Bonjour à vous 😊 bienvenue dans cette nouvelle aventure qui démarre avec une belle brassée de textes pour le tout premier appel de février 🧡
Les textes ne sont relus qu’au moment de leur publication, et ce uniquement dans le but de vérifier qu’ils ne contreviennent pas au règlement de l’atelier d’écriture. Si le cas devait se produire, le texte ne serait tout simplement pas publié, sans autre recours possible de son auteur. La Petite Boutique des Auteurs n’est pas responsable des coquilles, fautes d’orthographe, syntaxiques ou grammaticales éventuellement présentes dans les textes qui participent au Rendez-Vous des Plumes. Merci d’en prendre note avant lecture.
___ Amelia
Thème-guide de février : (Dés)espoir (non obligatoire dans le traitement de la consigne)
✍
Type d’inspiration : incipits
⭐ Inspiration n°1 : Un jour de mai… ou peut-être était-ce de septembre ?
- Luc Baudot
UN BRICOLEUR DE GENIE
Un jour de mai… ou peut-être était-ce de septembre ? J’ai toujours eu du mal à retenir les dates. À quand remonte cette virée en forêt avec mon père ?
Je remets dans le carton l’objet qui m’a ramené si loin en arrière. Pourquoi ais-je tenu à le récupérer au décès de mon oncle ?
Mon oncle était un bricoleur de génie. Il inventait toutes sortes de machines plus invraisemblables les unes que les autres. J’adorais le voir à l’œuvre dans son sous-sol transformé en atelier. Pour le gamin de douze ans que j’étais, il y avait de la magie dans tout cela.
Un jour, je le regardais travailler lorsque j’ai remarqué un objet posé sur son établi : une sorte de casque de moto surmonté d’une multitude de voyants, de fils électriques et d’un interrupteur. Je lui demandais si c’était un prototype pour jeu en réalité virtuelle ?
— Oh, ce machin là ? C’est un casque à remonter le temps.
— Tu me fais marcher !
— Je t’assure qu’avec ce casque, tu peux retourner en pensée à n’importe quelle période de ta vie. Le système se branche sur ta mémoire. Tu peux même sentir les odeurs ou le goût des aliments.
— C’est top ! Et tu t’en sers souvent ?
— En fait, je ne m’en suis jamais servi.
— Ah bon, pourquoi ?
— J’ai peur que mes souvenirs du passé soient différents de ceux que je vais trouver.
— Cela signifie que le passé peut changer ?
— Non, je crois plutôt que le temps change notre façon de le voir, en fonction de notre âge.
— Tu veux dire qu’en grandissant, nous modifions nos souvenirs ?
— À trois ans, tu te régalais d’histoires de licornes et de Père Noël. Si je te les racontais aujourd’hui, tu serais certainement déçu. Tu vois, je pense que le passé est plus beau s’il reste dans nos mémoires… Mais j’entends ta tante nous appeler pour le repas.
L’après-midi, mon oncle se reposait et ma tante était occupée à la cuisine. J’en profitais pour descendre discrètement au sous-sol. Le casque était resté sur l’établi. Je le posais sur ma tête et actionnais l’interrupteur. Puis Je pensais au jour où nous étions partis camper avec mon père dans une immense forêt remplie de bêtes sauvages. Nous avions fait un grand feu toute la nuit pour les éloigner.
Aussitôt, je me retrouvais dans la forêt. Elle était moins grande que dans mon souvenir. En fait de bêtes féroces, il s’agissait d’une biche qui s’était enfuie à notre approche. Et le feu n’avait duré que le temps de griller des guimauves…
Dépité, je remontais dans le salon où je m’allongeais sur le canapé pour regarder la télévision, et je m’endormis.
Mon oncle me réveilla.
— Alors, toi aussi, tu fais une sieste ?
Je me sentais coupable d’avoir essayé le casque sans sa permission. Je lui avouais tout et lui confirmais qu’il avait raison : le passé est moins beau que sont nos souvenirs. Il me répondit :
— Ça m’étonnerait que tu l’aies fait fonctionner, la batterie est déchargée depuis bien longtemps. Tu as du rêver… Je retourne au sous-sol, tu viens ?
En revoyant le casque, je remarquais qu’un des voyants clignotait encore. Sidéré, je fermais les yeux, les rouvrit : le voyant s’était éteint.
Le casque fonctionnait-il ou avais-je tout imaginé ? C’était il y a trente ans. Je revois encore la scène et sens le goût amer qu’elle m’avait laissé. C’est à cette époque que j’ai compris que le passé doit rester à sa place pour ne pas nous empêcher de goûter pleinement au présent.
J’attrape quelques outils, ressors le casque du carton et le démonte consciencieusement, éparpillant ses pièces sur la table. Je me connais, je ne suis pas un bricoleur de génie comme mon oncle. Jamais je ne saurai le remonter !
- Athénaïs Grave – 2e place
BRÛLEE
Un jour de mai… ou peut-être était-ce de septembre ? Au fond, quelle importance ? Se rappeler la date exacte a-t-il un quelconque intérêt ? À vrai dire, je ne suis même pas sûre que je puisse fixer l’évènement de façon précise dans l’espace-temps. La chose fut progressive. D’abord invisible à mes yeux, ou peut-être refusais-je simplement de la voir, puis de plus en plus sensible, de plus en plus tangible, jusqu’à devenir irrémédiablement certaine : j’avais perdu mes ailes.
Je les avais laissées se consumer à petit feu, aveugle, imperméable à la douleur que leur brasier allumait dans mon cœur et dans mes tripes.
Jusqu’à ce jour, de mai, de juillet, de septembre, de décembre,… Je ne sais pas, je ne sais plus, mes idées s’enlisent dans un brouillard de suie. Jusqu’à ce jour, où elles n’ont plus pu me porter, où je n’ai plus réussi à me lever. La réalité m’a alors frappée en pleine face. Je n’étais plus que cendres. J’avais trop donné. Je m’étais trop donnée. Et je m’étais oubliée. Mes ailes m’avaient, au début, portée. Cependant, le poids qui reposait sur elles était trop lourd. Elles avaient d’abord commencé par se courber. Mais elles avaient tenu bon. Elles avaient ensuite perdu leurs plumes, parties en fumée. Mais elles avaient tenu bon. Elles avaient ensuite rougi. Mais elles avaient tenu bon. Le rouge était ensuite devenu charbon. Mais elles avaient encore tenu bon. Mais sous l’effort continu, le charbon était devenu friable. Et un beau matin, elles n’étaient plus. Plus que poussières perdues.
Ça ne repousse pas facilement des ailes. C’est un processus long. Tellement long, qu’on peut croire leur perte irréversible. Ça ne repousse pas seules, des ailes. Ça ne repousse pas sans aide. De l’aide et du temps, il m’en a fallu. Jour après jour. Semaine après semaine. Plume après plume.
Doucement, je me suis relevée, avec prudence. Effrayée à l’idée de blesser à nouveau mon fragile équilibre. Doucement, je me suis remise à marcher. Doucement, j’ai recommencé à agiter mon plumage. Et finalement, après des mois de lutte, à me retrouver, je me suis réenvolée. Fière. La tête haute. D’avoir réussi à surmonter. À reconstruire. À me réparer. J’ai survolé mon passé et j’ai regardé en arrière. J’ai déployé mes ailes reconquises.
Et quand je me suis vue à nouveau dans le miroir, j’ai découvert, que leur envergure dépassait celle de mes anciennes brûlées.
- Léa Simic – 1ère place
Un jour de mai… ou peut-être était-ce en septembre ?
Quoiqu’il en soit, depuis qu’elle est arrivée, Bernadette a ses habitudes. C’est important, ça l’aide à compter les jours en attendant. Elle se réveille à 6h36 tous les matins. C’est comme ça depuis des années. Toujours 36, jamais 35, elle déteste les chiffres impairs. Sa fille dit qu’elle est folle.
Ce jour-là – si c’était en mai, il ne faisait vraiment pas très beau – Bernadette avait mis son arthrose au défi d’aller ouvrir la porte. On y frappait rarement, surtout depuis que Raymond n’était plus là. Leurs amis étaient en fait ceux de Raymond. Elle s’en était aperçue au fil des semaines après l’enterrement. Les premiers jours, on appelait pour prendre de ses nouvelles, on l’invitait à sortir, à prendre le café, pour se changer les idées. Mais très vite, elle avait compris que ce n’était pas pour elle mais pour eux qu’ils venaient, et qu’il était possible de se sentir plus seule encore que le défunt.
Bon vivant (quand il l’était toujours, évidemment), il ne se passait pas un week-end sans que Raymond n’invite des voisins, des amis et de la famille. C’était un bon cuisinier et un grand bavard : de quoi garder ses invités assez longtemps pour agacer Bernadette. Elle était tombée amoureuse de lui quand ils avaient tout juste 18 ans. Justement pour cette lumière qu’il dégageait, et qu’elle semblait ne savoir qu’étouffer. Mais en vieillissant, ce qui l’avait fait fondre la faisait désormais bouillir.
Quand elle était arrivée aux Glaïeuls, elle n’avait adressé la parole à personne durant plusieurs jours. A quoi bon parler à ces vieillards qui ne voient plus leur vie qu’entourés d’aides soignantes, de dentiers, de soupers à 17h et de “Alors, comment qu’il va M. Martin ?” Autant crever. C’est ce qu’elle avait répondu à son fils quand il lui avait annoncé qu’il lui avait trouvé une place en Ehpad.
Aujourd’hui, ça n’avait pas beaucoup changé. Elle discutait parfois avec Louisette, de la chambre 321. La sienne était la 103. Bernadette s’était toujours demandé comment on attribuait les numéros de chambre. Elle avait sa théorie : les plus vieux se voyaient attribuer les numéros de chambre les plus hauts. Elle en avait donc conclu que celui ou celle qui lui avait laissé sa place était parti jeune. Enfin, moins vieux que les autres. Bientôt, elle laisserait elle aussi sa chambre à un nouvel arrivant. Sauf qu’elle, elle retrouverait sa maison, son canapé abîmé et ses bégonias sur les fenêtres. Son fils le lui avait promis.
“C’est seulement le temps que tu t’en remettes maman. Quelques semaines, pour te reposer, et puis je viendrai te chercher. Promis.”
Elle avait ordonné à sa belle-fille de s’occuper des plantes et de relever le courrier. Elle ne l’avait jamais portée dans son cœur, mais elle devait reconnaître qui si elle savait faire une chose -autre que lui voler son fils-, c’était s’occuper des plantes.
Chaque matin, elle sort du lit du côté droit. Avec lourdeur et très, très doucement, mais toute seule. Pas comme sa voisine de chambre, cette assistée de Claudine. Comme elle est très petite, ses pieds ne touchent pas par terre. Alors elle se fait glisser doucement vers le sol jusqu’à pouvoir enfoncer ses orteils osseux dans ses pantoufles bleues. Elle n’aime pas trop cette couleur, mais ça n’est que temporaire. Claudette, elle, doit attendre qu’Aurélie vienne lui enfiler ses chaussons. Celle-là, elle l’aime bien. Elle n’a l’air de rien comme ça, quand elle entre de la chambre du haut de son mètre 52, ses longs cheveux blonds tirés en arrière. Mais cette petite a du caractère. Et surtout, elle ne se laisse pas aller à la pitié et au ton mielleux qu’on prend souvent pour s’adresser aux vieux. Elle lui parle d’égal à égal, et Bernadette lui en est reconnaissante. Même si elle ne dit rien.
Ce jour-là donc, elle était allée ouvrir la porte, s’attendant à voir une voisine. De temps en temps, mais assez rarement pour que cela continue de l’étonner, une voisine faisait sa bonne action en venant lui rendre visite. Mais cette fois, la porte s’était ouverte sur trois grands hommes en uniforme bleu. C’était là que tout avait commencé, ou plus tôt, c’était là que tout s’était fini.
“Vous êtes bien la mère de Patrick T. ?”
L’annonce, la crise, les larmes, le néant. Le vide qui l’aspire toute entière, quelque chose qui se brise, là tout au fond, et puis les Glaïeuls.
Aujourd’hui, le sapin de Noël brille dans la salle commune. Bernadette s’est installée à une table ronde avant tout le monde, comme à son habitude. Elle aime profiter du silence et du vide avant le dîner. Souvent elle ferme les yeux et elle imagine les dîners de famille, du temps où il n’y avait pas encore de tombe à fleurir. Comme leur père, ses fils avaient en eux une lumière vive, qui réchauffe et qui soigne. Mais l’une d’elle avait choisi de s’éteindre ce jour de mai. Depuis, plus rien n’avait pu lever le voile devant les yeux de Bernadette. Elle passait ses journées au lit, elle ne mangeait presque plus. Et puis, de tristesse ou de solitude, Raymond aussi était parti. Alors, il avait fait complètement noir dans le coeur et la tête de Bernadette, et ça ne s’était jamais rallumé.
Ces épines vertes et ces guirlandes lumineuses, ça égaye un peu les murs jaunâtres. Et puis surtout, l’odeur de l’épicéa masque celle de la vieillesse. Plus jeune, quand elle rendait visite à des oncles et tantes, elle avait toujours détesté cette odeur si propre aux maisons de retraite, sans pour autant jamais parvenir à la décrire.
Il est plus joli comme ça, ce sapin. La dernière fois, la décoration était bleue et dorée, Bernadette avait trouvé ça criard. C’était d’un laid ! Une fois de retour chez elle, quand viendra Noël, elle décorera son sapin comme celui-ci. Ça plaira à Patrick, c’est certain. Peut-être même qu’il viendra l’aider à le décorer. Il faudrait qu’elle l’appelle pour lui proposer.
- Alessandro Adamo
Un jour de mai… ou peut-être était-ce de septembre ? Le ciel était-il bleu ou bercé de brume ? Après tout quelle importance ? C’est le jour où je t’ai aimé pour la première fois.
J’ai su dès ta première plainte que ton âme et mon âme étaient la même. C’est en voyant ton cœur si faible que le mien est devenu si tendre. Comme mes mains tremblaient d’amour ! Et comme les papillons battaient leurs ailes dans mon ventre !
Est-ce si grave si ce garçon ne t’aime pas ? Sans le connaître, je sais que ses bras n’étaient pas suffisamment grands pour accueillir ton être si fragile. Il n’a pas su te montrer à quel point tu es belle, et quel péché de ne pas se prosterner devant ta beauté !
Me voilà devenu sentimental, moi simple homme parmi les Hommes. De tes yeux a coulé l’encre des anges, et c’est avec ce divin outil que sur cette feuille de papier je pose les mots des premiers romantiques.
Ne vois-tu pas comme je suis en contemplation devant ton visage depuis ce jour-là ? Ce fameux jour où j’ai su que c’était toi et personne d’autre, que celle de mon rêve familier avait enfin décidé de sortir de mon songe nocturne. Depuis si longtemps je garde en moi cette magnifique douleur. Que je t’ai tant attendu !
M’aimes-tu ce soir ? Est-ce que tu penses à moi ? Rêves-tu d’amour comme moi je rêve du tien ? Plaques-tu tes mains sur ta poitrine et sens-tu ton coeur manqué au mien ?
Mercredi, j’irai te retrouver. Je ne sais pas encore où mais si notre destin est d’être ensemble, alors je te trouverai. Et quand je te verrai, mes mains et mon coeur trembleront ; mon estomac se nouera ; mes lèvres s’agrandiront et frémiront à la pensée de ta bouche sur la mienne. Puis, tout fébrile, je m’avancerais vers toi. Tu me demanderas qu’est-ce que je ferais là. Je répondrai que le soleil m’a conduit à son enfant. Tu rigoleras et me traiteras de fou. Je te dirai que je suis fou de toi. Tu me regarderas en fronçant soudainement tes sourcils noir et dur. Je rigolerai une dernière fois puis je te dirais que je t’aime comme jamais un homme n’a aimé une femme.
Ah ma pauvre ! Tu tiens entre tes mains l’avenir d’un homme ! Son éternel bonheur ou son profond chagrin !
- Loïc Mounier
Un jour de mai… ou peut-être était-ce de septembre? Maman venait de mourir et j’avais plus d’appétit que d’habitude. Au réveil simplement, j’avalais un steak de cheval tel le Diomède d’Homère, incapable de poser mes pensées autres que la chasse. Accompagné d’œufs battus, comme ceux de maman, au piment vert et très gras. Je regardais mes chaussures d’airain, aussi fades que le muscle que je mâchais, hagard, ne me retenant plus face au torrent d’idées noires qui arrivait en trombe au milieu de ma tête. Ce Styx sentimentale, je le sentais capable. Capable de tout. Du meilleur comme du pire. Et ce jour là, j’imaginais le meilleur comme on saute à cloche pied quand on est un enfant. En riant. Sans prêter attention au reste. Seul au milieu de tous. Indifférent aux autres. Indifférent au temps qui passe, puisqu’il n’existe pas. Je le sentais gronder en moi, en tonnerre déchirant prêt à défigurer les visages souffrants d’âmes perdues, condamnées par Zeus lui-même face à leurs outrages affligeants. Je l’entendais rugir. Bouillir. Grossir. Et personne autour de moi ne voyait rien. Image fermée au marbre brillant. Mon reflet sur le monde semblait courageux mais totalement froid.
Aujourd’hui je suis seul, dans cette prison froide. Je ne me parle même pas. Trop de choses à digérer. Trop de détails à repasser. J’ai été laxiste. J’étais inexpérimenté. Je ne le referais pas. Je ne le referais plus. Amer ce goût de sang qui brûle ma gorge. Amère cette vision que le monde a eu de moi. Me prenant dans ses bras comme un bébé pleurant, m’offrant tous les jours droits, au chômage reluisant. Je ne leur en veux pas. Je n’en veux à personne. Sauf à ces bêtes immondes qui grouillent sur mes bras. Et mes pieds. J’attends patiemment qu’ils remontent à mon nez pour infliger puissant, mon courroux à ces larves invertébrées.
Cette après-midi là… ou peut-être était-ce à la nuit tombée? Je voguais par les rues, Charon sur mon flanc droit. La tête basse, haletant par ce froid. L’été ici n’avait jamais poussé, dans ce terreau morbide où jamais le ciel ne pleure. Sauf en grelots de glace écrasant les têtes; et les toits et la terre. Je prenais par la main pour une fois ma vie. J’agissais en humain, seul hombre à mon avis. Je marchais assuré de trouver le repos. Encore porté par mon repas du midi, sagement assimilé, mon corps impuissant, qui, submergé par ma tête, fondait sur le bitume en robot. Décidé à en finir mes doigts serraient cette arme cachée sous un simple journal. Édition du soir. J’avais l’air de savoir. Absurdité absolue. Je faisais machinal mes mouvements d’être humain, et marchais anormal grâce à mon flux sanguin. J’arrivais enfin à ma perte. Regardais bien sur ma droite. Furetant sur la gauche en petit animal. Fourbe. Rusé. Mais bête. Tellement bête. Abruti de songes que la télé irradiait sans cesse. Salopette propre et synapses embourbées. Je me régalais de cette crème glacée qui montait aux sinus lentement. Mais sûrement.
Aujourd’hui je suis seul, dans cette cage de bois. Incapable de bouger, ne serait-ce même qu’un doigt. J’ai perdu mon amour comme on en perdais le Nord dans le souffle glacé, de la neige qui vous gifle. Elle s’appelait Flore. Je m’appelais … . Je n’ai pas de nom. Pas de prénom. Je suis toi. Il ou elle. E suis toi. La folie de tous les hommes. Comme la sagesse d’un seul. Aujourd’hui prisonnier de ce sapin qui pourri, je m’apprête à regret à me mettre à attendre. Attente déçue. Clairement. Attendre. Encore et encore. Pour toujours. Ce qui ne viendra pas. Jamais. Je suis pris. Je me demande si mon espoir s’est perdu depuis tout petit. Si c’est ainsi que je n’attendais plus rien.
La différence entre l’absence d’espoir et le désespoir est facile à établir. Le désespoir c’est la réaction à une attente déçue, l’absence d’espoir c’est l’absence d’attente. Ne rien attendre du monde c’est le seul cheminement cohérent pour l’homme absurde. J’ai dû tout faire tout seul. Je ne pleure jamais. Pas même lorsque maman s’est tuée.
- Pascale Di
Un jour de mai… ou peut-être était-ce de septembre ?
J’ai dû encore trop errer dans cet entre-deux, cet entre espace et temps, entre heures interminables et celles qui défilent, perdue entre le passé de souvenirs qui nous envahissent soudain, emplissent parfois nos cœurs d’un bonheur immense pour mieux nous perdre ensuite dans une réalité beaucoup trop difficile à vivre, un présent vide d’un manque trop lourd à porter.
Assise sur le banc, dans ce jardin où les souvenirs transpirent comme la rosée d’un joli matin de mai ou de septembre. Des souvenirs qui dansent dans les arbres et chantent dans le parfum des fleurs ou le premier duvet d’un oiseau.
Ici le temps des cerises ou du noisetier dans lequel je pouvais me cacher. Là dans cette grande allée, les premiers bourgeons du pommier qui portait nos noms, ceux de mes cousins et cousines celui de mon petit frère et le mien, un peu plus grand que tous les autres, juste quelques années de plus.
Je revois sa grande main qui tenait la mienne pour m’amener au pied de mon arbre où je vivais heureuse, lever la tête et plonger mon grand sourire de joie dans ses grands yeux bleus qui se fondaient avec ce grand ciel vaste qui nous entourait.
Assise sur le banc ces longues nuits d’été, tous un peu serrés les uns contre les autres pour se tenir chaud car les nuits n’étaient pas toujours chaudes. Tous assis sur le banc pour ne pas manquer ces longues discussions interminables et nos silences lorsque la fascination nous gagnait. Face à ce ciel immense, la valeur de nos vies était comparable à une de ces étoiles dans le ciel. Face à cet univers grandiose, majestueux, infini. Combien avaient déjà contemplé ce monde avant nous ?
Assise sur le banc à attendre qu’une étoile filante vienne traverser le ciel juste pour faire un vœu devant la beauté de ce phénomène. La tête plongée dans ce ciel noir immaculé de pluie d’étoiles, de voie lactée. Pointant le doigt sur la grande ourse ou la petite, nous cherchions l’étoile polaire, la plus brillante, celle qui ne bouge pas d’où que la regardions, celle qui a guidé jusqu’au plus ancien des hommes lui indiquant le nord. Et toutes ces autres étoiles contant les légendes venues du ciel, de la nuit des temps.
Assise sur ce banc à m’inventer des histoires au beau milieu des pâquerettes et du potager. Cette main qui m’avait appris à tendre le fil pour semer droit des graines de radis ou des haricots verts qui grimperaient bientôt hauts et fiers le long des tuteurs de noisetiers. Nous regardions pousser ces graines qui commenceraient par toutes former une toute petite tige avec deux petites feuilles, toutes identiques jusqu’à ce que chacune prenne sa forme, sa couleur et se façonne dans ce jardin des possibles.
Assise sur ce banc les après-midis ou le soleil jouait dans un ciel bleu cotonneux avec des nuages aux formes uniques qui nous faisaient voyager bien au-delà de notre imagination.
Assise là à laisser couler la vie, les jours, les heures, les secondes sans les compter, dans ce bonheur d’une enfance heureuse.
Ici à contempler la vie qui déroule son tapis paisiblement dans ce joli jardin perdu au fin fond d’une douce campagne, loin des bruits de la ville et des tourments. Elle me porte déjà sans que je le sache vers mes rêves les plus incroyables et tu me tiens la main.
Tu avais les yeux de la couleur du ciel lorsqu’il n’y a pas un nuage. Tu parlais peu. Mais il n’y a pas besoin de grandes phrases pour savoir combien l’amour est grand dans le cœur de celui qui me regarde avec ces grands yeux bleus de ciel.
Au fond du jardin il y avait les abeilles. Tu avais des livres à ne plus savoir qu’en faire pour tout comprendre de ces petites fées Leur talent de bâtisseuses ou de nourricières, ces danses qu’elles dessinent pour s’orienter, pour communiquer et ce nectar dont nous nous régalions chaque matin sur une tartine.
Je vois ta main racler le cadre que tu venais d’ôter de la ruche pour en sortir ce miel qui coulait généreux. Tu me tendais un morceau de cire encore couvert de ce nectar pour goûter. Le mélange d’un miel encore tiède, la saveur de son mélange à la cire, il n’y avait pas plus divin.
Pourquoi je pense à toi aujourd’hui même entre mai et septembre alors que le ciel est tout gris par-delà la fenêtre et que le jardin ne chante presque plus ? Pourquoi faut-il que nous partions un jour ? Parfois sans même avoir le temps de nous dire au revoir ou encore quelques « je t’aime » afin de tenir durant les longs mois d’absence.
Était-ce un jour de mai… ou peut-être était-ce septembre ? Après tout à quoi bon vouloir chercher à savoir puisque chaque jour nos cœurs chantaient à l’unisson.
De mai à septembre tu tenais ma main.
De septembre à mai c’est tout ce temps où tu n’es plus.
Mais lorsque je lève les yeux au ciel je sais que derrière ce gris du ciel il y a tes yeux. Chaque ciel sans nuage, je sais que tu me regardes un peu. Tu prends ma main pour me guider encore un peu sur le grand chemin dans l’allée du jardin où les pommiers sont en fleurs.
Chaque fois que je vois un banc alors je m’assois et lève les yeux au ciel. Alors je pense à ce banc sur lequel nous étions assis, un peu serrés pour se réchauffer des froides nuits d’été à contempler le ciel. Mai et septembre ne sont pas bien loin.
Il y a ce banc sur lequel à mon tour j’ai tenu ta main et puis la tienne et encore une si petite main. Nous conjuguions les verbes à tous les temps, tant que je n’avais pas vu que nous étions ce jour de mai… ou peut-être était-ce de septembre ?
Assis sur ce banc nous chercherons encore l’étoile polaire et le parfum du miel. Et lorsque ce jour pour moi aussi viendra… peut-être…
- Hélène Lahille
LE GARDIEN
Un jour de mai… ou peut-être était-ce de septembre ? Je ne pensais pas que ce jour-là le son de la voix de mon frère mettrait fin à notre équilibre familial si parfait. « Papa et maman sont morts ». Voilà les cinq mots qu’il a prononcés quand j’ai décroché. Pas de « bonjour », de « il faut que je t’annonce une terrible nouvelle ». Juste « papa et maman sont morts ». C’était il y a trois ans maintenant mais je me souviens encore parfaitement de son ton froid, presque impersonnel. Je suis resté figé un moment, le temps d’analyser cette phrase. J’ai d’ailleurs complètement oublié la fin de cette conversation. Trou noir. Jusqu’à ce que je réalise que j’étais devenu orphelin. Orphelin. J’ai lu ce mot si souvent dans les romans qu’il en était devenu cinématographique, un prénom de héro antique dont les aventures respiraient l’ailleurs, le tragique comme le beau. La tristesse bien évidement, mais au-delà une promesse de renaissance. Je dois dire qu’à ce moment précis, ce mot ne résonnait d’aucun romantisme, juste de l’écho du vide. Je ne percevais que la destruction du cocon familial, la perte d’une entité qui ne tenait que par eux. Nous étions bien trop différents avec mon frère pour que notre relation survive à cette disparition soudaine. Je l’ai su avant même de connaître la suite des évènements… Si tu l’avais connu je pense que tu ne l’aurais pas apprécié. Il t’aurait même fait peur.
Il a tout organisé. La cérémonie, les fleurs, les discours, la musique… J’avoue que je l’ai laissé faire. Je n’ai eu qu’à choisir ma tenue et suivre le cortège. Les cercueils étaient blancs, la pierre tombale de marbre blanc, les roses blanches, bref tout était assorti aux linceuls. Aucune surprise mais aucune fausse note. Ce fut l’occasion de revoir quelques tantes et oncles depuis des années disparus. Sourires de circonstance, pas trop appuyés, tête légèrement penchée sur le côté. Une belle comédie permettant de respecter à la lettre les traditions. J’étais accompagné de ma compagne de l’époque, que tu n’as pas connue non plus bien évidemment. Elle m’a brisé le cœur, tout comme mon frère, mais je les remercierai un jour car sans cela je ne t’aurais jamais rencontrée.
Le second coup fil a été aussi brutal que le premier. « Il faut vendre la maison ». J’avoue ne pas avoir compris au début de quelle maison il parlait. La maison de notre enfance ne pouvait être vendue car elle était tout ce qu’il restait de notre histoire, de notre famille. Ce lieu était le seul témoin de notre vie passée ensemble et du passage de nos parents sur cette Terre. Le palpable de ce qui n’est plus. Il m’a démontré, chiffres à l’appui, qu’entretenir ces quatre murs coûterait une fortune, qu’il serait plus judicieux d’en faire profiter une autre famille. Pendant des semaines il ne me parlait que de ça, en faisait une fixation, jusqu’au jour où je pris la décision d’y passer pour récupérer mes cahiers d’école et faire le point sur l’état de notre maison. Je ne m’étais pas résolu à y revenir après l’enterrement, de peur d’y déranger les âmes y reposant désormais.
En entrant, je fus saisi par l’odeur qui se dégageait du couloir d’entrée. Ce n’était plus les relents des pâtisseries de mon père ou du feu de cheminée qui embaumaient mais une odeur de moisissure et de mort. En un regard, je compris qu’un vent d’égocentrisme avait tout emporté. Les cadres au mur, les guéridons, les lampes, jusqu’aux napperons. Mon frère s’était déjà allègrement servi et avait emporté bon nombre de souvenirs. Je sentis les larmes me monter aux yeux. Comment avait-il pu. Je laissai le feu de la colère réchauffer mon corps et me donner l’envie de me battre. Pour eux. Pour tout ce qu’ils avaient fait pour nous. Il ne va pas tout dilapider. Pas comme ça. Je pris mon téléphone et appelai un serrurier. Il ne pourrait venir que demain matin. Soit. Je dormirai ici cette nuit.
Je repris ma chambre mais ne m’y sentais plus à mon aise. L’enfant avait grandi et tout semblait maintenant obsolète. Je n’étais plus l’enfant de personne dorénavant. A quoi bon faire semblant. Je pris les couvertures et m’installai dans la voiture, sur le trottoir d’en face. Je m’improvisai veilleur de nuit. Bien évidemment, mon frère n’était pas passé cette nuit-là, mais j’avais accompli ma mission, veiller sur mon ancien monde. Les serrures changées, je repris la route du travail. A la maison, ma compagne me sentait plus préoccupé que triste et tentait de comprendre le fond du malaise, je m’enfermais dans cette crainte de voir disparaître à jamais ce qui m’avait construit. Alors je pris des après-midis, puis des journées, pour rester devant cette maison. Parfois je restais même la nuit quand la lune était claire.
Ma compagne passait le soir m’apporter à manger, nous discutions à bâtons rompus de tout, de nous, puis les visites s’espacèrent, les sujets se tarirent et le « nous » n’eut plus grand sens. Alors je restais seul à penser aux bons comme aux mauvais moments, à mes parents à qui je n’ai pu dire ni au revoir ni merci, à qui je n’ai pas posé les bonnes questions et qui me laissaient à jamais sans réponse. Un beau matin, tandis que je reprenais possession de mes membres endoloris par les postures de la nuit dans l’habitacle, je vis mon frère s’approcher de la maison en compagnie d’une jeune femme munie d’une sacoche. Ils se mirent face à la porte d’entrée et je le vis faire de grands gestes et parler avec emphase. Elle sortit un appareil photo et commença prendre des clichés sous tous les angles. Mon sang ne fit qu’un tour. Je sortis de la voiture et me mis à hurler en courant vers eux. Elle sursauta et se cacha derrière mon frère qui ne me reconnut qu’une fois proche d’eux. Il m’ordonna de me calmer et je répondis d’un coup de poing au visage. Je me surpris moi-même d’une telle violence mais j’étais dorénavant le gardien des lieux. A moitié sonné, il se releva sans un mot puis repartit avec la dame. Il me jeta un dernier regard que je ne sus interpréter et me laissa là. La police vint me cueillir quelques heures plus tard. Il avait porté plainte contre son propre frère. Après de vaines explications au commissariat, je me résolus à passer prendre une douche chez moi. Je ne m’étais pas reconnu dans les reflets des vitres du poste. Combien de temps étais-je resté dans ma voiture à veiller ? Quel jour étions-nous au juste ?
Mon ancien chez moi n’avait pas changé. Ma compagne avait toujours eu la main verte et le jardin était impeccable. Par contre, elle semblait avoir eu la même idée que moi en changeant toutes les serrures. Sur la porte était scotché un courrier à mon attention. Je l’ouvris et lu ces quelques mots : Licenciement pour abandon de poste. Quelle ironie ! Encore cinq mots, mais cette fois pour me virer de mon boulot et de mon couple ! Je décidai de partir marcher. Destination inconnue. Il n’y avait plus que le vent pour me caresser le visage et me souffler des mots doux. Puis il y eut toi. Il a fallu que je traverse toutes ces épreuves pour trouver enfin une oreille attentive, une oreille qui écoute mais ne juge pas, qui ne craint pas la différence ni l’indifférence. Je crois que sans toi je me serais perdu dans les noirceurs de ce monde ingrat mais nous veillons désormais l’un sur l’autre et c’est bien là l’essentiel. Vois-tu les cygnes là-bas ? Le temps glisse sur eux et ne semble pas les atteindre. Ce n’est pas notre cas hélas mais nous avons encore de belles années devant nous pour découvrir du pays, qu’en penses-tu ? Il est temps de prendre le large. En attendant, j’aperçois un banc sous le pont un peu plus loin, nous pouvons nous y arrêter faire une pause. Nous serons à l’abri du vent. Nous nous arrêtons sous l’arche et je sors de mon sac une couverture. Nous nous y blottissons l’un contre l’autre en admirant les couleurs de la fin de journée. Je te caresse la tête tandis que ta truffe humide se pose sur ma jambe. Nous dormirons là cette nuit, et demain nous reprendrons la route.
- Benjamin Raimondo
Un jour de mai…ou peut-être était-ce de septembre ? Je ne sais plus très bien, mais quoi qu’il en soit, c’est ce jour-là que tout a changé.
Je me trouvais dans le parc, au même endroit que d’habitude. Solitaire depuis si longtemps, je mourais d’envie de faire une rencontre mais personne ne s’intéressait jamais à moi, ce qui me peinait beaucoup. Le désespoir commençait à prendre le dessus et l’idée de devoir demeurer seule dans ce monde s’imposait peu à peu.
Je me souviens que, dans la fraîcheur du petit matin, le soleil commençait à se dessiner lentement au-dessus de l’horizon, comme si quelqu’un le hissait depuis le ciel à l’aide d’un fil invisible.
Tandis que l’aube s’éveillait, je commençais à ressentir la caresse des premiers rayons lumineux du soleil et le souffle d’un air matinal léger. La douceur du chant des oiseaux qui flottait dans le vent se mêlait au brouhaha des bruits de la ville qui montait depuis la rue.
Le gardien arriva et ouvrit le cadenas de la lourde porte d’entrée du parc qui était entourée de larges grilles en fer forgé pointant vers le ciel. Il passa juste à côté de moi mais ne m’adressa pas un regard. Je sentis soudain son épaule me frôler. Je crus qu’il allait se retourner pour s’excuser, mais il ne s’en rendit même pas compte. Il se contenta de grommeler, les yeux remplis du sommeil qu’il n’avait pas eu le temps d’utiliser la nuit précédente, bien trop courte à son goût.
Je respirai l’odeur du café qui s’échappait de la petite cheminée du kiosque situé au cœur du parc et qui m’enveloppait de ses arômes. Deux amoureux s’assirent sur un banc à quelques centimètres de moi, je pouvais presque les toucher. Je me mis à bouger pour attirer leur attention, mais ce fut sans effet. Leurs regards se perdaient l’un dans l’autre et ils semblaient hypnotisés. Beaucoup de couples étaient passés dans ce parc. L’amour qui remplissait leurs yeux était à chaque fois le même, il variait seulement d’intensité. Parfois, il était tout nouveau et prêt à être déballé tel un cadeau. Parfois il paraissait fatigué et parvenu péniblement au bout du chemin. D’autres fois encore il s’était tout simplement sauvé.
A l’autre bout du banc, les mains cramponnées à une canne de bois noir surmontée d’un pommeau en forme de tête de tigre, un homme aux yeux mi-clos semblait attendre paisiblement que le temps passe. Les traits de son visage creusés par le temps évoquaient une longue existence. Je pris mon courage à deux mains, bien décidée à me présenter à lui, lorsque j’entendis un profond bruit de ronflement. Il dormait et je n’avais aucune chance de le réveiller !
Puis, je vis passer devant moi une grande dame à l’air très sérieux qui tenait un journal froissé par ses longs doigts crispés. Elle marcha si vite que je n’eus même pas le temps de lui demander où elle allait. Encore une occasion manquée.
Personne ne semblait s’apercevoir de ma présence alors que je tenais là, en pleine lumière et au grand air, devant leurs yeux!
Le seul qui me regardait fixement et avec amusement était cet homme tout pâle aux yeux rieurs, le corps à peine recouvert d’une feuille de vigne. Toujours hissé sur son piédestal, il restait de marbre, pendant que le temps et les hommes passaient à côté de lui. Cruel destin que celui d’une statue, pensais-je.
Tout à coup, profitant d’un coup de vent envoyé par le destin, je me décrochai et partis enfin à l’aventure! Je flottai dans le parc, faisant des tourbillons de joie au gré des bourrasques.
Je croisai une jeune fille marchant en direction du manège du parc et me posai délicatement sur son épaule. Nous montâmes sur un magnifique cheval de bois noir fixé à une barre d’acier étincelante, qui montait et descendait au son d’un accordéon. Quel plaisir ! Je m’enivrais de la musique pendant nous tournions. Quelle danse enchantée !
Je voulus ensuite me diriger vers le stand d’un marchand de marrons chauds lorsque soudain, le vent s’estompa et je me sentis tomber. Durant ma dégringolade je pensais avec effroi à l’atterrissage dramatique qui m’attendait quelques mètres plus bas.
Par miracle, avant de toucher le sol, j’atterris dans le creux d’une main. C’était celle d’un homme aux yeux tristes. Il me regarda avec un sourire nostalgique.
-Je regrette de ne pas avoir de pelle, il parait qu’il en faut une pour ramasser les souvenirs, les regrets et les feuilles mortes comme toi.
Il me déposa soigneusement entre deux pages du livre qu’il était en train de lire. Je me sentis bien au milieu des autres feuilles. Grandes, blanches et parsemées de mots écrits en noir, elles ne me ressemblaient pas mais elles avaient de belles histoires à me raconter.
- Luytprand
Un jour de mai… ou peut-être était-ce de septembre ?
Un après-midi, quatre enfants couraient en patins à roulettes dans les rues. Ils couraient sauvagement le long d’une route sinueuse, sans intersections dangereuses, à côté d’un mur de pierre qui cachait un grand parc vert. Soudain, l’un des quatre, Robert, s’arrêta dans sa course et cria, tout en pointant un doigt vers le mur : — Là, regardez ! —
Les enfants s’arrêtèrent, levèrent les yeux et aperçurent une silhouette, comme un homme qui les regardait, debout à cheval sur le mur. Ce ne fut qu’un instant, puis la silhouette disparut vers le jardin d’un bond. Les garçons eurent le temps de s’apercevoir que la créature était très grande, elle ressemblait à un homme à l’apparence monstrueuse. La nouvelle se répandit rapidement. Au début, la plupart des gens pensaient au fantasme d’un jeu d’enfant : qui n’a pas rêvé, enfant, de voir un ogre, une sorcière, un nain ou un animal légendaire ? Cependant, les mères recommandaient aux enfants d’être prudents en marchant dans les rues qui bordaient les jardins… et les enfants, dans ces zones, se rassemblaient plus volontiers pour jouer. Jamais tous seuls, cependant, toujours en petits groupes.
Quelques jours plus tard, la créature se montra à nouveau, non loin de sa première apparition, à deux petits frères jouant au ballon avec un ami ; il joua un peu avec eux, ils bavardèrent et il parla aux enfants des longs voyages qu’il avait effectué dans les terres de la glace éternelle, au-delà du Cercle Polaire. Les enfants, pas du tout effrayés, racontèrent à leurs parents qu’ils avaient rencontré un personnage étrange, qui semblait revenir d’un grave accident, car sa peau était de différentes couleurs, traversée par de longues coutures, comme un patchwork.
La petite ville vivait désormais avec la curiosité de rencontrer l’étrange personnage, étant donné que dans les deux apparitions on l’avait décrit comme un être laid mais finalement inoffensif. La troisième rencontre eut lieu aux tables d’un café bien connu, dans une place centrale, un samedi après-midi. Trois jeunes filles étaient assises, en train de siroter un apéritif, lorsqu’un homme élégamment vêtu apparut, comme un gentleman d’autrefois, et entama gentiment la conversation. Il raconta divers événements de sa vie aventureuse, des voyages effectués à travers l’Europe, jusqu’au Pôle Nord. Quel âge pouvait-il avoir ? Il prétendait en avoir environ deux cents. Il regrettait de ne jamais avoir trouvé de partenaire pour élever une famille, mais il était fier d’avoir adopté deux enfants, les sauvant d’un horrible orphelinat.
La créature “fabriquée” par le Dr. Frankenstein était réapparue, dans cette ville de province, deux siècles après les événements de sa création. Elle songeait à s’installer et à consolider sa présence dans cet endroit. Aidé de ses enfants, l’homme « artificiel » ouvrit une clinique de soins esthétiques et de greffes, dans une villa sur la colline, noyée dans les bois. Un lieu agréable, une villa Art nouveau qui évoquait les temps passés, un réalisateur certes doté d’une grande expérience dans la manipulation du corps humain, avec une histoire très intrigante derrière lui… Une telle combinaison d’ingrédients pouvait-elle réussir ?
L’été a toujours été pour moi une période d’amers bilans. L’été ne rime pas avec vacances, mais solitude. La paresse domine le passage du temps incontesté, entre la télé et l’ordinateur. Des plages tropicales rêvées sur un écran de télévision. Pendant la journée on résiste avec un peu de climatisation, mais la nuit venue… Horreur de la nuit. Ces derniers temps, cette ville est devenue de plus en plus précaire. Chaque nuit, dans mon quartier, la montée des ténèbres a lieu. Ce ne sont plus seulement les petits délinquants qui traînent au bar du coin. Il n’y a pas que les trafiquants de drogue, sous les réverbères. Les lumières des avenues vacillent et s’éteignent, des cris atroces résonnent dans l’obscurité. Trop souvent, à l’aube, les trottoirs sont couverts de sang séché. Je scrute tout derrière le rideau de ma fenêtre, pendant les longues nuits blanches. Je ressens un grand poids sur ma poitrine et je ne peux pas respirer, je suis obligé de me lever et — malgré moi — je dois tourner mon attention vers le monde extérieur. Parfois j’ouvre la fenêtre et les humeurs épaisses de la chaleur nocturne remplissent la pièce. Dans le crissement des freins et dans le grondement des pneus sur les ronds-points et sur les rampes, il me semble entendre les gémissements d’enfants prostitués inconnus, éventrés sous les arbres des avenues. Un couvre-feu continu, depuis le premier allumage des lampadaires jusqu’aux lueurs de l’aube.
Cependant, depuis l’ouverture de la clinique par la « créature », même les nuits d’été sont devenues plus calmes et — pour ainsi dire — plus propres. Peu de bruits sourds, très peu d’alarmes d’ambulance… il semble qu’une équipe de nettoyage sillonne les rues et les avenues et fasse disparaître toute trace d’accidents, d’agressions et de crimes. Les mauvaises langues murmurent qu’il s’agit du « service pièces détachées » de la clinique, toujours à la recherche de parties de corps humains pour les transplanter. Je ne peux pas le croire, mais si oui?
Vous pourriez peut-être être intéressé à connaître le nom et l’adresse exacts de cette clinique de santé et de beauté.
- Ariane Gance
LE RETOUR
Un jour de mai… ou peut-être était-ce de septembre ? Je ne me souviens plus…. nous étions tous réunis sous le marronnier. L’air était doux, le soleil rasant. Nous attendions l’arrivée de la Peugeot. Une grosse berline avec à l’arrière des banquettes et des strapontins. Le soleil rasant et puis sa disparition à l’horizon. Des collines violettes qui semblaient se chevaucher, avec une échancrure où sinuait la route. Je les regardais ces collines, je les fixais et elles finissaient par se recouvrir d’une sorte de halo où résidait l’espoir que la berline surgisse. Devant moi, l’allée sablonneuse qui débouchait sur le portail qu’on devinait derrière le massif, un portail ouvert en grand.
J’attendais, allongée dans le transat rayé rouge et blanc, j’entendais le chant des oiseaux, les voix assourdis des adultes assis sur des chaises en fer forgé que le jardinier avait repeintes, ils chuchotaient tout en m’épiant. Est ce qu’elle dort vraiment ?
Est-ce qu’elle viendra, la voiture ? Est-ce qu’il sera dedans, Papa ? J’étais assise sur une petite chaise dans le salon à coté de maman quand les Allemands ont frappé à la porte. Maman s’est levée d’un coup, Papa est sorti de son bureau, il a ouvert la porte et ils l’ont emmené.
Je les entends qui chuchotent, les adultes, ils ne veulent pas que je sache, mon oncle est parti chercher Papa ce matin. Je tourne la tête, regarde le tronc de l’arbre, l’écorce, un minuscule insecte sur l’écorce marron, un insecte qui rampe et s’enfouit dans une petite fente du vieux tronc. Je ferme les yeux. Et voilà que monte d’entre les collines un bruit de moteur. Je me redresse, écoute. Peu à peu, le bruit enfle, se rapproche, un crissement de pneus. La voiture est là, mon oncle jaillit. Je saute du transat, me prends le pied dans une racine, me relève tenant mon genou où le sang perle. On l’a récupéré, dit mon oncle. Il ouvre la portière arrière, tire un corps inerte. Je fonce, on me repousse, on le traîne jusqu’à la porte de la cave. On referme la porte et je reste seule sur les marches gluantes recouvertes de mousse verdâtre.
Mais qu’est-ce qu’elle fait à la cuisine ? Les jours d’après, quand il n’y a pas école, je reste à la cuisine, colle mon oreille sur l’autre porte de la cave, celle qui donne sur un escalier sombre rempli de toiles d’araignées, de bêtes rampantes qui vous attrapent par les chevilles et vous font dégringoler. Et je compte jusqu’à 10, si, à 10, l’oiseau posé sur le rebord de la fenêtre ne s’est pas envolé… si, à 10, l’oiseau s’est envolé…
Un long temps a passé et les jours ont commencé à rallonger. Je ne mettais plus de bonnet ni de gants pour aller à l’école. Je marchais le long de la route en tenant la main de maman. Un jour, on a vu arriver un convoi de jeeps, de camions militaires. On s’est jetées dans le fossé. La terre tremblait et on allait mourir toutes les deux, criblées de balles, comme ça, le nez dans l’herbe. Quand on s’est relevées, le convoi avait disparu au loin dans l’échancrure. Les Allemands s’en vont, a dit maman.
Quelques jours plus tard, comme j’étais seule à la cuisine assise à la grande table, j’ai entendu un bruit de pas dans l’escalier. Je me suis précipitée, Papa !
- Laparra
METAMORPHOSE
Un jour de mai… ou peut-être était-ce de septembre ? Je me rappelais être juste las de ma vie. J’errais comme un fantôme dans ma masure à l’orée de la forêt de Lorbrown.
Je m’appelle Matthieu Jispsy, quarante-ans. Je suis grand et athlétique, la peau mate et une coupe rasé ébène avec des yeux dorés. Ma petite bâtisse est proche de Mail. Il y a une époque pas si lointaine, soit une dizaine d’année, j’étais réputé pour être un rapace qui collectionnait les conquêtes.
J’avais toujours la même méthode : je m’approchais d’une belle jeune femme en lui offrant un verre puis je lui faisait parlé d’elle. Puis un peu de moi. Enfin, je proposais de l’inviter chez moi terminer de prendre un autre verre et parfois on allé au septième ciel. Je ne cherchais pas forcément de stabilité ….Enfin je crois…
J’allume ma cigarette, allongé sur mon matelas miteux et regarde au travers de la lucarne crasseuse, la pluie qui ruisselle. La lune éclaire un peu la pièce. J’en fais vite le tour. Une cuisinière en face, une table en chêne et deux chaises en fer, une vieille télévision avec un lecteur pour disque à ma droite, et une penderie branlante à côté. Je me lave dehors avec un jet d’eau et du savon été comme hiver.
J’ai tout quitté pour une raison personnelle. Je passe parfois en ville pour manger, gardant ma carte bancaire mais souvent je chasse. Mon fusil qui date de mon grand-père est dans ma penderie.
Je me lève pour éteindre ma cigarette dans le cendrier poser sur la table et prendre mon journal numéro trois pour écrire mes sombres pensées. Aujourd’hui, je pense à Sarah Mallory. C’était une infirmière libérale que j’avais déposé un soir chez elle après une soirée au bar de la ville. Une belle brune aux jolies formes qui m’avait changé la vision des femmes.
Les demoiselles que j’ai connu étaient souvent accessibles et désireuses comme moi d’un moment loin de toute norme. Mais la dernière, Sarah, m’a démontré que les femmes ne sont pas toutes les mêmes. Des femmes fortes, douces, travailleuses, au foyer, chercheuses, ingénieuses, drôles, dominantes mais surtout uniques. Elles recherchent parfois l’amour d’un soir ou pour l’éternité. Parfois rien de tout ça.
Avec elle, je lui ai aussi révélé, que les hommes aussi ne sont pas tous les mêmes. Doux, fort, un peu dur, un peu fragile, libre, un peu fou mais surtout perdu. Après cette soirée, je suis parti trouvé refuge dans cette cabane après avoir pris quelques affaires.
Depuis, je me remet en question et me perd dans mes rêves. Je me souviens avoir était un super mannequin, très connu et voyageant en gagnant bien ma vie. J’imagine qu’on me pense mort car quand je sors en ville, on ne me reconnais plus. J’ai perdu toute confiance en moi. J’ai peur de ne plus savoir comment être avec les demoiselles.
Je cherche dans mon téléphone, parmi tous les numéros de mes conquêtes pour trouver mon infirmière. Je tremble quand je l’appelle. Zut ! Elle répond ! Que dire ? Dix ans après, elle ne va pas me reconnaître !
— Allo ?
— Allo c’est bien Sarah Mallory ?
— Oui c’est pour un rendez-vous médicale ? Ou vous êtes une pub ?
— C’est pour un pansement sentimentale.
— C’est-à-dire ?
— Je m’appelle Matthieu Jispsy. On s’était vu, dans un bar, il y a dix ans. Mais laissez-tomber, vous ne souvenez plus de moi…
— Au contraire !
— Comment ça ?
— Notre conversation sur les besoins et la différence entre les sexes m’a marqué. En vous quittant, j’avais espéré que vous alliez trouver votre étoile. Vous le méritiez.
— Merci. Et, vous, j’espère aussi que vous allez bien. Cela vous dit-il de venir prendre un café chez moi ?
— Avec plaisir. Quand ? Je suis disponible demain si vous pouvez.
— Je suis toujours libre. J’ai besoin de vous.
— J’espère vous aidez.
— Merci.
— Avec plaisir, votre adresse ?
— Vous voyez la cabane en lisière de Lorbrown.
— Oui, je vois, mais vous avez était viré ?
— Je vous expliquerez demain.
— D’accord. On se dit à demain alors ?
— Oui. Neuf heure ?
— C’est noté. Bonne soirée
— Bonne soirée.
Le lendemain matin, une heure avant, je me fais un brin de toilette et range un peu la pièce. Je prépare le café et attend la sonnette avec appréhension. Mais aussi pour la première fois, avec une étincelle dans mon cœur. Soudain, elle est là. Je me lève et j’ouvre la porte avec mon plus beau sourire. Elle me répond et j’ai envie de tout connaître sur elle. Encore plus qu’auparavant. Mais c’est d’abord à moi, de me dévoiler.
— Donc si j’ai compris, vous avez peur des femmes ?
— Je suis désespéré depuis dix ans. Je tourne en rond et je veux changer mais je ne sais comment faire. Les femmes sont remarquables, je n’avais de cesse de les écouter, les admirer et en vérité, je tenter de les revoir mais je n’ai eu que des refus. Alors, face à ce constat, je me suis forgé un rôle.
— Qui n’est pas vous.
— Oui. Un pauvre type collectionnant les perles comme des trophées. Vous avez quelqu’un vous ?
— Non. Personne. Je n’ai pas le temps avec mon métier. Quoi que je veux en changer.
— Qu’est-ce qui vous en empêche ?
— De changer ?
— Oui.
— Je n’ai fait que ce métier-là. J’ai peur d’aller ailleurs et reprendre des études à quarante-ans.
— Vous êtes libres, on est libre.
— C’est vrai. Mais on se formate à la société.
— Moi, je me suis retiré et…
— Et pas triste d’être seul ?
— Si. J’attend la compagne qui sera aussi affranchi que moi.
— Vous arrivez à vivre correctement ?
— Je chasse mais je vais aussi en ville avec mes économies. Mais je veux partir ailleurs, voir un autre horizon.
— Moi aussi.
— Et si on voyageait ensemble ?
— Je veux bien mais…
— Mais ? Si vous voulez être libre, quitter votre métier et embarquer en compagnie d’un homme aussi charmant que moi.
Je sors mon sourire le plus charmeur, elle rit un peu et je l’imite. Elle panse mes blessures sans jugement et devient mon rayon de soleil. Mon cœur veut s’envoler et je respire pour le calmer. Sarah regarde sa montre et se lève.
— Désolé, je dois y aller, j’ai un rendez-vous à domicile en ville dans une demi-heure.
— Pas de problème.
Je la suis puis avant de partir, j’ose lui redemander en la tutoyant :
— On se revoit quand Sarah ?
— Quand vous, enfin tu veux. On se tutoie c’est mieux non ?
— Je préfère. Je te laisse me rappeler.
— D’accord.
— Bonne journée.
— Bonne journée aussi.
Une fois la porte fermé, je jubile et sautille de joie. Une première femme qui veut me revoir. Je me rend compte que mes conquêtes me considéraient comme une proie. Les deux sexes ont autant de différences que ressemblances.
Avec Sarah, on se retrouve chez elle deux jours plus tard, un soir. Elle m’annonce que grâce à moi, elle a pu sauter le pas pour prendre sa retraite. Elle avait commencé à ses vingt ans. Elle m’accompagne dans un voyage organisé en Usturie, une croisière pour voir des baleines en eaux calmes et froides.
Mais ce qui réchauffe, c’est notre amour naissant et notre régénération. Passer de doutes, des désespoirs en espoir. Il suffit d’un déclic anodin ou d’un bouleversement cataclysmique pour bouleverser nos petites vies. Y croire, faire un pas, attendre l’autre qui vient aider.
- Bernard Mollet – 3e ex-aequo
NOSTALGIE
Un jour de mai… ou peut-être était-ce de septembre ?
Je n’en ai pas un souvenir précis.
Tout ce dont je me rappelle, c’est que, la première fois que je suis arrivé devant cette échoppe, c’était il y a dix ans !
Un hasard absolu, lors d’une promenade un peu assommante avec les parents qui voulaient « prendre le bon air ».
Je m’en souviens forcément, car c’était un jour spécial que ce jour de la découverte miraculeuse de l’espèce de bazar fourre-tout que représentait pour moi cet assemblage de travées, d’étagères, de choses pendues ça et là, un endroit où je pouvais trouver une fronde avec du vrai cuir, du véritable caoutchouc, du bois exotique !
J’avais dix ans…
Et cet endroit, et ces gens, ils m’attirent chaque année, et j’en retire à chaque fois un émerveillement qui me renvoie à ce premier jour de la révélation de l’existence d’un tel chef d’œuvre, de l’aboutissement d’années d’accumulation, de rassemblement, d’empilement, de superposition et d’emboîtage de milliers d’objets de toutes formes, de tous usages et de toutes origines.
Et, à chacune de mes venues annuelles dans ce lieu d’une sorte de pèlerinage, je suis toujours aussi surpris de constater que les deux tenanciers, à l’instar de leur capharnaüm, restent inchangés !
Dix ans qu’ils n’ont pas bougé d’une ride, d’un cheveu blanc, d’un iota de vivacité dans le geste ou le regard, dix ans que je me retrouve adolescent dès que tinte la vieille clochette de la porte d’entrée…
C’est un couple harmonieux de beaux vieillards, de ces nobles anciens qui se ressemblent étrangement comme frère et sœur à force de vivre ensemble depuis si longtemps, ainsi que tous les ménages un peu âgés…
Si l’on a beaucoup de chance, on les trouve au hasard d’une promenade erratique, dans une boutique désuète, au beau milieu d’une ruelle décrépite d’un quartier vieillot du cœur séculaire d’une ville démodée dont tous les chemins délabrés aboutissent à un port suranné et exigu.
Elle porte joliment le charmant nom d’Augustine.
Elle arbore au dessus de sa toujours longue robe noire à petites fleurs violettes un large tablier bleu à bavette un tantinet décoloré, muni d’une gigantesque poche kangourou qui laisse apparaître une multitude de bosses dues à on ne sait quels objets mystérieux.
Elle est l’âme de l’échoppe, la mémoire jamais prise au dépourvu de ce que l’on nomme la logistique, ailleurs, dans le vrai monde, mais qu’entre eux, avec leur jargon archaïque, ils ont baptisé plus familièrement le stock.
Elle a également l’emprise totale et la responsabilité intégrale de tout l’argent qui entre ou qui sort de leur minuscule entreprise familiale.
À ce titre elle a la pleine disposition du fauteuil spécialement commandé pour la caisse il y a si longtemps, un siège surélevé en rotin solide qu’elle a depuis peu agrémenté, pour des raisons de commodité, de coussins confortables qu’elle a brodés à la main durant ses journées d’attente.
De ce poste de contrôle, elle voit et entend l’ensemble de ce qui se passe dans la boutique, elle est « IN-DIS-PEN-SA-BLE », dit cinquante fois par jour son mari…
Lui s’appelle tout bêtement Ferdinand et il est vêtu, par-dessus une chemise invariablement blanche et éternellement cravatée de bleu, d’une ample blouse grise délavée.
Il a le chef couvert d’un béret d’un autre temps et, en équilibre sur son oreille droite, un antique crayon en bois mâchouillé semble être là, en attente, depuis toujours.
Il est le génie local du bricolage, sait trouver l’astuce qui permettra au client embarrassé et avare de réutiliser, grâce à une patte tarabiscotée à angles bizarres, un élément de cuisine retrouvé à la cave.
Lui seul peut également, de deux coups de son vieux mètre pliant et après un calcul effectué mentalement tête levée en visant un endroit du plafond qui l’inspire certainement, vous énoncer la liste du matériel nécessaire pour le montage que vous envisagez.
Ces deux-là, ils n’ont pas d’âge, ou plutôt ils n’en ont plus, nul ne sait depuis quand ils sont là, mais tous sont certains qu’ils y seront toujours, éternellement, « ad vitam æternam » comme dit le curé après avoir fini la bouteille de vin de messe…
On vous y sert patiemment cent grammes de pointes de quinze à tête plate pesées en cascade sur la rituelle balance à deux plateaux de cuivre astiqués « à blanc » puis placées, en un tournemain et avec une adresse née d’une longue habitude, dans un cornet tiré d’une page d’un énorme catalogue de papier peint épais datant des années quarante.
On vous y dose à gestes extrêmement précautionneux deux mesures bien servies d’hyposulfite de soude pliées avec soin dans un petit sachet en véritable papier d’Annonay.
On vous y déniche en un instant, après quelques secondes de profonde et profitable réflexion, de l’antique papier tue-mouches spiralé et gluant dont on vous donne verbalement le mode d’emploi le plus efficace.
On y fait, les veilles de fêtes carillonnées, l’emplette de minuscules flacons en verre couleur bleu des mers tropicales bouchés à l’émeri afin d’y conserver des restes de parfums rares ramenés d’Égypte.
Les nouveaux clients de passage, au rythme effréné, parfois, d’un par semaine, sont fréquemment éberlués par les prix pratiqués dans ce commerce d’un autre temps : le plus souvent, la somme inscrite au crayon gras sur l’emballage figure encore en anciens francs, ceux d’avant, ceux d’il y a plus d’un demi-siècle.
De toute la ville, c’est un des rares bataclans à utiliser encore autant de centimes, puisque l’honnêteté foncière des boutiquiers les a empêchés d’arrondir les prix, même la simple idée de le faire ne les a pas effleurés.
Si vous parvenez par un bonheur extraordinaire à pouvoir vous laisser oublier un moment dans un recoin plein d’ombres de vieilles casseroles émaillées ornées de fleurs naïvement peintes, sous le prétexte fallacieux de calculs à faire pour connaître le nombre exact de boulons de quatorze que vous allez commander, vous irez de surprise en surprise !
Vous y apprendrez incidemment qu’on ne trouve pratiquement plus de bidons à lait en aluminium, au grand dam des quelques clientes d’un autre siècle fréquentant les lieux bien plus pour le plaisir du bavardage que du besoin d’un achat quelconque.
Vous y découvrirez avec une stupeur apparemment partagée par Ferdinand qu’il ne reste en réserve que deux machines à ré-aiguiser les lames de rasoir émoussées.
Il vous y sera fait part, à voix basse et avec mine de circonstance, de la disparition certainement très prochaine des clavettes bien de chez nous, puisqu’on tient de source sûre que tout ça va être fabriqué du côté de la Cochinchine, ou pas loin…
On vous y avisera tristement avec de nombreux et gros soupirs que l’usine de Sedan a stoppé depuis peu la fabrication d’arrosoirs en duralumin, parce que maintenant, ça y est, on n’en tient que pour le plastique !
Vous en ressortirez étonné, décalé et un peu perdu, muni de quelques obsolètes tapettes à souris, d’une encombrante ventouse en caoutchouc rose pâle et de cinquante grammes « bon poids » de cavaliers de trois centimètres flambant neufs.
Mais, ce que vous rapporterez surtout sans même le savoir de cette visite, sans pour cela avoir versé un seul centime, c’est des tonnes et des tonnes de nostalgie la plus pure, de celle qu’on ne trouve nulle part ailleurs, de celle qui n’a pas de prix !
Vers 18 h, Augustine a quitté son tablier bleu, elle attend sur le trottoir, en respirant l’air du soir descendant, son Ferdinand qui replace les volets usés sur les trois modestes vitres de son insignifiante propriété, et qui enlève la poignée antédiluvienne.
Un peu plus haut que son béret, l’enseigne très « vieille France » fixée légèrement de guingois au-dessus de la porte d’entrée proclame fièrement :
BAZAR-DROGUERIE-QUINCAILLERIE
Alors ils partent bras dessus, bras dessous on ne sait où, sans doute quelque part au paradis archaïque de la droguerie ancestrale et traditionnelle…
Une fois les rideaux tirés, aujourd’hui encore, ces deux vieux coquins, ils ont rajeuni d’une journée !
- Thomas LOP VIP
FAUDRAIT-IL L’ETERNITE
Un jour de mai… ou peut-être était-ce de septembre ? Le fantôme avait perdu la notion du temps, et les repères de sa vie d’antan s’évanouissaient saison après saison. Et pourtant, il se souvenait parfaitement que ce soir-là, une scintillante voûte céleste recouvrait Paris. Le premier croissant de lune surplombait l’opéra Garnier dans lequel il pénétra, jouant de son immatérialité.
Ses yeux spectraux se suffisaient de l’éclat blafard des astres lointains et contemplaient sans ciller les dorures, tentures et moulures, les colonnes et les arcades ornementées d’anges et de muses. Depuis la billetterie abandonnée, il erra au grès de son humeur, ne souffrant aucune file d’attente ni aucun contrôleur. Ses détours volontaires et ses déambulations hasardeuses aiguisaient son désir, qui allait crescendo. La galerie des mosaïques s’offrait à lui seul. Enfin, il monta une à une les marches de marbre blanc du grand escalier, effleurant la balustrade en onyx d’une main éthérée, et, par l’une des portes en acajou, entra dans la salle de spectacle, cœur même du palais.
Lui qui fut violoniste au temps de son vivant, il ne pouvait être qu’ému en songeant aux mélodies chantées et ballets dansés qui se tinrent dans cet antre sacré. Il lévita jusqu’à la loge impériale. Son regard s’accommoda à la pénombre, comme si elle fut éclairée par un filet de lumière diaphane, et discerna l’or et l’ocre, les rouges écarlates et cramoisis, l’étendue des rangs et la domination des balcons, les détails des stalles et les fauteuils habillés de velours grisé de poussière.
Une lézarde balafrait le plafond, faille par laquelle l’eau de pluie s’infiltrait. Pendu à la coupole, le lustre parsemé de cristaux ternes et d’ampoules mortes était dangereusement incliné ; assurément des câbles avaient cédé, pour peu le fantôme aurait cru le voir vaciller. Sur scène, les rideaux étaient à terre. Dans la fosse, il ne subsistait du grand orchestre philharmonique qu’un piano à queue. Le fantôme imagina une harpe, des contrebasses, les trompettes, les cymbales et les timbales.
Il se souvint.
La première fois que le fantôme posa son regard sur Sakura, la belle japonaise était habillée d’une robe noire au col de dentelle, et dont le corsage serré suggérait une poitrine gracile et des hanches étroites. La symphonie de sa flûte traversière s’était mariée à celle des hauts-bois et des clarinettes. Ses lèvres pinçaient l’embout de l’instrument, et à chaque brève inspiration, son buste droit se gonflait. La magie de ses doigts agiles, dansants, virevoltants, l’avait envoûté. Rien n’était plus beau que de l’admirer jouer, elle parmi les vents, lui dans les cordes, seulement séparés par les cuivres.
La première fois que Sakura baissa sa flûte et le regarda, à l’autre bout de l’orchestre, son cœur s’était allié aux percussions des tambours. Lorsque la partition avait donné l’hommage aux violons et aux altos, accompagnés par la gravité des trois violoncelles, il n’était pas parvenu à masquer sa confusion. Quatre répétitions plus tard, il avait osé l’aborder. Oh, il avait tout imaginé, tout craint. La fuite, le rejet, l’embarras… mais elle avait souri et s’était laissé inviter. Aurait-elle dit oui si rapidement si l’humanité n’avait pas déjà engagé son abrupte chute vers l’extinction ? Non, rien n’aurait pu les empêcher de se rencontrer.
La première fois qu’ils s’étaient promenés dans un square isolé, un soir, il lui avait joué au violon des airs doux et romantiques. Sakura lui avait répondu de sa flûte. Ni lui ni elle n’avait eu envie de perdre leur temps, et parce que leur attirance l’un pour l’autre avait été une évidence, parce que mourir à deux valait mieux que mourir seuls, ils s’étaient embrassés et depuis n’avaient cessé de s’aimer. Cela lui paraissait si loin…
La première fois qu’il l’avait emmenée dans son appartement, il avait mijoté un petit plat et dressé une nappe éclairée aux chandelles. Mais au lieu de s’attabler, ils s’étaient enlacés, ayant pour unique désir celui de s’abandonner l’un à l’autre. Ses hanches étroites lui avaient évoqué un vase en porcelaine. Il avait délicatement déposé ses mains dans les creux de sa taille et l’avait serrée, ni trop fortement, ni trop faiblement pour pouvoir la soulever. Sakura, si légère et heureuse qu’elle flottait, les jambes enroulées autour de sa taille. Ils s’étaient allongés, sans jamais cesser de s’embrasser. Sakura s’était redressée, le temps de défaire sa robe qui avait glissé sur elle comme un drap de soie. Les lèvres de l’un avaient parcouru les courbes de l’autre, et après l’union de leurs corps, leurs âmes s’étaient contemplées.
Le fantôme avait déjà tant ressassé ce bonheur révolu.
Nostalgique, il sortit de l’opéra Garnier. Une aube rosâtre se levait. Perchées sur des lampadaires, des mésanges saluaient le jour naissant. Leurs cantates bucoliques n’étaient plus écrasées par le bourdonnement des moteurs. Un tapis d’herbe, qui laissait à peine entrevoir le macadam fissuré, s’étendait le long du Boulevard des Capucines bordé de véhicules, carcasses métalliques recouvertes de fiente. À la lisière de ce qui fut la rue Aubert, le fantôme entraperçut les bois d’un cerf.
L’humus recouvrait les pavés de pierre, les lierres escaladaient les façades haussmanniennes verdies de mousses. Les platanes et érables s’étiraient, géants resplendissants, moquant les pots sans fleurs suspendus aux balcons. Leurs dômes verdâtres, immenses parasols, dispensaient une ombre qui dansait dans le vent. Leurs branches abritaient les niches d’animaux heureux. Le bruissement de leurs feuilles lobées chantait l’été. Mais les brèches qui déchiraient les arcades, les hautes fenêtres brisées, ainsi que les sculptures de l’Idylle, de la Cantate, du Chant et du Drame, personnifications aux visages balafrés sur le fronton du Palais, empêchaient le fantôme d’appeler ce havre un paradis.
À ses yeux, ce chaos luxuriant se faisait la preuve, toutes directions confondues autour de la Place de l’Opéra, que la modernité s’était écroulée. C’était pour lui à la fois fascinant et terrifiant. Fascinant de beauté, terrifiant d’impuissance ; fascinant de contempler la nature plus vivace que jamais, terrifiant de se promener au sein des vestiges d’une ère humaine pas si lointaine.
Alentour, les fantômes erraient, indifférents à leur nudité translucide. Seules des âmes vagabondes habitaient désormais la civilisation effondrée. Parmi elles, Sakura devait aussi le chercher.
Elle était rentrée à Osaka et il lui avait promis de la rejoindre. Une promesse sincère mais irréalisable du jour où la Mort avait décimé l’humanité d’un coup de fauche rapide. Il donnerait tout pour être de nouveau auprès d’elle ! Maintenant immatériels, chacun d’un côté d’une Terre ravagée, cela paraissait encore plus impossible. Et pourtant, ils avaient le temps. Ils se retrouveraient, il en était sûr, dans l’un des opéras de ce monde en ruine, faudrait-il l’éternité…
- Delphine Fontaine
MARINETTE
Un jour de mai … ou peut-être était-ce de septembre ? Je sais plus, je sais plus si c’était avant ou après l’été … Faut dire que j’étais pas trop bien à cette époque … Je sortais de cours, j’étais toute seule, mes amis étaient partis en stage à l’étranger. Et moi ? Et moi, pas le sou, mais j’osais pas leur dire. Je faisais comme si, je sortais avec, je buvais des coups, je rigolais, mais pour amasser deux trois pièces, je faisais des trucs qu’on fait mais qu’on dit pas. Rien que d’y penser, une larme pointe dans le coin de mon œil, et puis mon cœur … Enfin … J’ai pas envie d’en parler … Et pourtant, c’est ce jour où tout a commencé à changer. Je sais pas ce qui s’est passé, mais j’étais obligée de m’asseoir. Je pouvais plus avancer. Mes pleurs sont arrivés, comme un cataclysme. Je me suis recroquevillée, j’avais l’impression que plus je pleurais, plus je rentrais dans le sol. Et puis elle est arrivée. Marinette. Elle s’est assise, elle a rien dit, elle a juste sorti son tricot, et puis elle a commencé à faire cliqueter ses aiguilles. Mes yeux boursouflés se sont arrêtés de déverser. Une grande expiration a libéré mon cœur. Elle m’a rappelé ma grand-mère … Ses gestes … C’est tous les mêmes quand on tricote … Elle m’avait appris des points : mousse, jacquard … Elle démarrait parce que je savais pas, et que je sais toujours pas … J’ai tourné la tête vers ma voisine. C’est à ce moment-là qu’elle a ouvert son sac. Comme si elle attendait ce moment, ce moment d’attention. Elle a fourré sa main dedans, elle a ressorti une baguette toute tordue, toute sèche, et là, elle s’est mise à la taper sur le rebord du banc. Je m’attendais pas à ça. J’ai eu envie de rire. Un morceau de pain est tombé par terre, une volée de pigeons s’est amenée, la vieille dame a commencé à la chasser d’une main, pour récupérer le morceau tombé, alors je me suis penchée, pour le ramasser à sa place. Et puis au moment de lui tendre, elle a repris son activité, alors j’ai fait pareil, et ça a fini par faire des tas de miettes pour des tas de pigeons. Je les regardais s’avancer, pencher la tête, lever vers moi leur œil rond. Ça calmait mon agitation. Alors, le lendemain, je suis revenue. Et le surlendemain. Elle était toujours là. Comme si elle m’attendait. On passait du temps ensemble, on se parlait pas, j’étais juste bien, j’avais récupéré du pain sec, aussi, alors on l’a réduit en miettes, ensemble. Et puis quand il a fallu abandonner ces rendez-vous, pour retrouver la vraie vie, la fin des vacances, quoi, je me suis levée, et puis je sais pas ce qui s’est passé, j’ai vacillé. Je me suis rassise, elle m’a regardée, un peu inquiète, et puis elle m’a dit :
— Ça va aller ?
J’ai opiné de la tête, alors elle s’est levée, et puis elle m’a dit :
— Attendez un moment … Vous voulez bien ?
J’ai hoché la tête.
— J’en ai pas pour longtemps.
Je l’ai suivie des yeux, je me suis demandée ce qu’elle fabriquait, mais je pouvais pas faire autrement que de rester là. Alors je l’ai regardée s’éloigner, avec sa canne, je l’ai accompagnée d’un doux regard, et puis elle est revenue. Avec un sachet dodelinant. Un sachet odorant. Mes yeux se sont fermés, ça sentait bon le beurre, la pâte qui cuit, qui gonfle, le four chaud … Sa main s’est posée sur mon bras, j’ai ouvert les yeux, et elle a dit :
— On ouvre ?
J’ai souri. Mes larmes faisaient un rideau devant mes yeux, mais j’étais bien. Et, bizarrement, j’avais pas honte de me montrer comme ça. Elle m’a caressé la joue, je n’ai rien évité, je me suis juste laissée faire, bercer. Elle me rappelait ma grand-mère. Vraiment. J’ai regardé sa main se poser sur ses genoux. Sa main ridée, ses veines ourlées, bleutées, sa peau fine. Et puis j’ai fermé les yeux, je me suis laissée aller contre le dos du banc. Ça faisait combien de temps que ça m’était pas arrivé ? Combien de temps que j’étais pas entrée en contact avec moi-même ? J’ai expiré. Ou plutôt c’est sorti tout seul. Comme un poids qui s’exhale. Et puis j’ai senti son odeur. De savon … d’ambre … Elle était là. Là et pas loin. Présente. En moi. Autour de moi. J’étais allée la voir jusqu’au bout … Je lui avais jamais dit que je la trouvais géniale, que j’avais tenu son journal, que … Pas besoin … Pas besoin de tout ça … Elle le savait. La vieille dame a posé sa main sur la mienne.
— Vous goûtez ?
Mes pupilles sont revenues dans mes yeux, j’ai découvert un croissant, un croissant aux amandes. J’ai défait les amandes, les ai croquées, une à une.
— Vous faites exactement comme moi …
Je lui ai souri. On était bien, là, maintenant. Loin du chahut, des tensions, des pressions, de la ville, du bruit, du monde. J’étais juste là, avec elle, sur ce banc, en train de déguster un moment de bonheur. Et puis je me suis levée, je me suis frotté les mains, je les ai débarrassées de ce qui collait, et puis j’ai dit :
— Je vous remercie … Je vais peut-être rentrer, maintenant …
Elle a froncé les sourcils.
— Marinette …
— Comment ?
— Je m’appelle Marinette.
Je me suis rassise.
— Gwladys.
Je ne voulais pas partir. Mon corps ne voulait pas partir.
— Vous voudriez me raccompagner chez moi ?
J’ai commencé à vouloir soupirer, et puis elle a ajouté :
— C’est juste derrière.
Je me suis tournée.
— Là … Le bâtiment blanc.
Bon. C’était pas trop loin. Elle s’est levée, je l’ai regardé faire, et puis elle a arqué son bras. Pour que je passe le mien dessous. On a marché, elle a dit il fait beau, on est bien, n’est-ce pas ? Oui. Je répondais oui à tout. Avec une toute petite voix. Comme une petite fille. Comme dans un rêve. Et puis on est arrivé devant sa porte. Elle a libéré son chat. Il est venu s’enrouler autour de mes jambes.
— On dirait qu’il vous a adoptée …
Elle a dit ça comme ça, naturellement. Je me sentais bien. A ma place. Elle m’a fait entrer, on a bu une tisane, la vapeur montait entre nous, elle remuait sa cuillère dans sa tasse, et puis elle a dit :
— Je suis contente …
— De ?
— De vous avoir connue.
Ses épaules se sont soulevées, un peu, elle a baissé la tête, mon coeur s’est serré, comme s’il lui faisait écho. C’était étrange, un moment de connivence … Mes lèvres ont articulé, malgré moi :
— Moi aussi, je suis contente … d’être là … avec vous …
J’ai avancé ma main sur la sienne. Elle tremblait, un peu. Mes yeux se sont mouillés. Il se passait quelque chose, quelque chose que je n’allais peut-être plus jamais vivre. Marinette a levé les yeux sur moi :
— Vous resteriez avec moi ?
Je l’ai regardée, intensément. Oui. Oui, j’ai eu envie de répondre. Mais je savais pas si je devais, si c’était une invitation à rester, si c’était juste pour ce moment-là. Alors j’ai dit :
— Je crois bien que oui …
Ses yeux se sont mis à briller, elle a souri, souri, et je crois bien que moi aussi. C’était intense, inattendu, réchauffant. Elle s’est mise à rire, un peu, elle a enchaîné :
— C’est comment que vous vivez, déjà ?
— Comment ça ?
— Vous, les jeunes ?
J’ai froncé les sourcils, je voyais pas où elle voulait en venir, et puis si :
— La … La coloc’, vous voulez dire ?
Ses yeux se sont illuminés, complètement.
— C’est ça ! C’est ça !
Et puis, comme si elle avait soudain honte de son élan, elle s’est adoucie, elle a murmuré :
— Vous savez … Je crois … Je crois que j’aimerais bien essayer …
- Chloe Pluchard
Un jour de mai…ou peut-être était-ce en septembre ? Je ne me souviens plus très bien sauf ce que mon ventre à ressenti, parce qu’il était trop rêveur. Et plein de papillons qui me pincaient et me faisaient souffrir de douleur . Lorsque nos cœurs se sont écorchés pour la toute première fois. Je me souviens simplement de la beauté des lieux. La lumière du jour s’éclairait dans nos yeux. Je me rappelle très bien des rayons chaud sur ma peau, et du parfum de l’amour. Était-ce l’été ou le printemps ? Je me remémore simplement de l’amour, que j’éprouvais à cet instant. Lorsque tes yeux sur moi se sont posés. Un frisson encore inconnu à mon for intérieur. Un jour de mai…ou peut-être était-ce en septembre ? Ce jour où j’ai ressenti mon corps léger. Je remonte dans mes songes et tout devient plus clair. C’était une merveilleuse journée. Ton sourire à éblouis ma vie, l’odeur encore solaire de ces vacances qui ne faisait que commencer ou qui se terminait : et cette gaieté abondante qui envahissait mon âme. Ces instants si précieux, qui n’ont qu’un passage dans nos vies. Nos coeurs ne tombent-ils amoureux qu’une seule fois ? Les beaux jours qui baignaient mon bonheur. Je me perds dans cet espace temps. J’en ai perdu le fil, du temps, pourtant je refais le film de ma vie. Sans cesse je repense à ce magnifique instant. Celui où nos voix se sont enlacées, à l’unisson nous nous sommes trouvés. Comme des amants, nos mains se sont jointes. Et mon ventre a sursauté, mes sens m’ont réveillée. Tu étais celui qui a fait de moi cette femme, amoureuse de la vie. Sans toi je n’étais rien. Avant ta voix et ton visage je n’aimais pas ce que la vie m’offrait. J’avais peur de ressentir ces émotions profondes qui bouleversent nos sentiments. Un jour de mai…ou peut-être était-ce en septembre? La fois où mon corps a ressenti la gravité de la planète sous mon poids de simple mortelle. Toi mon centre de gravité, ma motivation. Celui qui a fait naître en moi des sentiments nouveaux. L’amour peut-être éveille-t-il de la sagesse en chacun de nous ? Je me pose sur le rebord de la fenêtre, repassant le court de ma courte vie, tel un film. Une bande annonce passée trop vite. Je revois les saisons et le temps qui s’écoule telle une rivière qui change d’humeur au rythme des couleurs qui l’anime. Le mercure varie, tout comme toi. Le mistral frôle les herbes hautes et les monts de mes émotions. Toute aussi captivante que mon cœur gonfle sous ma poitrine brûlante et douloureuse afin d’expulser ses souffrances, afin de te dire combien je t’aime. Mon for intérieur est semblable à une rivière enchantée de jolies chansons qui entête nos cœurs. Une forêt scintillante, qui brille comme une étoile. Les nuits bleutées d’août lors de la nuit des étoiles. Un conte ensorcelant qui s’écrit sur la pointe de la plume de la vie. Les pages se tournent et parfois se répètent sans le vouloir. Des histoires éternelles qui s’inventent et se réinventent. Tel un livre que l’on décortique afin de recréer sa vie. Je suis cette princesse, de conte, je revisite mes matins, je tricote mes histoires afin de les rendre moins redondantes. Un jour de mai…ou peut-être était-ce en septembre ? Je me souviens des arbres fleuris et joyeux. Je me souviens de l’odeur de la peinture sur mes doigts. Les tableaux de mon âme remplie de sakura. Des cahiers et des feuilles de papiers déchirés de ton nom noirci. Ma vue obstruée j’était triste je ne voyais rien que du noir. J’étais enfouie dans mon mutisme. Je ne comprenais pas que ma vie n’était qu’un torchon. Un mélange d’incompris et d’enfance abimé. Je ne connaissais pas l’amour. Mais en ce jour qui met encore flou de tes yeux j’en fut troublée et le bonheur m’est apparu sous mon nez. Il était brun, les yeux rieurs et les mains douces et chaudes. Qui m’ont réchauffé et allumé mon âme d’enfant. Un jour où mon cœur est tombé fou amoureux de lui et que ma poitrine s’est gonflée et j’ai trouvé mon souffle. Je ne comprenais pas ce que c’était de vivre. Je me sentais différente, pas comme les autres filles de mon âge. À l’aube où mes amies sont en couple, je me sentais si pure. Si mes mains ont touché les tiennes, mon cœur lui fut transpercé par ton sourire. Frappée par un fouet de lumière, je suis née une deuxième fois. Un jour de mai….ou peut-être était-ce en septembre ? La fois où mon empreinte et la tienne se sont entrelacées. Nos corps ont trop souvent failli se frôler, se percuter et se connecter. Les beaux jours, éclaboussant mes matins. Avant je vivais dans la crainte et la peur de me montrer aux yeux de tous ces gens qui cachent leurs sourires. Pourquoi tant de peur alors que la vie peut devenir un roman ? La vie n’est elle pas déjà si cruelle ? Je revisite mes films culte, sur la toile et je me revisite un monde merveilleux de souvenirs. Un poème, que je récite afin de ne jamais effacer ces jours bleus et ce ciel qui s’étire du bleu au zinzolin aux couleurs rougeâtre et violine. Mon pays est un nouveau chapitre, mes mots sont des rimes que j’aligne afin de ne jamais m’ennuyer. Je saute et je rie. Afin de garder cette fillette heureuse et colorée, celle qui fait ce que je suis aujourd’hui. Une femme rempli de trésor, des bijoux qui brilles comme des diamants bruts. La vie est une banderole, une bobine de film, ou de photographie. Était-ce un songe ou bien mon subconscient qui m’a inventé des récits afin d’embellir ma vie. La vie est faite d’espoir et de rebonds, peut-être que la vie est une immense conquête à conquérir. Que nous réserve celle-ci lorsque nos paupières sont closes et nos oreilles bouchées ? Je tente de voir le positif, mais où est-ce lorsque l’on s’aperçoit que le temps est trop court. J’aimerais parfois le ralentir ! Le stopper afin de saisir ces moments de joies intenses. Parfois j’aimerais trouver le bouton pause ! Afin de faire le tour de ma vie. Posez des questions ? Oui mais à qui ? Un interstellar, un voile trouble que j’aimerais traverser. Communiquer avec ceux que l’on aime, sans se soucier du temps qui passe. Je suis sur ce fil électrique et tendu ! Qui peut tout faire basculer ! L’enfant qui vit encore en moi aimerait retourner en arrière, revivre des jours innocents. Un jour de mai…ou peut-être était-ce en septembre ? Le jour où je me suis prise pour une adulte, dans un corps encore d’enfant. Que je percevais dans tes yeux d’homme et de père. Pour toi je n’étais qu’une idiote vaguement rêveuse, alors que je t’observais attentive et bienveillante tel un prince charmant et aimant. Sous ton ton autauritaire, je me voyais déjà suspendu à ton bras. Nos liens plus proches qu’une simple amitié. Je parle d’une fille devenue femme trop tôt mais aussi une adulte pas assez experimenter amoureuse d’un homme bien trop sage. Deux univers si lointains et si proches à la fois. Une étrange alliance invisible, qui nous lie quoi que l’on fasse. Si la vie est une aventure magique à vivre et à déguster par petite cuillère, je garde l’espoir qu’un jour. Que ceux qui s’aiment soient unis pour le meilleur. Car la vie est un long parcours du combattant. Je dois me battre afin de te le faire comprendre . Tous ces cris, perdus dans le néant trouble de mon océan, ou les requins rode afin de me nuire. Je tente de la rendre claire cette eau sombre ! Je brille afin de la rendre translucide. J’éclate de rire ! je danse et je chante . Une mélopée dont tu entend mon amour et ma nuance de teintes verdoyante et jaune. Je brille comme la lune en pleine nuit et le soleil en pleine tempête. Un jour de mai….ou peut-être était-ce en septembre ? Ce jour qui flotte depuis notre rencontre, cet instant suspendu dans le temps ! comme la pluie qui tombe un matin de juillet. Cette pluie fine qui goutte sur ma peau ! Ou encore lorsque le soleil se couche et explose sur la plage de mes mots. Un jour de mai…peut-être était-ce en septembre ? Ce diurne infiniment beau qui m’a offert un des plus magnifique cadeaux. Ce petit rien, qui rend une femme qui se cherhe encore. la plus belle des choses toi!
⭐ Inspiration n°2 : — Reviens ! Reviens !
- Laurence Marchand
— Reviens, reviens !
Dis pourquoi es-tu parti, loin si loin. Tu n’as plus donné de nouvelles et le froid et la nuit se sont emparés de mon cœur.
Je n’entends plus ton rire joyeux, tes chansons à tue-tête quelle que soit l’heure de la journée.
Un beau matin de juin tu as décidé que tu voulais vivre ta vie comme tu l’entendais, sans chaînes, sans contrainte, une envie de voir le monde, d’un ailleurs où tout parait meilleur.
Tu es parti, mon enfant, et je ne sais quand tu reviendras.
Tu m’as dit de ne pas m’inquiéter, que tu savais ce que tu faisais, et qu’il fallait que tu partes avant qu’il ne soit trop tard. Trop tard pour quoi ? Tu ne l’as pas précisé mais j’ai vu dans tes yeux qui oscillaient entre gris et vert, à leur changement de couleur plus gris quand tu étais déterminé, qu’il était vain d’essayer de te retenir, têtu et obstiné tu ne m’aurais d’ailleurs pas écouté.
Et voilà, maintenant je suis seule, je ne sais pas comment passer le temps. Heureusement, contre toute attente, il y a le boulot pour me sortir de ma léthargie et m’obliger à voir du monde, à faire comme si de rien n’était, comme si tout allait bien. Ainsi, malgré-tout, les journées, les semaines et les mois avancent.
Le printemps a laissé place à un été sec et chaud, les insectes bourdonnent dans les champs autour de la maison, le jardin que tu aimais tant souffre lui aussi du manque d’eau. Tu n’es plus là pour t’en occuper, et je n’ai pas le courage de te remplacer dans cette tâche. Toi seul savais prendre soin des légumes, plantes et fleurs. Même le saule pleureur semble pleurer ton absence. Tout part à vaut l’eau depuis ton départ, et je ne sais que faire pour remédier à cet état de fait.
Je me languis de toit oh mon enfant, mon fils chéri ! Je ne t’ai jamais dit à quel point je t’aimais et maintenant, il est trop tard ! Trop tard ! Trop tard !
Je donnerais tout pour que tu sois encore là, pour le désordre perpétuel de ta chambre, ton bordel organisé comme tu te plaisais à le répéter !
Maintenant je dois apprendre à vivre sans toi, sans tes mauvaises manières, sans tes sautes d’humeur, mais aussi sans ta joie de vivre, ta façon bien à toi de me pousser à bout juste pour m’embêter, sans méchanceté.
Ton odeur de petit garçon, quand tu avais cinq ans, tes jeux, les dessins que tu faisais pour me faire plaisir, avec plein de couleur, de paysages et mille autres choses me manquent à chaque instant.
Puis plus tard, les premiers émois amoureux et les premiers chagrins qui vont avec. Tu venais toujours te faire consoler et chercher conseil dans mes bras. Tu y trouvais un asile, un refuge et je te réconfortais de mon mieux.
Puis tu es parti une première fois, mais c’était pour la bonne cause, pour faire des études. Et tu revenais régulièrement à la maison, et je retrouvais mon petit garçon, devenu grand, pour des parties de fou rire en famille et des repas mémorables pour compenser la vie étudiante.
Pour combler ce vide qui grandit en moi chaque jour, je regarde de vieux albums photos et je me remémore tous les bons moments passés ensemble.
Aujourd’hui, il ne me reste que cela et je dois m’en contenter.
Où es-tu ? Que fais-tu ? Cela me rappelle une vieille comptine pour enfant “Loup y-es-tu” tu riais aux éclats quand nous la chantions ensemble !
Dans ta chambre, tu as emporté l’essentiel mais pas le superflu, tu voulais voyager léger, sans t’encombrer d’objets sans importance, et tu savais que de toute façon ils seraient bien gardés.
Je m’y rends de temps à autre, juste pour respirer ton odeur, sentir ta présence en fermant les yeux et en me concentrant très fort. Et les images, comme par magie, apparaissent, me remplissant de bonheur.
Oh mon fils, je t’en prie, reviens, reviens, ne me fait pas espérer plus longtemps ! J’ai besoin de toi, tu es mon oxygène, tu es mon enfant et je ne peux concevoir de ne pas te voir, te toucher, te parler.
Je ne te le dirais jamais assez, maintenant que tu es loin de moi, je t’aime !
Les jours passent, et voici venu l’automne. A nouveau le jardin me ramène à toi. Les feuilles mortes commencent à tomber. Les fleurs sont fanées. Les fruits vont finir en confiture comme tu les aimes. J’en ai préparé plusieurs bocaux en attendant ton retour. Tu adorais leur goût pas trop sucré. Les abricots, les mûres, les prunes que j’ai pris plaisir à nettoyer en pensant à toi.
La vie continue. Tous les matins je me surprends à guetter la venue du facteur, espérant une lettre où même une simple carte postale pour me dire que tu vas bien, que tu es en bonne santé et que tu avances dans tes choix de vie.
Je ne sais même pas dans quelle partie du monde tu te trouves, seul ou accompagné. J’ai une boule au ventre quand je pense à toi, peur des mauvaises rencontres, c’est à devenir folle de ne pas savoir.
Ce n’est pas contre toi, mais l’ignorance est pire que tout. C’est insupportable et cela me rend malade. Mon corps et mon cœur sont froids. Mon cerveau bloque.
Reviens ! Reviens ! Je me répète ces mots comme un leitmotiv, comme un mantra en espérant que par télépathie ils parviendront jusqu’à toi. Car j’y crois, je sais qu’un jour, quand tu l’auras décidé, tu reviendras. Une fois que tu auras fait le tour des expériences nombreuses et variées que tu voulais tenter, tu reviendras.
Chaque jour, chaque heure qui passent me rapprochent inexorablement de toi, quoiqu’on en dise, quoiqu’on en pense. Je le sais, je le sens. Une mère ressent toujours ces choses, un enfant fait partie de son être, de son ADN, de son sang. Nul doute qu’elle est reliée à lui par un lien invisible, un lien magique.
Et revoici l’hiver, froid, sombre, humide. Avec son cortège de mauvais temps.
Les températures chutent. Le vent s’infiltre partout, passant sous les portes, par les fenêtres. L’humidité s’installe et me glace, me desséchant de l’intérieur, me faisant tour à tour passer d’un état euphorique à une torpeur mélancolique.
Je n’arrive plus à avancer, à démêler le vrai du faux, le beau du laid.
Tout me parait vain, fade, sans saveur, sans couleur. La vie n’a plus le même attrait, et pourtant il parait qu’elle est belle, c’est ce que tu disais toujours.
Tu ne voyais jamais le mal, tu étais toujours optimiste, plein d’entrain et tu croyais en la bonté des gens, en leur altruisme. Pour toi, partir ainsi à parcourir la planète, n’avait pour but que de te conforter dans tes croyances.
Pour toi il y aurait toujours plus d’espoir que de désespoir, nul doute que ta quête a dû porter ses fruits. Tu es et resteras un éternel confiant avec une foi inébranlable en l’humanité.
Noël est passé et toujours pas de nouvelles, puis janvier et février les messieurs hiver que l’on redoutait tant quand tu étais enfin.
Le mois de mars enfin et de nouveau le printemps, bruyant, chaleureux, courageux qui fait fuir l’hiver.
Presqu’un an que tu es parti, et un beau matin, enfin, tu as franchi le portail. Tu as posé ton sac à terre et tu t’es émerveillé comme avant devant les beautés du jardin que tu as toujours affectionné.
Je suis sortie sur le perron en attendant le bruit de tes pas, tu m’as regardé un instant puis en courant tu t’es jeté dans mes bras comme lorsque tu étais enfant.
Longtemps, longtemps je t’ai regardé à m’en faire tomber les yeux. Mais tu étais là et rien n’avait plus d’importance.
Tu m’as raconté ton périple et m’a affirmé être revenu après avoir entendu une petite voix dans ta tête, comme une sorte de télépathie, t’intimant l’ordre de rentrer, ce voyage avait assez duré, il était temps. Et tu as obéi, sentant toi aussi que le moment était venu.
Reviens, reviens, on ne le dit jamais assez à ceux qu’on aime, mais si on tient vraiment à eux, ils finissent par entendre et prendre le chemin du retour.
Ainsi est faite la vie, de petits et grands bonheurs, mais il faut toujours espérer et avoir la foi. L’Amour est toujours le plus fort : un enfant et sa mère, nul ne saurait détruire ce lien indéfectible.
- Aurore Nivelle
— Reviens ! Reviens !
Oh chercheur de l’oubli,
Reviens,
Et ne t’en vas pas,
Et ne t’en vas plus,
Dans l’oubli,
Dans l’ombre,
Plus jamais,
Plus jamais plus,
Pour ainsi faire surface,
Pour ainsi réapparaître,
Pour ainsi paraître,
Et ainsi apparaître comme jamais tu n’es apparu jusqu’à ce jour de printemps,
Comme une ivresse de printemps,
Comme une ivresse, tout simplement,
Et ainsi naître au grand jour,
Comme tu ne l’as jamais été,
Une belle colombe blanche,
Une belle colombe,
Un bel oiseau blanc,
Pour ainsi être en paix tout le temps,
Pour ainsi être et renaître de ses cendres,
Pour ainsi être,
Pour ainsi exister au printemps,
Pour ainsi voler de ces propres ailes,
Pour ainsi colorer le monde,
De toutes ces couleurs flamboyantes,
Toute neuve,
Tu seras,
Toute neuve,
Tu es,
Toute neuve,
Tu es déjà,
Une belle chercheuse,
Miraculée,
De l’oubli,
Comme Oradour-sur-glane,
Sortie de ces cendres,
Sortie du feu,
Sortie de l’enfer,
Pour ne plus jamais y retourner,
Pour ne plus jamais vivre ça,
Et,
Témoigner de tout ça,
Dans un livre,
Dans un écrit,
Dans un récit,
Dans un conte,
Et,
Raconter,
De belles histoires au cœur de soi,
En soi et tout autour de soi,
Comme une renaissance,
Comme une résurrection,
Sortie de l’enfer,
Sortie de l’oubli,
Sortie de tout ça,
Pour ne plus jamais vivre ça,
Le feu,
L’enfer,
Les combats,
Et,
Témoigner de tout ça,
Témoigner,
Encore et encore,
Témoigner,
Pour ne jamais oublier,
L’horreur des combats,
L’horreur de la guerre,
L’horreur des massacres,
Au temps d’Oradour-sur-glâne.
Alors place à la beauté du geste,
De faire envoler dans le ciel,
Une belle colombe de la paix,
Toute blanche,
Lumineuse,
Et,
Etincelante,
De beauté,
Tout simplement,
Merci à vous,
Pour ce beau témoignage,
Pour ces récits de guerre racontés,
Pour ne plus jamais oublier,
Et toujours se rappeler,
Que la guerre existe dans le monde entier,
En Ukraine,
Désormais et à présent.
- Papillon
— Reviens ! Reviens ! Toi qui était plus belle que la rosé du matin comme est tu devenu si cruelle.
Reviens,reviens,comme je me souviens de nos jeux de gamin pas si enfantin du sourire qui était le tien
Reviens,reviens à l’époque ,pas si lointaine, ou on c’est plu,que entre en toi de nouveau en terre inconnu
Reviens,reviens au temps de nos premier baiser car je rappelle déjà plus de quand date le dernier
et si revenir te fait trop peur donne moi juste un lieux et une heure pour voler de nouveau ton cœur
et si revenir est impossible car il y a cet autre donc le plaisir est de me faire souffrir alors appelle-moi « l’autre »
et si revenir ne rime à rien car on as déjà fait notre chemin ,je te dirai que hier est le prolongement de demain
et si revenir est impensable car entre nous il y a plus d’un grain de sable ,sache mes sentiment véritable
depuis que tu est partie j’ai remplacé par les jolies corps qui écorche le cœur
depuis que tu est partie je cours après l’argent et l’or au fond de ma noirceur
depuis que tu est partie je te confond avec d’autre encore , le monde me fait peur
depuis que tu est partie j’ai compris mes tort et me nourrit de mon aigreur
je rêve de redevenir superman maintenant je vais super mal
je rêve de devenir parent maintenant je veux te voir maman
je rêve de ressentir ton odeur maintenant la douche est bancal
je rêve qu’il ait un nous maintenant je conjugue plus au présent
je rêve encore de toi mais tu ne le vois plus
reviens,reviens que l’on recommence du début
- Alexandra Morin
— Reviens ! Reviens !
La voix du garde résonna en écho dans les rues désertes d’Edimbourg. Je pris mes jambes à mon cou, mon sac fermement plaqué contre moi, et dévalai l’artère du Royal Mile sur la colline de CastleHill. Je réussis à le distancer puis à me dissimuler dans l’épaisse brume qui régnait. Evidemment, impossible de me repérer avec les étoiles. Je me frayai donc un chemin à la lumière des réverbères, à travers les ruelles étroites de la vieille ville. J’avais du mal à m’y retrouver, les maisons et les magasins ayant tous des allures fantomatiques. Je venais de passer devant Gladstone’s Land, la maison du marchand, puis le Writer’s Museum, ce qui signifiait que… la galerie des arts ! J’avais finalement réussi à rejoindre la grande avenue de Princes Street, en contre-bas. Il ne me restait plus qu’à la longer jusqu’au bout, grimper Calton Hill puis atteindre le National Monument et tout serait fini !
Je jetai un regard derrière moi. Le château, que je venais de fuir, n’était plus qu’une énorme tâche floue dans les hauteurs. Je distinguais malgré tout des lumières affolées dirigées vers le ciel. Ca y est, tous les gardes étaient en alerte. La police écossaise n’allait pas tarder à patrouiller dans chaque rue de la capitale. Il fallait que je me dépêche.
Je me retournais pour reprendre la fuite quand je me raidis. Une ombre venait de s’évanouir dans le brouillard et l’atmosphère était devenue oppressante : des chuchotements, des rires sinistres et des bruits de pas envahissaient l’air. « Bloody Hell », comme ils disent. De toutes les destinations possibles, il avait fallu qu’on m’envoie ici, dans la ville la plus hantée du monde ! Bien sûr, le gouvernement avait décidé de déplacer le Koh-i Nor, la pierre royale, dans le château d’Edimbourg pour le couronnement du roi. BIEN SÛR, c’est moi qu’on avait envoyé la récupérer !
Je maudis tous les Grands Gardiens de la Guilde qui avaient décidé de me charger de cette mission. Alors d’accord, je n’étais encore qu’un simple voleur et je n’avais pas le choix. Mais si on m’avait demandé mon avis, je me serais contenté de récupérer le Bleu de France, ou le Sancy à la limite ! Enfin bref, il était trop tard pour tergiverser et mon ascension au sein des gardiens ne se ferait que si je revenais triomphant. Pour l’heure, voleur, il fallait que j’atteigne Calton Hill le plus rapidement possible car l’aube allait pointer le bout de son nez et je devais maintenant fuir des gardes enragés ET des esprits frappeurs. Un plaisir !
Devant moi s’élevait le Scott Monument dont le style gothique renforçait l’aspect lugubre du paysage. Une grande tour de schiste tachée d’huile noirâtre, conséquence d’une époque victorienne très polluée. Ce n’était pas pour rien qu’Edimbourg était surnommée « Ault Reekie », la vieille enfumée. Je levai les yeux vers son pinacle juste à temps pour y apercevoir deux silhouettes perchées qui m’observaient. Une sensation brutale et désagréable partit de mon crâne et descendit dans mon dos en une fraction de seconde, j’étais complètement angoissé. Les fantômes de Burke et Hare, les meurtriers de West Port, me fixaient en souriant.
C’en était trop. Hors de question que je reste dans le coin. Il fallait que je parte, maintenant ! Je vérifiai que la pierre était toujours dans mon sac et repris ma course. La sensation était horrible. Je ne voyais rien à trois mètres et l’avenue faisait encore un bon kilomètre ! « Princes Street, Calton Hill, le National Monument », me répétais-je. Je m’efforçais de me concentrer sur mon but pour ne pas être tétanisé mais il m’était difficile de condamner mes sens face à ces manifestations surnaturelles.
Alors que j’avançais tant bien que mal, je crus que mon cœur allait s’arrêter lorsqu’un grand bruit de sirène retentit à 10 mètres de moi. Des lumières aveuglantes apparurent sur la route. Des gyrophares bleu et rouge se rapprochaient menaçants, se confondant avec le brouillard.
Après une seconde d’hésitation, je traversai la route, juste devant la voiture, pour me perdre à nouveau dans les ruelles de la basse ville. St Andrews Square, York Place, Leith Street… Au moins, la présence des agents semblait avoir fait fuir les fantômes. J’étais à bout de souffle quand, enfin, j’atteignis le bas de la colline. A mon grand dam, je n’avais pas réussi à semer les patrouilles et elles débarquèrent de toutes parts. La colline était ma seule chance car on ne pouvait la monter qu’à pied.
L’ascension vers le sommet acheva de m’épuiser. Quelle idée d’avoir construit une ville avec autant de dénivelé ! J’entendais derrière moi des menaces, appuyées d’un accent prononcé, me sommer d’arrêter. Ils devaient être quinze, peut-être même vingt. Toute la ville était en alerte et, alors que j’atteignais le sommet, un hélicoptère surgit du versant sud. Un énorme projecteur était braqué sur moi et une voix assourdissante éclata.
— ARRÊTEZ VOUS IMMEDIATEMENT ! VOUS ÊTES CERNÉ, VOUS N’AVEZ NULLE PART OÙ ALLER !
Well… ils n’avaient pas tort. Je courais à toute vitesse vers le National Monument qui n’était finalement qu’une vague réplique du Parthénon et, à première vue, à part me cacher derrière ses immenses piliers, je ne pouvais rien faire d’autre. Je repensai alors à ce que m’avait dit mon Maitre Gardien :
« Aux premières lueurs du jour, entre la 4ème et 5ème colonne, pointe le Koh-i Nor vers l’Est. A l’aube, tu nous rejoindras ».
Il fallait imaginer la scène : moi, un voleur d’étoiles, en train de me dire que mon maître était un peu trop fan du Seigneur des Anneaux, cerné par deux hélicoptères et des dizaines de policiers qui braquaient tous leur arme sur moi. A ce stade, je n’aurais pas été étonné que la garde royale se déplace ainsi que le roi lui-même.
Après tout, je venais de dérober l’un des joyaux les plus prestigieux du monde. Est-ce que je m’en voulais ? Non, bien entendu. Ce n’était pas un vol à proprement parler puisque le temps était venu pour la pierre de retourner, comme tous les autres joyaux, à sa terre d’origine. Ainsi, les étoiles des constellations disparues seraient à nouveau alignées avec la terre. Elles brilleraient de mille feux et l’ordre cosmique serait rétabli. Non, vraiment… faire partie de la Guilde des Astres était une tâche bien peu reposante.
— RENDEZ-VOUS !
Maintenant que j’étais en hauteur et que la vue était dégagée, le brouillard commençait à se dissiper. Le ciel au loin s’éclaircissait, ce n’était qu’une question de secondes. Je devais sortir la pierre de mon sac et la maintenir en l’air. Mais si je faisais ça… ils allaient croire que j’allais m’emparer d’une arme, c’était sûr. Avais-je le choix ? Non. Les simples hommes n’étaient pas prêts à comprendre la réalité de l’univers. Nous, les Astriens, étions les seuls à pouvoir éviter la catastrophe.
A cet instant, le premier rayon du soleil transperça l’horizon et frappa les colonnes qui se dressaient autour de moi. Je plongeai la main dans mon sac pour attraper la pierre, fermai les yeux et la brandis haut dans le ciel. Il y eut un éclair blanc, de nombreuses détonations, et puis plus rien.
Etais-je mort ? Avais-je échoué ?
Une voix familière me sortit de cette confusion.
—Bon retour parmi nous, Gardien.
- Sandrine Drappier Ferry
— Reviens…Reviens ! Ai-je vraiment entendu ces mots pendant les quelques secondes où d’effroi mon cœur a cessé de battre ou n’ai-je fait qu’imaginer cette voix, la voix de ma fille ? Reviens…Reviens me dit-elle, comme une litanie qui tape dans ma tête. Depuis huit mois, cette douleur abrupte ne me quitte pas.
C’était un matin d’automne. Il était très tôt. J’avais pris la voiture et quitté la maison sans prévenir personne. Ni mon mari qui dormait encore dans notre lit conjugal, ni Léa, notre fille de seize ans, endormie elle-aussi. Il avait plu toute la nuit et le véhicule a glissé sur un tapis de feuilles mortes. Ils m’ont dit que si je m’étais encastrée dans un arbre, je serais morte. Je me suis contentée de défoncer la devanture de la librairie du village. Les secours sont arrivés. Dans l’ambulance, sur le chemin de l’hôpital, mon cœur s’est arrêté de battre. C’est eux qui m’ont dit cela. Moi, je ne me rappelle de rien. Ma mémoire est comme effacée. A quatre heures du matin, les gendarmes ont sonné à la maison. Mon mari s’est levé et a ouvert la porte.
Ils disent que l’arrêt de mon cœur a duré à peine vingt secondes. Le temps de prendre le défibrillateur et de choquer mon organe sans vie. Je sais, moi, que j’ai fait un long voyage. C’est cela qui tape dans ma tête. Mon corps à côté de moi qui se contorsionne au fond du lac dans une eau très chaude. Je me rappelle toute cette torpeur qui m’enveloppait comme un cocon de bienveillance alors que je tournais sur moi-même, légère et irréelle. Et mes cheveux blanchissent pendant que je roule au fond de ce lac et j’entends cette musique, comme un cantique religieux, cette voix d’outre-tombe qui psalmodie « il y a une berceuse pour la souffrance, c’est noté dans les Écritures » suivie de la voix de ma fille, apeurée, qui crie « Reviens. Reviens ».
Je me suis réveillée trois jours plus tard à l’hôpital, le corps couvert de mille éclats. Mille striées rouges sur les bras, le visage, les jambes. Le verre de la devanture a éclaté en mille morceaux sous l’impact. Une semaine plus tard, j’ai quitté l’hôpital. J’étais guérie ont dit les docteurs à mon mari. Et j’ai vu son regard implorant. J’ai vu ses yeux, les yeux de l’homme que j’aime, demander que l’on me garde encore. Que va-t-il pouvoir faire de cette inconnue désormais ?
« Il faut du repos, beaucoup de repos » ont dit les médecins. Mais mon mari n’ose pas me demander où j’allais cette nuit-là. Et cela reste entre nous comme une fracture, une faille tellurique qui nous écarte irrémédiablement un peu plus l’un de l’autre.
Peu à peu, mes souvenirs reviennent. Cette lumière tout à coup et ces papillons qui m’aident à franchir le tunnel. Je me rebelle. Je veux continuer à tourner. Mais à chaque fois, cette douleur violente perfore mes poumons et me force à revenir à la vie, comme si je reprenais une respiration trop longtemps retenue. Et toujours la voix de ma fille qui me dit.. Reviens, reviens. Alors, mon corps s’affale de fatigue en hurlant de solitude.
Bien sûr, j’ai vu un psy qui m’a parlé de ces expériences de mort imminente. Mais lorsque je lui ai crié « Mais comment revient-on de là-bas ? », j’ai vu que ma question le dérangeait, le ramenait à une forme d’impuissance. « Un psy n’a pas toutes les réponses, ce retour doit venir de vous. » m’a-t-il répondu.
Je me débats seule. Contre le sens de la vie que je ne comprends plus. Bien sûr, mon mari et notre entourage tentent de m’aider. Par la patience. Par la reprise de nos projets. Paul et moi, toujours aussi amoureux après vingt ans de mariage, avions projeté de faire un voyage à Tahiti. Mon mari insiste pour que nous partions. Mais je refuse. Mes amies tentent de recouvrir mes cheveux devenus blancs par une teinture brune mais elle ne prend pas comme si tout mon être refusait de revenir à cet avant. Alors mes amies espacent leurs visites. Alors mon mari se mue dans le silence, me tourne le dos dans notre lit.
Mes nuits deviennent des espaces temps où je m’enfonce dans mes secrets et retourne au fond du lac en hurlant ma peine. C’est plus fort que moi, il faut que j’y reparte. Ma vie désormais est là-bas. Je ne suis plus qu’une enveloppe ici, une poupée sans vie, je dois redescendre, retrouver la chaleur, mon corps tournant autour de lui-même, et la voix de ma fille. J’attends juste le bon moment.
Ce matin, Paul est parti au travail. Comme tous les jours, il rentrera tard. Comme si se retrouver avec moi était devenu une épreuve. J’ai fermé les portes et les volets. J’ai mis le dernier album de Leonard Cohen sur la platine. Sa voix d’outre-tombe résonne dans la maison. J’ai ouvert le robinet de la baignoire. Je suis entrée dans l’eau chaude, je suis retournée au fond du lac.
De nouveau, cette sensation de légèreté. Gracieusement, je me regarde tourner autour de moi. Ma fille est apparue. Elle est couverte de striées rouges, elle aussi. Ses cheveux sont devenus blancs. Et elle me dit :
— “Souviens-toi, maman. Souviens-toi de cette nuit-là”
J’ouvre les yeux et je suis dans la maison. Nous avions fait l’amour. Paul s’était endormi lorsque j’ai entendu un bruit. Je suis descendue. Léa avait ouvert tous les tiroirs. J’ai vu ses yeux injectés de sang.
— Où as-tu mis les clés de la voiture ? J’en ai besoin
— Enfin, Léa, il est trois heures du matin, que vas-tu faire dehors à cette heure-ci ? Et puis, d’abord, tu n’as pas le permis.
J’ai vu sa haine, cette enfant que j’avais tant aimée et que je ne reconnaissais plus depuis plusieurs mois. Comme un flash, je l’ai revue bébé, notre joie à Paul et à moi lorsque nous l’avions ramenée de la maternité. Léa a deux ans. Elle est pleine de vie et nous la regardons avec un amour que seuls les parents peuvent comprendre. Léa a six ans et nous sommes tous les deux avec elle pour son entrée à la grande école. Léa a dix ans, elle fait de la guitare depuis deux ans et c’est son premier récital. Léa a onze ans. Elle a voulu se rendre au collège toute seule. “C’est naze d’arriver avec ses parents” nous dit-elle. Léa a quatorze ans. Elle est amoureuse. Je le vois, les mères ressentent ces choses-là. Je remarque tous ces changements en elle. Une nouvelle coupe de cheveux, des jupes bien trop courtes, et cette agressivité. Ses résultats scolaires chutent, elle arrête la guitare. Les disputes commencent. Jusqu’à la découverte de ces cachets dans le tiroir de sa chambre. Et tous ces mois où nous avons fermé les yeux pour ne pas voir, pour ne pas avoir à affronter notre fille.
Léa, au fond du lac, me dit qu’il faut que je revienne à la vie. Que je ne dois plus m’en vouloir de lui avoir donné les clés de la voiture cette nuit-là. Que ce n’est pas moi qui suis morte quand les gendarmes ont sonné à la porte, mais elle, et que je dois cesser de m’en vouloir.
Alors, dans un ultime effort, je suis sortie du fond du lac, lentement, très lentement, ma main essayant, en vain, d’agripper celle de ma fille. Ma tête a immergé de l’eau et j’ai repris ma respiration. Mes poumons ont hurlé de douleur et mes yeux se sont couverts de larmes. J’ai murmuré « Léa, reviens…Reviens ».
L’eau était devenue froide, je suis sortie de la baignoire et me suis enveloppée dans une serviette et recroquevillée sur le carrelage de la salle de bains. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps.
Un peu plus tard, j’ai pris rendez-vous chez le coiffeur. Au moment où la coloriste s’apprêtait à teindre mes cheveux, j’ai arrêté son geste. J’ai dit « non » mais elle m’a fait une jolie coupe de cheveux et, en ressortant, j’ai recommencé à me trouver jolie. Je suis allée dans une agence de voyage et j’ai pris deux billets pour Tahiti. Je dois reconquérir mon mari.
Pour la première fois depuis huit mois, cela ne tape plus au fond de ma tête. Le lac n’était qu’un mirage. La vie est ce qu’elle est. Faite de tant d’épreuves. Et il faut apprendre à vivre avec elles. Paul m’a pris dans ses bras ce soir. La vie est ce qu’elle est. Faite de tant de beautés. J’ai regardé mon mari, j’ai caressé sa peau et je lui ai souri. A lui. A la vie.
- Patricia Forge
— Reviens ! Reviens !
C’était un cri du cœur, un cri de désespoir. De ce désespoir profond. De ce désespoir qui ricane dans les tréfonds de l’âme.
Mais oui, je le savais… Depuis le début, c’était écrit.
Pris dans le bonheur du quotidien, j’avais oublié que tout amour a un prix. Le chagrin au bout du chemin.
Presque quatorze ans s’étaient écoulés, le temps avait passé. Une vie sans ombrage et il fallait désormais tourner la page.
Tes yeux, subitement, étaient devenus argent. Mais je n’imaginais pas te perdre si brusquement.
Dans mon foyer déserté de ton affection, ton pas trotte-menu ne résonnait plus. A jamais ton cœur s’était éteint et je n’y pouvais rien.
Je t’avais déposé, petite plume, là-bas près du cerisier. Une croix posée sur la terre remuée. Bon sang ! Comment combler ton absence, comment adoucir cette souffrance ?
Des amis bien intentionnés m’ont conseillé de vite te remplacer. Mais jamais nous ne remplaçons un être qui s’en va. Quel qu’il soit…
Tu étais ma Clochette et moi j’étais ta fée. Les multiples confinements avaient fini de nous souder. Jours et nuits près de moi, tu avais été la petite lumière qui égayait mes pensées.
Alors, poser des mots pour noyer le désespoir, poser des mots pour honorer ta mémoire. La plume et la feuille, objets de thérapie face à ce deuil, face à ton départ de ma vie.
Mon cœur criera encore longtemps « reviens, reviens ! » dans la nostalgie de nos petits matins. Les matins câlins, les matins tendresse.
Toi, antidote du désespoir, tu es partie pour un autre territoire. Près de la croix posée sur la terre remuée, je ne cesse de penser que je t’ai tant aimée.
Il y a beaucoup d’histoires d’Amour. Mais les plus belles, à n’en point douter, sont celles que nous construisons avec ceux de ton espèce. Sans rancœur, sans compétition, sans doute, sans jalousie.
Et dans les jours sombres qui jalonneront ma vie, ton souvenir sera comme une lueur d’espoir, l’espoir que l’Amour pur et doux est plus fort que tout.
Je crierai longtemps « reviens, reviens ! », soit sûr que je ne t’oublierai jamais, toi … Mon chien.
- Jacques Grange
FAUX DEPART
« — Reviens, reviens »
C’est ce que je lui crierais, désespéré, si elle partait. Mais c’est inutile car elle ne part pas et je ne suis pas désespéré.
Elle avait pourtant dit qu’elle ne resterait pas longtemps. Je lui avais dit qu’elle ne pouvait se rendre compte du bonheur qu’elle produisait en venant me voir.
Elle n’est pas partie et mon bonheur a perduré et perdure.
Elle est avec moi, je suis avec elle. Nous sommes heureux…je crois.
Je n’ai pas besoin de lui dire “reviens,reviens”, puisqu’elle ne part pas.
- Jean-Charles Paillet
— Reviens ! Reviens !
Tu es loin si loin
le chemin s’éternise de mes lèvres aux tiennes
l’attente se durcit à mon corps agité
au double de mes paumes la caresse s’étire
Hâte toi d’allumer mes yeux
d’étancher la soif de mes nuits
tu es partout où je regarde
ton visage dispute la place aux étoiles
la nuit ferme ses ailes sur ton image
- Sandy Géronimi
— Reviens ! Reviens !
Elle n’est jamais revenue.
Je l’ai aperçue un matin, par hasard, à l’angle de la rue. Sans prévenir, elle est apparue devant moi. Nous nous sommes examinées en silence, légèrement hébétées, comme lorsque l’on se retrouve face à quelqu’un et que l’on se retient de justesse afin de ne pas le heurter. Mais avec un temps d’arrêt supplémentaire. Un temps d’observation, serein, presque infini.
Ses cheveux, du même brun que je ne parvenais pas à apprécier sur moi, s’accordaient à merveille avec ses yeux noirs, aussi profonds et insondables que ceux qui soutenaient son regard à cet instant. La surprise se lisait sur son visage, tel un écho à la mienne.
L’espace d’une seconde, en vue de reprendre mes esprits, j’ai fermé mes paupières. En les rouvrant, je l’ai cherchée partout, en vain. Elle avait disparu.
— Reviens ! Reviens !
Ces mots ont-ils seulement franchi le seuil de mes pensées ? Se sont-ils envolés jusqu’à elle, ou les ai-je gardés pour moi, incapable de les partager ? Il m’est impossible de le dire. De ce souvenir flou, je ne garde que la solitude et les doutes qui m’ont envahie ensuite, seule près de cette grande vitrine de magasin, dans laquelle ne demeurait que mon reflet. Aujourd’hui encore, après toutes ces années, cette rencontre me hante. L’ai-je rêvée ?
- Justine Métadieu
ALLER SIMPLE
— Reviens ! Reviens !
Ce furent les derniers mots que Louise entendit en franchissant le portail de la maison familiale, son petit sac à dos contenant une culotte, un t-shirt et le doudou de son enfance arrimé sur le dos. Elle avait huit ans et sa mère venait de lui infliger une fessée ainsi qu’un long sermon car elle venait de briser le vase de sa grand-mère en essayant de jongler avec, en dépit des avertissements maternels. Piquée au vif et humiliée par cette déculottée, Louise avait décidé de fuguer. Elle se rendit donc chez sa meilleure amie, Hélène, qui habitait un pavillon voisin du leur. Sa mère la regarda par la fenêtre sachant pertinemment où elle se rendait. Louise n’en était pas à son coup d’essai. Après avoir laissé s’écouler une bonne demi-heure pour que le calme revienne, sa mère vint la chercher chez Hélène. Louise fondit en larmes, s’excusa et fit un câlin à sa mère. Se prenant la main, elles rentrèrent tranquillement chez elles. Sa mère fit un bon chocolat chaud que Louise but avidement. Elle dévora également une tartine de beurre recouverte de cacao. Ensuite, elles ramassèrent les morceaux du vase qu’elles essayèrent de recoller sans succès. Plus proche d’un tableau de Braque que d’un vase chinois, le résultat les fit éclater de rire. Elles le prirent en photo. Sa mère plaça un cadre avec cette photo sur la table basse en lieu et place du vase. Des années après, elles souriaient encore en passant devant.
Reviens ! Reviens !
Furent les mots que Louise prononça alors que Chien, son chat facétieusement baptisé, s’enfuyait à toutes pattes de la maison. Elle lui courait après aussi vite qu’elle le pouvait pour le rattraper. Le pauvre Chien venait de subir un bain moussant suivi d’une séance de séchage de poils. Elle était parfaitement consciente que son chat n’avait guère gouté cette séance et tentait de fuir le plus loin possible de cette maîtresse farfelue et tortionnaire. Alors qu’elle arriva sur le pas de la porte, elle vit Chien s’engager sur la route passant devant leur maison. Trop tard. La voiture qui arrivait freina brutalement dans un crissement de pneus mais Chien avait été percuté. Ces poils tout propres recouverts de sang. Louise, en larmes, prit la pauvre bête dans ses bras. Chien fut enterré l’après-midi même au fond du jardin. Louise avait onze ans.
Reviens ! Reviens !
Ce furent les derniers mots que Louise entendit avant de s’évanouir. Elle n’avait ni dormi ni mangé depuis plus d’une journée ; à peine avait-elle pris le temps de boire un thé. Son corps n’avait pas résisté et était parti dans un ailleurs cotonneux et hors du temps. Quand elle émergea enfin de sa douce torpeur, elle croisa le regard inquiet de Margot, sa colocataire depuis le début de son hypokhâgne. Ses examens débutaient le lendemain avec le latin. Louise voulait absolument passer en khâgne. Elle révisait comme une damnée. Aussi à la veille de sa première épreuve, plus angoissée que jamais, avait-elle décidé de donner un dernier coup d’accélérateur. Margot la fit doucement se relever et l’allongea dans le canapé de leur pièce de vie. Louise était livide et tremblait légèrement. Elle sourit en saisissant la tartine de beurre recouverte de cacao que lui tendait Margot. C’était le goûter que lui faisait toujours sa mère pour la réconforter au temps de l’école primaire. En la dégustant, ses joues rosirent de plaisir. Elle recouvrait progressivement ses forces. Dès que sa tête cessa de tourner, elle reprit ses révisions. Elle passa brillamment, tout comme Margot, en khâgne. Elles se promirent de toujours s’accorder les pauses nécessaires pour que l’incident ne se reproduise plus. Louise se souvenait à chaque fois qu’elle était débordée de cette promesse faite à dix-huit ans.
Reviens ! Reviens !
Tu ne peux pas partir comme ça et me quitter.
Ce furent les derniers mots que Louise prononça au chevet de sa mère en ce tempétueux après-midi de mars. Effondrée, elle ne pouvait retenir ses larmes. Son cœur semblait se déchirer dans sa poitrine. Elle avait beau s’y attendre, sa mère était malade depuis des mois, elle ne pouvait s’y résoudre. Louise avait trente-quatre ans. Elle trouvait que c’était beaucoup trop jeune pour être orpheline. Elle avait déjà perdu son père dans un accident de voiture alors qu’elle n’avait que cinq ans. Profondément abattue, elle se demandait si elle pourrait surmonter cette nouvelle épreuve. Elle resta un long moment à côté du lit, comme tétanisée. Elle ne pouvait plus bouger. Son cerveau refusait obstinément de fonctionner et de lui indiquer ce qu’elle devait faire. Durant ce moment fugitif, ce fut comme si elle accompagnait sa mère. Puis, elle se reprit et fit ce qu’elle avait à faire. Comme toujours. Profond chagrin ou pas, il lui fallait agir. Elle pénétra alors dans ce tourbillon qui suit toujours une mort et ne cesse que bien après l’enterrement, une fois, tous les procédures réglées, les papiers signés et la maison vidée.
Reviens ! Reviens !
Furent les derniers mots que Louise prononça alors que Jean s’engouffrait dans sa petite voiture rouge. Louise avait quarante-deux ans. Elle vivait avec Jean depuis bientôt dix ans. Un quotidien confortable et routinier avait vite laissé place à la passion des premiers mois. Louise s’en contentait, toute accaparée qu’elle était par ses recherches sur Érik Satie et Jean Cocteau. Mais Jean avait dû s’en lasser. Il avait rencontré une autre femme deux ans plus tôt. Ce qui n’était au début qu’une aventure dénuée de tous sentiments s’était transformé en un amour véritable et, au détriment de Louise, durable. Jean avait annoncé une semaine plus tôt à Louise qu’il la quittait pour aller vivre avec cette autre femme. Elle ne tomba pas complètement des nues car elle avait bien senti que Jean tournait en rond depuis plusieurs mois, agissant parfois de manière mystérieuse. Il avait également renouvelé une partie de sa garde-robe portant son choix sur des pièces relativement exubérantes qui ne lui correspondaient guère. Il avait notamment acquis une chemise verte moirée ainsi qu’un jean noir particulièrement affûté. Louise l’avait complimenté, réprimant toutes les remarques moqueuses qui avaient traversé son esprit en le voyant ainsi attifé. Vainement. Cette semaine durant laquelle Jean prépara son départ lui parut infiniment longue. Elle souffrait terriblement mais tachait de ne rien laisser paraitre. Elle attendait qu’il parte pour enfin s’autoriser à pleurer. Digne. La seule concession qu’elle s’accorda fût de lui demander des explications. Jean fut particulièrement peu clair, son discours alambiqué n’apporta aucune réponse à Louise. Elle restait sur sa faim. Prosaïquement, elle pensa : « Mieux vaut me préparer à une nouvelle vie dont je serai entièrement maîtresse que de ressasser le passé ».
Ce jour-là, personne ne dit à Louise de revenir. Aucun mot ne fût prononcé. Louise était en train de relire les Damnés. Elle ne l’avait pas ouvert depuis au moins trente ans et ne boudait pas son immense plaisir à se replonger dans cette œuvre. Confortablement installée dans son fauteuil, elle venait de finir un délicieux thé blanc quand elle fût prise d’une violente douleur dans la poitrine. Celle-ci se diffusa dans tout son corps. Cette onde macabre la terrassa. Louise partit sans que personne ne la retienne. Elle avait soixante-huit ans.
- Christian Martinasso
— Reviens ! reviens !
Reviens maman.
Hier, rien ne me laissait soupçonner que ton départ s’approchait précipitamment.
Comme à ton habitude tu souriais, plaisantais sur ton état de santé. Tu te projetais dans le futur vers de nouveaux voyages. Un bandana bariolé cacherait avec élégance l’absence de ta foisonnante chevelure.
Nous avions élaboré des projets, imaginé l’avenir de mes enfants, de tes petits-enfants.
Tu regrettais de ne pas pouvoir les recevoir dans cette chambre d’hôpital. Tu te réjouissais des cadeaux de papiers colorés que chacun t’adressait pour te dessiner en superbe mamie indomptable.
Ensemble nous consultions l’album de photos numériques pour que tu puisses voir leur épanouissement et, une larme à l’œil, avouer qu’ils te manquaient beaucoup.
Chaque fin d’après-midi, depuis des mois, je fermais ta porte doucement pour ne pas te réveiller après avoir déposé un baiser sur ton front et recouvert ton corps de ton tartan préféré.
Jamais je n’ai imaginé que c’était mon ultime geste de tendresse, que nous tournions la dernière page de ton recueil de souvenirs.
Il faut, à chaque au revoir, pour un être cher, affirmer son émotion et lui souffler un mot de délicate affection amoureuse au cas où cela serait le dernier.
Mon seul réconfort, est que maman s’en est allée drapée du plaid offert par ses petits-enfants.
J’aurai dû, déposer ma main sur ta main, t’honorer d’un sourire chaleureux pour, yeux dans les yeux, te transmettre un souffle bleu. T’essuyer délicatement, en souriant, les larmes de bonheur qui perlaient sur tes joues ridées par tous les éclats de rires de tes facéties.
Ta vie à rayonné d’exaltations, ton départ est doux, délicat et sobre.
Hier, j’aurai dû te faire tourner la tête en t’emportant dans une valse débridée sur les airs de musique que tu chérissais tant. Regrets pour cette ultime danse, preuve de mon éternelle affection pour mon inoubliable maman.
Maman tu me manques déjà, reviens, reviens…
- Catherine Uguelle
— Reviens ! Reviens !
Je regarde cette page blanche insensible à mon désespoir. Alors je crie plus fort :
— Mais reviens ! Je sais que tu es là, toute proche ! S’il te plaît, reviens !
J’attends quelques secondes. Je me tire les cheveux, je me ronge les ongles. J’attends. Rien. Absolument rien.
Je descends à la cuisine, je me sers un énième café. Je regarde par la fenêtre et aperçois le voisin en grande discussion avec le shérif. Qu’est-ce qu’ils peuvent bien se raconter ces deux là ? Soudain, je les vois regarder dans ma direction. Je sais qu’ils ne peuvent pas me distinguer de là où ils sont mais est-ce que cela veut dire qu’ils parlent de moi ? Ils se mettent à rire. Enfin, je crois. Si, j’en suis certaine, ils se fichent de moi. J’ai l’envie pressante de me ruer dehors et de les insulter. Oui, juste comme ça, pour me défouler. Les seules choses qui me retiennent sont ma peur du ridicule et certainement mon agoraphobie grandissante. Je me contente donc de lâcher une flopée de jurons, passablement énervée par mon impuissance et décide de retourner à mon bureau.
Je dois me reprendre, je vire complètement dingue. Ils peuvent parler de n’importe quoi, pourquoi leur conversation me concernerait ? J’escalade les marches quatre à quatre, concentrée sur ma tasse. Il ne faudrait pas que je renverse du café, ça serait le pompon.
Je m’assois à nouveau devant mon ordinateur. Sans jeter un seul coup d’œil à cette satanée feuille blanche. Tant que je ne la regarde pas, elle n’existe pas. Mentalement, à nouveau, je demande à mon inspiration de revenir. Mais elle reste muette. Toujours rien. Pas une idée ne me vient.
Toujours les yeux fermés, je fais tourner mon siège sur lui-même, de plus en plus vite. Je m’amuse à ouvrir les yeux régulièrement, comme si je jouais à la roulette russe : si elle s’arrête sur l’écran, j’essaie d’écrire. A chaque fois, mon regard tombe sur un coin de la pièce mais pas une seule fois il ne me révèle la page word ouverte immaculée.
Je suis sûre que c’est un signe. L’inspiration m’a abandonnée. Moi l’auteure de vingt cinq romans a succès, moi l’auteure traduite dans six langues différentes, je connais ce mal qui touche nombre de mes confrères : le syndrome de la page blanche.
J’ai envie de pleurer. Que vais-je devenir si je ne peux plus écrire un mot ? L’écriture est l’essence même de ma vie. Cela ne peut pas m’arriver… Non pas à moi.
Une dernière fois, j’implore les Dieux des mots : ils doivent me rendre mon inspiration.
— Reviens, reviens, reviens !
J’inspire un grand coup, je me replace à tâtons devant mon ordinateur et j’ouvre les yeux.
Miracle ! Ma page a changé d’aspect : une multitude de petits signes noirs sont alignés sur plusieurs lignes. Des lettres, des mots, des phrases.
Je suis joie et bonheur. Les Dieux m’ont entendue et m’ont donné un incipit. Quel soulagement ! Je n’ai pas le syndrome de la page blanche. Je suis sauvée !
Non mais attends… C’est vrai que c’est génial mais je ne me rappelle pas avoir écrit le moindre mot… C’est même certain : je n’ai rien écrit aujourd’hui. Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?
Je chausse mes lunettes, je plisse les yeux et tend mon cou jusqu’à pratiquement toucher l’écran du nez.
« Le voisin discutait avec le shérif et regardait dans ma direction. Il pointait du doigt ma maison et j’étais sûr qu’il racontait ce qu’il avait vu la veille. Moi, en train d’étrangler ma femme. Je ne pouvais pas rester là sans rien faire. Je saisis un grand couteau de boucher dans la cuisine et sortit par l’arrière de ma maison. Je n’étais plus à un meurtre près… »
Ces lignes ne sont pas de moi. Certes, j’ai assisté à une scène similaire mais cela s’arrête là. Je n’ai tué personne et je suis une femme mariée à un homme que j’adore.
Est-ce que je serais déjà en train de sombrer dans la folie ? Je me frotte le front, légèrement anxieuse. Passer des heures seule, enfermée dans mon bureau, à écrire des romans plus gores les uns que les autres ne m’aide certainement pas à garder les pieds sur terre. Mais quand même, je devrais me souvenir d’avoir tapé ces quelques mots.
J’en suis toujours à me torturer les méninges, essayant de comprendre ce qui a bien pu se passer quand j’entends pouffer de rire dans mon dos.
Je me retourne brusquement pour découvrir mon mari et ma fille de quinze ans, complètement hilares.
— Qu’est-ce qui vous amuse comme ça ?
— Toi !
Ils ont clairement du mal à retenir leur plaisir. Je me sens de plus en plus vexée.
— C’est vous qui avez écrit ce début d’histoire n’est ce pas ?
— Ben oui, qui veux-tu que ce soit ?
Je ne sais pas si je dois rire avec eux ou être en colère pour le quart d’heure de doute qu’ils viennent de me faire vivre. La curiosité l’emporte.
— Je ne trouve pas ça hyper drôle.
— C’est parce que tu ne vois pas ta tête.
Ma fille est sans pitié, elle se moque de mon amour propre.
— Pourquoi avoir choisi ce début d’intrigue ?
Mon époux lance un clin d’œil à notre adolescente qui s’empresse de m’expliquer :
— Depuis ce matin, on voit bien que tu n’arrives pas à écrire. Tu stresses, tu angoisses, tu fais les cents pas. On t’a vue descendre te prendre un café, épier le voisin par la fenêtre et t’énerver après lui parce qu’il a eu le malheur de regarder notre maison. Ça nous a donné l’idée de te faire une farce. Comme on sait que tu adores faire payer les gens qui t’énervent dans la vraie vie, en les tuant sauvagement dans tes romans, on s’est dit qu’on allait t’aider un peu
— …
— Oh Maman. Ça part d’une bonne intention non ? C’est quand même marrant, avoue.
— …
— Alors, ça fonctionne ?
Je ne l’entends déjà plus, trop occupée à noircir ma feuille. Mes doigts parcourent le clavier à une vitesse folle. Le voisin et le shérif vont prendre cher. Je vais les massacrer. A cette pensée, un sourire gentiment démoniaque se dessine sur mon visage. Ma fille et mon mari ont raison : je me venge systématiquement des gens qui pourrissent mon quotidien en les éliminant dans mes histoires. Les derniers en date étaient les profs de danse de ma fille : elles ont fini brûlées vives sur un bûcher dans mon précédent livre. Ces deux hommes n’auront pas plus de chance, ils ont eu le malheur d’être au mauvais endroit, au mauvais moment : leur existence littéraire va se terminer tragiquement.
L’inspiration m’est revenue.
Je n’entends même pas mon mari refermer tout doucement la porte de mon bureau. Il regarde notre fille, l’embrasse sur le front et retourne l’écriteau sur la porte :
« Ne pas déranger, auteure inspirée »
- Ghislaine Victor
— Reviens ! Reviens ! Alberta appela en vain. Biscuit ne revint pas. Cela ne lui ressemblait pas. Ils avaient l’habitude de sortir une fois par semaine pour la grande promenade comme elle aimait l’appeler. C’était leur moment nature. Leur moment rien qu’à eux. Leur moment « on court comme des fous ensemble dans la forêt ». Oui cela pouvait sembler ridicule à qui les croisait de les voir rire comme cela en courant. Car Biscuit riait. C’était un chien qui riait. Ses yeux étaient tellement expressifs que parfois Alberta croyait y apercevoir ceux d’une âme humaine oubliée. Biscuit était son meilleur ami, son confident et son compagnon de route. Ils étaient fusionnels. Ils se comprenaient au moindre regard, à la particularité d’une inflexion de voix, à une posture. Ils savaient se décoder.
C’était pour cette raison qu’à présent elle était partagée entre deux sentiments. La crainte qu’il ne revienne plus et la certitude qu’il allait revenir. Elle s’assit sur le rocher qui se trouvait devant elle et se mit à contempler la vue. Ils avaient traversé cette forêt qu’ils connaissaient si bien, et avaient atterri au sommet de la colline sur lequel il y avait un espace rocheux et buissonneux dépourvu d’arbre. Cet espace s’ouvrait sur un horizon offrant une vue imprenable. Et habituellement, ils s’y posaient ensemble quelques instants, histoire de récupérer de la montée assez raide qui les menait à cet endroit. Cette fois-ci, Biscuit ne s’était pas arrêté et avait continué sa course sur l’autre versant de la colline, s’enfonçant dans la forêt qui reprenait sa place. Elle ne comprenait pas. Cet arrêt au sommet était aussi l’endroit où ils faisaient demi-tour. Ils ne s’étaient jamais aventurés au-delà. Peut-être que Biscuit voulait qu’elle le suive ? Il ne lui avait envoyé aucun signal, pas un aboiement, un remuement de queue ou un regard, rien. Il avait juste continué comme s’il avait été aimanté ou appelé par quelque chose. Il l’avait tout simplement oubliée. Et cela n’était absolument pas acceptable pour l’esprit d’Alberta. Elle hésitait sur la décision à prendre. S’enfoncer à sa poursuite ou l’attendre tranquillement sur ce rocher. Le temps était plutôt clément. Un franc soleil brillait de tous ses rayons et la température hivernale était plutôt douce. Elle n’avait qu’à se laisser réchauffer en respirant l’air clair de ce début d’après-midi. Elle ferma les yeux et décida de ne pas s’inquiéter. Elle en profita pour s’enfoncer dans une méditation silencieuse et s’ouvrit aux bruits de la nature. Le soleil avait fait sortir les oiseaux et ils s’interpellaient gaiement de branche en branche. Elle sentait une brise légère lui caresser le front. Le reste était silence. Elle appréciait ces moments de calme, loin de toute agitation urbaine. Elle avait la chance d’habiter une petite ville proche de la montagne et pas loin de l’océan. Et si son emploi du temps la gardait dans son petit appartement la majeure partie de la semaine, elle arrivait à s’accorder ces excursions quelque soit le temps au moins un jour par semaine. C’était vital et pour Biscuit et pour elle. Elle finit par s’assoupir et lorsqu’elle se réveilla, elle était recroquevillée sur le sol contre le rocher. L’humidité avait envahi ses vêtements et elle sentait le froid l’engourdir. Elle regarda autour d’elle encore un peu groggy par le sommeil et ne vit aucune trace de Biscuit. Ce froid qui envahissait son corps se propagea jusqu’à son âme. Elle se sentit amputée d’une part d’elle-même. La panique et le désespoir se tenaient au seuil de son esprit comme deux anges déchus. Elle ne voulut pas les laisser entrer et s’imagina que son chien s’était perdu en courant après un gibier imaginaire et qu’à présent il l’attendait sans bouger quelque part dans la forêt. Elle s’élança entre les arbres sans plus réfléchir et tout en appelant son compagnon, tendit l’oreille pour entendre son éventuelle réponse. Elle marcha longtemps. Le jour déclinait et elle n’y voyait plus grand-chose. Elle avait froid, elle avait faim et elle avait peur. Peur de le perdre, peur de se retrouver seule, seule comme… Elle voulut ravaler son souvenir mais il s’imposa brutalement à elle. Biscuit était le seul être qui la reliait à celui qu’elle avait aimé éperdument pendant tant d’années. Biscuit avait été le dernier cadeau de son père. Il avait, ce jour-là, fait la route jusque chez elle car elle avait peu de vacances et ne prenait plus le temps de passer voir cet homme qu’elle avait idolâtré depuis son enfance. Cet amour dévorant qu’elle avait voué à son père, qui l’avait élevé seul, s’était atténué lorsqu’elle était devenue femme. Elle s’en étonnait encore. Comment avait-elle pu s’éloigner à ce point de lui son ancre, son roc et son repère ? Elle lui avait été reconnaissante d’avoir su l’aider à le quitter, en l’encourageant à partir étudier à l’étranger. Et la distance l’avait aidée à affiner ce lien si fort qu’il pouvait en être étouffant. A son retour, elle avait décidé de s’installer dans une autre ville. Son père avait sa vie, elle voulait avoir la sienne. C’est lors d’une de ses rares visites, car il avait la délicatesse de ne pas s’imposer et de respecter ses choix, qu’il lui avait offert Biscuit. Une façon de rester près d’elle à distance. Sur le chemin du retour, il s’était tué dans un accident de voiture. Elle se souvint qu’elle n’avait pas pu parler pendant plusieurs semaines, pas une larme n’avait réussi à s’échapper de ses yeux et si Biscuit n’avait pas été là, elle aurait simplement cessé de vivre. Elle se forçait à marcher à grands pas pour éviter de s’écrouler. Les larmes coulaient à gros bouillons. Elle se sentait ridicule d’enterrer son chien à l’avance. Quelle bizarrerie que l’esprit humain qui anticipe souvent le pire. Elle fut forcée de ralentir le pas car l’obscurité grandissait et elle n’y voyait plus très bien. Elle se sentait anesthésiée. Refusant à son esprit de divaguer dans des scénarios catastrophes, elle avançait en mode automatique quasi robotique. Soudain elle entendit une voix. Quelqu’un parlait. Elle s’arrêta, aux aguets. Qui pouvait bien être au milieu de la forêt à une heure pareille ? Un vagabond ? Ou pire, un chasseur ? Immobile, elle attendit. Puis elle eut un sursaut, quelque chose d’humide s’était collé à sa main. Quelque chose d’humide et de chaud. Elle s’accroupit pour prendre Biscuit dans ses bras. Elle enfouit sa tête dans sa fourrure et le tint serré contre elle en sanglotant de joie. Il ne bougeait pas. Tout à l’écoute du soulagement de sa maîtresse. Elle sentit sur son visage la lumière d’une lampe qui l’effleurait et une voix douce s’éleva dans l’obscurité. Elle ne pouvait pas voir la personne qui lui parlait mais elle reconnut sa voix. Elle se redressa et fit face à son père. Il la regardait comme on regarde une étrangère, ne semblant pas la reconnaître. Sous le choc, elle ne put articuler un mot et l’étranger la guida doucement vers une cabane qui paraissait être son logis. Un bon feu flambait dans la cheminée et l’atmosphère était réconfortante. Hébétée, elle s’assit là où l’homme la posa et fixa ses yeux sur lui. Il lui souriait et la regardait avec l’expression de bonté qui caractérisait son père. Mais ce n’était pas lui. Il lui ressemblait et le ton de sa voix était le même. Cependant il était beaucoup plus jeune. Il devait avoir quelques années de plus qu’Alberta. Elle regarda Biscuit qui les observait en souriant. Et elle comprit.
⭐ Inspiration n°3 : Ça va le faire, il faut que ça le fasse.
- Zahl
LIBRE ARBITRE
Ça va le faire, il faut que ça le fasse !
C’est ce que Pierre s’était dit à la dernière halte qu’ils avaient faites.
Pierre retira ses gants. La couleur diaphane de ses phalanges n’augurait rien de bon.
Fallait-il faire demi-tour ? Lui qui semblait si sûr de lui il y a deux heures seulement.
A 7 800 mètres d’altitude, l’hypoxie rendait la réflexion difficile. Ses idées n’étaient plus très claires. Néanmoins, il savait bien que chaque décision devenait capitale et que la marge d’erreur n’existait pas.
Il regarda vers l’Est. De grosses masses nuageuses étaient poussées vers le sommet. Le vent avait forci et devait atteindre au moins les 100 km/h.
Il distinguait à peine, Joël qui 30 mètres plus bas, semblait à l’agonie.
Tous ces efforts depuis un mois et renoncer si près du but ! Difficile à encaisser.
Une nouvelle tentative était exclue, car la fenêtre météo était plus de l’ordre de la lucarne que de la baie vitrée ! S’ils redescendaient maintenant, il savait qu’il ne pourrait pas faire une nouvelle tentative.
Le sommet était là à une centaine de mètres. Mais combien de temps, encore, leurs faudrait-il pour l’atteindre.
Ici les échelles de mesure traditionnelles ne valaient plus. La progression était de l’ordre du chemin de croix. Chaque mètre était vaincu de haute lutte et il fallait parfois une heure pour progresser de quelques dizaines de mètres.
Continuer s’était prendre le risque, d’y perdre ses doigts au mieux et la vie au pire.
Cette fois-ci la décision s’imposait, aucun sommet ne méritait qu’on y laisse une phalange et encore moins la vie.
Joël n’était toujours pas à sa hauteur. Pourtant cela faisait au moins dix minutes qu’il avait stoppé sa progression.
Il arriva enfin. Son visage était livide, le souffle court, plié en deux sur son piolet, il eut besoin de 2 bonnes minutes afin de pouvoir se redresser et de le regarder à nouveau.
« On est plus très loin » finit-il pas lâcher.
« Il faut faire demi-tour maintenant, le routeur météo s’est planté et la tempête est en avance sur l’heure prévue ».
« Pas question » hurla Joël.
« Je n’ai pas fait tous ces efforts pour rien »
« Même si le sommet te parait proche, il nous faudra encore au moins deux heures pour y parvenir. Tu es trop lent. Il faut ensuite penser à la descente, en pleine tempête, ce sera l’enfer. On n’y voit déjà plus rien et à ce rythme, on ne sera pas au camp 4 avant la nuit, même si on fait demi-tour maintenant ! »
Le vent était si fort, qu’il fallait hurler pour s’entendre.
« Retourne si tu veux, moi je continue »
« Tu n’y penses pas ! Tout seul c’est du suicide »
Joel, dévissa la vis du mousqueton ou était attaché la corde qui les reliait, et il jeta le mousqueton au sol.
Pierre le pris par l’épaule pour le secouer afin qu’il retrouve ses esprits.
Il esquissa un geste violent qui rabattit le bras de Pierre.
Joel n’était visiblement plus dans son état normal. Il essaya de le raisonner pendant de longues minutes, mais Joel était obsédé par le sommet, comme hypnotisé.
Pierre savait qu’il n’y avait rien de pire que l’obsession à tout crin et il avait déjà perdu des amis, qui, a trop focalisé sur un objectif, en en avaient perdu la raison.
Quel choix avait-il maintenant ?
Il ne pouvait contraindre physiquement Joel, à redescendre. Le laisser continuer seul revenait à le laisser mourir. Continuer avec lui, c’était jouer à la roulette russe avec 5 balles sur 6 dans le barillet du revolver. Redescendre seul était sensiblement du même ordre (avec peut-être une balle de moins dans le barillet), mais c’était surtout, accepter l’idée de laisser mourir son ami.
Pas de possibilité de secours à cette altitude. De plus, le talkie était tombé en rade de batterie pendant la nuit. : Joel avait oublié de le mettre dans le sac de couchage pour protéger la batterie du froid extrême.
Lui qui n’avait jamais su faire de choix, se retrouvait aujourd’hui à devoir faire le choix le plus important de sa vie et là, il ne pouvait se dérober.
Joel était déjà reparti mais son allure était si lente qu’il n’était qu’à quelques mètres seulement.
Pierre pris une longue respiration, il sortit une photo du haut de son sac à dos et la regarda longuement avant de la glisser à nouveau dans son sac. Un flot d’émotion l’envahi.
Il remit, son sac sur ses épaules rejoignit Joel et ils s’enfoncèrent dans les ténèbres.
- Pierre Leseigneur
— Ça va le faire, il faut que ça le fasse.
Le jeune pompier ouvre les yeux et c’est toujours le même ciel qui s’étire par-dessus son visage léthargique. Comme il ne comprend pas un mot de la langue du barbu, il répond au hasard :
— Merci, à vous aussi.
Mais le barbu n’écoute pas. Les autres non plus. Tous ont les yeux rivés dans la même direction. Lui s’étire tel un vieux matou martyrisé par l’arthrose et baille à s’en avaler des horizons.
Pas un oiseau.
Il se tourne vers sa mère qui dort toujours. Elle a le visage d’une enfant. Et c’est exactement à cela qu’elle ressemblait, il a vu des photos d’elle qui prenaient la poussière sur l’étagère murale du salon. C’était une autre vie, quand son visage savait détendre de temps à autre les rides de son front. Les rides de la colère. Les rides de la peur… Ces lignes que le visage écrit pour raconter les meilleures et les pires années d’une existence.
« Nous sommes des cahiers d’histoires », répète-t-il souvent, tout fier de sa métaphore.
— Il faut que ça passe…
La tension dans la voix du barbu ne laisse percevoir qu’un murmure étouffé.
Quoi qu’il raconte, il n’a pas l’air d’y croire lui-même.
Caressant le visage assoupi de sa mère, le pompier constate avec stupéfaction qu’elle a l’air d’avoir vieilli de mille ans. Mille ans d’une vie qu’on ne souhaiterait ni à sa mère ni à celle des autres.
L’agitation gagne le groupe.
Mais le soldat du feu s’enferme dans la contemplation de cette anomalie temporelle sur ce visage aimé. Il y a cette tâche de naissance sur sa pommette. Du moins ce que sa mère nommait ainsi pour ne pas parler de cicatrice. Une marque avec laquelle elle était rentrée à la maison un soir, à bout de souffle, le maquillage barbouillé d’un clown triste, les cheveux en bataille. Lui et son frangin n’avaient pas posé de question. C’était l’une des clés pour éviter les foudres de la cheffe de famille. Et elle, n’en avait jamais parlé. Sa clé à elle pour enterrer le mal.
— Quand-est-ce qu’on arrive ? demande-t-il à l’adresse du barbu.
— Dieu, il n’y a que Dieu qui puisse nous tirer d’affaire.
— Tu es sûr ? J’aurais dit plus.
Ce dialogue de sourd donne un peu de consistance aux secondes qui s’égrainent.
Le ciel s’assombrit soudain.
« Déjà la nuit ? », s’étonne le sapeur. Il réalise alors que cela fait un moment que sa mère câline Morphée. « C’était quand, déjà ? Lundi ? Jeudi ? ». Il a perdu la notion du temps, à force de dormir, lui aussi.
La température baisse et un silence plus silencieux que celui qui plane habituellement écrase tout sous lui.
Le sol se dérobe sous ses pieds.
Il tombe.
Se relève.
Il avait presque fini par oublier que le monde vacillait doucement sous eux. On s’habitue à tout. Même à l’absence. Il repense parfois à son frangin. Son grand, beau et fort frangin. De dix ans son ainé. Il lui avait tout appris. Comment échapper à la furie de leur mère, lorsqu’ils avaient dépassé la ligne, les bornes, les limites. Comment voler, dans les magasins ou dans la stratosphère. Chanter la nuit, chanter le jour, faire des pompes, lire des BD, sourire aux filles, sourire aux garçons, espérer…
Mais son éternel héro a rejoint les anges. Une victime de plus des autorités d’un gouvernement en perdition.
« La démocratie, a les même vices qu’une dictature si le peuple vote avec les mêmes valeurs qu’un dictateur », avait dit un jour son fraternel. Qui rêvait de devenir pompier d’ailleurs. Mais il est vrai que sur la fin, il n’y croyait plus tellement. Lui, le rêveur qui défait la gravité. Il avait fini par la vaincre définitivement.
Nouveau soubresaut du monde sous ses pieds.
Il tombe.
Ça pourrait presque le faire rire.
C’est alors qu’une vague plus haute les soulève. Des cris s’élèvent.
— Gardez votre calme ! Tout va bien se passer, tente en vain de les rassurer le pompier.
C’était lors d’une énième manifestation. Un nouveau jour d’encore. Encore se battre. Encore rappeler aux femmes et aux hommes leur propre humanité. Mais que pouvait l’humanité face aux boucliers et aux armes à feu ? Si ce jour-là il avait été aux côtés de son frère plutôt que puni dans sa chambre pour avoir volé une sucette à la supérette du coin, peut-être que lui non plus ne serait jamais rentré à la maison.
Nouvelle vague.
Ça ressemble vraiment à la nuit à présent. Une nuit qui ne dort pas.
Le monde se débat, comme pris de panique. Un éclair fend le ciel qui craque bruyamment. C’était donc cette tempête qu’ils regardaient tous approcher tout à l’heure ? Le vent se meut en de furieuses rafales.
Furieuses comme ils l’étaient tous contre le gouvernement en place. Comme l’était la police militaire. Comme l’auraient été les révolutionnaires qui avaient fait choir la royauté.
Et à cause de cette fureur, son frangin ne serait jamais pompier. Mort sous les balles. Pas si perdues que ça. À seulement dix-sept ans.
Lui aussi a peur. Non ! Il n’en a pas le droit ! Il est un soldat du feu ! Un héros comme son frère était destiné à la devenir !
C’était il y a tout juste quelques mois. Un jour de mai… ou peut-être était-ce de septembre ? Il ne sait plus. Cette fichue traversée a avalé tout repère. Peu importent le compte des jours, c’était hier et à la fois bien avant la création de l’univers.
— Je vais vous sortir de là. Juré craché. C’est ma mission !
Les hurlements engloutis par la tempête lui répondent, sans l’avoir entendu.
Il embrasse sa mère tant bien que mal tant ils sont ballotés comme des glaçons dans un verre de menthe à l’eau ivre.
Puis il attrape un bout du cordage, prend son élan et plonge dans les flots impétueux.
— Non ! hurle le barbu.
Mais il n’a plus qu’un but : sauver ces gens, des inconnus, frères de misère.
— Reviens ! Reviens ! T’es fou gamin !
C’est après lui que cet ouragan équatorial en a. Il lui enfonce la tête sous l’eau. Le secoue dans tous les sens, le ressort, le replonge.
Il fait tout son possible pour nager. Comme le lui a appris son frère.
Il guide l’embarcation en tirant sur le cordage. A moins que ce ne soit l’inverse.
Ses forces s’amenuisent.
L’air lui manque.
Il aurait dû le savoir, qu’un soldat du feu ne pouvait rien face à l’eau. Il aurait dû savoir, qu’à sept ans, un pompier n’est pas encore prêt. Il aurait dû comprendre que sa mère ne se réveillerait plus.
Il y a au moins une chose qu’il sait.
Il les retrouvera bientôt tous les deux. Sa mère en colère et son rêveur de frère.
L’eau rentre dans ses poumons.
L’odeur de la cuisine de sa mère lui parvient. Celle des bons jours. Quand le naufrage de leur monde se faisait plus calme. Une éclaircis entre deux tourments. Et elle sourit ! Ça faisait longtemps. Elle a l’air si jeune. Si rayonnante. Un vrai soleil de vacances d’été. Même le frangin est là. Il rit en lisant sa bande-dessiné. Dehors, il y a la cité qui bruisse, respire, respire, respire…
Alors que les eaux de la méditerranée l’engloutissent, que l’orage s’effiloche comme s’il n’avait jamais tyrannisé l’embarcation gonflable, les côtes de l’Afrique se dessinent enfin à l’horizon. Les survivants auront leur chance.
Peut-être un peu grâce à lui ?
Et si cela devait porter un nom, on l’intitulerait dés’ouest’poir.
Une main l’agrippe pour le sortir des eaux. À moins que ce ne soit celle de son frère…
- Jo Hanscom – 3e ex-aequo
AU NOM DE LA LOI
Ça va le faire, il faut que ça le fasse. Je n’ai pas pris ce risque pour rien. J’ignore quelles seront les conséquences de mon acte, mais je ne pouvais pas supporter cela plus longtemps.
Un ivrogne ronfle dans un coin de la cellule adjacente, l’odeur d’alcool sature les locaux. Assise sur une banquette dure et froide, je reste raide comme la justice. Seuls mes yeux balaient la pièce. Sur ma gauche, un type allongé sifflote, il a l’habitude de se trouver là, semble-t-il. Privée de lumière du jour, je n’ai aucune notion du temps passé depuis mon arrivée. Cela doit se compter en heures. Aucun policier n’a encore daigné pointer le bout de son nez. Combien de temps me laisseront-ils mariner dans mon jus ?
S’ils croient m’effrayer ainsi, ils me connaissent mal. Je vais appeler un avocat et sortir illico, ils n’ont aucune raison de me retenir. Je sens la rage monter, si je tenais ce James entre mes mains, je lui serrerais la gorge jusqu’à ce que l’air ne circule plus.
Des clefs tintent, des pas s’approchent. Deux policiers surgissent avec des plateaux, je ne nommerai pas cela un repas, ce n’est qu’une bouillie infâme. Ils en glissent un dans la cellule du poivrot qui ne réagit pas. Puis c’est mon tour. Je me lève et demande à appeler mon avocat. Ils se regardent puis poursuivent en m’ignorant.
— J’ai le droit de passer un appel !
— Vous vous y connaissez en matière de droits ? Cela ne vous a cependant pas dérangé de bafouer ceux d’un honnête citoyen.
— Je ne parlerai pas de cela avec vous, je veux voir mon avocat.
— On connaît notre travail. Vous lui téléphonerez quand on vous le proposera.
Et ils s’en vont.
Je me rassieds. Mon voisin de gauche ramasse son plateau. Je ne bouge pas. Seuls résonnent les raclements de gorge du dormeur et les mastications du siffleur.
— Vous d’vriez manger tant que c’est chaud, ma p’tite dame.
— Je n’ai pas faim.
— A vot’ place, je l’ f’rais quand même. Vous savez pas quand vous pourrez encore manger. Ça peut être long.
Je résiste. Je n’avalerai pas ce magma gluant. De toute façon, je sortirai vite. Raymond me préparera un bon petit repas et j’irai me coucher. J’ai besoin de repos.
Le compagnon de droite s’éveille soudain, pousse un rot sonore et se lance sur son assiette comme s’il émergeait d’une grève de la faim de dix jours. Je crains qu’il s’étouffe tant il engouffre vite. Il lève la tête et m’adresse un énorme sourire édenté. Des morceaux blanchâtres s’accrochent à son menton. J’en ai un haut-le-cœur.
Je secoue la porte de ma cellule et tente d’interpeller quelqu’un.
— C’est pas en s’couant l’grillage que vous les f’rez venir.
— Je me sens mal, il faut qu’on me conduise aux sanitaires.
Les deux gugusses éclatent de rire.
— Elle s’croit dans un cinq étoiles, la miss !
— Chèr tuè deuss po, tousse l’ivrogne.
Je ne comprends rien à son langage. Leur hilarité décuple ma colère. Cet endroit n’est pas pour moi. Le type le plus éveillé me montre un pot dans un coin de la cellule et m’explique que je peux m’en servir si je ne me sens pas bien ou ai un quelconque besoin. Le rouge me monte aux joues. Pas question de me rabaisser.
Personne ne rapplique, je reprends place sur la banquette. J’ai froid, les lieux sont à peine chauffés, l’hiver est à nos portes. Je me drape dans la maigre couverture grise qui couvre mon lit de fortune et m’adosse au mur. Il est si glacial que je comprends pourquoi l’autre était allongé, je l’imite, trop épuisée pour tenir droite. Le plafond est craquelé, tacheté, je me perds dans sa contemplation quand tout à coup la pièce se trouve plongée dans l’obscurité.
Je me redresse, il n’y a aucun bruit, aucun mouvement. Le grincement d’une porte ouverte me fait sursauter, je me lève, progresse à tâtons dans le noir et m’arrête presque aussitôt. Des pas précautionneux, des craquements. Mes yeux s’acclimatent, j’aperçois des ombres se glisser, elles s’étirent sur les murs, gigantesques, longues, pointues, effrayantes. Les battements de mon cœur accélèrent. Je n’ose pas bouger, j’ai peur d’attirer leur attention en faisant du bruit. Rester immobile crispe mes muscles, je me sens de plus en plus raide, je lutte contre l’envie de me mouvoir mais ce n’est pas possible. Il faut que je soulage la tension. Je m’accroupis au ralenti. J’envisage de me cacher sous la couchette mais c’est encore plus effrayant de restreindre mon champ de vision. Une toux rauque déchire le silence.
J’ouvre les yeux, j’ai l’impression de flotter, à la fois aujourd’hui et en même temps plus de trente ans en arrière. Cette toux est celle de grand’pa ou de cet ivrogne ? Pendant un instant, je ne sais plus. Puis je me rappelle toutes ces nuits où nous montions la garde pour protéger la ferme de ces fantômes qui nous en voulaient d’exister. Ils ne nous feront plus aucun mal, je m’y attelle chaque jour depuis.
— Vous m’avez l’air d’une brave p’tite dame. Vous avez foutu quoi pour atterrir dans c’trou ?
La question me ramène à notre époque. Je me tais. Je n’ai aucune raison de me confier à un gars qui fréquente régulièrement les cellules de prison.
— Vous voulez pas bavarder ?
— Si vous souhaitez parler, adressez-vous à monsieur ici présent.
— Vous causez ben vous dites donc, c’est pas courant dans le coin. On vous f’ra pas de mal, ma mignonne. Paul y vient dégriser, faut le laisser tranquille. Moi chui là pour une p’tite broutille.
— Bien vous en fasse. Je ne resterai pas longtemps. J’ai rétabli la justice.
— Ouchti ! Je vous souhaite de rentrer vite chez vous. Mais quand je vous regarde, je me dis que cette question de justice, ça sent pas bon.
Je le toise.
— Chui peut-être un moins que rien mais les bleus me considèrent mieux que vous. Votre avocat, il a pas l’air d’arriver.
Il n’a pas tort, ces porcs ne se bougent pas pour respecter mes droits. Comment m’extirper de ce pétrin ? Je ronge mon frein. Ma famille m’a appris patience et persévérance. Il y a pire qu’être coincée ici, je pourrais être malade comme maman l’a été. Ma mère est mon modèle, elle m’a ouvert les yeux sur le monde, elle s’est toujours battue pour Sylvester et moi, pour notre avenir. Raymond et elle doivent s’inquiéter pour moi, quelqu’un les aura alertés. Cette arrestation n’est pas passée inaperçue, tout le quartier est au courant, le débat doit faire rage : coupable pour les uns, victime pour les autres. Le monde n’est pourtant pas noir ou blanc. Personne n’est capable de nuance, comme si nous appartenions d’office à l’un ou à l’autre.
Je reconnais être du côté obscur, c’est ainsi depuis ma naissance. Cela ne changera jamais, je l’accepte. Les autres vont apprendre à m’accepter et ce, dès aujourd’hui. Ces deux vauriens qui m’encadrent valent-ils mieux que moi ? Dans la même situation que celle que je viens de vivre, ils n’auraient pas été arrêtés. Moi oui.
J’entends des bruits, cela semble provenir de l’extérieur, comme une clameur. Peu après, la porte s’ouvre sur un policier que je n’ai pas encore vu, un grand type aux cheveux châtains, les yeux comme l’acier, son ventre menace de faire exploser sa chemise. Il déverrouille ma cellule et m’invite à le suivre.
— Votre époux a réglé votre amende, vous pouvez sortir mais qu’on ne vous y reprenne plus.
Il me tend mon sac et mon chapeau. Je ne sais comment réagir. J’aspirais à autre chose qu’être expédiée comme une malpropre, sans un mot.
Raymond m’attend à l’extérieur. Il me présente un homme qui est venu me soutenir. Il s’appelle Martin, il me remercie pour mon acte de bravoure. J’ai l’impression d’avoir remporté une guerre.
Pourtant ce n’était pas grand-chose.
J’ai refusé de me lever. Ce type n’avait qu’à rester debout ou attendre le prochain bus.
Demain je boirai à l’eau de la fontaine de mon choix. Martin a proposé qu’à partir de ce jour, nous ne montions plus dans aucun bus de Montgomery. Quand notre argent n’entrera plus dans leurs caisses, ils prendront conscience que le nombre de sièges occupés par les blancs est dérisoire.
- Audrey Swientczak
Ça va le faire, il faut que ça le fasse, il faut que ça ce passe bien, je ne veux pas que ça s’arrête maintenant. Je suis heureuse, enfin ! J’ai tout pour être bien, je profite seulement de la vie et puis le ciel est tout bleu, le soleil brille déjà, ça va être une belle journée, je ne peux pas, je ne veux pas mourir aujourd’hui.
Il est à peine 7h30, je suis prête, j’ai eu droit à la douche à l’iso-bétadine des pieds à la tête, j’ai passé ma robe de bal, elle ne me va pas, trop large, trop terne, trop échancrée derrière, je me sens toute petite et fragile à l’intérieure. J’attends sur mon lit que le temps passe, j’ai envie d’un café, d’une cigarette, ça me semble long. Il me donne un cachet pour me détendre, commencer à anesthésier mon corps et mon esprit en douceur, ça marche. Je somnole quand le brancardier vient me chercher, je vois plus ou moins le chemin qu’on empreinte mais je ne verrai rien de la salle d’attente pour le bloc et encore moins le bloc, moi qui voulait voir à quoi ça ressemblait, tout le matériel, tous ceux qui allaient mettre leurs mains dans ma poitrine, sur mon cœur, c’est foutu ! Je suis déjà loin, très loin.
Et puis 12 heures ce passent dans un sommeil profond duquel je mettrai 2,3 jours à émerger. Je n’ai rien vu, pas de vie qui défile, pas de lumière, rien, que-dalle, le trou noir. C’est peut être parce que je n’ai jamais basculé ne serait ce qu’une minute de l’autre côté, parce que je suis forte, que j’y croit, que j’ai confiance et que surtout je veux vivre.
Je veux vivre parce que la vie est belle, parce que chaque jour il y a au moins une raison de sourire, de s’émerveiller, parce qu’à 34 ans j’ai encore toute la vie devant moi, pleins de rêves, parce qu’il y a deux personnes que j’aime plus que tout et que je ne veut pas les laisser. Parce que j’ai envie de rire, marcher, voyager, lire, écrire, manger, penser, aimer, rêver ,… La liste est longue.
Bref je suis là, de retour dans ma chambre à l’unité de soins intensifs cardio-vasculaire, il est autour de 21 h et on vient de m’extuber, je suis défoncée mais tout va bien, enfin je crois. J’entends des voix mais je ne sais pas ce qu’elles disent. Il y a maman et amoureux, j’ai un vague souvenir d’avoir vu leur visage se pencher sur moi, je me demande si je rêve ou si c’est la réalité, je me demande si je vais bien ou si je ne suis plus là. J’ai surtout très envie de me rendormir, mes paupières sont lourdes, je suis épuisée. Les jours qui suivent sont plutôt des nuits qui n’en finissent pas, couchée je suis bien, si je bouge, j’ai mal alors j’appuie sur le petit bouton qui me relie à la morphine et vite elle m’emporte. Je n’ai que de vagues souvenirs de ces jours là, la toilette en mode petit chat et la radio journalière du thorax qui était le pire moment de la journée tellement c’était douloureux de me redresser juste un peux. j’ai l’impression d’avoir dormi tout le temps, de ne pas avoir mangé. Le bon côté de la douleur c’est que si j’ai mal, c’est que je suis vivante. Après 3 jours on me débranche tout et je passe dans l’unité de cardiologie et commence en douceur la rééducation physique et mentale.
Je ne suis plus la même, je veux profiter encore plus de la vie, je ne veux plus être l’actrice mais l’auteur de ma vie, je veux m’écouter, suivre mes envies, découvrir, voir, essayer pleins de choses, ne plus perdre mon temps pour des futilités. A partir de maintenant c’est moi d’abord et je vais apprendre à dire non.
Merci la vie de m’avoir donné un coeur malade et de l’avoir réparer, sans lui je ne serais pas là ou je suis , je ne serai pas celle que je suis aujourd’hui.
- Simon Dubowski – Coup de ♥
Ça va le faire, il faut que ça le fasse. Je me répète cette phrase dans ma tête sans discontinuer. Je suis dans les bras ce cette fille. Alicia. On danse un slow. On est à la boum de mon pote Martin. Sur la piste on est que tous les deux. Tous les regards sont braqués sur nous. Les gens savent. Elle aussi sait. Pendant qu’on tourne lentement, à demi-serrés l’un contre l’autre, elle rigole. Les autres filles assises sur le côté rigolent aussi. Je rougis. Est-ce qu’elles se moquent du futur rateau que Alicia va me donner ? C’est ce que je pense. Et plus elle rigole, moins j’ai le courage de me lancer. Et moins en moins de temps. Parce que la chanson n’est pas éternelle. Si je ne tente pas ma chance avant la fin du morceau, c’en est fini pour moi. Mais je ne veux pas avoir le cœur brisé. Pourtant c’est ma dernière chance. C’est l’ultime soirée de l’année. Après c’est les vacnces d’été et on ne va pas dans le même lycée. Et peut-être que je ne la reverrais plus.Mes potes, eux, m’encouragent discrètement. Enfin c’est ce qu’ils pensent. Ils lancent des « vas-y » ou des « embrasse la » en chuchotant. Mais tout le monde entend. Ça me crispe encore plus. La chanson est bientôt terminée et je n’ai toujours pas prononcé le fameux « Tu veux sortir avec moi ? ». Je me rapproche un peu. Elle rigole toujours. Mais pourquoi elle rigole comme ça ? Elle se moque de moi ou est-elle gênée ? Je suis confus. En plus, je n’ai jamais embrassé personne.J’ai peur de mal faire. Je mets la langue ou pas ? Il faut d’abord qu’elle dise oui. Et pour qu’elle dise oui, il faut que je pose cette putain de question. « TU VEUX SORTIR AVEC MOI ? » Je la crie dans ma tête pour m’encourager. C’est pas si compliqué bordel. Cinq petits mots. Les cinq mots qui peuvent changer ma vie. En plus j’ai fait le plus dur. J’ai réussi à l’inviter à danser. Mais pourquoi il y a que nous qui dansons ? Ça m’aiderait beaucoup si on n’était pas l’attraction du moment. Mes potes auraient pu, auraient dû inviter les autres filles à danser. Maintenant, j’ai les mains moites. Elle le sent ou pas ? Elle est belle. Et son regard… J’ai l’impression que son regard me dit « qu’est-ce que t’attends ? ». Il est en pleine contradiction avec son rire. Il me perturbe son rire. Allez je me lance. Un… deux … deux et demi… Merde. La chanson est terminée.J’ai pas osé. Elle me lâche. Elle a arrêté de rire. Elle semble déçue. Putain, je suis con. Elle s’en va vers ses copines. Elles ont l’air offusqué. J’ai merdé. Je rejoins mes copains. Ils sont consternés. On dirait des supporters de foot blessés par la défaite de leur équipe. Ils m’emmènent dehors pour débriefer. « Pourquoi t’as rien dit ? », « il fallait y aller», « à ta place je l’aurais embrassé direct ! ». A ma place, j’y serais allé aussi. Pourquoi je suis lâche comme ça ? Ça fait quoi qu’elle dise non ? C’est pas grave. « Elle aurait dit oui en plus ». Ah bon, elle aurait dit oui ? Mais c’est trop tard. Ou pas. Je vais lui écrire un mot, c’est plus facile. Oui, je vais faire ça. Je rentre dans la maison de Martin et prend un papier dans sa chambre. Je lui écris quoi ? « Je suis désolé pour tout à l’heure, je veux te revoir ». Non c’est nul. « Je t’aime. » Trop direct, trop flippant. «Je ne sais pas le dire mais je sais l’écrire. Tu veux sortir avec moi ? » C’est pas grandiose mais ça peut rattrapper le coup. Je descends dans le salon pour la rejoindre. Elle n’est plus là. Elle est où ? « Elle est partie. Bah oui gars, t’as raté ta chance. »
Le temps passe. On est en août. Je reviens de vacances. J’ai presque réussi à oublier cette soirée chez Martin. Ma mère achète le journal local. Il y a eu un accident où deux jeunes personnes sont mortes dans un accident de voiture. C’est Alicia et son petit copain. Il était plus âgé qu’elle. C’est lui qui conduisait. Il avait bu, trop bu. Je suis sous le choc. Je relis l’article encore et encore. Pas de doute possible. Alicia est morte. Je revois son visage. Je revois cette soirée. Cette danse. J’entends son rire dans ma tête. Je revois son regard, ce regard qui m’enoucourageait. Et ces cinq putains de mots que je n’ai pas réussi à lui dire. Ces cinq mots qui auraient pu changer sa vie. Avec ces mots, elle n’aurait pas recontrer ce mec. Elle ne serait jamais montée dans cette voiture. Elle serait là, à côté de moi, à rire à mes blagues idiotes. Avec son rire si spécial. Mais non, maintenant, Alicia ne connaîtra que le silence. A cause de cinq mots que je n’ai pas osé prononcer.
- Marina Leridon
Ça va le faire, il faut que ça le fasse. Si j’ai bien compris, des rideaux doivent impérativement être posés samedi pour les premiers clients.
Je ronronne et ça semble rassurer l’humaine qui se trémousse devant moi. Parfois, j’ai une petite faiblesse et je la sens se crisper de tout son être. Il arrive qu’elle me parle et me caresse ! Il faut dire que ma sœur a déjà rendu l’âme, abattue par tout ce qu’elle devait confectionner.
Si j’ai bien compris, notre mission est hors du commun : confectionner des rideaux pour un dôme ! Non seulement la largeur des vitres est de huit mètres et la hauteur de deux mètres cinquante mais en plus la surface est arrondie … un véritable casse-tête.
Elles sont deux à mesurer, couper, épingler. Je les observe avec ma lampe. La plupart du temps, elles oublient de l’éteindre…
C’est plutôt comique : elles se reposent les mêmes questions tous les jours, ont les mêmes hésitations sur la façon de procéder jusqu’à ce que l’une d’elles trace enfin des plans avec les bonnes mesures ! Leurs cris quand elles se piquent avec une épingle arrivent à couvrir mon doux ronronnement. J’ai l’impression qu’elles n’ont toujours pas compris que cet accessoire peut blesser !
Moi, je fatigue beaucoup. Je ne suis plus toute jeune et le tissu est épais. C’est que j’ai passé toute ma jeunesse à coudre des corsets. C’était une autre paire de manches et ils m’ont bien usée. J’ai un peu de mal à remplir mes canettes. Je m’essouffle, je me suis même arrêtée deux ou trois fois et ces dames appréhendent que je les laisse en plan.
Des rideaux, c’est pourtant facile pour moi. Quasiment tout droit avec quelques épaisseurs pour la truffette (nouveau nom de la ruflette inventé par mes nouvelles amies…) et les ourlets.
J’ai parfois un jour de repos : je crois qu’elles n’ont pas toujours le courage de s’y remettre. Du coup, cette histoire dure des semaines alors que la date fatidique approche.
Un matin, c’est l’affolement. Il ne reste que trois jours. Ça virevolte dans tous les sens, trace à la craie, coupe, épingle. Je sens bien que je vais devoir me surpasser !
Une couture puis une autre … ah zut la cannette est vide ! La fébrilité n’arrange pas les choses mais on y arrive.
Deux, trois lignes droites, quelques ourlets plus épais plus tard : c’est terminé !
À elles de les installer, je vais prendre un repos bien mérité.
Je suis fière de nous : ça l’a fait, il fallait que ça le fasse.
- Laetitia Gagnaire
La légende :
Ça va le faire. Il faut ça le fasse. Elle se rappella son arrivée au village, pleine d’enthousiasme et de projets…Qu’est-ce qui a bien pu dérailler pour qu’elle en arrive là ?
Il y a longtemps, quand j’étais encore enfant, mon grand-père m’avait raconté une légende. Je ne me rappelle plus de tout les détails mais il était question d’un phare et d’une jeune femme.
Un jour, plusieurs marins avaient décidé de sortir en mer pour aller pêcher. Ils étaient partis en groupe, chacun sur son embarcation. La fiancée d’un des marins se rendaient tous les jours et toutes les nuits au phare pour essayer d’apercevoir le bateau de son ami qui revenait. Mais il n’en fut rien. Plus les jours passèrent et plus elle devait se rendre à l’évidence. Les marins, dont son futur mari, s’étaient perdus en mer. Par dépit, elle se jeta du phare. On dit qu’elle revient à la tombée du jour pour guetter l’arrivée de son fiancé. Certains disent avoir aperçut sa silhouette fantasmagorique flotter près du phare.
Eh bien, pour vous dire la vérité, cette légende m’a toujours effrayée. Mon grand-père m’avait vivement déconseillé d’aller trainer là-bas. Mes parents avaient essayé de m’expliquer que ce n’était qu’une simple histoire pour faire peur aux enfants et aux âmes trop sensibles. Ils avaient réussi à me convaincre. Mais là… Là… Je dois vous avouer que je suis en train de flipper. J’ai l’impression que ma vie ne tient plus qu’à un fil. Vous voulez savoir pourquoi ?
Tout a commencé il y a deux jours. J’étais de retour dans ma région natale pour présenter mon fiancé à mes parents. On avait pris le train, traversé des paysages en fleurs en ce mois de mai. On était passé devant de belles bâtisses avant d’arriver près de la mer et au loin, on avait aperçut le phare, ce fameux phare.
— C’est un phare là-bas ? Il a l’air splendide. On ira le visiter, avait décrété Carol sans même me demander mon avis.
Je préféra garder le silence. Je n’allais pas non plus lui expliquer que j’en avais aucune envie et ce, à cause d’un fantôme. Depuis qu’on m’avait raconté cette légende, je ne m’en étais plus approchée. Peut-être qu’il oublierait cette histoire.
Mes parents furent heureux de nous accueillir et de nous aider à nous installer dans ma chambre d’enfant, au premier étage. La décoration fit rire Carol qui se mit à fouiller partout.
Après les présentations, Carol et moi, nous sommes allés nous promener dans le coin. La première journée passa en tout point comme je l’avais imaginée. Il semblait avoir oublié le phare et ce n’en était pas plus mal. Mais ça, c’était ce que je m’imaginais. J’aurais dû le savoir. Quand Carol veut ou pense à quelque chose, il n’en démord pas. Et là, c’était ce foutu phare.
— Avant de partir, je voudrais tellement monter tout en haut du phare, avait-il lancé en plein milieu du repas. Tu sais celui que l’on a vu dans le train ?
— Oui. Mais tu sais, ce n’est pas très intéressant…, tentais-je.
— Arrête. La vue doit être superbe !
— Pas tant que ça…
— On dirait que tu n’as pas envie d’y aller. Je me trompe ?
— Non. Ce n’est pas ça…
— Vous parlez du phare Blird ? Me coupa maman. Ça fait des années qu’elle a peur d’y monter.
Carol parut tout d’un coup très intéressée.
— Ah bon ? Pourquoi ? Tu n’as pas le vertige.
— C’est à cause de la légende, intervient papa.
— Quelle légende ?
— Et du fantôme, renchérit maman.
— Quel fantôme ?
Mon père lui expliqua. Carol se moqua.
— Tout ça, c’est simplement une histoire pour faire peur. Mais à la base, la jeune femme a vraiment existé. C’était la fiancée de Monsieur Diot.
— Ah bon ?
— C’est qui, monsieur Diot ? Demanda Carol.
— Un notable du coin. Il a fait fortune en investissant l’argent de sa pêche dans l’immobilier. Il a fait beaucoup de donations à la ville. C’est à lui que l’on doit l’hôpital et la bibliothèque.
— Oui. Il était fiancé à une jeune fille du coin. Elle s’est suicidée. On a retrouvé son corps en bas du phare. C’est dommage parce que quelques temps après, les embarcations sont rentrées au port, avait repris mon père.
— Tout les marins sont rentrés sains et saufs. Le seul disparu c’était un homme, un nouveau. Je ne me souviens plus de son nom.
— Super, avait lancé Carol. On y va ce soir.
Et voilà comment je m’étais retrouvée en haut de ce phare à vingt-deux heures passées. Un coup de vent avait refermé la porte, nous séparant Carol et moi. Je l’entendais crier de l’autre côté. Il me demandait de lui ouvrir. Une sensation étrange me fit tourner la tête. Mon sang ne fit qu’un tour. Carol se mit à crier davantage. Je pense que le hurlement que j’ai poussé à cet instant lui a fait comprendre que quelque chose n’allait pas. Devant moi, une espèce de forme blanche flottait au-dessus du sol. Elle avait les traits d’une jeune et belle femme. Je la vis s’éloigner de moi pour se diriger vers un coin du phare. Il eut un vent brusque et une pierre tomba dans un bruit assourdissant. La jeune femme revint vers moi avant de disparaître. D’une démarche peu convaincue, je m’approchais doucement du trou que cette pierre avait fait en tombant du mur. Il y avait quelque chose dedans. Sans être vraiment rassuré, j’y glissa la main et l’attrapa. C’était un bout de papier. Vu l’apparence jaunie, il devait être assez vieux. Je le déplia et me mit à le lire. C’était une lettre adressée à un certain Marc Lande.
« Mon cher et tendre Marc,
Cela fait plusieurs jours et nuits que je monte en haut du phare pour apercevoir ton retour. J’ai tellement peur qu’il t’arrive quelque chose, surtout depuis que j’ai décidé de quitter mon fiancé. L’homme que l’on me force à épouser et qui me rebute. Tu sais à quel point je ne supporte plus sa rudesse. Ses coups me laissent toujours des marques sur le corps mais ce n’est rien à côté de la douleur que je ressens à l’intérieur . Je suis presque sûre qu’il est au courant pour nous deux et que s’il a organisé cette expédition de pêche, c’est simplement pour en profiter pour te faire du mal.
Aujourd’hui, j’ai aperçut son bateau. J’ai aperçut tout les bateaux qui revenaient. Il ne manquait que le tien. J’ai tellement peur qu’il te soit arrivé quelque chose. Ne m’en veut pas mon amour mais je préfère mourir que survivre à la douleur de te perdre et d’être obligée de vivre avec cette brute. Je cache cette lettre ici, à l’endroit qui nous permettait de correspondre sans que personne ne s’en aperçoive. Si tu es encore en vie et que tu trouves ce message, vis ta vie et sois heureux pour nous deux, mon amour. »
— Qu’est-ce que c’est ? Demanda Carol.
Sa voix me fit sursauter. Je ne m’étais même pas rendu compte qu’il était arrivé à ouvrir la porte pour venir se placer derrière moi.
Journaliste de profession, j’ai publié ma trouvaille dans le journal local, tout en expliquant l’histoire. Bien sûr, je suis passée outre la présence du fantôme. Qui l’aurait cru ? Tout le monde n’avait pas besoin de savoir ça. Quoi qu’il en soit, vous me croirait ou non, mais quand la vérité fut rétablie, on n’entendit plus jamais parler d’une silhouette de jeune fille apparaissant à la nuit tombée.
- Tuy Nga Brignol
« Ça va le faire, il faut que ça le fasse », c’est ce que Marie entend très souvent son fils lui répondre quand elle s’enquiert sur les suites de ses démarches pour un stage, pour un entretien d’embauche… Au fond, elle se félicite d’avoir persisté à appliquer, dès le plus jeune âge de son fils, la théorie du célèbre psychologue suisse Jean Piaget connu pour ses travaux sur le développement cognitif de l’enfant. Selon Jean Piaget, il est important de transmettre l’espoir chez les enfants, car c’est une des valeurs qui peut disparaître aussi vite qu’elle est arrivée.
Un enfant ne perd jamais l’espoir quand il veut réellement quelque chose. Il est capable d’attendre un cadeau jour après jour, année après année. Il est donc primordial de transmettre l’espoir aux plus jeunes. De plus, il est essentiel de le stimuler, car c’est une valeur qui ne doit jamais se perdre.
Si les parents souhaitent un développement pondéré et adapté, Il est nécessaire que la stimulation des valeurs soit toujours en accord avec la réalité des choses. Autrement dit, il ne faut pas stimuler l’espoir de l’enfant lorsqu’il n’a en tête qu’un rêve irréalisable. Si l’enfant s’habitue à ne jamais rien obtenir, il finira par perdre l’espoir, ce qui peut amener à des conséquences néfastes sur sa psyché et son développement.
Cultiver l’espoir en soi est un exercice de responsabilité positif envers soi pour permettre à l’espoir d’être toujours présent. Même s’ils doivent rester bien ancrés dans la réalité, les rêves réalisables ne doivent jamais être perdus de vue.
L’Espoir est en nous. Nous portons tous l’Espoir comme une flamme olympique rayonnante au bout de nos bras. À travers l’obscurité du monde, le chaos et la confusion, vient la Lumière. Pour ceux qui peuvent voir, sentir ou entendre sa présence, la Lumière apporte l’Espoir. Avoir confiance en notre Étoile sert à retrouver cette Lumière en nous et à nous laisser porter par la mouvance de notre âme, celle qui sait, celle qui sait pour nous.
- Ma participation, hors concours, sur l’inspiration n°3
Ça va le faire, il faut que ça le fasse. Je tourne en rond, reviens sur mes pas, puis repars dans l’autre sens, pour finir par reprendre les mêmes cent pas, encore et toujours… Cette étincelle de vie, nous la rêvons depuis longtemps. Dès notre premier échange de regards, dès nos premiers mots partagés, dès ce baiser, tendre et passionné, au goût de miel, dès notre découverte intime, de la chair et de l’âme. Cette espérance de vie, nous l’avons choyée de nombreuses années, dorlotée au creux de notre giron amoureux, nourrie de nos projections naïves et de nos envies candides, désaltérée à grand renfort de discours visionnaires et de bonnes intentions bien calées, là, tout au fond de nous. Cette lueur de vie, nous l’avons travaillée au corps, sans nous laisser démonter par son côté revêche, son incompréhensible inaccessibilité, son injustice, pourtant cruelle, délétère, nous l’avons adaptée, manipulée, à l’aide de blouses blanches et vertes, de grands pontes et de savants presque fous. Cette pulsion de vie, elle nous a choisis au bout d’un tunnel sans fin, long processus coûteux et laborieux, dans tous les sens des termes, elle a décidé d’élire domicile dans le corps de ma bien-aimée et de nous offrir le rôle le plus élitiste qui soit au monde, dangereux pour l’ego, le coeur et la sérénité, abreuvoir d’amour sans fin dans lequel le joyau qui sommeille en chacun de nous peut laver ses erreurs avec un soupçon d’humilité. Alors, je te le dis, Destin, sans un mot de travers ni une pensée qui bifurque : ça, va, le, faire. Notre ange verra le jour, et sa mère pourra s’en enorgueillir le reste de son existence, pendant que je serai occupé à les couver d’une adoration sans faille.
Merci à tous pour vos participations et lectures !
A bientôt 💋
⭐
Je suis très contente et fière d’avoir participé à ce challenge, j’espère faire de même les autres mois ! 😉
Merci encore et bonne lecture, il y a beaucoup de textes !
Sandy
Et moi ravie de vous accueillir si nombreux lors de ce rendez-vous ! Bonne chance à tous ♥
Je suis contente aussi d’avoir participer à ce challenge 😉 Bonne lecture
Solène
Merci pour ton concours, Solène !