l’attention du chien dessus. Il voulait le lui lancer au loin, mais l’animal avança vers lui, il se sentit défaillir et le chocolat tomba juste devant le banc. Le chien ne s’y intéressa pas, préférant lui renifler les pieds. Ça allait faire mal. Ça allait faire mal. Ça allait faire mal et il ne pouvait rien faire, juste attendre. Attendre qu’il se lasse de le mordre, attendre qu’il se lasse de frapper, attendre.
Lorsqu’il recommença à respirer, le chien avait disparu. De loin, comme s’il était sous l’eau, il entendait les enfants jouer, les parents discuter, les voitures s’arrêter au feu, la vie continuer. Il était transi de froid. Il se laissa glisser de son siège pour se mettre debout, mais ses jambes ne le supportèrent pas et il se retrouva sur les graviers. Le morceau de chocolat était toujours là, un peu plus fondu qu’auparavant. Il le ramassa machinalement, en même temps que sa feuille et le stylo, et se releva à l’aide du banc. Il se sentait trop léger, et des lumières blanches le forçaient à plisser les yeux. Il ne savait pas où aller ; il ne connaissait pas ce parc, et comment il était arrivé ici demeurait un mystère. C’était flou, il se souvenait qu’il avait couru. Lui qui ne savait qu’attendre que l’orage passe, qui ne connaissait que la soumission, avait pris la fuite. Son instinct de survie devait être plus important qu’il ne l’aurait voulu. Ça l’aurait fait rire, mais il se sentait malade, il avait mal au ventre, peut-être que ses vertiges étaient dus à la faim.
Il avança d’une quinzaine de pas, jusqu’à atteindre un coin d’herbe et d’arbres. Il y avait un groupe d’adolescents au pied de l’un d’eux. Une fille en jupe jouait de la guitare, deux garçons l’écoutaient en fumant, un quatrième faisait les percussions et le dernier chantait doucement, presque dans un murmure. Il les regarda un instant, mais il sentait son estomac se nouer. « La faim, se répéta-t-il, c’est à cause de la faim. » Il s’éloigna encore et s’effondra sur des racines plus loin. Le dos supporté par l’écorce de l’arbre, il défit l’aluminium qui entourait la sucrerie. Il la lécha timidement une fois, puis la porta à sa bouche. C’était pâteux, il ne savait pas s’il aimait ou non, alors il se dépêcha d’avaler. Il n’aurait pas dû. Il eut un haut le cœur et dut se pencher pour tout recracher. Le sucre collait à sa langue, c’était insupportable, il en avait les larmes aux yeux. Lorsqu’il s’en rendit compte, il se sentit stupide. Il regarda le mélange de salive et de chocolat fondu sur les brins d’herbe avec amertume. Il avait toujours eu un problème avec la nourriture, mais à ce point là ? Il était comme un chien qui venait de s’empoisonner avec une sucrerie. Ses doigts s’enfoncèrent dans la terre. Ça ne changeait pas grand-chose pour lui, il ne se sentait de toute façon pas humain. Lorsqu’il regardait autour de lui, il voyait bien qu’il n’avait pas sa place ici. C’était un pays en paix, où tous les enfants allaient au parc jouer et à l’école pour apprendre. Même lui, il y avait eu droit. Il avait pu se rendre compte quel gouffre le séparait du reste de l’humanité. Ce n’était pas tant par rapport à l’intelligence, bien qu’il soit toujours dernier au classement puisqu’il était incapable de se concentrer ; c’était une raison plus essentielle. Il était plus petit que la norme, sa croissance empêchée par la malbouffe, il était moins agile, boitant à cause de son bassin mal placé, ou déplacé à un moment dans sa vie, mais surtout, il était différent parce qu’il n’avait pas eu d’enfance. Alors que les élèves profitaient pleinement de la leur, lui ne l’avait jamais vécu, et ne la vivrait jamais. Dans un monde si beau, il était une tache noire qui aspirait toute la lumière. Pas humain, et sûrement moins qu’un animal.
Il n’avait pas de rêve, pas d’espérance, pas de désir ni d’envie, juste une étrange résignation. Il se laissait faire, laissait conduire, attendait. D’habitude, c’était sa mère qui venait le récupérer. Le chien en laisse, elle lui faisait un petit signe avec un sourire. Côte à côte, ils paraissaient si anodins et normaux, une mère et son fils, mais lui savait que le maquillage cachait les bleus, que venir le chercher était une bonne raison de s’éloigner de la maison et surtout, de lui rappeler : « Tu resteras bien avec ton père, ce soir. » Il détestait sa mère. Il n’était qu’un outil pour elle, un bouclier, un objet qu’on lance au prédateur pour le distraire. La dernière fois qu’il l’avait vue, elle était par terre dans la cuisine et ne bougeait plus.
Les notes de musique s’élevaient toujours. Les adolescents étaient un peu plus bruyants, ils se chamaillaient à propos du dernier vote qui avait eu lieu, à propos de manifestations, et de leur fac. Il se demanda si lui aussi, ça lui arriverait un jour. Poursuivre ses études, trouver un travail, passer son permis de conduire, aller voter. Pouvait-on devenir adulte sans avoir été enfant ? Il baissa les yeux ; sa feuille était un peu froissée, les dessins et mots déformés. Il prit son stylo et se mit à raturer les lettres une à une, jusqu’à déchirer la feuille. Il en fit des confettis tachés d’encre.
Il savait ce qu’il s’était passé, pourquoi rien ne bougeait plus dans l’appartement froid qu’ils appelaient « maison », l’odeur du gaz ne laissait aucun doute ; ce qu’il ne comprenait pas, c’est pourquoi ils étaient partis sans lui. Ils les détestaient, mais il leur appartenait ; seul, il n’était rien. Et il ne savait pas quoi faire, sinon attendre.
Attendre en laissant le rire des enfants glisser sur lui.


  • Ghislaine Victor

FILATURE
Alors que je cachais précipitamment mon visage derrière le journal que je venais de déplier à la hâte, je marchais sur les restes d’un berlingot de lait concentré sucré qui traînait sur le trottoir. Pestant en essuyant ma chaussure où je le pouvais, je le vis du coin de l’oeil qui tournait dans une rue sur la droite. Je repliai précipitamment le journal que je glissai sous mon bras et me précipitai vers la rue en question.
Quelle idée saugrenue d’avoir voulu le suivre ! Je ne sais pas, une impulsion… Je n’étais pas du tout habillée pour une filature discrète. Je portais ma jupe chocolat qui m’arrivait mi-cuisses, j’avais mes sandales préférées qui à présent étaient poisseuses de la semelle et un petit haut sans manches. Il faut dire qu’il faisait sacrément chaud ce jour-là et comme je n’avais pas prémédité mon geste, je n’avais pas pris le temps de me choisir une tenue adéquate et discrète.
On s’était rencontrés quelques semaines auparavant via une application de rencontres et j’avais eu le coup de foudre, l’étincelle. Mais malheureusement il n’avait pas l’air aussi emballé que moi. Il avait accepté de me revoir à plusieurs reprises mais je ne sentais pas chez lui la même tension que chez moi. Il m’avait quittée plus tôt que d’habitude sous prétexte de devoir sortir son chien si bien que, piquée au vif, j’avais eu envie de vérifier son alibi.
Je le suivais donc à distance raisonnable, le journal toujours plié sous mon bras en cas de besoin. L’avantage des sandales c’est qu’elles ne font pas de bruit quand on marche, mais l’inconvénient est qu’elles ne sont pas faites pour de longues promenades au rythme soutenu. Je ressentais des petites piqûres désagréables sur la plante des pieds, augures de douleurs à venir. Assumant ma décision farfelue, je continuai néanmoins ma route. Il traversa la rue, je regardai derrière moi pour lui masquer mon visage et en me retournant je vis qu’il prenait la première à gauche. Je pressai le pas pour le rattraper, juste à temps pour l’apercevoir qui entrait dans un bâtiment qui n’était absolument pas l’endroit où il habitait.
Attends un peu… qu’est-ce qu’il m’avait dit déjà ? La veille, il avait déposé son chien chez ses parents afin que ceux-ci puissent le surveiller. Il allait donc peut-être chez eux ? Cette histoire me paraissait louche. J’allais devoir attendre qu’il sortit afin d’en avoir le coeur net. Je regardai autour de moi à la recherche d’un endroit où me poser. Il n’y avait rien, pas un café, un square ou un banc où attendre en toute sérénité. Il ne me restait plus qu’à rester plantée au milieu du trottoir comme une imbécile. Non, cela allait sans doute attirer l’attention. Alors que faire ? Descendre la rue et la remonter. Faire le pied de grue quitte à avoir l’air suspect ? Faire semblant de téléphoner sur place ? Lire mon journal ? Je décidai de porter ma décision au vote. Oui de temps en temps je vote entre moi et moi-même. Et c’est souvent moi qui l’emporte d’ailleurs.
Comme il fallait s’y attendre ce fut avec une écrasante majorité qu’une promenade douce d’allers retours lents et discrets fut choisie. Quel temps il mettait pour descendre le chien ! Cela commençait à m’énerver. Je m’arrêtai pas trop loin de l’entrée de l’immeuble et me mis à fouiller dans mon sac. J’y trouvai mon petit carnet et y notai « ne plus prendre de décision à chaud ». C’était là que j’écrivais mes résolutions, mes listes de choses à faire, mes idées de voyage. J’en profitai pour me relire et je raturai quelques lignes de tâches que j’avais déjà accomplies. Suçant le bout de mon stylo, j’allais rajouter quelques courses à faire sur le retour quand j’entendis le bruit strident du déverrouillage d’une porte, je faillis lâcher mon carnet en sursautant. Où me replier ? Sous la panique, je restai figée l’air pris au piège comme un lapin devant les phares d’une voiture. C’est le chien qui sortit en premier. J’eus le temps de me baisser derrière une Audi flambant neuve et de faire semblant de renouer un lacet inexistant sur ma sandale, celle qui collait. Je n’osai pas remonter la tête pour vérifier si c’était bien lui que le chien tirait au bout de sa laisse.
Sur un classement de un à dix dans la position la plus ridicule en public, j’atteignais facilement le huit. Mais quelle imbécile ! Quelle soumission à ma jalousie ! Si jamais il lui prenait l’envie de traverser, j’étais cuite !
J’entendis rire de l’autre côté de la rue. Je risquais un œil à travers la vitre de la voiture qui me servait de cachette. Et ce que je vis ne me fit pas plaisir. Il tenait une jolie fille par la taille et lui susurrait des mots à l’oreille, c’est elle qui rigolait et c’est elle qui tenait le chien.
Ben voilà, le mystère était éclairci. Voilà pourquoi il était parti plus tôt et voilà pourquoi il ne paraissait pas succomber à mon charme ravageur. Tu parles d’un charme ravageur ! En sueurs, recroquevillée sur le trottoir, avec dans les doigts un lacet imaginaire !
« Vous cherchez quelque chose ? »
Je relevai la tête vers un monsieur bien mis qui visiblement avait besoin de récupérer sa voiture. Quelle poisse !
« Oui, j’ai fait tomber mon stylo » dis-je en réalisant que je l’avais toujours entre les dents. C’était la fin des haricots ! Sur une échelle du ridicule de un à dix, j’avais décidément atteint le dix ! Bravo mademoiselle ! Le monsieur sourit en désignant sa bouche. Je portais la main à la mienne pour récupérer mon stylo et me relevai d’un bond, espérant que ma cible se soit éloignée. Je bafouillai des excuses et sans regarder autour de moi, espérant ainsi me protéger comme le ferait l’autruche, je fis volte face.
« Mademoiselle, vous avez fait tomber votre journal ! »
Il manquait plus que ça, je partis en trombe et heurtai de plein fouet celui qui était l’objet de ma filature. Il était seul avec le chien.
« Qu’est-ce que tu fais là » me demanda-t-il surpris. Honteuse et souriant bêtement je n’arrivais pas à trouver un fichu prétexte expliquant ma présence. Il éclata de rire et me dit « Tu n’avais pas besoin de me suivre pour vérifier si je te mentais. J’imagine que tu m’as vu avec une jeune fille, c’était ma sœur. Allez viens, on va promener Happy ».
Je me penchais pour caresser Happy et cacher mon trouble. Sa sœur ? Il allait falloir que j’enquête pour vérifier cette info suspecte…


⭐ Inspiration n°2

Réception – Ligne – Suivre – Poste – Appel – Désigner – Lancement – Clôture – Format – Arbre

  • Luc Baudot

Mae Oh
L’appel était clair et concis : “Le conseil citoyen de Mîn ter est heureux de vous annoncer que votre candidature au poste de Gardien a été retenue. Vous prendrez vos fonctions au prochain lever du soleil. Quelqu’un sera là pour vous guider. Toutes nos félicitations.”
Des mots qui allaient bouleverser sa vie.
Il signa l’accusé de réception.
Au petit matin, il se rendit à la colline. Quelqu’un attendait devant le portail. Une femme, qui l’interpella : « Maître Mae Ho ? »
Elle l’avait appelé Maître ! Le titre résonna dans son esprit.
« Je suis Maître Sar Hâ, Gardienne de l’Arbre de Col Mah. Je suis chargée de vous aider à intégrer votre nouvelle fonction. Maître Wan Dâ, la précédente Gardienne a été appelée sur Li Le. Il fallait donc désigner une nouvelle personne pour la remplacer. Vous avez été choisi car vous connaissez parfaitement cette cité. Votre ancien travail à la Poste n’est pas étranger à cette décision. »
N’attendant pas de réponse, elle franchit la clôture. Mae Oh conclut qu’il devait la suivre.
Sar Hâ avançait d’un bon pas. Le sentier qui menait jusqu’à l’Arbre n’avait rien d’une ligne droite. Il sinuait sur la pente afin d’en adoucir la raideur. Ils arrivèrent au faîte de la colline et purent apprécier la vue dévoilant la totalité de la cité. Mae Oh goûtait le privilège de se trouver en cet endroit dont l’accès n’était autorisé qu’aux seuls Gardiens. Il découvrit l’Arbre, étendant ses ramures vers le sol. Peu de feuilles sur les branches mais une multitude de ce qui ressemblait à des pots attachés au bois par une tige souple. Le vent était doux mais suffisamment puissant pour faire s’entrechoquer les pots et créer un tintement constant, comme le ferait un carillon de bambou, grand format. Mae Oh s’approcha. Les pots devinrent des calebasses, creuses pour certaines, pleines pour les autres. C’étaient les fruits de l’Arbre.
Sar Hâ inspectait les branches, puis commença à cueillir les fruits fermés et un nombre identique de fruits ouverts, prenant soin de garder intacte la fibre ligneuse. Elle invita Mae Oh à l’imiter en lui conseillant de bien prendre la tige à sa jonction avec la branche puis d’exercer une légère torsion. Effectivement, le fruit se détachait sans dommage.
Juste à côté, se trouvait une cabane. Ils y emportèrent les calebasses cueillies. Sar Hâ poussa la porte, ils entrèrent et posèrent leur paquetage sur l’unique table. Elle s’assit sur l’unique chaise, prit une calebasse pleine et fendit sa tige ligneuse d’un coup de canif. Elle fit de même avec un fruit creux et inséra les deux tiges l’une dans l’autre. Les fibres commencèrent à se lier. Elle se leva et invita Mae Oh à s’assoir et le regarda effectuer l’opération sur les autres fruits de leur récolte, corrigeant ses gestes hésitants. Une fois leur tâche finie, ils mirent l’ensemble dans un cageot que Sar-Hâ posa sur une étagère. Elle choisit alors un autre cageot, rempli de calebasses dont les tiges aboutées étaient parfaitement soudées, qu’elle donna à Mae Oh. Puis ils sortirent de la cabane et descendirent le sentier.
De retour à la cité, Sar Hâ demanda à Mae Oh de prendre un premier fruit et de le tenir entre ses mains. Il s’exécuta et, sans qu’il fasse quoi que ce soit, un nom apparut dans son esprit : “Flo Hâ”, ainsi que l’image d’une sculpture représentant un envol d’oiseaux. Étonné, il regarda Sar Hâ.
« C’est tout ce que vous aurez pour trouver le destinataire » le prévint-elle, « Votre connaissance de la cité devra combler le manque d’information ».
Trouver où habitait la dénommée Flo Hâ fut assez simple. Lorsqu’ils lui présentèrent la calebasse, elle la prit comme on reçoit un cadeau, la regarda longuement avant de coller la partie creuse à son oreille. Un sourire illumina alors son visage, ses yeux brillèrent, deux larmes perlèrent. Mae Oh devina qu’elle revivait un moment heureux de sa vie. Cela ne dura que quelques instants, mais pour Flo Hâ, nul ne saurait dire le temps qui s’était écoulé. L’horloge des souvenirs égrène les secondes d’une façon très personnelle.
Sar-Hâ avait prévenu Mae Oh de ne demander aucun détail sur le contenu du message. Parfois les gens lui raconteraient, d’autres fois non. Elle n’expliquait pas vraiment le phénomène des calebasses. Pourquoi les défunts communiquaient-ils avec les vivants par ce biais ? Un Arbre existait sur le plus haut point de chaque cité, dont les fruits se fermaient lorsqu’un défunt y avait déposé un message à destination d’un vivant. Les fruits creux, eux, tenaient le rôle d’écouteur et d’amplificateur. Sauf exception, le contenu des calebasses procurait de la joie à ceux qui les recevaient. Sar Hâ expliqua qu’elle se considérait comme une messagère du bonheur. Un sourire accompagna ses paroles, qui éclaira son visage.
Ils distribuèrent les autres calebasses.
Un enfant leur raconta spontanément, les yeux pleins d’étincelles, qu’il avait joué avec Oû A, son chien disparu l’année précédente.
Un menuisier leur parla fièrement de son père, menuisier comme lui, qui venait de lui transmettre des conseils pour le lancement de sa future boutique.
Une femme leur expliqua qu’elle venait de parler avec sa défunte mère. Elles avaient pu se dire tous les mots que son départ soudain avait gardés en elles.
Beaucoup ne dirent rien, se contentant de les remercier.
À chaque fois, ils récupéraient la calebasse vidée de son souvenir. Mae Oh les déposerait demain matin au pied de l’Arbre où elles finiraient par retourner à la terre.
En fin de journée, Sar Hâ et Mae Oh s’assirent sur un banc et elle répondit à toutes ses questions. Mae Oh la remercia chaleureusement, puis Sar Hâ reprit la route de Col Mah.
Mae Oh rentra chez lui, pensant déjà au lendemain qu’il assumerait seul. Au seuil de sa porte, il trouva une calebasse. Intrigué, il la ramassa, la tint entre ses mains. Son propre nom apparut dans ses pensées. Il hésita quelques instants, avant d’approcher la cosse vide de son visage. Il finit par coller son oreille au bois, et ce qu’il ressentit fit jaillir en lui une déferlante d’émotions. Tous les Maîtres défunts de la cité le remerciaient et l’encourageaient à l’unisson, et pourtant il percevait distinctement les paroles de chacun d’entre eux. Le temps n’avait plus court.
Il se retrouva sur le seuil de sa porte, la calebasse dans la main, avec une certitude : il était dorénavant Maître Mae Oh, Gardien de l’Arbre de Mîn Ter.


  • Céline d’Arcangela

Trois petits points à la ligne
Pour démarrer sans trop de vitesse en creux de main, juste ce qu’il faut pour suivre ce qu’on n’a pas encore trouvé.
Eclat soleil sur champ clôture pour bien encercler silence et paysage défiler en mémoire vive.
Inventaire des heures grattées de souvenirs sur porte close à pousser en abandonnée de jardin.
Un cri, un appel et rideau se dégringole en cascade pour le format composer en histoire trouble suggérée.
Ça fait sens pour le cœur
Ça file indienne et les automnes en gueule me reviennent, remplis de pluie fracassée d’intérieur.
En coin de mur, se sentir désigné en index pointé mais regard ne se fige qu’en arbre sommet pour son rêve, porter.
En clair silence, tenir le poste sans défigurer l’instant. Attendre le bon moment pieds enracinés pour réception organisée.
Respiration ne se retient plus. Tic tac tic tac décompte affolé
Cinq, quatre, trois, deux un et c’est le lancement des jours d’été.


  • Stéphanie Divine

À ma grande surprise lorsque j’avais vérifié mon téléphone il y avait plein d’appels en absence chose qui ne s’est pas produite il y’a bien longtemps.Oui vous avez pu le comprendre je n’avais pas d’amoureux et le célibat et moi c’était la plus grande histoire d’amour que j’ai vécu (rire). Alors ces appels pouvaient-ils provenir de qui? j’ai le numéro de ma mère en tête et celui ci est un numéro inconnu.Peut être que la personne c’était trompée de numéro ?.Après m’être posé Mille et une questions sur l’identité de la personne j’ai relancé l’appel, directement j’écoute:bonjour madame Stéphanie, avec un air étonné j’ai répondu: bonjour mais a qui ai-je l’honneur ? il s’agit de la chaîne de télévision “elengui” vous avez déposé votre dossier de candidature pour le poste d’animatrice c’est bien ça ? -ouii ouii madame je vous informe que vous avez été choisie félicitations.hoo merci beaucoup.-Rendez vous Demain pour le début de votre travail. D’accord merci j’ai dis avant qu’elle raccroche.J’etais vraiment ravie, pour ce grand poste mais je pense que la chance était de mon côté parceque j’ai transmis mon dossier pratiquement deux minutes avant la clôture des candidatures.Maintenant l’angoisse et le stress étaient au pique j’ai appelé ma mère pour partager cette bonne nouvelle bien évidemment elle était très heureuse de pouvoir me suivre à la télévision,elle sait combien j’ai rêvé ce moment longtemps mais sauf que pour elle ce qui était le plus important c’était de lui présenter un homme elle voulait plus que tout me voir en couple.j’ai quitté son toit a cause de la pression qu’elle me mettait mais bon rien est perdu peut être que je devrais rencontrer l’homme de ma vie a ce boulot.sans vous mentir c’était aussi ma volonté ce n’est pas que je n’ai pas essayé, plusieurs fois. après avoir révisé pendant des heures le lancement de l’émission j’étais épuisée et excitée de savoir comment devrait se passer cette première journée.apres m’être plongée dans un bon sommeil le matin après le signale de mon réveil très tôt et oui je n’allais pas quand même me permettre d’être en retard pour un jour aussi important !j’ai du designer mes vêtements pour donner une très bonne image. je me suis apprêtée très rapidement enfin j’étais à la réception de la chaîne télévisée de mes rêves.on m’a accueilli comme une reine avec les appréciations du personnel sur mes vidéos envoyées dans mon dossier de candidature.jai commencé à lire le conducteur de l’émission et tout s’est très bien passé.je me suis bien senti.ça fait pratiquement 3mois que je travaille et je vous assure que je cartonne toujours je me suis faite beaucoup de contacts.je ne savais pas ce qui pouvait gâcher ma joie! pourtant après l’émission lorsque j’ai pris mon téléphone comme d’habitude c’est un appel de ma mère c’est avec joie que je décroche en disant : bonjour maman..et là j’écoute bonjour c’est bien la fille de Magali ..ce n’était pas la voix de ma mère chose très inquiétante avec la voix qui tremble je réponds oui mais qui est à l’appareil ? -c’est l’hôpital c’est a propos de votre maman est ce que vous pouvez venir tout de suite? Qu’est ce qui ne va pas avec elle -madame venez simplement ce monsieur m’a donné l’adresse de l’hôpital.il n’y avait pas une seconde a perdre je me suis rendue sur les lieux et c’est avec peine que je reçois l’information de son décès je ne savais même pas comment réagir en ce moment un sentiment de colère et de tristesse m’a saisi j’ai pleuré a chaudes larmes.c’est vrai que j’étais vraiment abattu mais je me suis vite remis de cette douleur bien-sûr le boulot m’occupait et je n’avais pas vraiment le temps de me morfondre sur cette tragédie.Jacques mon collègue et moi durant cette période avons tissé des liens,ce n’est pas déjà l’étape du mariage ne vous emballez pas mais nous nous sommes vraiment rapprochés je sais qu’il est amoureux de moi il ne me l’a pas dit mais je le sens il m’avait proposé d’aller chez lui pour fêter ma promotion au boulot au rang de directrice des programmes culturels.mais je lui avais clairement dit: désolé j’ai beaucoup à faire à la maison,j’ai des grandes occupations s’il s’avait ! ma grande occupation c’était kiki (rire) mon chat d’amour.de retour chez moi je me suis remise à fond au travail j’écrivais des grandes lignes que je présentais dans un format numérique sur mon ordinateur.mais je me suis vraiment ennuyée j’ai regretté de n’avoir pas accepté l’invitation de Jacques , il était très beau, musclé avec un teint mat et des grands yeux et son sourire éclatant ça m’avait beaucoup manqué chaque fois que je repense à ce jour je ne peux jamais oublier de le mentionner me voilà aujourd’hui sous mon arbre entrain d’y repenser à présent j’ai 70ans je suis toujours célibataire je vies seule avec Kiki mon chat bha ce n’est plus le même mais depuis la mort de mon chat a l’époque jusqu’à présent je donne son nom à tous les chats…je me demanderais toujours ce qu’aurai été la suite de l’histoire si je m’étais mise en couple avec Jacques,peut être qu’il serait encore a mes côtés ? que sais je ? peut être que ça devrait être un coup d’un soir et pas d’une vie ? peut être que si j’étais allé Jacques n’aurai pas été retrouvé mort dans son appartement ce jour là,ou peut être qu’on nous aurait tué tous les deux mais je ne saurais jamais mais je suis heureuse d’être en vie et tant que je vivrai Jacques et ma mère vivront a travers les souvenirs mais je pense que le célibat et moi c’est la plus grande histoire d’amour que j’ai eu.


  • Jade L.

Cela faisait maintenant trois ans que Joana travaillait à la réception d’un vieil hôtel de Paris la nuit. L’établissement n’avait rien de prestigieux : une façade assez lugubre, des chambres vieillottes… Mais Joana s’y plaisait. Il n’y avait jamais grand monde et elle savourait ses moments de solitude, seuls instants où elle pouvait échapper au bourdonnement incessant de la capitale. Elle en profitait souvent pour dessiner sur du papier acheté en grande surface. Elle appréciait la décoration plutôt simple de l’hôtel, sans extravagance. Mais ce qu’elle aimait le plus, c’était ce vieux téléphone à cadran datant du XXe siècle qui se démarquait de ce décor uniforme. Joana avait lu que le lancement de ce téléphone avait commencé en 1922 lors d’un concours dont il était le grand gagnant. Il fut ensuite commercialisé et désigné sous le nom de PTT24.
Ce soir-là, c’est ce même téléphone dont la sonnerie retentit à travers le hall de l’hôtel, ne manquant pas de faire sursauter notre réceptionniste. Comme le début d’un mauvais film d’horreur, la pluie s’écrasant au sol et la branche d’arbre frappant en rythme la fenêtre à sa droite n’aidaient pas à la rassurer. Il était plutôt curieux que ce téléphone sonne. Elle n’était pas même au courant qu’il fonctionnait. Elle croyait à une vieille (et belle) babiole, sans plus. Après cette brève frayeur, la jeune femme replaça son regard sur son poste de travail, et revint à ses occupations. Le silence, qui s’était réinstallé, fut de nouveau interrompu par une seconde sonnerie provenant du téléphone. « Bon, ça suffit » gromela Joana. Elle se leva de son siège, déterminée, et décrocha. La bakélite glacée contre son oreille lui donna un frisson. « Allô ? Qui est-ce ? Comment avez-vous trouvé la ligne de ce téléphone ? » demanda-t-elle avec un ton inquiet. Un silence eut le temps de se glisser entre sa question et la réponse « Salut Joana »
La fille raccrocha sur le champ, tentant d’oublier ce qu’elle venait d’entendre. La fin de son service pointait le bout de son nez, et elle commença à rassembler ses affaires, non mécontente de pouvoir aller rejoindre sa mère chez elle.
En rentrant, Joana prit le soin de bien refermer la clôture derrière elle, méfiante depuis l’appel qu’elle avait reçu à l’hôtel. Qui pouvait bien la contacter sur un vieux téléphone sans numéro ? Elle s’empressa d’envoyer un message à sa patronne, qui ne prit pas cette histoire au sérieux, affirmant que le téléphone n’était qu’un objet de décoration.
Le soir suivant, Joana eu beaucoup de mal à se rendre à son travail, y allant à reculons et redoutant désormais ses moment solitaires dont elle jouissait encore la nuit précédente. En marchant vers l’hôtel, elle avait l’impression de se faire suivre, non pas par quelqu’un, mais par quelque chose. Se rendant compte qu’elle commençait à avoir peur de manière irrationnelle, elle s’efforça de revenir à la raison et d’effectuer son travail comme tous les autres soirs.
A peine fut-elle installée que le téléphone sonna. Prenant son courage à deux mains, la jeune femme s’empara du combiné et le scotcha à son oreille.
— Qui est— ce ? interrogea-t-elle, tremblante.
— Joana.
— Comment connaissez-vous mon prénom ?
— Je te connais. Tu dessines tous les soirs sur ta petite feuille format A6 ; tu dessines tes rêves et tes désirs, tu te complais dans une réalité crayonnée, parce que tu ne veux pas accepter ce qui t’entoure réellement.
— Je connais votre voix.
— Evidemment que tu connais ma voix, Joana.
La réceptionniste eut un temps avant de comprendre à qui appartenait cette voix.
— Je suis toi.


  • Marie Thomas

L’aube se leva comme un appel du jour sur le monde qui émergeait doucement. La lueur du soleil laissait entrevoir la perspective d’un nouveau lancement, une nouvelle journée se préparait. Élisa répétait son rituel quotidien : prendre un café fumant tout en admirant la beauté de la nature qui l’entourait. Elle avait un jardin garni de fleurs de tout horizon, contemplant la flore naissante, ou déjà existante, ainsi que les arbres qui faisait office de clôture à son espace vert. Élisa possédait la capacité de voir de la poésie là où les autres ne voyaient que la construction basique de mère Nature. Si elle avait ce côté artiste, il n’empêchait que ses journées étaient rythmées par des rituels préétablis. Dans son Éden, la réception téléphonique était mauvaise, ce qui lui permettait de se couper de l’univers environnant et lui évitant de se laisser déranger dans ses habitudes.
La vie d’Élisa était un enchaînement de schémas bien définis, structurant son quotidien et répondant à un format que ses parents lui avaient inculqué. Elle s’appliquait religieusement à respecter la ligne à suivre : se lever tôt, admirer son jardin, prendre soin des plantes qu’il neige ou qu’il pleuve, se préparer pour se rendre au travail à la Poste, en revenir puis aller se coucher au crépuscule pour être certaine d’être levé aux aurores.
Cette matinée n’était pas comme les autres. Le jardin d’Élisa était en friche. Sans qu’elle ne comprenne, il fallait désigner un coupable. Au vu des dégâts, ce n’était pas les éléments qui avaient eu raison de ce carnage. Il n’y avait pas eu d’orage cette nuit-là. Comment allait-elle pouvoir respecter son rituel, si tout était à refaire ? Les fleurs n’étaient plus que des pétales éparpillés çà et là et les branches des arbres s’étaient décrochées, les dénudant de ce qui habillait l’enceinte même du jardin.
Au loin, elle aperçut une forme cubique se distinguer parmi sa forêt. Se dirigeant tout au fond, Élisa vit qu’une cabane avait été construite. Elle se remémora alors la promesse que son mari avait faite à ses enfants : leur construire un abri à eux, afin d’échapper à la rigidité des règles de la maison. Il leur avait créé un antre personnel, où ils pourraient instaurer leur propre structure. Élisa saisit alors l’importance de combiner les différences de chacun, afin que tout le monde puisse vivre en parfaite harmonie.


  • Nastasia LT

Je marche depuis des heures. Ma solitude ne m’effraie pas. Au contraire elle me guide. Je me répète, je me copie. Je dis et dis de nouveau les mêmes mots en moi comme pour les garder et ne jamais les oublier.
Suivre mon instinct. Ne jamais déborder. Répondre à mon appel intérieur sans exploser.
Mes émotions ne forment qu’une ligne brisée. Je les désigne sans un mot, juste en pensée. Je les fixe, je les décortique, je les range. Mon pas s’arrête soudain. Je regarde autour de moi. Une simple clôture. Trois bêtes allongées. Mes yeux étaient pourtant ouverts, mais visiblement fermés aux alentours. Je m’approche. Je l’observe. Quelle curieuse organisation… Une obstruction de liberté ou bien un espace de liberté sécurisé. Je questionne. Puis la pensée divaguant, je me questionne. Pourquoi tout me renvoie à moi ? De quelle fermeture souffre mon esprit ? Mes pensées affluent. Je reprends ma marche.
Suivre mon instinct. Ne jamais déborder. Répondre à mon appel intérieur sans exploser.
J’arrive au bout de ma ligne brisée. Elle semble si fragile. Je dois me poser. Je m’adosse à un arbre. J’ai besoin de sa structure pour ne pas tomber. Je sens son écorce. Ses feuilles tapissent le sol de de teintes hybrides parfaitement disposées. Ma ligne brisée reprend des couleurs. J’inspire avec humeur et expire en douceur. Je fais le point sur mes envies, sur les autres aussi. La vie est curieuse parfois. Cet arbre est ma plus belle rencontre de la journée.
J’ai suivi mon instinct, je ne bougerai pas d’ici. Mon poste d’observation est tout choisi. Fermeté de l’assise. Excellente réception de mes forces intérieures. Je prends le temps. Mon arbre à l’onde idéale m’apaise. Mon arbre à l’ombre idéale me protège. La taille de ses branches, la hauteur de son tronc, son format est parfait. Je m’y endors sans perdre de temps. Mes pensées sont en courbe, je profite de l’instant. Jamais, je n’avais accordé autant de liberté à mon esprit. Ma tête en sieste, mon corps se dilate. Il se diffuse, s’étale. Il dit qu’il existe. Je ne suis pas qu’un esprit.
A mon réveil, je me découvre. Mon extérieur est une ossature courbée, pleine de curiosités. Je reprends mes pas, déterminée à rencontrer d’autres quelqu’unes. Je prépare mon nouveau départ. Je suis prête au lancement d’une nouvelle vie.
Tout m’a toujours fait peur. Alors pour me bouleverser, je me répète, je me copie. Je dis et dis de nouveau les mêmes mots en moi comme pour les garder et ne jamais les oublier.
Suivre mon instinct. Déborder en clôturant ce que je ne veux dévoiler. Répondre à mon appel intérieur et ne jamais péricliter.
Je suis une quelqu’une, une boule d’émotion mais aussi un corps. Je suis une femme, je suis en quête. Je suis le résultat d’une enquête approfondie de moi. Je suis une, je suis plusieurs. Je suis moi.


  • Pierre de Proost

Depuis la terrasse de ma chambre d’hôtel à Voiron, je contemplais le splendide arbre dont les frondaisons d’un format hors norme me cachaient la belle bâtisse du 17ième siècle qui faisait face à la réception. Perdu dans de futiles pensées, je me disais que les efforts de ma grand-mère pour m’enseigner la botanique avaient été vains. Je ne parvenais pas à identifier sa famille, encore moins à désigner son espèce. Suivre ainsi le fil d’une rêverie décousue m’évitait de penser à l’appel téléphonique que j’attendais impatiemment avec anxiété. J’avais testé la ligne mais la communication s’était révélée de piètre qualité. Plus tôt dans la journée, je m’étais rendu au bureau de poste afin d’essayer de joindre moi-même Géraldine. Avait-elle achevé son travail avant la date de clôture ? Déjà six semaines depuis le lancement du contrat sur la tête d’Aurélien X. Or elle avait choisi l’empoisonnement progressif, méthode qui ne permet pas toujours de respecter le délai imparti.


  • Siv Heigberg

J’étais assise à la réception du gîte. Petit coin sur la ligne entre Gap et Grenoble, perdu dans les montagnes. Ancien résidu d’une époque passée. La vapeur sortant de la locomotive prête à monter la vallée du Buëch. Serpent encaissé. Il fallait le suivre pour sortir des champs de cigales et aller vers la rudesse des montagnes. Alors, tel un phare fidèle à son poste, le gîte éclairait la nuit et permettait aux cheminots de rentrer chez eux. Le temps de remplir la chaudière d’eau brulante.
Seule dans l’habitation, je ne m’attendais à aucun appel. Le propriétaire était absent et la saison basse. La première fois que nous avions négocié à mon embauche, j’avais tout de suite cherché un compromis qui lui permettait de ne pas avoir à payer des frais de nettoyage et de réhabilitation de sa maison tandis que j’habitais à temps plein la demeure. Ayant fait le deuil de sa jeunesse depuis bien longtemps, il était entouré de rapaces. Désigner un successeur aurait été une perte de temps. La vieille carne n’était bonne qu’à être rôtie selon ses descendants.
Je me souviens, le lancement du gîte avait été rude. Personne ne venait, je survivais dans la nature, ayant d’humaine que le toit au-dessus de mes rêves. Je me surprenais à enlever la clôture entourant la parcelle qui allait m’appartenir un jour. Je me sentais étouffer. Je me fondais dans l’environnement. Format paysage. Un arbre cachant la forêt.
Maintenant, j’avais structuré ma vie autour de cette condition de vie en autonomie. Seule l’électricité était ma dépendance. Je ne la payais pas. Pirate d’électrons. Je vivais en autarcie. L’eau puisée dans la source voisine, chauffée sur la plaque de cuisson-four alimentée par du bois. La nourriture cueillie dans le jardin ou les bois environnants. Je recevais des produits locaux par des systèmes d’approvisionnement solidaires. Je payais lorsque j’avais de quoi payer.
La mystérieuse cabane se trouvait dans un micro-renfoncement. La route d’un côté, les voies de l’autre. Elle attirait pourtant nombre de personnes, s’étant fait un nom par son aspect rustique et militant. Il était question d’égalité et de respect d’autrui en ces lieux.
J’avais tout rénové. La charpente brillait d’un luisant vernis mis sur des poutres de mélèzes s’entrecroisant. La toiture faite de planches recouverte de terre séchée, elle-même protégée par un paillage puis des pierres plates, ardoises alpines. La maisonnée se divisait en deux étages. Une cuisine, une salle de bain, une salle à vivre et ma chambre au rez-de-chaussée. Un dortoir et deux chambres individuelles juste au-dessus. Un grenier, une étable mêlée à un séchoir, une cave. Les néo-ruraux voulant découvrir cet endroit prestigieux déchantaient de voir la méthode surannée de vie dans la vallée.
Le comptoir était l’endroit où je devais rester aux horaires d’ouverture de fonctionnaires. Le matin, je nettoyais ce qui n’était pas propre. Le midi, je me préparais à manger un plat léger. Réchauffer le potage pendant que le plat de féculents accompagné de légumes cuisait. Le soir, je faisais un souper permettant de ne pas mourir de froid le jour tombé. Les moments de vide, je méditais, m’occupais à me balader dans les bois, peindre, écrire, dessiner… Un mot était laissé si une personne arrivait durent ces moments de détente.
Seule, à mon poste, je regardais l’écran de mon ordinateur fixe, le portable étant rangé. Je pouvais y voir des films. Projection sur le mur d’en-face. Un cinéma à la maison, un drap en guise d’écran, une sonorisation personnalisée. Certification arts-et-essais. Elle avait été obtenue après qu’une cinéaste avait tourné une fiction adolescente. Mélange de fantôme et de passion de jeunesse. Maladresse et tendresse entremêlées. Le paysage mystique s’y prêtait bien. J’avais joué le parent célibataire, rempli d’empathie autant que d’incompréhension. J’étais donc passée en image de partout en France sans pour autant être envahie de touristes, ayant signé un accord pour mentir sur l’emplacement de mon auberge. Cependant, je m’étais créée un réseau de artistes, cinéastes, peintre, autrices… Maintenant, en plus de pouvoir discuter des films à sortir, j’accueillais fréquemment mes amies, organisant projections, lectures, expositions. C’étaient devenu des petits rituels où la sororité, omniprésente en ces lieux, me ravissaient des petits instants de bonheur dans le morne quotidien des jours pluvieux.
Aujourd’hui, j’attendais impatiemment la fin de la journée. L’eau qui avait ruisselé tout le long du jour permettait la sortie des chanterelles de dessous la mousse. Aller me promener, me plonger dans le matelas duveteux mais humide et humer l’odeur du lichen gorgé de rosée. Là, seule dans les bois, je me sentais chaperon rouge assurée. Pas de crainte, juste la symbiose avec la végétation luxuriante de la forêt.
J’attendais la fin de la pluie aussi pour aller au-devant du train de fin d’après-midi. Je l’entendais venir, son claudiquement régulier passant d’un rail à l’autre, sur fond de klaxon pour chaque tunnel traversé. Une spirale qui permettait une ascension lente mais maitrisée. La voie étant unique, le gite abritait la voiture automotrice quelques minutes, le temps de croiser celle venant en sens opposé. J’avais mes habitués. Discussions révoltées, pas révoltantes. La permanente, on l’attendait dans nos cabines respectives. Nos efforts étaient peut être vains mais ils comptaient pour nous. Lors des grèves, ils venaient me voir pour discuter. Je n’avais plus l’habitude des piquets. La nature m’avait engloutit.
Le film était fini. Je laissais les crédits défiler pendant que mon âme retenait les dernières gouttes d’émotion cinématographiques. Deux êtres perdus dans la campagne cévenole. Un amour oscillant entre fratrie et romance. Des déchirements là où la culture ne s’immisce pas partout, non pas par manque de volonté mais juste parce que l’accès y est impossible.
Subitement je vis le soleil par la fenêtre et remerciais d’avoir le privilège d’avoir une vie comme je me l’étais imaginée. Une larme tombe. Une illumination me bouscula dans mes pensées. Je revenais à la réalité et me pencha. Je me nourrissais des rayons perçant les nuages pleins de volupté. Des voiles lumineux serpentaient dans la vallée. J’écrivais les principales axes de ma critique du film que je venais de regarder puis je me dépêchais de sortir. J’alimentai un petit blog y postant des textes issus de mes pensées et autres réflexions sans autre prétention que de coucher sur le papier mes émotions.
N’ayant pris qu’un coupe-vent, le froid stimulais mes muscles alors que je marchais dans l’herbe. Vêtue d’un pantalon pour éviter les tiques, je m’avançais entre la multitude de fleurs s’épanouissant ici et là. J’en cueillais certaines avec délicatesse, emmenant une botte de terre pour ne pas couper les racines, puis les mettais dans mon sac. Les plus belles, je les coupais bien à l’origine de leur tige et les mettais dans la poche étanche de mon sac remplie d’eau. Petit vase portatif. Pour finir, le coquelicot sur l’oreille. Signal secret.
Ma promenade ainsi terminée, je rentrai vers ma maisonnée, accourant au-devant de l’autorail, que je voyais grimper la butte aval, venant du pays provençal. Mon cœur battait la chamade de retrouver enfin la personne qui m’avait tant apporté ces dernières années. Je l’imaginais déjà derrière les portes à ne pas pouvoir patienter et sauter du train venant à peine de s’arrêter. Gare facultative pour laquelle il fallait demander à descendre. Je me mis à penser à son sourire qui me transperce l’âme, ses cheveux qui luisent dans la nuit, rougeoyant comme des braises, ainsi que les longs moments passés dans les prés, les végétaux caressant nos robes. Je laissais les fleurs sur le parvis de la bâtisse et me plantais à l’endroit précis où la porte s’ouvrirait. Un signe respectueux au conducteur. Le crissement des freins sur les roues. Le défilement des fenêtres. Le silence enfin retrouvé. Le dégazage des vérins des portes. Elle était là.


  • Nat Acha

Reconversion
Trois ans que je passe mes journées ici, entouré de toutes ces vieilleries gémissantes qui se plaignent du matin au soir. Moi qui ai tant brillé dans mes jeunes années, que l’on a admiré, qui ai voyagé de réceptions mondaines en bals majestueux, me voilà mis au rebus sans état d’âme, laissé à l’abandon. Mieux aurait valu une mort propre et rapide, broyé sous le choc d’un accident de la route, irrécupérable, brisé sur le bitume. Pas cette mort à petit feu dans l’oubli le plus total, me laissant un goût d’inutilité.
Plongé dans mes lamentations intérieures, je ne l’ai pas vu entrer dans notre demeure d’obsolescence. Un jeune homme, vêtu d’un jean troué et d’un tee-shirt grisâtre, est en train de fouiller les carcasses d’un air nonchalant. Il pousse devant lui une brouette dans laquelle brillent quelques pièces dont lui seul connait la valeur. Je le regarde se rapprocher et tendre la main. Je sens mes attaches trembler sous son étreinte plus ferme que je ne m’y attendais. Ce barbare m’arrache de mon support et me dépose dans la brouette, avec le reste de la ferraille qu’il a récupéré. Mes camarades d’infortune ne semblent pas inquiets. Alors je les interroge, curieux. Les autres pièces détachées sont heureuses de leur sort, elles voient là une occasion unique de sortir de cet endroit sinistre. Déjà, les discussions vont bon train pour deviner ce que l’énigmatique inconnu va faire de nous.
La brouette prend le chemin de la sortie. Le gardien salut notre sauveur. Il s’appelle Quentin et semble être un habitué des lieux. Sur le parking, un véhicule vieux et sale, qui semble en fin de vie nous attend. Bientôt il rejoindra sans doute les anciens que nous avons laissé dans la casse auto dont nous voyons la clôture se refermer derrière nous. Quentin vide le contenu de sa brouette sans ménagement dans le coffre de l’antiquité qui lui sert de moyen de locomotion. Des souvenirs me reviennent. Avec mon véhicule à la ligne gracieuse, nous étions magnifiques. Rien à voir avec cette épave roulante. Après notre abandon, des gens sont venus récupérer une portière par-ci, un pare choc par-là, et au fil des années qui sont passées je me suis retrouvé de plus en plus isolé sur une carcasse difforme qui n’avait plus rien de l’élégante cylindrée qu’elle avait été jadis.
Avant d’avoir eu le temps de trop y penser, la voiture s’arrête et son conducteur en sort. Je crois reconnaitre le doux son d’une porte de garage. Vais-je servir à rénover une voiture de collection ? Ce serait tellement bien de briller à nouveau sous le regard admiratif des connaisseurs. Quentin ouvre le coffre de sa voiture et me met dans un grand carton avec une partie de mes compagnons. Nous sommes tous en bon état général et beaucoup de mes amis sont chromés comme moi. Cela me conforte dans l’espoir d’être bientôt à nouveau opérationnel. Depuis le haut du carton je peux voir de drôles de machines un peu partout dans le jardin. Je ne saurais dire de quoi il s’agit, je n’ai jamais rien vu de semblable. Nous entrons dans le bâtiment. Il ne ressemble pas vraiment à un garage. Il y a bien une carcasse de voiture, complétement désossée et rouillée, toutefois je ne sais pas comment on pourrait transformer cette ruine en un modèle roulant. Je peux voir des outils un peu partout, de grands établis, de la peinture et des cartons de matériaux en tous genres. Beaucoup de métal : Du fer, de l’acier, du cuivre. Ainsi que du plastique, de la porcelaine, du verre.
— Tu ramènes encore du matériel ? Dit une voix féminine.
— Oui j’ai un nouveau projet ! Une commande spéciale de la ville. Ça va être grandiose ! Répond Quentin surexcité. Je pose ce carton ici. D’abord je dois m’occuper du reste, il y a beaucoup de boulot pour les nettoyer et les rendre exploitables.
Au fil des jours j’essaye de suivre ce qui se passe. Au début je ne pouvais discerner que des sons, plus effrayants les uns que les autres, et j’arrivais parfois à apercevoir Quentin œuvrant sur un poste de travail. Progressivement j’appris à reconnaitre la plupart des sons : Le choc du marteau sur le fer, le grincement de l’étau, le frottement strident de la meuleuse et celui plus doux du papier de verre, les cliquetis d’une chaine, le fracas d’une pièce qui tombe au sol. Finalement un matin Quentin vient chercher mon carton. Sur le trajet je découvre avec inquiétude la gueule béante d’une forge aux crépitements endiablés où chauffe un morceau de métal au format que je ne reconnais pas. Dans le jardin, le carton est posé au sol et le jeune homme se dirige vers une femme qui tient un chalumeau. Puis il repart dans une autre direction après un bref échange. C’est là que je la vois. Une structure métallique gigantesque à la forme indistincte. Je peine à y reconnaitre certains de mes anciens compagnons imbriqués dans ses lignes et ses courbes. Je me résigne à mon sort sans appel lorsqu’une main se saisie de moi. Quentin me fourre dans la poche de son tablier, grimpe sur une échelle et une fois arrivé en haut, descend son masque de soudure sur son visage. Il attrape alors la torche posée sur une plateforme près de lui d’une main, m’agrippe de l’autre et commence à assembler ma coque sur ce qui semble être un morceau de jante. La chaleur est insupportable. Il s’impatiente, grogne, puis il redescend visiblement agacé. Il m’emmène alors à l’intérieur de l’atelier, attrape une perceuse et sans ménagement fore un trou, faisant vibrer tout mon corps durant ce qui semble être une éternité. Puis il visse une tige et m’observe d’un air dubitatif. Il s’éloigne pour revenir avec un tournevis et retire délicatement mon miroir, me privant de la vue. Je l’entends trifouiller dans ma coque. Un grincement accompagné d’un craquement me font frémir. S’ensuit un soupir puis un tintement. Pour finir il replace mon miroir exactement comme à l’origine. La satisfaction se lit sur son visage et me voilà de retour en haut de l’échelle avec une tige de fixation servant à me lier à mon discret voisin. Une fois son travail accompli Quentin redescend chercher une autre pièce et continue son étrange danse enflammée un peu partout autour de la structure. À la fin de la journée il nous recouvre d’une immense bâche blanche.
Plusieurs jours s’écoulent dans le silence le plus total jusqu’à ce que je distingue le bruit d’un moteur qui s’approche. Quentin, plus excité que jamais, s’esclame que c’est le jour du grand lancement et toute la structure se met en mouvement. Le trajet est court. Aveuglé, je n’ai aucune idée de l’endroit où on nous décharge. Le vent froid qui s’engouffre sous la bâche m’indique que nous sommes en extérieur. J’entends de nombreuses discussions tout autour de moi. Il semble que beaucoup de monde nous attende. Soudain une voix grave prononce un discours auquel des applaudissements font écho puis notre couverture tombe, nous exposant à la vue de tous. Sous un soleil automnal, au milieu d’arbres aux feuilles virevoltantes, plusieurs centaines de personnes sont venues admirer la structure de métal. Une nouvelle salve d’applaudissements se fait entendre. Sans trop savoir pourquoi, je suis envahi d’un mélange d’excitation et satisfaction. Un enfant me désigne, index pointé en l’air, et même si je ne vois pas ses yeux de ma hauteur, je les imagine emplis d’étoiles. Certes je ne voyagerais plus comme avant mais je brille à nouveau. Tous ces gens sont venus m’admirer.
Au centre du jardin botanique d’une petite ville de province, est exposée une sculpture peu commune d’un artiste contemporain qui explique comment son inquiétude pour la crise environnementale a donnée naissance à une passion pour les créations conçues à partir d’objets recyclés. Il regarde fièrement son œuvre, deux girafes de fer penchées sur un arbre, en expliquant la provenance de chacune de pièces. La carrière de Quentin ne fait que commencer, bientôt il exposera dans une galerie une série d’œuvres en matières plastiques réalisées avec sa femme qui se tient à ses côtés.


⭐ Inspiration n°3

Texte – Partager – Sélection – Latence – Nature – Envoi – Bigarré – Colis – Pressé – Thé

  • Tuy Nga Brignol

Structurer ses pensées à travers les contes au fil des générations
Il est important de comprendre comment nos pensées affectent notre réalité. Nous pouvons apprendre à réfléchir à la façon de gérer notre colère, notre peur et notre stress dans nos interactions avec notre entourage. De même, nous pouvons essayer de comprendre les perspectives et réponses des autres pour mieux appréhender le contexte. Il est de notre responsabilité de communiquer à nos interlocuteurs d’une manière respectueuse, mais à la fois ferme et cohérente, nos propres limites et nos dispositions à les faire respecter si nécessaire.
Nous n’imaginons jamais assez à quel point la signification et le sens sont importants dans nos vies. Depuis notre plus tendre enfance, nous avons grandi dans un univers de contes. C’est la structure même de ce que nous sommes devenus. Nous pouvons nous y projeter et nous alimenter du sens que l’on y trouve, afin de nourrir nos propres significations, de découvrir ce que nous comprenons du monde et donc de manière indirecte, de nous-même. Les contes et légendes se racontaient de génération en génération. À l’époque où très peu savait lire ou écrire, les seuls modes de communication étaient les contes et légendes que l’on colportait à partager au coin du feu.
Nous vivons dans un monde bigarré aux divers points de vue et aux perspectives variées. Une communication claire est indispensable si nous voulons mener une vie saine et équilibrée. Une fois que nous acceptons que le conflit fait inévitablement partie de nos interactions quotidiennes avec autrui, nous pouvons élaborer des stratégies pour mieux gérer certaines situations inextricables. Bien sûr, nous ne pouvons pas changer les gens, mais nous pouvons changer nos réponses à leur égard.
Comme la majorité des enfants, Agathe a grandi dans son univers de contes, choisissant toujours les histoires que sa maman Anna devait lui lire à l’heure du coucher. Il y avait deux histoires qui revenaient souvent dans sa demande : « Le vilain petit canard » d’Andersen et « Alice au Pays des Merveilles » du mathématicien britannique Lewis Caroll. D’une certaine manière, c’était elle qui inconsciemment demandait ce qui la nourrissait de sens, ce qu’elle avait besoin d’entendre.
Dans le conte d’Andersen, une cane couve ses œufs, mais à l’éclosion, l’un d’eux, le vilain petit canard, ne ressemble pas à ses frères et sœurs de couvée. Le petit canard noir rejeté par ses frères canetons a du mal à s’intégrer dans le monde des canards. Rejeté de tous, à cause de son physique différent, il est contraint de quitter sa « famille » et de partir loin, pour ne plus subir leurs sarcasmes et leurs coups. A la fin du conte, il aura grandi et en vérité, on découvre que c’est un cygne, splendide quand il deviendra adulte.
Le vilain petit canard désigne celui qui suscite le mépris, en raison de sa différence physique, morale… Il est ainsi en général mis à l’écart du groupe. Ainsi, une différence, un handicap peuvent être des motifs de moquerie et d’exclusion, mais aussi devenir, avec le temps ou selon le point de vue, un atout, un objet valorisant, un motif de reconnaissance.
Ce récit montre comment l’enfant, en grandissant, doit apprendre à se connaître lui-même et s’accepter tel qu’il est, même si son entourage lui renvoie une image négative et ne l’aide pas à développer l’estime de soi.
Dans l’histoire « Alice au pays des merveilles », une petite fille est perdue dans un monde merveilleux et rencontre des êtres lunatiques. Le récit permet de confronter plusieurs logiques qui souvent vont jusqu’à l’absurde mais permettent aussi de remettre en question des vérités. Alice suit le Lapin Blanc, pourtant empli de dualités.
En effet d’abord peureux, il devient tyrannique envers Alice. Le Lapin Blanc prend de l’assurance tout au long du récit. C’est un élément initiateur du conte. Ses réapparitions régulières lui donnent le rôle de fil conducteur du texte. Les principales significations du Lapin Blanc sont liées à divers thèmes tels que l’abondance, le confort, la vulnérabilité, la fertilité, le désir et la procréation. Ces thèmes sont aussi étroitement liés aux saisons, aux changements de la nature et, plus concrètement, au printemps. Toujours pressé tout au long du récit, il court après le temps perdu. La montre du Lapin Blanc est toujours en retard. Lorsqu’il confie sa montre afin de la réparer, on lui explique qu’elle est, en réalité, retardée de deux jours (!).
Toutes ces histoires ont nourri l’imaginaire d’Agathe et lui ont permis de se construire elle-même. Elle trouvait ainsi dans chacune de ces histoires, quelque chose qui résonnait avec ce qu’elle vivait. Ainsi face aux difficultés qu’elle rencontrait, elle pouvait puiser dans ces récits quelque chose qui allait l’aider à trouver ses propres réponses.
Et même, d’après un proverbe touareg, la sagesse de tout l’univers se trouve dans une tasse de thé.
Anna apprécie beaucoup de partager ce moment de convivialité avec sa fille Agathe, de passage pour lui rendre visite. C’est aussi pour Anna l’occasion de remettre le colis – une sélection de contes – à sa petite-fille Ambre, une enfant dont les capacités sont restées en état de latence. Pour la grand-mère, remettre en mains propres le cadeau destiné à sa petite-fille, c’est plus tendre et affectueux qu’un envoi par la poste.


  • Athénaïs Grave

Ecriture : mode d’emploi
Pour commencer, installez-vous bien confortablement, derrière un bureau, sur un canapé ou même sur un banc à l’ombre d’un saule. Servez-vous une tasse de chocolat chaud, de thé ou de café, selon votre goût. Respirez.
Maintenant, vous pouvez ouvrir votre ordinateur ou votre carnet, saisir votre stylo ou votre clavier et laissez vous emporter. N’ayez crainte de la page blanche. L’imagination est quelques fois capricieuse. Ne soyez pas pressé. Vous verrez, quand elle pointe enfin son nez, elle peut vous entrainer dans mille univers. Un instant sombre, l’autre bigarré. Un moment triste, le suivant enjoué. Un brin de sagesse, un brin de folie. Une dose de rose, une goutte de gris. Et parfois de long de vide, avant un fleuve de mots affolés. La latence est dans la nature de l’inspiration. Elle se laisse désirer. Parfois, elle nous emmène aussi sur de mauvais chemins. Il faut savoir ne pas prendre tout ce qu’elle nous donne. Il faut faire une rude sélection dans ses divagations. Cela pourrait vous paraître effrayant, vous pourriez craindre de vous perdre en route. Si vous commencez à ressentir ce genre de sensations, il est temps de poser votre plume. Allez faire un tour. Abandonnez votre œuvre un moment. Vous la retrouverez intacte quand vous vous sentirez prêt.
Après plusieurs heures, jours, semaines, mois, année de travail, vous êtes enfin satisfait. Vous avez bien écrit. Vous vous êtes même relu et corrigé plusieurs fois. Chaque virgule est sa place. Chaque mot est bien dosé. Ce texte, c’est un peu votre bébé. Mais maintenant qu’il a bien grandi, il est l’heure de lui donner le jour.
Un texte ne vit que pour se faire partager. Vous pouvez, désormais, passer à la prochaine phase. Pour les amateurs du manuscrit fait main, enveloppez vos mots tendrement, prenez un carton, déposez-les délicatement au fond et refermez. Votre colis est prêt à être expédié. Pour ceux qui préfèrent l’écriture binaire à l’encre sur le papier, la manœuvre est plus simple. Ouvrez votre boîte mail, débutez un nouveau message, ajoutez la pièce-jointe et cliquez. Voilà, vous venez de faire l’envoi le plus important de votre vie. Bravo !
Il ne vous reste plus que la dernière étape. Comment ? Vous pensiez en avoir terminé ? Le plus dur est à venir. Il s’appelle l’attente.


  • Alexandre Genestar

LA DÉCISION
Assise sur la banquette garnie de gros coussins, un mug de thé fumant entre les mains et son ordinateur portable sur les genoux, Emma se perdait dans la contemplation du tapis bigarré qui s’étalait au pied de la colline. Elle avait toujours aimé l’automne, lorsque la nature se parait de mille couleurs chatoyantes. Elle poussa un soupir d’aise.
Depuis qu’elle s’était fait licencier il y a deux mois, elle avait eu tendance à se laisser gagner par l’abattement. Elle avait pris l’habitude de ne plus mettre de réveil et de trainer en pyjama jusqu’à pas d’heure. Tout s’était passé si vite ; le courrier la convoquant à un entretien, les explications de son employeur sur la mauvaise santé financière de l’entreprise, son discours sur les responsabilités qui incombent à un entrepreneur, et enfin des paroles valorisantes, prononcées d’une voix caressante mais pas sincère pour autant. Avant même qu’elle réalise ce qui c’était passé, elle s’était retrouvée sur le parking, ses effets personnels dans un carton ayant auparavant accueilli des ramettes de papier A4. Le lendemain, elle s’était trouvée engluée dans une torpeur qui lui parut insurmontable. Le désespoir, quand on s’y abandonne, semble parfois plus confortable que la résistance qui suppose efforts et volonté.
Mais ce matin, tout s’était déroulé différemment. Emma s’était levée tôt. Le processus qui l’avait conduite à ce changement avait commencé la veille. Dans l’après-midi, elle avait reçu un colis de sa tante Catherine. Lorsqu’elle était enfant, celle que tout le monde surnommait Cathy lui avait donné le goût de la lecture, lui offrant régulièrement une sélection de ses ouvrages favoris du moment. Plus tard, quand Emma s’était mise à écrire, d’abord de petites histoires, puis des textes de plus en plus longs, sa tante l’avait encouragée. Elle s’était même octroyé le titre de « première fan » de sa nièce à qui elle prédisait un grand avenir de romancière. Cathy avait choisi une belle boîte en carton et y avait glissé trois livres emballés de papier de soie, quelques friandises et une enveloppe bleu-nuit. Une simple phrase était écrite sur la carte qu’elle avait sortie de cette dernière. Emma l’avait lue plusieurs fois.
« C’est ton tour de partager. »
Ses yeux s’étaient embués et elle avait pressé le bristol contre son cœur. La jeune femme avait toujours pris un plaisir immense à écrire. Elle s’était toujours dit qu’il serait merveilleux de pouvoir s’y consacrer pleinement et, pourquoi pas, en faire son métier. Mais elle n’avait jamais osé se lancer. Pourtant, sans s’en rendre compte, elle avait écrit énormément de choses. C’était comme si l’autrice en elle était restée en latence.
Le mot de Cathy l’avait réveillée. Il était temps qu’elle saisisse sa chance. Fini l’autoapitoiement ! Elle allait se ressaisir, prendre son courage à deux mains et voir une bonne fois pour toute si elle avait du talent.
Emma posa son mug sur la table basse à côté d’elle et alluma son ordinateur. Elle avait passé la matinée à collecter les adresses de plusieurs éditeurs et avait pris le temps de rédiger un courriel. Elle y glissa finalement la pièce jointe et cliqua sur « envoi ».


      • Sara Conte

      Je bois mon thé en lisant un texte sur une sélection de ses différentes variétés. Cet état de latence intermittent dans une journée me fait du bien, me détend. Je me retrouve dans le calme de mes pensées, concentré sur les belles sensations que me procure cette enveloppante boisson. Elle est si bonne que j’ai envie de la partager. Chacun de ses parfums et agrumes envoi une information différente qui rend le message sensoriel fantastique. J’ai l’impression de boire un voyage. De voyager tout en restant au même endroit. De nature pressé, j’aime me calmer durant cette activité. J’éteins le temps et demeure dans un autre espace-temps le temps d’un instant. Et alors que ce thé bigarré me fait voyager, je me laisse aller à la détente. Lorsque j’avais ouvert le colis le mois dernier, je ne m’étais pas imaginé être aussi heureux face à la surprise qui s’y trouvait. Pourtant, me voilà maintenant émerveillé par ce que je suis en train de vivre tout en faisant l’action qui me maintient dans cet état. Et je profite de ce moment de lenteur qui m’amène à bouger intérieurement. Rencontrant un peu plus le paradoxe du thé.



      • Ma participation, hors concours, sur l’inspiration n°3

      Elles s’écoulent au loin, sans latence, au creux des vallées et des bois dormants,
      A la fois symboles et symptômes de ta poésie nature qui s’élevant au même moment,
      Sélection luxuriante de notes-textes à écouter, rêver et partager sur l’instant,
      Pour contribuer au rayonnement de cet art bigarré dont tu es l’amant.
      Fleurs-mots, sable-écriture, thé-rime, myriade de lettres imprégnent tes chants,
      Tels de minuscules colis de beauté romanesque se préparant à l’envoi imminent,
      De leurs chargements si précieux, garants de sourires et d’émerveillement,
      Pressé que tu es de ranimer la flamme-coeur de l’humanité par tes enchantements.


      Merci à tous pour vos participations et lectures !

      A bientôt 💋

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