Bonjour tout le monde !
Comme vous l’avez peut-être appris, j’ai eu un crash de disque dur en janvier qui m’a bien embêtée, car j’ai perdu une grande quantité de documents et informations essentiels à la boutique. J’ai remonté mes manches et enfin réussi à rattraper le retard, mais il me restait à publier les participations reçues dans le cadre de la première proposition d’écriture du Rendez-vous des Plumes… nous y sommes ! Ces textes ont été transmis par mail aux membres du jury dont je fais également partie, et que je présenterai au fil des mois sur les réseaux sociaux. Je suis très fière d’avoir composé une équipe de choc pour m’accompagner dans l’aventure…
A présent, il est temps de découvrir les textes envoyés en janvier sur le thème “barreaux“.
Les textes ne sont relus qu’au moment de leur publication, et ce uniquement dans le but de vérifier qu’ils ne contreviennent pas au règlement de l’atelier d’écriture. Si le cas devait se produire, le texte ne serait tout simplement pas publié, sans autre recours possible de son auteur. La Petite Boutique des Auteurs n’est pas responsable des coquilles, fautes d’orthographe, syntaxiques ou grammaticales éventuellement présentes dans les textes qui participent au Rendez-Vous des Plumes. Merci d’en prendre note avant lecture.
Amelia

· Texte de Chloé Houti ·
Et comme chaque fois que je m’y arrêtais, c’était comme s’il m’avait attendue toute la journée. Je pense que certaines personnes ressentent cela à la fin d’une longue journée, lorsqu’il est le moment de se glisser sous les draps, parfois encore témoins de la nuit de la veille, parfois accommodés de telle sorte que les souvenirs d’une nuit agitée soient effacés. Je ressentais cela dès lors que je l’apercevais, c’était mon lit à moi, le seul sur lequel, enfin, je comprenais : mon banc face au lac. Assise sur ce banc, seule et à la fois si accompagnée, je comprenais. Devant mes yeux, dans mes oreilles, sur la peau de mes mains, de mon visage, et sous mes pieds, le décor s’ancrait en moi comme un bateau s’encre à son eau. Et malgré la douce mélodie de l’eau qui me berçait, le souffle froid du vent qui rendait mes pommettes rouges et mes mains froides, jamais je ne pouvais, et jamais je ne voulais, simplement me décider, à arrêter tout le flot de ces pensées qui troublaient ce rêve éveillé. Elles étaient là, et j’étais lasse. Et je pensais…
Moi j’aime ce bruit,
tu sais celui
Qui tout au fond de toi crie
Ralentis – Ralentis – Ralent..
Puis soudain, après s’être entrechoquées, croisées et disputées, mes pensées s’étaient apprivoisées et étaient prêtes à m’expliquer ce qu’elles voulaient me dire. Et puisque je me contentais de voir ce qui s’offrait à moi jusqu’à ce moment, je me mis enfin à regarder. Je n’entendais plus, j’écoutais. Je ne pensais plus, je ressentais. Et là, alors que je cherchais depuis des semaines ce qui n’allait pas dans ma vie, ce tableau qu’enfin je parvenais à saisir m’en révélait la raison. Je pouvais voir ce lac que j’adorais, je pouvais entendre le son de son mouvement, l’odeur de sa fraicheur, et pourtant, parce qu’il y avait ces barreaux devant moi, je ne pouvais pas pleinement en profiter. Le lac était le bonheur, mon bonheur. Et ces barreaux, les limites que je m’imposais et qui m’empêchaient de vivre mon expérience du bonheur. Je ne savais pas, je ne savais plus, écouter le bruit de la pluie à travers une fenêtre, pleurer devant un livre, sentir l’odeur du jus d’orange le matin, exploser de rire, m’émerveiller devant un coucher de soleil, me plonger dans un bain de mousse, souffler la flamme d’une bougie, me faire dorer par la lumière du soleil, faire une grasse matinée…
Depuis que ce mot était entré dans ma vie, mes barreaux me persuadaient que perdre du temps devant ces petites expériences de vie futiles n’était pas recommandé. Depuis que je connaissais ce mot, j’avais perdu cette innocence de laisser un morceau de moi dans quelque chose que j’aimais sans savoir pourquoi, pour ne pas perdre de temps. Temps dans lequel je ne ferais rien d’autre qu’en gagner plus à ne pas en perdre d’avantage. Le temps, le temps, le temps, occuper son temps, ne pas en perdre, pas gaspiller, le temps, le temps, le temps passe vite. C’est comme si ce mot : productivité ; était entré chez moi, avait jeté tout ce qui m’y plaisait, avait tout redécoré, aménagé, me laissant pour nouvelles peintures l’anxiété, le stress, la fatigue, le tout avec des meubles de la collection anti-bonheur.

· Texte de Shalendrys ·
Elle avait pris l’habitude de traîner sur ce banc, au bord du canal de Solitès. Cette vue était si belle qu’à chaque fois qu’on lui accordait de l’importance on s’y noyait. Emma se rappelait du bon vieux temps. C’est ici qu’elle avait l’habitude de se promener avec sa femme, Elisa.
Elle était si belle. Rien que de voir ces cheveux faire des vagues dans les airs égayait les journées d’Emma. Et puis, ce premier baiser qui fut … inoubliable. C’était la première fois qu’Emma embrassait une fille. Oui, c’est ce jour ci qu’elle apprit pour son homosexualité. Quand elle y repensa, des larmes coulèrent le long de ses joues. Tous ces moments merveilleux à jamais emprisonnés dans le passé.
Elisa n’était pas aussi forte. Rongée par toute cette homophobie qu’elle subissait, elle se jeta du pont et se noya dans le Solitès.
Depuis, bloquée devant les barreaux qui la séparaient du fleuve et de son premier amour, Emma ne savait plus qui était réellement prisonnière de ce monde.

· Texte de Shauna Deschamps ·
Un vide à remplir.
Tout bouge à grande vitesse autour de moi et pourtant l’instant présent semble ralenti. L’air était frais, et les lueurs orangées du matin s’estompent peu à peu. L’agitation s’élève, les voitures se bousculent, chacun va à sa propre occupation. Cela fait déjà trois mois que je me pose sur ce banc face à la seine et à ses communs barreaux. La même ambiance, le paysage identique, les journées se ressemblent et se rallongent. Aujourd’hui c’est pourtant la dernière fois que je le contemple. Tous les jeudis à 9 h 45 précisément, ce fut comme une routine mise en place, chaleureuse et réconfortante, qui s’était progressivement installée. Un moment de légèreté ou pendant un court instant l’esprit qui se désemplit, et le cœur devenait moins lourd.
C’est en se posant une demi-heure à heure fixe et ponctuelle que je m’en rendis compte. Je saisis le vide qui s’était établi en moi et que je n’arriverais jamais à remplir.
Certains visages furent familiers, comme le trentenaire déjà bien pris par la calvitie qui faisait son footing quotidien. Ou bien la charmante grand-mère baguette tradition, toujours coincée sous le bras gauche. Ou bien cette femme, la tête encore sommeil, du lit qu’elle avait quitté, se laisser trainer par son labrador caramel bien plus énergique. De tout type de personne se bousculer de si bon matin. Des pressés, en retard pour le travail, des débordés les mains aussi charger que leur pas étourdis, les fatigués qui aurait aimé rester sous la couette. Et puis il y avait moi, celle qui laisser le temps s’écouler qui pensez mes blessures.
Il m’a fallu deux jeudis avant de garder cet endroit. Le premier matin arrivant avec beaucoup trop d’avance de peur de me perdre ce fut le parc juste au croisement de rues qui semblait idéal pour attendre. Bien trop stresser pour avaler quoi que ce soit, je me maintenais l’esprit concentré sur mes bottines marron. À côté, un air de jeux avec un petit toboggan d’enfant, vide d’occupant, mes pensées ne pouvaient pourtant pas sans détacher. En pleine semaine, et de si bon jour je ne croyais pas avoir de la compagnie.
Ce jour-là j’aurais pu me mettre plus loin, mais j’ai choisi de, m’infliger une fois de plus davantage de peine. En l’espace de peu de temps, cette situation avait fait de moi une étrangère. Quand cette petite tête blonde accompagnée de sa nounou a fait apparition, un sourire forcé se dessina sur mon visage. Il n’y avait encore pas si longtemps celui-ci aurait pu être sincère, plein de joie, mais même ça le destin me l’avait enlevé.
C’est le cœur en miette et un silence glacial que j’ai tenus jusqu’à ce que mon tour arrive.
Le jeudi suivant j’ai décidé de tenter un intérieur, surprise d’un climat capricieux et d’un manteau déjà humide. C’est à un petit café, en fasse de l’espace vert du jour d’avant, que j’ai jeté mon dévolue, le ventre toujours aussi lunatique, je ne pris qu’une boisson fumante et chocolatée. Aussi amère que la journée qui avait débuté. Pratiquement vide, le choix du roi pour la place était de rigueur. Au fond, contre la vitre, tâchant de garder ma concentration bien droite sur ma tasse. Je me suis rapidement m’audit de ne pas avoir pris un livre. Au moins deux femmes avec un landau avaient défilé devant la fenêtre, une rue bien trop passante à mon goût. Mais le coup de grâce fut pour celle qui posa son cosy rempli d’un magnifique bébé aux joues bouffies à la table d’a coté. La technique des paupières closes fut un véritable échec, avec ce bambin au gazouillis des plus ravageur.
S’entend les larmes monter, ce fut la porte tous de suite diriger.
Puis le jeudi suivant j’ai décider de me faire perdre le temps avec de la marche, veillant à ne pas m’écarter trop loin du bâtiment pour le retrouver efficacement. Ce fut à cet instant que je découvris le lieu parfait, égaré face à de l’eau, isoler et couper de tous il fut devenu l’endroit idéal. Bien emmitouflé dans mon écharpe grise, rien ne pouvait me déconcentrer de la seine.
Au fil des jours, mon esprit ne fut pas aussi vidé que je l’aurais souhaité et mon cœur était toujours tellement lourd. Les mêmes pensées revenaient à la charge afin de me tourmenter sans relâche. C’est aux derniers jours où l’ultime espoir s’était envolé que tous ses poids se sont évaporés dans un décisif combat.
Ces chaines, se poids autant poignardant que les picots sur cette barrière qui me transpercer à chaque seconde, mais qui enfin me laissa en paix.
Un prochain jeudi arriva, mais celui-ci sera bien différent.
Enlevant mon béret rouge de mes cheveux châtains, ses sur le banc que je le déposai. Écartant l’autre main, que je caresser d’un tic malsain sur mon ventre, tous devaient maintenant cessait. Aussi tremblante que nerveuse, mes jointures proches de mon nombril tenaient le morceau de papier qui me m’était dans tous ses états. Suivant le relâchement de mes bras un flot de larmes s’écoulaient sur mes joues. Tous ce que je garder en moi pendant si longtemps explosa comme une bombe à retardement.
Une page qui maintenant pouvait se tourner face à ce malheur que j’attendais avec crainte et pourtant d’où je désespérer contre l’inévitable.
Bien que la douleur de cette fameuse réponse fût autant ravageant que fulgurante, je la remercier toute fois. Emprisonner dans une prison remplie de doute, d’expérience aussi floue que la brume du matin. Maintenant que ce voile était levé et que la fatalité mes frapper au visage j’allais enfin pouvoir respirer à nouveau.
Je pouvais être enfin libre, libre de commencer une autre vie.
Je resterais qu’un ventre vide. Je ne deviendrais jamais mère. C’est le cœur calmer et enfin apaiser que je n’aurais plus cette douleur lorsque je croise la route d’une resplendissante maman. Je n’envierais plus cette femme rayonnante a la silhouette ronde, ni m’observai dans une glace avec un coussin sou la robe de nuit. Maintenant s’étend devant moi une multitude de possibilités. Le besoin de partir en voyage afin de penser mes blessures et de reconstruire mon cœur. C’est d’un dernier regard plein de mélancolies de ses matins passer, que debout face à ce paysage auquel je me suis attaché que je fis mes adieux.
Adieu banc de l’espoir, adieu, chère amie, nous nous reverrons plus.
Laissant derrière elle son ancienne vie c’est un béret rouge percer par un pic sur des barreaux argenté, qu’elle quitta sans regret.
En deux ans ce lieu devenu l’endroit pour les cœurs solitaires est meurtri. Deux ans plus tard face à ce même grillage rempli d’une multitude de chapeaux de toutes les couleur et forme sur ses pics en triangle qu’une jeune femme nostalgique y était retournée. Enveloppée de sa même écharpe grise, mais aux cheveux coupés d’un carré plongeant, elle tenait tendrement la main qu’une petite fille a la longue tignasse d’un brun ondulé. Blottie dans un tour cou aussi blanc que la neige qui tomber, elle porter en miniature le même couvre-chef que sa mère avait porter avant. Ses d’un chuchotement inaudible que Amélia remercia ce banc cher à son cœur de lui avoir offert ce qu’elle souhaiter plus que tous, une famille.

· Texte de Régine Bertrand ·
Entre les barreaux
Nous tendrement enlacés
Oui, je t’ai aimé

· Texte de Mélanie Gertsch ·
Ma chérie,
Je t’écris ces quelques nouvelles, te dire comment je vis, comment je survis…
J’ai atterri il y a quelques semaines, peut-être un mois dans cette grande bâtisse aux barreaux aux fenêtres, gérée et habitée par des femmes. Beaucoup d’entre elles paraissent vieilles, mais il y a des plus jeunes aussi. Elles prennent soin de moi, comme j’en ai besoin. Ma chambre est précaire, un lit, une table, une chaise, les murs sont vides, j’ai décroché la croix… mais je m’y retrouve tu sais : c’est presque aussi vide qu’à l’intérieur de mon cœur.
Je sais qu’en lisant cela, tu vas t’inquiéter, mais ne t’en fais pas : j’arrive. J’ai besoin de cette traversée du désert. Les femmes me laissent hurler, elles m’amènent mes repas sans même rien me demander. Elles me laissent vivre chacune de mes émotions sans y prêter attention. Ça fait du bien, si tu savais. Bon, c’est vrai que ça fait longtemps que je n’ai pas vu la joie, et même si je sais qu’elle reviendra, pour l’heure, à chaque fois que j’essaye de sourire c’est comme si ma bouche était reliée à mon cœur ; comme si à chaque élargissement de mes zygomatiques, on me plantait mille aiguilles au cœur. Je ne peux pas encore sourire, ni me réjouir, mais je sais que ça va revenir.
Depuis quelques jours, je me lève, je mange aussi. Du bouillon, ce n’est pas très bon mais ça réchauffe, et je me dis que j’avance.
En arrivant ici, je pouvais à peine me lever. Je pouvais aussi à peine me coucher. J’étais sans cesse recroquevillée : bras enlacés autour des genoux pliés… A chaque fois que j’essayais de bouger, je sentais une lame s’enfoncer dans mon échine, me découper les épaules puis les genoux, les hanches jusqu’à s’enfoncer dans le ventre, du bas à droite vers le haut, à gauche et elle finissait son déchirement de mes entrailles dans le cœur et alors je pleurais. Je pleurais puis je hurlais de pleurs pour terminer épuisée, toujours recroquevillée et je sanglotais toute la nuit…
Je ne sais pas combien de temps ce déchirement a duré, je ne sais pas combien de temps j’ai pleuré, je ne sais pas combien de temps j’ai songé et rêvé à cette nuit-là, combien de fois j’ai hurlé son prénom.
Mais je vis mieux aujourd’hui, je pleure encore, mes yeux sont peut-être plus verts qu’avant tellement je les ai arrosés, tu me diras, quand on se verra si tu trouves qu’ils sont plus verts. En attendant de pouvoir te retrouver, je reprends ici encore quelques forces. Les femmes ne m’obligent pas à suivre la messe, mais j’y vais de temps à autres. Les entendre chanter me remplissent d’allégresse…
Je sens qu’il faut que je me presse : le monde a besoin que je revienne, que je revienne en force pour soigner ceux qui ont fait ça, pour que ça ne se reproduise pas.
Je leur ai pardonné tu sais, pas pour eux, mais pour moi et pour le monde : je leur donnerai une nouvelle part de moi, je veux tellement plus que ça se reproduise… Mais je sais que la tâche sera longue, qu’il me faudra être forte, patiente, déterminée. Je prends ces forces derrière ces barreaux qui me protègent et m’empêchent de devenir folle, et je reviens.
En attendant, préviens les autres, rassure-les, j’arrive. Je ne sais pas vous dire quand mais j’arrive. Merci pour votre patience, c’est votre plus belle attention. Prends soin de vous, embrasse les enfants, j’arrive.
Sara

· Texte de Noémie Leroy Trifilieff ·
La maison.
Il faut être un enfant pour voir la beauté partout où elle se cache aux yeux des adultes. Il faut être un enfant pour s’inventer un monde là où les pas vous portent et rester des heures à imaginer ce que serait la vie ici, là, au milieu de nulle part.
Emme aime rester des heures devant cette maison à la fenêtre à barreaux. Emme se perd des heures dans la contemplation des briques abîmées et des irrégularités de la façade. Elle reste là, les yeux dans le vague à imaginer ce qu’il y a derrières. Elle est accompagnée dans ses explorations par Luc, son meilleur ami et les enfants inventent tout un monde, leur monde autour d’elle.
La maison entre dans leurs jeux, elle vie avec eux, leur prête ses aspérités, ses murs et cette fenêtre à barreaux pour qu’ils vivent et imaginent ce que seraient leur monde ailleurs. Les enfants la voient sourire et scintiller de bonheur lorsque le givre ou la pluie la recouvre, ils nettoient patiemment ses abords et ne laissent jamais les mauvaises herbes l’envahir.
— Je voudrais qu’elle soit à nous la maison.
Emme arrache pensivement quelques brins d’herbe assise au milieu des fleurs de prairie qui poussent autour de « leur » maison. C’est le printemps et Luc la regarde en souriant légèrement. Il aime être ici avec elle. Depuis toujours il aime sa compagnie discrète, légère et drôle. Emme est son rayon de soleil et il ferait n’importe quoi pour la faire sourire.
— Elle pourrait être à nous un jour, c’est possible !
— Tu crois ? Le visage de la fillette s’illumine d’un seul coup : ça serait tellement bien !
Pour Emme, Luc est son tout, son indispensable. C’est comme ça, ça l’a toujours été. Emme sans Luc et Luc sans Emme, ça n’existe pas, pour personne. Les deux enfants se sourient et reportent leurs regards sur la façade baignée de lumière.
Les années passent sans que jamais la maison ne s’éloigne d’eux. Avoir huit ans et s’inventer des jeux ou seize et avoir besoin d’un endroit calme rien qu’à soi, tout est possible avec la maison. Elle reste là, solide, inchangée et la fenêtre à barreaux ce jour-là, est ce qui a toute l’attention de l’adolescente.
— Emme ? Luc avance en la cherchant du regard : Emme ? Tu es là ?
— Ici !
— Ici où ?
— Devant la fenêtre à barreaux !
Luc la retrouve, une éponge et une brosse métallique à la main. Elle a entrepris de nettoyer la fenêtre cassée et de redonner vie au fer rouillé. Il se poste à côté d’elle en déposant un léger baiser sur sa joue. Elle sourit et le regarde :
—Tu en as mis du temps ! J’ai commencé sans toi.
— Désolé ! Il sourit malicieusement et sors de derrière son dos deux cafés : une petite pose ?
Emme prends le gobelet qu’il lui tend et part s’asseoir au milieu des fleurs de prairies comme des années auparavant. Luc s’installe à ses côtés, ses bras autour de ses genoux relevés. Elle pose sa tête sur son épaule.
— Je voudrais entrer dans la maison… voir ce qu’il y a dedans. Jamais personne n’a essayé. Tu ne trouves pas ça étrange ? Normalement une maison abandonnée est toujours ouverte, cassée… mais pas elle. J’aimerais entrer pour voir. On s’est imaginé tellement de chose depuis qu’on est tout petit. J’ai envie de voir.
— Peut-être qu’elle ne se laisse ouvrir par personne, peut-être qu’elle n’est visible que pour nous et pour personne d’autre, peut-être qu’elle ne veut être qu’à nous.
— Quoi ?! Emme éclate de rire : mais qu’est-ce que tu racontes !!
— Tout est possible Emme, tout. Cette maison sera à nous et à personne d’autre. Toi, moi et elle.
Emme regarde Luc :
— Je ne veux rien d’autre. Toi, moi et elle.
Luc tourne son visage vers elle. Ici et maintenant l’avenir s’écrit. Lui, elle et la maison.
Cet après-midi là ils nettoient consciencieusement la fenêtre et arrive à apercevoir une grande et vaste pièce. Il n’y a rien à l’intérieur, même pas de vieux meuble ou d’objets cassés. Aucunes détériorations, non, personnes n’est jamais entrés ici, depuis toujours.
La maison a cette fenêtre à barreaux, un étage avec sur la même façade trois grandes fenêtres aux volets fermés. Le bois a travaillé, les intempéries les ont mis à rude épreuve mais ils tiennent le coup. Sur les côtés les murs sont pleins à l’exception d’une lucarne de chaque côté tout en haut. Sur la façade opposée il y a la porte d’entrée en bois brut, épaisse, massive. Elle est intacte, abîmée elle aussi par le temps mais aucun mal ne lui a jamais été fait. De chaque côté de la porte une fenêtre aux volets fermés eux aussi.
— Comment ça se fait qu’on n’ait jamais fait attention à tout ça ?
— Tout ça quoi ? Luc passe ses mains sur la porte. Il ferme les yeux et le bois semble vibrer sous ses doigts.
— Tout ça ! Les détails ! Le bois des volets, la porte qui est énorme, le fait que personne ne l’ait jamais abîmée ! Jamais ! Regarde Luc, elle est vieille mais c’est juste à cause du temps. Je voudrais pouvoir entrer… je voudrais prendre soin d’elle comme elle prend soin de nous depuis toutes ces années.
— Elle le sera le moment venu… je te le promets.
Emme regarde l’adolescent de seize ans qui l’accompagne depuis son plus jeune âge. Il est grand, mature, déterminé. Son regard parcourt la façade et sa main passe légèrement sur les briques cassées. Elle se place à côté de lui et lui prend sa main libre dans la sienne. Elle ne pourra jamais se passer de lui. Jamais.
Cette maison n’est à personne, les recherches menées n’ont rien donnés. Cette maison est là, juste là. Au milieu de ce petit terrain d’herbe et de fleurs de prairie, entouré d’une clôture de bois. Elle est là, dans un endroit reculé et pourtant proche de tout et de tout le monde. Elle n’a jamais eu comme autre compagnons au fils des années que Luc et Emme.
Enfants de huit ans qui jouent, adolescents de seize ans au besoin de calme, adultes de vingt-cinq ans déterminés, cette maison ne peut-être que la leur.
Ils cherchent, s’informent. Personne n’est au courant de rien. Personne.
— Elle est à vous si vous en trouvez les clés alors. Puisque malgré tout ce que l’on a mis en place personne ne la réclame. Luc et Emme se regardent des étoiles plein les yeux : à vous… il vous faut juste trouver les clés.
Le maire s’éloigne à petit pas, le sourire aux lèvres, les mains dans le dos. Il porte bien ses longues années de vie, il aime ses enfants qu’il a toujours connu. Avant de disparaître au coin de la rue il lève un doigt en l’air en s’adressant aux jeunes gens qui le regardent toujours :
— Les clés mes enfants, les clés ! La terre est votre alliée.
Ils cherchent alors autour de la maison, dans les trous des murs, les fentes des volets, sous les pierres. Des heures durant ils recherchent ces clés tel l’inaccessible Graal.
Cet après-midi d’été apporte avec lui des odeurs, des couleurs, des sensations qui les ravissent. Emme et Luc ne cherchent plus mais marchent lentement autour de la clôture de bois en effleurant du bout de leurs doigts le bois sec. Il fait tellement bon et beau, ils offrent leurs visages et leurs corps tout entier au soleil qui baigne le terrain.
Parti chacun d’un côté, à l’instant de se rejoindre un rayon éclair plus intensément un cercle de fleurs un peu différent des autres. Ils se regardent et comprennent : « La terre est votre alliée ».
La porte cède facilement. Ils restent un instant sur le perron n’osant pas entrer. Luc prend la main de Emme et, ensemble, franchissent le seuil.
Dos à dos dans la vaste pièce à peine éclairée, ils sourient et ferment les yeux. Ils sont bien, chez eux, en paix.
Les quelques rayons de soleil qui parviennent à entrer les entourent et la maison leur rend leur passé. Elle avait gardé comme un précieux trésor leurs voix et leurs rires d’enfants, le grattement des brosses et le frottement des éponges, le touché léger sur ses briques, leurs histoires et leurs secrets.
En reprenant place dans l’instant, ils trouvent à leurs pieds un morceau de papier plié :
« A Emme et Luc, comme une leçon de vie, toujours garder ses rêves d’enfants et ne voir de ses yeux que la beauté du monde. »
Et pour terminer cette sélection, je vous présente le mien, hors concours :

· Texte d’Amelia Pacifico ·
C’est bientôt l’heure. Tu le sais, je le sais, mais nous n’arrivons pas à nous détacher l’un de l’autre. Les battements de ton cœur parviennent à mon oreille, forts, sourds à la réalité qui nous a rattrapés. Ton odeur, subtil mélange du parfum de ta peau dilué dans les effluves d’une lessive de lavomatic, imprègne chacun de mes neurones, pour ne pas oublier. Pour garder en mémoire ce qu’elle réussit à créer en moi, lorsque nous sommes collés l’un à l’autre comme ça, ou moins sagement. La force que tu réveilles dans mes entrailles, cette puissance féline que tu fais naître par ta simple présence, et qui me donne l’énergie de déplacer des montagnes. Mais pas toutes. L’Everest qu’il nous fallait escalader pour que tu sois légitime sur ma terre a eu raison de nos projets. Je t’aime. Je t’aime, et je t’en veux. Je t’en veux d’abandonner, de me laisser là, derrière toi. Je t’en veux d’accepter l’inacceptable, de baisser les bras, de laisser la société nous dicter ce que l’on doit vivre. Ce qu’elle nous permet de vivre. Je t’en veux de ne pas combattre l’injustice. Tu perds ton regard parmi les enfants qui jouent plus loin, je le sais, je te connais, je t’ai déjà vu faire. Tu perds ton regard là où tu ne pourras plus jamais le poser, vers le fond du parc où nous nous sommes rencontrés. Tu perds ton regard vers cet avenir dans lequel tu dis que je n’ai plus ma place désormais. C’est ce que tu penses, tu y crois dur comme fer pace que tu veux me préserver. Mais je m’en moque. J’y crois pour deux. Je ne peux pas monter dans cet avion avec toi, j’en prendrai un autre, celui qui nous permettra de nous retrouver. C’est promis.
A bientôt 💋
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Noémie Leroy Trifilieff & Régine Bertrand ont remporté ce premier appel à textes par votes du jury… quel écrit accompagnera leur production dans le recueil de nouvelles à venir ?
– A vous de choisir en votant ci-dessous, jusqu’au 31 janvier 2022 –
😊😊 Belle 1ère vague !!
Oui, c’était super !