Participations au Rendez-Vous des Plumes – Mai 2022

Bonjour ! 😊

Voici un nouveau Rendez-Vous des Plumes pour lequel les dessins ont eu la vedette. Le thème guide non obligatoire « Rêves » vous a inspirés, et les textes proposés balaient un éventail d’univers riches et variés. Sans plus attendre, les voici !

Les textes ne sont relus qu’au moment de leur publication, et ce uniquement dans le but de vérifier qu’ils ne contreviennent pas au règlement de l’atelier d’écriture. Si le cas devait se produire, le texte ne serait tout simplement pas publié, sans autre recours possible de son auteur. La Petite Boutique des Auteurs n’est pas responsable des coquilles, fautes d’orthographe, syntaxiques ou grammaticales éventuellement présentes dans les textes qui participent au Rendez-Vous des Plumes.
Merci d’en prendre note avant lecture.

Amelia

· Texte de Marina Leridon ·

Allez, c’est décidé : j’ouvre cet étrange paquet que le facteur a déposé dans ma boîte aux lettres ce matin. Il est un peu volumineux : je pourrais presque y mettre ma tête.
Il n’y a pas d’expéditeur et je n’aime pas ça. Qui sait ce que l’on pourrait m’envoyer : une bombe ou du poison ? Je ne connais personne qui m’aime suffisamment pour me faire un cadeau.
Ciseaux en main, j’attaque le scotch. Les rabats du carton s’entrouvrent doucement. Je renifle. Rien de spécial. Je les écarte et découvre un casque audio. Noir. Deux boutons sur le côté droit. Les coussinets semblent très doux et confortables. Pas de carte, pas de facture. Je le tourne dans tous les sens : il est plutôt design. Sur le côté, en tout petit, je vois la mention « Anti-bruit ».
La curiosité l’emporte. Je m’installe confortablement dans le canapé et pose, avec un peu d’inquiétude quand même, le casque sur ma tête. Évidemment, rien ne se passe. J’appuie sur le bouton du haut et une douce musique se diffuse dans mes oreilles.
Je ferme les yeux et perçois mon image comme dans un film. Le casque s’est transformé en une boule transparente qui entoure ma tête. Deux électrodes blanches, ovales, sont posées au-dessus de chacune de mes oreilles. Sur le sommet de mon crâne, un tuyau sort et se raccroche à un livre suspendu dans un ciel étoilé. Mes yeux sont fermés. Un sourire flotte sur mes lèvres. Je suis détendu et heureux.
La musique s’arrête. Je fronce les sourcils, secoue la tête. Rien. Je presse à nouveau le bouton du haut. Toujours rien. J’essaie celui du bas : une voix commence à parler tout doucement. Je dois me concentrer pour comprendre ce qu’elle dit. Les intonations m’indiquent que quelqu’un est en train de raconter une histoire. Je me laisse porter par le récit qui s’avère être un roman dont j’ai le nom sur le bout de la langue. Je vois les mots littéralement traverser mon cerveau dans une sorte de ballet. Ils sont presque palpables. C’est une sensation étrange, très agréable. Je suis comme immergé dans le récit.
Soudain, une phrase me déconcentre. C’est au mot près la première phrase d’un « roman » que j’ai commencé à écrire quand j’étais adolescent. Je perds le fil de l’histoire. Mon cerveau retourne vingt ans en arrière. Je n’entends plus la voix. Je me revois affalé sur mon lit, dans ma chambre aux murs recouverts de posters des chanteurs du moment. Tout heureux d’avoir trouvé ma vocation : je serai écrivain. Un stylo et un carnet en main. Cette carrière prometteuse a pris fin à peine commencée : je ne réussis à écrire qu’une seule phrase ! Oh, les idées ne manquaient pas mais impossible de les transcrire, de former un tout cohérent.
Ces idées, si lointaines, reviennent peu à peu à mon souvenir. Sans que je ne fasse aucun effort, elles commencent à s’ordonner d’elles-mêmes : un début de récit se dessine sous mes yeux ébahis. Le texte défile devant moi, lentement, comme pour me laisser le temps de m’en imprégner.
Je regarde machinalement vers le livre qui flotte toujours au-dessus de ma tête. Une étrange conviction m’envahit : les pages du livre sont vierges et attendent mon récit.
À partir de cet instant, les mots prennent le chemin inverse de tout à l’heure. Je les vois à nouveau se déplacer mais cette fois ils se dirigent vers le sommet de mon crâne. Ils pénètrent, comme une petite armée très ordonnéee, dans le tuyau et se faufilent jusqu’au livre. Celui-ci s’ouvre sur des pages éclatantes de blancheur.
Les lettres se collent une à une sur la première page. Elles la recouvrent et passent à la seconde, puis à la troisième et ainsi de suite. Sous mon regard incrédule, le récit que j’ai toujours rêvé d’écrire prend forme, presque malgré moi.
Le livre se remplit à une vitesse prodigieuse. Les idées, transcrites par des mots eux-mêmes formés de lettres, se succèdent sans que je fournisse le moindre effort. Tout à coup, trois énormes lettres ferment la marche : F I N. Le livre se referme.
Je sursaute, ouvre les yeux, arrache le casque toujours rivé sur mes oreilles et regarde autour de moi. Je ne sais plus où je me trouve, je suis désemparé. Enfin, mes idées se remettent en place. Allongé sur mon canapé, je me suis endormi. Mon rêve me revient par bribes, petit à petit, puis de plus en plus précis. Je m’empresse de saisir un stylo, des feuilles et je retranscris le récit que ma mémoire me restitue.
Au milieu de la nuit, épuisé, j’ai rempli une bonne centaine de pages. Mon rêve d’adolescent est enfin accompli !


· Texte de Christian Martinasso · 3ème place

Dernière aventure
Après une interminable chute de mon lit, les perfusions arrachées, je me suis affalé sur le ponton en bois de notre vaisseau miniature.
« Attention papy notre galion est emporté par des flots en furie, le gouvernail est fou, tout est déchaîné »
« Aucun souci petit fils je suis là pour te protéger »

L’embarcation en carton maché est ballotée par la puissance des eaux ruisselantes de ce caniveau en pente.
Un vacarme assourdissant fait trembler le grand mat construit en allumettes. Les voiles en papier bulles sont gonflées prêtes à se déchirer. L’ossature de la coque en sucre caramélisé commence à se fendiller. La barre en pain d’épice tournoie en tous sens.
« Papy attention un garçon traverse la route, sa semelle va nous écraser ! »
« Précipite-toi comme moi à bâbord pour modifier notre trajectoire. »
« Ouf nous sommes passés »
« Il faut alléger le bateau. Nous allons jeter par-dessus la rambarde tout ce qui est inutile, il faut délester le navire »

Par bonheur en cette journée d’automne, des milliers de feuilles obstruent les bouches d’égout et nous évitent d’être engloutis dans les tréfonds infinis de la ville.
Nous jetons par-dessus bord les barils de poudre de riz, les canons en chocolat, les chaloupes de sauvetage en nougat.
Toute la structure craque dans un tumulte étouffé par la rage assourdissante des flots gorgés de détritus qui emballent encore plus notre course folle.
« Papy un chien ! Il va nous croquer ! »
« Jette lui une bouée de secours en pâte de fruits »
« Ouf ça a marché. Bravo super papy »

Après une durée interminable de cette épopée folle, plusieurs fois malmené dans des tourbillons vertigineux, la frêle nef de nos jeux de pirates débouche sur la surface plane d’un immense lac de rétention.
A peine notre souffle récupéré, montant des profondeurs des eaux sombres, un silure monstrueux essaye d’engloutir notre embarcation entre les mâchoires de son hideuse gueule grande ouverte.
Instinctivement mon petit-fils la harponne avec une aiguille à tricoter qu’il plante en travers de sa gorge et l’entaille profondément avec son sabre laser d’apprentis Jeïdi.
Surprise et folle de douleurs la bête immonde replonge dans les abysses glauques.
« Papy j’allume tous les lampions de détresse pour que notre galion s’élève dans les cieux. Tu es prêt ? »
« Oui fiston »
« Accroche-toi au bastingage »

A l’aide de son antique briquet à essence qui était enrobé dans une pochette plastique au fond de sa poche, il enflamme une à une chaque mèche de toutes les lanternes colorées. Fixées solidement au ponton, sous l’effet de la chaleur elles élèvent délicatement notre barque en grande partie déglinguée. Lentement, transformée en une mini montgolfière, elle se hisse en vrille vers les cieux.
A 300 mètres d’altitude mon super petit fils, héros de toutes nos aventures chevaleresques, s’harnache de son parachute de toile cirée. Après une tendre et chaleureuse accolade il me souffle à l’oreille que son périple se termine ici.
« Papy je vais sauter. Toi tu te laisses emporter pour les alysés et tu gardes le cap vers cette étoile bleue éternellement visible chaque nuit de pleine lune. Moi seul saurait où tu t’es réfugié. Nous nous échangerons ensemble notre signe de reconnaissance : Les bras tendus en avant les deux pouces croisés »
Sur ces derniers mots, assis sur le rebord de la rambarde, tel un plongeur marin, il s’est laissé basculer en arrière en poussant son super cri de guerre : Go, super papy, go !
En pirouette inversée il a plongé dans l’espace de mes souvenirs.
Penché en avant scrutant le vide j’ai reconnu qu’il me faisait une dernière fois notre signe de ralliement avant d’ouvrir son parachute.
Sur l’arrondi de sa voile est gravé : Tchao papy, c’était encore une superbe aventure.
Bon courage pour ton voyage vers l’inconnu, je te retrouverai toujours dans mes rêves.


· Texte de Geoffroy Gauthier ·

Le jazz des marais

« Il faut avoir des amis pour faire la fête, Saphir. Si tu passais moins de temps collé à tes bouquins aussi… Allez, bonne nuit ! » Sur ces paroles, sa sœur claqua la porte, pressée d’aller rejoindre le reste de sa bande pour passer une « soirée de folie ». Saphir ne savait pas précisément ce que cela voulait dire, mais ça avait vraiment l’air d’être amusant !
En bas, dans le salon, ses parents dînaient avec des personnes très importantes pour leur travail. Il connaissait bien la règle : il ne devait les déranger qu’en cas d’extrême urgence. Ainsi, encore une fois, Saphir se retrouvait seul pour tromper son ennui tandis que les rires bruyants des adultes venaient le narguer jusque dans son lit. La tristesse lui noua la gorge. C’était injuste, tout le monde passait un bon moment… Lui aussi voulait faire la fête !
Se sentant enfermé dans sa chambre, Saphir descendit à pas de loup dans le jardin. Au moins, ici, il pouvait regarder les étoiles, dans le silence, avec la lune pour seul témoin.
Au loin, il vit une biche sautiller ici et là pour disparaître dans la forêt qui entourait la maison. Puis, un sanglier renifla son chemin dans la même direction. Curieux, l’enfant s’approcha, lentement. Il s’arrêta aux limites de son jardin. Une étrange lueur éclairait les bois, là-bas, au niveau de l’étang dans lequel il s’était baigné quelques rares fois avec sa famille.
Saphir se demandait s’il devait rentrer à la maison quand tout à coup, une magnifique chouette blanche passa juste au dessus de lui. Elle tourna la tête et fixa l’enfant de ses beaux yeux jaunes, et, en plein vol, lui fit signe de la suivre du bout de l’aile. L’enfant, tout étonné, se demanda s’il venait de rêver. Il devait en avoir le cœur net. Prenant son courage à deux mains, il s’enfonça dans la forêt. Saphir percevait des bruits de plus en plus forts à mesure qu’il avançait. Presque arrivé à l’étang, il entendait maintenant clairement des voix… des rires… et… de la musique ! Il n’en croyait pas ses oreilles ! Une fête était en train de se dérouler, juste derrière ces arbustes !
Alors, Saphir repensa à ce que sa sœur lui avait dit. Il hésitait.
« Qu’est-ce que tu attends ? » lui demanda la chouette qui l’observait avec bienveillance, perchée sur une branche.
« Hé bien… Je ne peux pas faire la fête. Je n’ai… pas d’amis… » répondit l’enfant, penaud. La chouette émit un petit rire hululant.
« Tu n’as besoin que de toi-même pour faire la fête ! Tu verras, il n’y a pas meilleur moyen pour se faire des amis ! Viens ! » L’oiseau s’envola. Saphir respira un grand coup et se faufila entre les branches qui barraient sa route.
Une fois de l’autre côté, l’enfant ouvrit grand les yeux de surprise. Un spectacle incroyable se produisait devant lui. Des milliers de lucioles éclairaient les bords de l’étang de leur lumière vert électrique. Ici, des écureuils faisaient pleuvoir des noisettes pour nourrir les invités, là, des piverts mitraillaient des troncs d’arbre pour que tous les animaux puissent profiter du goût sucré de la sève bien fraîche.
L’orchestre jouait un jazz tout droit sorti des marais : un crapaud improvisait des coassements accompagné par un chœur de grenouilles, un serpent imitait les cymbales de son sifflement, des centaines de moustiques virevoltaient dans tous les sens pour recréer le son des trompettes, deux lapins tambourinaient le sol de leurs pattes en guise de percussions tandis qu’un groupe de canards s’occupait des trombones. Les oiseaux, eux, bougeaient en rythme, exposant au passage leurs plus belles plumes.
Les heures filaient sans que Saphir ne s’en rende compte. Il écoutait les histoires fascinantes de ses nouveaux amis, comme celle de cette tortue qui avait réussi à battre un lièvre à la course ! Il riait, s’amusait comme jamais auparavant, ivre de bonheur.
Soudain, toutes les lucioles se rejoignirent au centre de l’étang et s’éteignirent, plongeant la forêt dans le noir. Que se passait-il ? Alors, sous les regards ébahis du public, les lucioles imitèrent le bouquet final d’un feu d’artifice. Quelle performance grandiose ! Saphir savait qu’il se souviendrait toute sa vie de ce moment magique.
Mais, hélas, le jour commençait déjà à se lever. Saphir était triste : la fête était finie.
« La fête ne s’arrête jamais, Saphir, car la vie est une fête ! Elle est en toi, toujours ! » lui dit la chouette comme si elle lisait dans ses pensées.
Rassuré, Saphir salua tous ses amis et rentra chez lui en courant. Devant sa chambre, il croisa sa sœur qui revenait de sa soirée.
« Encore debout ? » demanda-t-elle, les poings sur les hanches.
Alors, Saphir lui raconta sa merveilleuse soirée, le feu d’artifice des lucioles, tout content de pouvoir partager cette histoire extraordinaire. Sa sœur leva les yeux au ciel.
« Toi et ton imagination alors… Allez, va dormir ! »
Saphir n’insista pas et, exténué, s’écroula sur son lit, un grand sourire aux lèvres car déjà, dans ses rêves, le jazz des marais reprenait de plus belle.


· Texte de Mauranne BP · Texte coup de ♥

L’entre-monde

Son visage fendu par un sourire qui découvrait toutes ses petites dents, le jeune garçon bouquinait. Les autres enfants assis autour de lui avaient ce même visage lumineux, un livre entre leurs doigts fins. La vieille dame lisait à haute voix tandis que leurs yeux survolaient les lignes au rythme de sa dictée. Elle aussi avait ce sourire artificiel fiché sur son visage couvert de ridules. Les cheveux bruns du garçonnet lui tombaient sur les yeux, brouillant sa vision, chatouillant son front. Ses doigts agrippaient l’ouvrage, son regard fixe. Il aurait aimé pouvoir se détacher de sa lecture pour laisser son esprit vagabonder mais la vieille dame l’en empêchait. Il était prisonnier. Au prix d’un effort qui lui demanda toute la concentration dont il était capable, Nathan jeta un regard de gauche à droite. Les enfants étaient assis en tailleur et formaient un cercle dans lequel la lectrice se déplaçait lentement. Sa voix était monotone, presque robotique. Ses yeux ne transpiraient aucune émotion. Pourtant, le sourire sur son visage n’aurait pu s’étirer davantage au risque que ses lèvres finissent par craqueler.
Il ne se souvenait plus de la dernière fois que sa maman lui avait lu une histoire pour l’endormir. Il était coincé dans cet endroit depuis une éternité. Les mots étalés devant ses yeux n’avaient plus le moindre sens pour lui. Il avait lu ce livre tant de fois qu’il en avait perdu toute essence, toute surprise. Il rêvait d’autre chose. Il rêvait de s’échapper de cet endroit, de rompre ses chaînes, de sortir au grand jour. Fouler la terre de ses pieds nus, courir sous la pluie, ne plus être forcé à sourire même lorsque son coeur souffrait. La vieille dame sembla le regarder, aussi replongea-t-il dans sa lecture. Il ne sentait pas la faim, pas la soif, il ne ressentait plus rien, comme si son corps était dissocié de son âme. Cette dernière, elle, avait de nombreux désirs qu’il ne pouvait pas assouvir. La conteuse tourna les talons et s’éloigna de lui. Nathan en profita pour bouger ses doigts violemment agrippés à l’ouvrage. Il savait qu’il aurait dû ressentir un soulagement en exécutant ce geste. Il se souvenait de la sensation que cela faisait. Ses phalanges étaient blanches à force de se cramponner à la couverture dépliée.
Les pages se tournèrent toutes seules lorsque la vieille dame passa à la ligne suivante. Les yeux des autres enfants bougeaient frénétiquement de gauche à droite, leurs têtes s’inclinaient légèrement mais rien d’autre chez eux ne s’animait. Ils étaient morts de l’intérieur, le sourire figé. Le jeune garçon avait envie de hurler, mais il était incapable ne serait-ce que de parler. La fille à sa droite avait de longs cheveux raides qui caressaient ses genoux à mesure qu’elle baissait et relevait la tête au rythme des pages qui s’enchaînaient. La conteuse accéléra soudain la cadence et le coeur de Nathan s’emballa. Ses mains tremblaient à présent. Son souffle était court et sa vision de plus en plus trouble à mesure que les pages défilaient devant ses yeux transis. C’est alors qu’il entendit la voix de sa maman, en un écho lointain. Il la chercha parmi la foule mais il ne distinguait plus que des formes.
— Nathan ? Vite, je crois qu’il y a un problème !
Sa voix était entrecoupée de trémolos. Le pyjama blanc à pois bleu qu’il portait se souleva, laissant apparaître la cicatrice qui barrait sa poitrine. Personne dans la pièce ne semblait le voir, tous étaient plongés dans leur lecture. Seule la fille aux longs cheveux risqua un regard dans sa direction. Ses grands yeux bleus l’appelaient à l’aide. Elle détacha ses doigts un à un et tendit le bras vers lui. Sa frange lui donnait un air sévère et pourtant, le jeune garçon avait envie de la toucher. Il vérifia que la vieille dame ne regardait pas dans leur direction avant de tendre son bras à son tour. Leurs doigts s’effleurèrent et le sourire de la jeune fille s’effaça. Elle était enfin libérée.
— Nathan, s’ił te plait, reste avec moi…
La voix de sa maman résonna à nouveau.
— Clara, Clara, non, s’il vous plait, faites quelque chose, ma fille, ma fille ! Un médecin !
La fille à la frange leva les yeux au ciel puis son corps se mit à disparaître peu à peu. Le garçon entendait les échos de pleurs dont il n’arrivait pas à identifier la provenance. Le bruit de fond qu’il entendait depuis si longtemps qu’il avait fini par l’oublier s’accéléra. Bip, bip, bip, bip… Il manquait d’air. Il sentait quelque chose lui chatouiller la gorge, il avait envie de tirer dessus. Sa peau était chaude, il sentait son corps se soulever, entendait les sanglots de sa maman en fond. Perdu, il lâcha le livre qui toucha le sol dans un bruit sourd. Les enfants et la vieille dame se tournèrent vers lui, mécaniques.
— Reste avec nous, scandèrent-ils, leurs bouches souriant toujours.
Mais il ne voulait pas rester, il voulait être libre. Il voulait respirer à nouveau.
— Nous sommes en train de le perdre.
Son corps se souleva de plus en plus, il flottait dans les airs. Nathan riait intérieurement, le visage toujours crispé. Il jeta sa tête en arrière et entendit sa mère crier. Il ne la voyait toujours pas mais sentit une main lui caresser le front. La chaleur emplit un peu plus son corps, faisant rougir ses joues de bien-être. Il se sentait enfin prêt. Le garçonnet ferma les yeux et pensa très fort à sa vie d’avant, à tous ces beaux souvenirs qu’il avait emmagasinés. Malgré son jeune âge, il avait eu l’impression d’avoir vécu plusieurs vies tellement ces moments étaient gravés dans sa mémoire. Il sentit son visage bouger lentement, et le sourire sur ses lèvres s’évanouir. Après tout ce temps à luter, il y était enfin arrivé. Le bruit de fond s’arrêta soudainement, libérant son esprit. Les yeux toujours clos, il s’imagina dévalant une falaise, l’herbe chatouillant ses jambes et ses bras. Sa maman l’embrassa sur la joue, mélangeant ses larmes à celles de son enfant. Ses lèvres esquissèrent un vrai sourire cette fois. Son corps retomba lentement. Il était enfin libre.


· Texte de Sandrine Drappier Ferry ·

Avant que j’oublie, il faut que je vous dise la beauté des petites choses, de chaque moment de mon enfance pour, qu’après moi, dans ce monde de plus en plus difficile et incertain, il vous reste une petite lueur d’espoir. Le souvenir que l’on pouvait vivre heureux sans presque rien. L’ évocation que les relations humaines étaient bien plus essentielles que les écrans de vos téléphones portables. La pensée que l’humain pouvait vivre sans être asservi par les machines.
Je vous vois chaque jour quitter vos dortoirs pour rejoindre vos unités de travail. Je vous observe vous installer devant vos écrans, attendre les instructions, et vous mettre au travail pendant quatorze heures. Le regard vide. Sans un regard, jamais, vers votre voisin de droite ou de gauche. « Ils » vous ont rendus tellement amorphes que cela me fait peur. Je vous regarde chaque soir rentrer chez vous, dans vos cités. Manger un repas sans saveur. Le même pour tous. Sans que vous ne puissiez dire ce que vous aimeriez. Je vous observe quand, une fois le dîner expédié, vous vous autorisez quelques instants de divertissement devant vos écrans bleus avant de vous affaler sur votre lit , épuisés. J’ai mal pour vous.
Je comprends votre lassitude, comment vous vous êtes résignés. Pourquoi vous avez baissé les bras et avez choisi de ne pas résister et moi qui suis une vieille femme désormais, avant qu’il ne soit trop tard, je veux vous rappeler ce que vous avez perdu, ce que vous pourriez retrouver. Même si vous ne me voyez pas, même si je ne suis pas là physiquement à vos côtés, si ma voix est juste retransmise dans ces écrans qui vous annihilent, je suis à vos côtés. Ce qui fut ma vie n’est donc pas si éloigné de la vôtre.
La voix s’est tue, elle est remplacée par un chant mélodieux, apaisant, qui fait du bien à tous ceux qui ont la chance d’ être tombés sur cette fréquence et qui ont assez de courage pour continuer à écouter. Malgré l’interdiction, malgré la certitude qu’ils seraient punis s’ « ils » savaient. Et alors qu’habituellement ils obéissent aveuglément à ce « ils » qu’ils ne matérialisent pas, à ce « ils » inconnu qui régit leur vie, la voix les attire à elle et ils oublient leur peur.
En arrière-plan, on entend des enfants rire, dans le lointain, des gazouillis d’oiseaux. Les plus vieux d’entre eux se souviennent de ce temps-là, vaguement. Ils croient se souvenir de la brise du vent faisant s’envoler les jupes des filles sur les chemins, de la chaleur du soleil sur leurs peaux nues. Un peu plus qu’une impression, un peu moins qu’un souvenir. Mais cela les rassure. Leur donne envie de continuer à écouter encore.
La voix de la vieille femme à nouveau, mais jeune, dynamique, on pourrait dire heureuse, si ce mot n’avait pas disparu complètement de leur vocabulaire. Elle dit qu’elle prépare des confitures. De framboises et de groseilles mélangées. En même temps, elle surveille son fils, couché dans l’herbe, sur une couverture, à l’ombre. A cause des abeilles qui butinent sur les fleurs. Elle a toujours peur qu’il se fasse piquer. Ce ne serait pas bien grave mais cela gâcherait la journée. Il n’a que cinq ans, elle voudrait qu’il fasse la sieste, mais il regarde partout, chaque papillon qui vole, les nuages qui avancent dans le ciel, le poulain qui est né depuis deux jours.
Et puis, soudain, elle récite un poème qui parle de liberté. Des hommes réunis, des enfants crient son nom. Et ils rient. Comme si leur liberté acquise, ou plutôt conquise, avait été un combat, une gerre dont ils étaient sortis victorieux, tous ensemble. Et derrière les écrans, chacun dans leur dortoir, ils se sentent entourés de ces êtres là qui viennent de leur passé. Et cela les questionne, ce mot « liberté » qui sonne comme un espoir.
La vieille leur dit qu’elle reviendra demain, et chaque jour, elle leur parle des promenades dans les marais, dans les forêts, des baignades dans les rivières en été, du ramassage des mirabelles avec les gens du village, des bals sur la place, de son amoureux rencontré un jour à la boulangerie quand elle allait chercher le pain encore chaud. Elle dit tout cela. Chaque jour. Et ils écoutent, de plus en plus nombreux. oublient leur fatigue. Boivent chaque mot, chaque bruit, chaque souffle de vie.
Ce matin, avant de partir travailler, alors qu’il fait encore nuit, et peut-être parce qu’il fait encore nuit, Gaspard a pris un crayon. Il l’a caché dans la poche de son manteau et, arrivé dehors, il a longé le mur. Il a regardé à droite, à gauche. Il n’y a personne. Alors, il a sorti le crayon et en gros, il a écrit « Liberté ». Ensuite, il a marché vite. Bien plus vite que d’habitude, en regardant, comme toujours droit devant lui. Et c’est là qu’il voit, un peu plus loin, sur un autre mur, un autre « Liberté ». Puis, un troisième. Et cela lui fait chaud au cœur de savoir qu’ils sont trois. Même s’il ne connaît pas les deux autres. Même si sachant de qui il s’agit, il n’osera pas leur faire signe. Leur dire que c’est lui aussi. Ce n’est pas encore une résistance, même peut-être pas encore un tout petit espoir, mais une flammèche qui s’allume dans leur nuit.
Gaspard s’est réveillé en sursaut. Il ne peut qu’avoir rêvé tout cela. Ce n’est pas possible que quelqu’un ait pu passer à travers les contrôles, les fréquences, la surveillance. Il tremble de tous ses membres. Le corps envahi de sueur gluante. Comme une peau qui se desquame. Comme une mue. Il a peur, il est terrifié. S’ « ils » savaient aussi lire dans les rêves ? S’il était surveillé, ici aussi, dans son lit, dans sa cité dortoir, entre ses quatre murs impersonnels ? Si sa tablette avait été fouillée ? S’ « ils » pouvaient lire dans ses pensées ?
Gaspard est resté très longtemps hagard, couché dans son lit, les yeux fermés en proie à cette crise de panique. Il a hâte désormais qu’il fasse jour, qu’il s’habille et puisse prendre le chemin de son unité de travail. qu’il reprenne ses habitudes. Qu’ « ils » réagissent comme hier, avant-hier, avant qu’il n’ait écouté cette voix. Pour être sûr que ce n’était qu’un cauchemar. Mais au font, y croit-il vraiment ? Ne sait-il pas encore qu’il a franchi un pas, celui de la désobéissance ? Ne se rappelle t’il vraiment pas qu’il a écrit sur ce mur, en grosses lettres, le mot  » Liberté » ? Ne se souvient-il pas de ces deux autres mots écrits plus loin ?
Le jour pointe. La lumière artificielle blafarde signe la fin de la nuit. Il ne sent aucun rayon de chaleur sur sa peau. Dehors, les filles ont toutes le même uniforme que les garçons, un pantalon et un tee-shirt jaune moutarde. Tout le monde se presse vers son travail. Gaspard monte l’escalier en colimaçon qui conduit à son atelier. Il croise le regard d’un de ses collègues, par inadvertance, sans l’avoir cherché. Et les muscles de son visage se détendent. Il sourit. L’autre lui répond. Puis un deuxième, et toute l’unité bientôt est prise d’un tout petit mouvement des lèvres; un rictus à peine, un peu maladroit, cela fait si longtemps qu’ils n’ont plus souri, mais les nuques se redressent, et tous cessent de regarder leurs pieds. Ils se tiennent droits. Et ils n’ont plus peur.
Derrière les écrans, « ils » ne comprennent pas, « ils » sont pris de panique, tapent comme des fous sur leurs claviers, cherchent la cause. La trouvent enfin. Cette voix à heure fixe le soir, cette voix douce et chantante. Ils l’écoutent. Les mots entrent dans leurs circuits. Semblent s’encoller à leurs capteurs. Les tordent, les broient. La ville toute entière s’éteint petit à petit. Les ventilateurs s’arrêtent. Certains se mettent à suffoquer. Alors, il ne reste plus qu’une chose à faire. Ouvrir les grilles. Ouvrir le dôme.
Gaspard aide les autres. Et tout à coup, cette prison s’ouvre sur un champ de tournesol éblouissants. Sur des pieds de framboises. Sur des ceps de vigne. Sur un monde confisqué. Leur monde. Et une femme s’avance et lorsqu’elle commence à parler, tous sortent leurs crayons de leurs poches et écrivent en grosses lettres, le mot « Liberté » sur les parois du dôme à moitié écroulé.


· Texte de Jean-Charles Paillet ·

De mon sang à ta peau
la mer se noie au bout de mes doigts
des galets s’entrechoquent dans ma gorge
le soleil prend feu dans mes yeux

Cette île à la dérive je deviens
quand ton corps retourné à la nuit
ne me prolonge plus


· Texte d’Athénaïs Grave ·

Allongée sur le muret du vieux lavoir de mon village, à l’abris des regards, dans mon petit sanctuaire, je contemple ce havre de vie. Des têtards font la course sous la vase. Une libellule se déhanche sur la piste de danse qu’offrent les plantes aquatiques. Un pinson insouciant vient s’abreuver.
Je ferme les yeux. Je laisse la brise estivale caresser mon visage. Je l’autorise à jouer un instant avec mes cheveux. A mon oreille, j’entends le clapotis des gouttes d’eau qui tombent une à une dans le bac. Une mélodie cristalline qui bat à l’unisson de mon rythme cardiaque. Calme et tranquille. Doucement.
Lentement. Sans que je ne m’en rende compte, ce métronome limpide, m’entraine dans son royaume olympien. Le ciel se meut en cascade resplendissante. Les étoiles éclosent en un bouquet de lumière. Je navigue entre les pétales de leurs constellations, portée par une mer douce. La nuit est un jardin céleste où je divague, libérée de toutes les contraintes humaines et de la physique.
Je laisse mes bras tomber et s’arroser de cette eau, guide onirique. Ma peau se pare de ses perles dont l’éclat se fait miel sous la protection de lune. Je ferme les yeux. Je sens mes doigts buter sur un obstacle. Je crois que j’ai saisi une étoile au creux de ma main. Je la porte vers ma poitrine, comme on y porterait une rose offerte par son premier amant. Je permets à mon cœur de se réchauffer à sa lueur. Apaisement. Le temps semble s’étirer. Infiniment.
Mais même l’éternité à une fin. La chaleur s’est d’abord transformée en une coulée fraîche puis en lac glacé. Je tremble. Les étoiles se referment. La mer douce qui me portait devient pierre dure et rêche qui blesse mon dos.
Soudain, je rouvre les yeux. J’ai quitté le royaume olympien pour revenir au monde terrestre. Au bord de mon petit lavoir. Mais toujours cette sensation de froid sur cœur. C’est alors que je comprends enfin. J’ai les mains croisées sur le torse. Mes manches sont trempées. Je tiens un objet dans mes paumes. Dans mon sommeil, j’ai cueilli un nénuphar.


· Texte de Thomas Husar Blanc · 2ème place

L’aube hantée de poussières d’amours ne semblait pas vouloir prendre sa place à la nuit, et annonçait d’une voix douce de père éveillant, une journée noire illuminée d’étoiles. C’était l’éclipse de mon temps ici-bas. Avec la liberté comme seule contrainte, et les pieds comme des cerfs-volants. J’ai peu dormi je crois, mais j’ai beaucoup rêvé. Pourtant je me sens peu fatiguée de tous ces pays que j’ai traversés. Il y a du sable dans ma capuche, de la neige dans mon voile. L’heure est au retour à la réalité. Pourvu qu’elle sonne sans violence, j’ai toujours haï les réveils. Mais curieusement je ne m’éveille pas. Cette nuit semble vouloir durer, et moi qui pensais lui dire adieu, me voilà dans cette situation délicate. Où on a dit au-revoir déjà mais où nos chemins ne se séparent pas. On se regarde et on en rit. C’est que je commence à bien connaître la nuit, elle sait me charmer, l’enfant terrible. Et je crois qu’elle n’est pas indifférente à ma joie. Eh bien douce nuit, faisons encore un bout de route côte à côte, j’ai encore mille choses à te montrer, et ta présence m’est toujours chaleureuse. Veux-tu t’étendre sur mon jardin  ? J’y ai mille plantes noires qui te raviront. Je crois que nous sommes pareilles toi et moi, comment peut-on goûter les couleurs quand on n’a plus peur du noir  ? Tu as bien raison de t’étendre partout si souvent, pour rappeler au monde que la beauté existe, et qu’il n’y a pas que la journée dans la vie. Toutes ces responsabilités, ces ennuis et ces soucis ne sont-ils pas l’apanage du jour  ? Et ceux qui passent de mauvaises nuits ne le font-ils pas à cause de ce qui les hante encore au moment de la quiétude  ? À cause de cet affreux jour qui les a trop remplis de sa lumière vive et de ses couleurs crues. Je ne suis qu’à toi chère nuit, et je sais que tu me partages avec nombre d’amours, mais ça m’est égal, ça me ravit même. Y a t-il plus belle chose à partager  ? Que toi  ? Que la nuit  ? Que l’amour  ? Et puis je sens ce jour, ou plutôt cette nuit, que tu m’as entièrement acquise, et que tu te donnes un peu plus à moi que d’ordinaire. Allons-nous rester ensemble longtemps douce nuit  ? Viens-tu m’envelopper de ton doux manteau tandis que je regarde mon jardin pousser  ? C’est beau nuit, c’est très beau. Cela me rend un peu triste, je te l’avoue, c’est comme ça, on ne peut rien y faire. Mais je suis heureuse, ce n’est pas parce que je pleure que je ne suis pas heureuse. Enveloppe-moi, couvre-moi, serre-moi. Il n’y aura pas d’aube, c’est bien cela. Mais les poussières d’amours sont toutes là,  et j’ai tout mon temps pour les compter, les dessiner et les relier. Je n’ai plus que cela à faire finalement, rêver de figures artistiques en traçant des traits entre les étoiles. Je t’aime.


· Texte de Mélanie Gertsch · 1ère place

« Je rêve d’un monde sans ratures, sans bavures, sans armures » lisait la petite Sara, le dos droit, fière mais hésitante sur les mots qu’elle employât. Nous étions le 18 février 2000, Sara avait 8 ans dans moins d’un mois, elle était en classe de CE2 à l’école Pierre Percée de Chaumont.

Sara était une bonne élève, une élève qui écoutait, une élève qui voulait savoir, une élève que l’école intéressait. Pour les dix années au moins qui ont suivi la lecture de cette poésie, sa soif lui a servi. En revanche après, il lui a fallu s’accrocher. À l’école, elle avait le droit de savoir, elle avait le droit de poser des questions. À l’école, elle avait le droit d’être la première… Jusqu’en terminale. Après c’est devenu louche, une fille première. Surtout une fille jolie.

Une fille jolie qui est première quand elle étudie c’est louche. C’est forcément qu’elle utilise ce qu’elle a de plus joli. Une fille jolie qui est première après la terminale, c’est louche. C’est une fille qui couche. Une fille jolie c’est pas intelligent. Une fille jolie c’est pas gentil. Une fille jolie, c’est une fille et c’est tout.

Quand elle a eu 18 ans Sara, elle ne l’a pas su tout de suite. Elle n’a pas su tout de suite ce qui ferait son sort. Elle n’a pas su tout de suite qu’il lui fallait redoubler d’efforts devant ses professeurs. Elle a fourni le même travail que ses copains garçons, mais elle a dû redoubler d’explications. Elle apprenait tout aussi bien ses leçons, mais elle devait en plus « faire attention ». Elle méritait les mêmes notes, jusqu’à ce qu’on voit son nom… A 18 ans, on ne l’écoutait plus autant poser ses questions.
A 18 ans elle quittait Chaumont pour Paris.
Dès qu’elle eu rejoint les bancs des grandes écoles, bien que sortie majeure de sa prépa, on a de suite douté. On a douté qu’elle sache déjà ça, qu’elle ait déjà fait ci ou ça. On doutait… Et elle, elle ne savait pas que c’était parce qu’elle s’appelait Sara. Elle ne savait pas que c’était parce qu’elle n’avait pas ce gros machin là. Entre les jambes. Gros ou petit d’ailleurs…
Certains de ses professeurs en avaient sans doute un rikiki. Mais un rikiki zizi c’est toujours plus gros que le clito de Sara. Sara ne le savait pas encore. Sara redoublait d’efforts pour plaire à ses professeurs.
Comment savoir que c’était uniquement parce qu’elle était une femme ? Elle était la seule femme de sa classe, pas de comparaison à tenir. Elle croyait qu’elle était juste nulle. Bien plus nulle que ses autres camarades. Alors elle redoublait d’efforts. A chaque devoir elle rendait le double de ses camarades. En qualité. Le double en qualité. A croire que c’était le prix à payer pour être femme dans les grandes écoles.
Sara ne le savait pas encore. Un soir l’un de ses professeurs la prise à part. Si elle veut que ses notes augmentent, il va falloir qu’elle fasse encore plus d’efforts. Bien sûr que Sara veut que ses notes augmentent. Bien sûr que Sara veut obtenir son année.
Alors il lui faudra avaler.
C’était ça, le vrai prix à payer.
Prendre dans sa bouche le zizi rikiki de ce maître chanteur en échange de son année.
Elle avait pourtant tout bien fait. Ses devoirs rendus à l’heure, ses rendus de qualité… Pas ceux de ses camarades. Mais il lui fallait avaler.

Une fille qui est première quand elle étudie, c’est louche on vous dit. Une fille qui est première quand elle étudie, c’est une fille qui couche on vous dit.
Mais la faute à qui ?
Sara rêvait d’un monde sans ratures ni bavures ni armures à 8 ans. À 18 ans, après les viols et attouchements de l’un de ses professeurs, Sara est retrouvée inerte. Elle a pris des calmants. Sara était une bonne élève et jusqu’au bout elle a écouté. Elle a avalé. Elle les a tous avalés. C’était le prix à payer. Le prix de la tranquillité.

Alors moi pour Sara, « je rêve d’un monde féministe, altruiste, et pacifiste ». Ça veut dire égalitaire. Pour tous les humains de la Terre.
Et si ça vous paraît banal, c’est que vous ne connaissiez pas Sara.


· Texte de Laura Beslier ·

La piquante caresse de la chaleur chatouillait ses narines. Elle ne savait pas depuis combien de temps elle était là, à contempler ce ciel chimérique. Devant ses yeux, un océan de lianes pourpre peignait la vaste étendue. Leur tronc, supplicié de multiples spirales, paraissait vouloir conquérir l’espace. Cette immensité lui donnait le vertige. Bien que ce décor lui était familier, c’était la première fois qu’elle le découvrait. Elle se redressa, et fit quelques pas. Le sol, semblable à une plage recouverte d’eau, se perdait dans l’infinité, jusqu’à se confondre à la délicatesse des jets d’encre sculptant les sommets. Elle ne savait pas où elle était.
Un frisson dans son dos la surprit soudainement. Elle tourna la tête, et sentit la pression d’une fébrile étreinte se refermer autour de ses doigts. Au bout de sa main, une petite fille au teint rosé lui adressait un radieux sourire. L’étrangère crut alors discerner dans sa poitrine, le tambourinement incessant d’un instrument tourmenté.
— Tout va bien, murmura la fillette, je suis là.
Les traits de son visage restèrent figés. Son cerveau semblait s’être déconnecté, avoir annihilé toute réaction devant ce concentré d’innocence. Puis, les joues rebondies de la fillette gonflèrent subitement tels des ballons de baudruche.
— Tu fais toujours cette tête-là, grogna-t-elle.
Le son de sa voix enfantine, sonnait à son oreille comme une poignante mélodie. Ses bras s’élancèrent brusquement en avant, emporté par l’élan de sa visiteuse.
— Viens ! Je veux te montrer quelque chose !
Elle la suivit sans résister. Au travers de sa silhouette aussi délicate que du verre, et de ses boucles sauvages, elle jurait voir son reflet, quelques rides en moins. Le paysage défilait au rythme des clapotis de ses pas, sans pour autant donner l’impression de changer. En-dehors de cette étincelle de vie, tout semblait étrangement inerte. Entrainé dans cette course folle, son regard fut rapidement captivé par la joyeuse danse de lucioles. Au-dessus de sa tête, une flotte de lanternes en papier accompagnait leur chemin, illuminant la voûte céleste d’une traînée de milliers d’étoiles réconfortantes. Elle était totalement hypnotisée par ce spectacle de mélancolie. Puis, une sensation de fraîcheur sur la peau nue de ses pieds l’interloqua.
Elle se retourna. Autour d’elles, des champs de fleurs pastel se déroulaient maintenant à perte de vue. Cette vision soudaine remettait en cause toute logique dans son esprit, si tant est qu’il en restait encore un soupçon. Les nuances d’arc-en-ciel sur cette partition végétale l’époustouflaient autant que le contraste de ce monde la déroutait. Une apaisante chaleur commençait enfin à calmer la tension dans ses artères.
— Attends-moi ici, je reviens, annonça la fillette.
À peine eut-elle terminé sa phrase que cette dernière plongea dans cette mer de couleur, ne laissant pas le temps à son invitée de la retenir. Un troublant silence régnait à présent. L’étrangère avait l’amère impression qu’un gouffre menaçant se creusait lentement sous son ombre. Elle avait peur. Sa peau tremblait d’une crainte qu’elle connaissait déjà. Une angoisse qu’elle avait tentée de noyer dans les abîmes de l’oubli, mais qui malheureusement, ne paraissait pas vouloir lui laisser de répit. Elle était seule, abandonnée, prête à succomber à la terreur, lorsqu’une petite tête blonde surgit de la végétation.
Une vague de soulagement manqua de faire céder ses genoux. Entre ses doigts, la fillette tenait une minuscule pâquerette. Ces quelques pétales entourant un soleil d’or, avaient beau être incroyablement ordinaire au milieu de ces utopies, elles avaient quelque chose de singulier. Derrière ses fines mains, les traits de la fillette étaient comblés d’une joie candide. Plongée dans son regard d’émeraude, l’étrangère sentait peu à peu un rassurant voile de tendresse l’envelopper. Ses yeux ne pouvaient se détacher de la pureté de son visage, de peur que la silhouette de la fillette ne disparaisse à nouveau. Si cela lui était possible, elle aurait volontiers brisé le sablier du temps. Elle était à nouveau à ses côtés, et c’était suffisant.
Le sourire de la fillette s’effaça alors, et elle jeta un coup d’œil sur le ciel parsemé de nébulosité rougeâtre.
— Je crois qu’il est temps… grommela-t-elle.
L’étrangère rata un battement. Avait-elle bien entendu ? Avait-elle bien compris ses paroles ? Elle pria pour se tromper. Néanmoins, quelques flashes dans le paysage lui indiquaient le contraire. La fillette se retourna, comme irrémédiablement attiré par une force aveuglante. La bouche de l’étrangère s’articula aussitôt, mais aucun mot n’en sortit. Ses cordes vocales défaillantes étaient aussi tétanisées que ses pupilles. Plus la chevelure blonde s’enfonçait vers l’horizon, plus la terreur lacérait ses entrailles. Elle maudissait ses bras trop courts pour la rattraper, et ses lèvres flageolantes incapables de sortir le moindre son. Elle avait mal. Puis une assommante pression fit lâcher ses membres. Elle était clouée sur place, enlisée dans ces illusions absurdes. Impuissante.
Les couleurs chatoyantes qui illuminaient les champs, paraissaient fuir l’obscurité approchante. La joie et l’euphorie étaient parties en même temps que la fillette. Il ne restait plus que l’étrangère sur cette étendue de cendre, le corps brisé par l’oppression de sa solitude.
Puis, la pénombre gagna finalement son esprit, cadencé par les palpitations de son agonie.
Boum-boum
Boum-boum
Boum-boum
Une bouffée d’oxygène la fit sursauter.
Sa tête, aussi lourde qu’une balle de bowling était prête à chavirer à tout moment, lorsque sa vision s’éclaircit.
D’un dégagement de la main, elle agita les fines particules qui troublaient le faible rayon de soleil. L’odeur de poussière dans ses poumons accentuait son trouble. Son bras s’étira alors vers la table basse, balayant sur le passage quelques pâquerettes. Elle attrapa un bonbon dessiné d’un semblant de feuille d’érable, et le laissa tomber dans un verre d’eau.
La surface du liquide, instable, n’était pas sans lui rappeler le tourment de son expérience. Espérant retrouver le fragment de bonheur qu’elle avait perdu, ses doigts se resserrèrent, puis elle engloutit le liquide d’une traite.
Ses paupières, épuisées autant que son cœur, se refermèrent alors.


· Texte de Dorothée Fourez ·

Assise entre chien et loup,
La petite fille contemple son avenir.
Elle rêve d’être…
Elle rêve d’elle…
Elle est ce lotus symbole de pureté
Rien ne pourrait l’éclabousser.
Elle a tout, la jeunesse, la beauté
la liberté d’un être en devenir.
Elle vit dans les étoiles,
Elle danse avec la nuit,
Elle barbotte au milieu de la mare,
Elle voyage au-dessus des nuages.
Elle contemple la terre,
Elle profite des chimères,
Elle imagine les hommes frères.
Elle sourie au vent,
Elle croque demain à pleines dents.
Elle rêve d’être,
Elle rêve d’elle.
Elle est ce lotus élégant
Ouvert comme un présent.
Elle est ce qu’elle veut,
Elle a le temps d’advenir,
Elle joue à la marelle,
Elle monte jusqu’au ciel.
Entre pluie et soleil,
Elle a pour toboggan un arc-en-ciel.
Elle voit son existence en couleurs,
Elle est ce lotus dressé illuminant les heures.
Qu’il est bon d’être un enfant
Avec l’innocence pour amie
Et des songes en espérances.


· Texte de Tuy Nga Brignol ·

Maintenant il est temps de s’installer bien confortablement pour méditer. Prenons une grande inspiration et fermons les yeux. Laissons la fumée de l’encens qui émane du brûleur en argile nous emmener vers de doux rêves parfumés. Méditer lorsque les sens sont aiguisés aide à mieux connecter le corps au plus profond de qui nous sommes. Une impression agréable de bien-être et de relaxation s’installe.

Même si nous avons grandi physiquement, nous avons toujours en nous un enfant intérieur que nous avons souvent tendance à oublier. Notre enfant intérieur a besoin de nous. Si nous ne l’écoutons pas, l’enfant intérieur se met à réagir. Il peut avoir des crises de colère, se sentir sur la défensive, être anxieux, jaloux… L’adulte que nous sommes doit prendre le temps de s’asseoir un moment pour entrer en contact avec son enfant intérieur et gérer ses frustrations.
Dans notre vie de tous les jours, nous sommes tellement occupés à essayer de comprendre et gérer les problèmes depuis notre place d’adulte que nous ne nous arrêtons pratiquement jamais pour creuser un peu dans la place de l’enfant intérieur, regarder l’autre partie de nous qui a gardé toutes les blessures de notre enfance. Nous ne pouvons pas faire ce travail avant de connaître les rôles que chacun joue dans notre vie. Apprendre à connaître notre enfant intérieur permet de mieux se comprendre, comprendre qui est notre enfant intérieur et qui est notre partie adulte, d’une manière que nous n’avons jamais connue auparavant.
Nous ne pouvons pas guérir ce que nous ne connaissons pas. C’est cette partie de soi que nous devons apprendre à reconnaître, à écouter pour prendre soin de soi d’une manière différente. Nous avons des déclencheurs, très probablement issus de notre enfance. Ils nous aident à mieux comprendre qui est notre enfant, qui est notre adulte.
Quels sont nos déclencheurs et comment y remédier ? Le but est de prendre un temps d’arrêt pour reconnaître ce qui nous fait encore mal. Parcours de reconnexion à notre jeune moi pour mieux comprendre les sonnettes d’alarme que nous envoient nos vieilles blessures d’enfant. À partir de là, nous identifierons nos déclencheurs et la façon de les gérer. Ce sont des petites choses qui nous poussent à bout et nous rappellent ce que nous devons encore guérir. Chercher à mieux comprendre quelles vieilles blessures nous déclenchent maintenant, et comment réparer avec compassion de vieux schémas malsains pour relier avec amour les deux parties de soi : enfant intérieur et personne adulte.
Tout le travail effectué avec beaucoup de douceur – par l’amour, la reconnaissance et la validation – va aider à rapprocher les deux parties de soi, établir une passerelle pour réunir le moi adulte et l’enfant intérieur. À partir de là, nous pouvons parler avec notre enfant intérieur pour apprendre à le connaître, comprendre pourquoi il se sent mal. Apprendre à réapprivoiser cette petite partie de nous qui est blessée. C’est la raison pour laquelle on appelle ce processus « re-parenter son enfant intérieur ». Nous ne pouvons pas guérir ce que nous ne connaissons pas. C’est cette partie de soi que nous devons apprendre à écouter et reconnaître afin de guérir. S’accorder un moment d’appréciation de paix profonde et de contentement, prendre soin de soi, être gentille envers soi-même.
Nous avons toujours gardé les qualités de l’enfant que nous étions autrefois. En apprenant à réapprivoiser notre enfant intérieur, nous apprenons à être moins réactif et plus proactif dans notre vie. Nous apprendrons aussi à prendre de la distance, faire de la place aux autres lorsque leur enfant intérieur réagit, afin de ne pas prendre les choses trop à cœur. Un enfant intérieur non déclenché est amusant, joyeux et créatif. Son sens du jeu, d’amusement et d’émerveillement aide notre partie adulte à profiter de la vie. Il peut venir travailler avec nous et apporter créativité, lumière et joie.
Apprendre à trouver un équilibre entre notre adulte et notre enfant intérieur permet de redécouvrir l’enfant heureux et sain qui est en nous. Nous pourrons alors commencer à examiner les autres relations de notre vie, prendre plus de recul sur notre vie et voir comment notre enfant intérieur et celui d’une autre personne ont affecté nos relations. Apprendre ainsi à fixer des limites entre nous et les autres. En nous aimant nous-même d’abord, nous pouvons créer de meilleures relations dans tous les domaines de notre vie. Nous développerons les compétences nécessaires pour faire le pont entre notre moi adulte et notre enfant intérieur, afin de favoriser des relations plus saines et éprouver plus de joie.

La vision de la fleur de lotus, symbole de la pureté du corps et de l’esprit, prend ici tout son sens. En Asie la fleur de lotus est une fleur sacrée. Elle sert d’assise à Bouddha, Ganesh et autres divinités. Elle a le pouvoir de se développer et de s’épanouir dans la vase et les eaux stagnantes. La fleur immaculée qui fleurit sur l’eau saumâtre à la recherche de lumière est symbole de pureté et de sublimation, suite à un travail d’épuration et de transformation.
Il est essentiel de faire ce travail de « re-parenter notre enfant intérieur » pour transformer notre vie. Ne pas passer à côté de soi-même, prendre des décisions alignées à partir de qui nous sommes vraiment, pour pouvoir vivre plus paisiblement, rayonner joie et douceur, et avoir de meilleures relations dans tous les aspects de notre vie.

Tuy Nga BRIGNOL


· Texte de Melvin Burnouf ·

Nuit tranqu’île

Chaque soir pour m’envoler en direction du sommeil, je m’imagine sur une île, enveloppée par ma robe de prédilection, celle rose entrecoupée de fines lignes noires. Je me projette, non pas sur une immense île tropicale avec des bestioles redoutables et un problème perpétuel pour se nourrir, mais l’équivalent d’une faible parcelle où la végétation n’est qu’herbes pleinement vertes et fleurs colorées. Je trempe souvent mes pieds l’eau qui ceinture cet îlot de terre. Il m’arrive quelquefois de m’y baigner, l’eau est chaude et d’un bleu céleste. Je n’y ai glissé aucun poisson ni autre forme de vie, elles m’effraient, trop inconnues.

Je ne suis pas seule, mes chattes, Tigresse et Calinette, me talonnent dans mes rêves, et collaborent chaque crépuscule à mon éclipse vers l’absence nocturne. Elles restent à mes côtés, voire viennent sur moi et on rigole ensemble, sans raisons, juste pour le bonheur. Leurs ronronnements me relaxent, mes soucis déclinent. Tout le stress accumulé dans la journée s’en va, me laisse allongée dans un calme presque religieux. Elles sont la poudre d’or qui illumine mon visage jusqu’à faire éclore un sourire.

Il nous arrive parfois de cavaler pieds et pattes nus pour le plaisir, à la chasse au bon temps, avant de nouveau se poser pour un bain de soleil. Grâce à ce rêve que je visualise tous les soirs, je ne vois jamais la nuit, le ciel blanc de colombes le remplace.

Je me pose presque chaque soir accroupie, près du lotus colossal situé au milieu de l’île (je sais que ça n’existe pas, mais ce sont mes rêves donc je fais ce que je veux), la tête avachie sur ma main. Là, je me rappelle le moment où tout s’est déclenché, l’arrivée de mes deux meilleures amies. Elles ne sont malheureusement pas venues toutes faites, déjà prêtes pour des milliers de câlins. En revenant d’une ballade digestive avec mes parents, une chatte, que l’on a nommée Minette, alors mal en point, nous a suivi jusque chez nous. On l’a nourri et remis en forme, et quelques mois plus tard elle nous a fait une première portée. De ces bébés, on en a gardé une, Tigresse, par rapport à son pelage tigré. Les autres ont été donnés. Tigresse était déjà très calme et câline, mais seulement avec moi, toute autre personne avait du mal à s’en approcher. Des mois passent et rebelote ! De nouveaux petits chats, faits sous un barbecue éteint, mais encore chaud. Voilà la portée de Calinette, seule qu’on a gardé aussi. Contrairement à ses frères et sœurs, elle n’a pas eu la chance d’avoir beaucoup de lait maternel, repoussée. Elle se faisait même attaquer par sa propre mère. C’est à ce moment-là que j’ai compris que Tigresse n’était pas qu’un animal au sens péjoratif, elle a défendu sa sœur et fait bouclier contre sa propre mère. Après cet événement, je suis devenu très proche d’elles. Chaque moment libre, je le passe à leur côté.

Que je pleure ou rigole, elles savent trouver ce qui me réconfortera. Je pense pouvoir dire que l’on est fusionnelle, mais je vous rassure, je ne suis jamais allée jusqu’à manger les souris qu’elles m’apportent.

La tristesse ne me vient qu’au petit matin, où je sais que je ne verrai plus mes chattes. J’aurais tout fait pour que, comme Robinson, je puisse rester sur l’île. Hélas, ce n’est pas possible. La journée, je les visualise devant moi et les caresse dès que l’ambiance devient trop stressante. Je garde tout de même le sourire, je retrouverai ce soir ces deux belles étoiles qui malgré la difficulté font parvenir dans mon cœur une lueur de vie.


· Texte de Léanna Michel ·

Le Poisson
Il était un homme bien lassé
Qui, de jour, traînait son ennui,
Et passait nombre de ses nuits
Dans quelques endroits malfamés.

Quand il rentrait enfin chez lui,
Chaque fois tombait-il endormi.
Souvent d’un sommeil peu léger
Pour dix ou douze heures d’affilée.

Mais quelquefois, par jour chanceux,
Un songe venait s’offrir à lui.
Toujours le même, comme c’est curieux !
Qui sait ce que cache son esprit ?

Il s’imaginait grand héros,
Aventurier des fonds marins
Qui descendait en sous-marin
Dans les paysages abyssaux.

Une mission lui était confiée :
Pêcher un Poisson Scintillant.
Spécimen rare et flamboyant
À la légendaire renommée.

Non sans mal, il y parvenait :
À lui les comptes plein de billets,
L’admiration des étrangers,
Une vie de luxe et volupté !

Après une somptueuse soirée
Organisée en son honneur,
Il se couchait aux petites heures
Auprès d’une amante distinguée.

Mais alors qu’il fermait les yeux,
Son nez captait une puanteur :
Un relent salé et poisseux
Emplissait l’air, venant d’ailleurs.

Il se réveilla en sueur,
Il était seul dans son taudis.
L’odeur émanait du boui-boui
Installé au bas de chez lui.

Il hésita à se lever,
« Mais pour quoi faire ? », pensa-t-il bas.
Personne, dehors, ne l’attendait,
Rien à faire, personne ne viendrait.

Et face à ce planning chargé,
Dépité, il se recoucha.
Mais souhaita à nouveau songer
À son doux rêve d’aventurier.

Il était un homme bien lassé
Qui, de jour, traînait son ennui.
Et les nuits, quand il y pensait,
Souhaitait ne plus se réveiller.


· Texte de d’Emmanuel Brasseur ·

Nus dehors – Avril 2022

J’ai bien fait attention
à ne pas marcher sur tes larmes,
au contraire,
je les ai ramassé
et j’en ai fait une vague
que j’ai serré dans mes bras
que j’ai jeté dans le ciel,
puis j’ai éteins le soleil
et soufflé les bougies
de l’amour et des lunes.

J’ai regardé ce singe
qui se plaisait à m’attendre
je me suis levé
j’ai survécu
et lui, il a déguerpi
plus loin de toi et de moi.

Arrêt du temps
présent imparfait
futur insidieux.

J’ai des envies qui me viennent
je peux te soulever,
et des cœurs qui se multiplient
si t’en veux, j’en ai assez pour toi,
dans la cuisine
admirative
je sollicite tous les anges
et les démons
sur la feuille
mystérieuse.

Comme un aménagement
comme un rêve
je suis le signal
et j’enclenche
la fonction utile
si tu veux de moi
je suis là
regarde
à coté de la palissade
où j’ai coulé ma frégate.

Regarde
tout ce qu’il reste
regarde
comme tu peux aimer
encore
aimer toi, aimer moi,
sur le retour de la vague
salée.

Au bout des doigts j’ai des flammes
si tu savais de quel bois…
La fée bleue croit en moi
je deviendrai
réel
un jour.

Si seulement…

Bouquets de rires
danses et rondes
quelques pas vers l’autre
quelques mots muets,
démodés.

Je transforme nos corps
en chantier de tendresse
tu me laisses faire
et tout le reste du monde,
les notes de la pluie,
plus rien ne peut te faire mal.

J’ai enfermé l’absence
au fond du bocal.

Je colle sur mes bras
les plumes que tu me donnes
je glisse au grès du vent
autour des regards perdus que tu abandonnes
oublie
encourage le zef
répands les alizés
porte moi plus loin
entortille moi
dans les clapotis éventé.

Nage.

Nageons.

Nus dehors
le moral en cercle
le sourire retrouvé
et léger vague à l’âme.


Et pour terminer cette sélection, je vous présente le mien, hors concours :

· Texte d’Amelia Pacifico ·

Ouvre les yeux ! Ouvre les yeux ! te dis-je. Si tu les maintiens fermés, tu ne le verras pas. Si tu t’obstines à sceller tes paupières pour faire semblant, tu le laisseras filer à tout jamais. Mais ouvre-les, bon sang !
Déjà, tu tournes la tête, c’est mieux. Je suis sûr que tu peux le percevoir derrière la fine peau de tes rideaux d’yeux, tu le sens, n’est-ce pas ?
Tu sens son énergie solaire, tu perçois son essence de feu, tu goûtes à son odeur si printanière, sa saveur si fraîche, n’est-ce pas ?
Les saisons qu’il rythme, les éléments qu’il fait danser, les âmes qu’il inspire, les destins qu’il fait pulser… tu sais tout son pouvoir, est-ce pour cette raison que tu n’ouvres pas les yeux ?
Pourtant, il ne peut exister que pour celui qui veut voir, que pour celui qui décide de croire, alors ouvre-les !
Il ne reste pas longtemps dans ton champ de perception, juste l’éclat éblouissant d’une seconde, démultipliée par ta conscience en éveil, alors ouvre-les.
Il est là pour toi, à cet instant de vie où tu penses en avoir finir, alors que tu es au mitan d’une expérience unique. Il ne peut s’annoncer avant, alors que la fougue et l’envie, le désir et l’enthousiasme, prennent toute la place. Il ne peut se présenter après, lorsque la chandelle a été brûlée par les deux bouts, que le sablier s’inverse et qu’il faut se préparer à la relève.
Il se montre lorsque tu as assez appris pour le voir, et pas encore suffisamment pour ne plus avoir besoin de lui. Il s’approche de ton être tout entier au moment même où tu penses que plus rien ne peut arriver, et que tout reste néanmoins à faire. Il est là, à te montrer le chemin, celui que tu dois emprunter pour arpenter ton sentier de vie, alors ouvre les yeux, et regarde.
Tu le crois diabolique, il n’est que guide. Tu l’estimes juge et bourreau, il n’est que révélateur de potentiel. Tu le surnommes « fatalité », alors qu’il n’y a aucun terme qui puisse lui seoir.
Ouvre les yeux, tu comprendras. Ouvre-les, et saisis la chance de ta vie.


Merci à tous pour vos participations et lectures !

A bientôt 💋

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