Participations au Rendez-Vous des Plumes – Mai 2023

Bonjour à tous !

Vous l’avez peut-être suivi sur les réseaux sociaux ? La boutique a traversé une zone de turbulences depuis mai dernier, et sa propriétaire aussi !
Souci de santé, déménagement express, lancement d’une campagne Ulule et d’un coffret estival prévus depuis le début de l’année et difficilement reprogrammables… bref, les semaines ont été intenses, pleines d’ascenseurs émotionnels et d’obstacles à franchir ! Je vous en dis plus bientôt dans une newsletter dédiée et un article de blog adapté… mais soyez rassurés, le Rendez-Vous des Plumes n’est pas mort, et son recueil poursuit son chemin, avec un travail éditorial qui va un peu s’accélérer en août de mon côté afin que les auteur·es de 2022 puissent travailler tranquillement dessus à la rentrée…
Comment rattraper les appels à textes de juin et juillet qui n’ont pu avoir lieu ? C’est simple, on doublera les challenges en septembre et en octobre : les membres du jury n’ont qu’à bien se tenir 🥴 Et sans plus attendre, je vous présente les nouveaux textes – ceux de mai, donc – à apprécier comme il se doit… Belle lecture !

Les textes ne sont relus qu’au moment de leur publication, et ce uniquement dans le but de vérifier qu’ils ne contreviennent pas au règlement de l’atelier d’écriture. Si le cas devait se produire, le texte ne serait tout simplement pas publié, sans autre recours possible de son auteur. La Petite Boutique des Auteurs n’est pas responsable des coquilles, fautes d’orthographe, syntaxiques ou grammaticales éventuellement présentes dans les textes qui participent au Rendez-Vous des Plumes. Merci d’en prendre note avant lecture.
___ Amelia


Thème-guide de mai : Pause (non obligatoire dans le traitement de la consigne)

Type d’inspiration : inspiration musicale

⭐ Inspiration n°1

Yza

Etendue sur le côté dans le grand lit aux draps immaculés, elle ouvre les yeux… Les oiseaux chantent, le soleil est déjà levé mais il est encore tôt. Par la fenêtre dont les volets ont été laissés ouverts la veille afin de profiter de la fraîcheur de la nuit, l’air encore frais pénètre dans la chambre à travers la moustiquaire.
Sur les rideaux de lin clair dansent les ombres des branches de l’olivier planté devant la cuisine, dont la cime atteint le haut de la fenêtre de la chambre. Ils ondulent sous la caresse de la brise matinale, laissant passer par intermittence des rayons de soleil qui viennent frapper le mur tapissé de toile de Jouy.
Par moments, les souples voilages se soulèvent un peu plus haut, s’écartent un peu plus de l’embrasure de la fenêtre, et les rayons parviennent jusqu’au miroir de la coiffeuse, leur reflet atteignant le visage d’Alba qui ferme alors les yeux…
Elle profite du matin calme, encore engourdie du sommeil de la nuit. Elle a dû avoir chaud car le drap, pourtant si fin, a été rejeté sur ses jambes. Elle est nue et savoure la sensation de l’air sur son corps.
Elle se tourne sur le dos et s’étire, ses bras touchent le bois sculpté de la tête de lit, elle suit les creux qui dessinent des fleurs et des feuilles avec le bout de ses doigts, elle étire ses jambes et ses orteils se posent sur le rebord du lit. Le sommier métallique grince un peu, un peu plus lorsque l’homme allongé à côté d’elle se tourne à son tour et tend un bras vers elle. Les yeux clos il caresse son visage doucement, lentement il suit le contour de sa mâchoire, puis de ses lèvres, il descend le long de son cou… Elle ferme les yeux sous ses doigts, attend qu’il descende encore… Son corps se tend, elle se cambre lorsqu’il atteint un sein, parcourt son ventre et que sa main se glisse entre ses cuisses, gémit doucement. Elle tourne la tête vers lui, sourit en voyant ses yeux si bleus troublés par le désir, il murmure d’une voix un peu rauque : Buongiorno signora…


  • Athénaïs Grave

Respirons
Arrêtons-nous. Au milieu d’une valse. Au milieu d’un champ. Prenons le temps, de nous regarder un bref moment. Pas un simple regard, quelque chose de plus profond. Les yeux dans les yeux. L’âme dans l’âme. Le cœur dans le cœur. Je veux lire tes pages et t’ouvrir mon roman. Pas tout ton livre, non, seulement les chapitres que tu seras prêt à me montrer. Je veux te découvrir. Je veux plonger dans ton noir. Car la beauté n’est pas que dans les étoiles. Elle est aussi dans la nuit profonde. Alors.
Respirons.
Parlons en silence. Les mots n’ont pas besoin d’une voix quand ils sont dansés dans les yeux. Et je regarde la ballerine de ta prunelle vaciller tandis que l’eau monte dans nos regards. Tes lèvres tremblent au rythme des vagues de cette mer-passé. Rien n’est lisse. Tout a ses remous. Et en toi, la tempête ne s’est pas encore calmée. Je vois bien que tu ballottes encore entre deux vents. Que tu crains de sombrer en naufrage à chaque instant. Mais ose, à ton tour, pénétrer l’abime de mes yeux. Peut-être y verras-tu un maigre rayon de soleil pour percer tes nuages. Tu trembles encore. Tes paupières sont à marée haute. Ne dis rien.
Je sais.


  • Luc Baudot

Une touche de noir sur l’ivoire
La ville, la nuit.
Une rue ordinaire, mal éclairée, un trottoir mouillé par les averses répétées de l’arrière saison. Je traîne mon spleen à la recherche de la muse qui saura m’inspirer, mais ni Calliope, ni Euterpe ne daignent m’accompagner. Amélia et sa mélodie sans paroles attendront encore quelques jours. J’ai beau écouter en boucle sa composition, aucune image n’apparaît pour me guider. C’est peut être le synthé, j’ai horreur du synthé. Je vais lui demander de me renvoyer une maquette jouée au piano, un quart de queue, un piano droit, qu’importe, mais le vrai son des marteaux frappant les cordes. Pas cette soupe électronique qui ne peut mener qu’a un texte insipide. Il faut dire aussi que depuis le départ de Katie, je n’écris plus grand-chose de valable, et les maigres mots que j’aligne se retrouvent illico en boule, froissés dans la corbeille.
Le crachin s’est remis à tomber, froid, pénétrant. Je dois m’abriter au risque d’être trempé de la tête aux pieds. Il y a une lumière qui clignote un peu plus loin, peut-être une enseigne. Je m’approche, c’est un piano bar, le “Cosy fan tutte”. Le jeu de mot est bien trouvé, mais l’histoire de cet opéra où les protagonistes testent la fidélité de leurs épouses, me rappelle ma rupture avec Katie.
L’entrée est accueillante, une musique parvient à mes oreilles, une variation de “Due pupille amabili”, “Deux adorables yeux…” Encore Mozart et sa frivolité, à mille lieues de mon état d’esprit. La pluie soudainement glaçante me pousse à franchir le seuil.
L’établissement porte bien son nom, l’endroit est douillet. J’opte pour un fauteuil libre près du piano et commande un whisky. La musique est douce, régulière. La pianiste est habillée de noir, comme si elle ne faisait qu’un avec la couleur de l’instrument. Ses cheveux sombres et son maquillage prononcé contrastent avec la pâleur de sa peau, la rendant mystérieuse, inaccessible. Elle joue sans partition. Un instant, j’ai l’impression que ses doigts sont trop courts, comme amputés de leur dernière phalange, c’est juste l’effet de ses ongles vernis en noir sur les touches foncées du clavier. Je sirote mon whisky, l’effet des ongles qui apparaissent et disparaissent au gré de la couleur des touches me fascine. La musique est envoutante, et ressemble de plus en plus à ce morceau joué au synthé par quelqu’un… par qui déjà ? Mes idées s’embrument, l’alcool me monte à la tête, je tiens mieux que cela d’habitude ! Un stylo surgit dans ma main, je sens l’envie d’écrire mais n’ai pas de papier, tant pis pour la nappe de coton blanc. Je plante la pointe de mon Bic dans les fils…
…Je reprends conscience doucement. La lumière crue du soleil matinal perce les vitres du bar et m’aveugle. Je baisse les yeux. Le set en papier de la petite table est saturé d’écriture, mon écriture. Je tourne la tête, il n’y a plus de piano, juste un ancien juke box, plus de fauteuils mais des chaises revêtues de skaï.
Ligne après ligne, je découvre les vers que j’ai écrits.

“Avec ses ongles peint en noir
Je la trouvais belle et lointaine
Quand elle venait, comme chaque soir
Tenir son rôle de musicienne
Elle jouait, pianotait de mémoire
Posant une touche de noir sur l’ivoire.

Piano, piano la dernière note
Comme pour du Mozart
Piano, piano la dernière note
Deux croches et puis une noire, sur l’ivoire.

Le soir, prélude à sa nuit blanche
Ses ongles noirs apparaissaient
Au gré des notes, des touches blanches
Mais pour les dièses du clavier
Le bois d’ébène, le vernis noir
Se confondaient à mon regard.

Piano, piano la dernière note
Comme pour du Mozart
Piano, piano la dernière note
Deux croches et puis une noire sur l’ivoire.

Avec ses ongles peint en noir
Le long des nocturnes de sa vie
Posait les notes comme par hasard
D’une petite musique de nuit
S’égrenant, doucement, sans retard
Juste une touche de noir sur l’ivoire.

Piano, piano la dernière note
Comme pour du Mozart
Piano, piano la dernière note
Deux croches et puis une noire sur l’ivoire.

Et moi j’trainais comme par hasard
Dans un coin de ce piano-bar
A savourer ces moments rares
Ou il suffit d’apercevoir
Un contraste entre blanc et noir
Pour retrouver rêves et histoires
Et repartir un peu plus tard
Toujours seul mais plein d’espoir.

Enfin, pour clore sa nuit blanche
Elle effaçait cette encre noire
Posée au bout de sa peau blanche
Et puis laissait un peu Mozart
De côté, comme on ferme un tiroir
Plus une touche de noir sur l’ivoire”

Je ne comprends pas ce qui s’est réellement passé mais je jubile. Qu’importent les mystères, Le texte est bouclé, Amélia sera contente. Un serveur s’approche. « Votre café, monsieur. » Je ne me souviens pas d’avoir commandé quoi que ce soit mais le breuvage noir dans la faïence blanche me fait du bien.
Je sors du bar, le napperon dans la poche. Le macadam est encore mouillé. Avant de repartir, je regarde l’enseigne “Le rendez-vous des muses”. Mozart s’est éclipsé pour laisser la place à Calliope et Euterpe qui, finalement, ne m’ont pas abandonné. Je repars, toujours seul, mais plein d’espoir.


  • Pierre Fernand Taillandier

Iryna,
La pluie qui frappe mon visage me rappelle à tes larmes, celles que tu as laissées sur le quai lorsque je suis parti. Froides et tristes, elles glissent sur mes joues, s’enroulent et s’écoulent, percutent le sol en un fracas silencieux. Ces derniers jours, rien ne m’a attaché aussi fermement à l’existence que ton souvenir. Ta chevelure, tes yeux, ton rire. Je survivais, l’espoir au corps, celui de te retrouver, tes lèvres sur les miennes en idée. Je mourrai ne pas te rêver la nuit, ces si fragiles instants où il m’était accordé de me reposer. Je ne saurais résister plus longtemps désormais, la bataille a trop duré. Je crois, non. Non. Je sais que ces mots seront bientôt orphelins. Autour de moi, les géants sont tombés, abattus par le monstre qui ne veut que nous expulser.
Cette lettre que tu reçois, ma chérie, ma douce, mon amour, c’est l’ultime caresse que je te laisse dans ce monde. La bête engloutit la tranchée que nous avions creusé. Je ne peux plus, je ne sais plus me battre. Je cesse d’essayer. Dans un dernier élan de tendresse, mon fusil dort à mes côtés, las, il se repose aussi. Alors ce temps, si merveilleusement suspendu, t’es uniquement dédié. Mes mains et mon âme, épuisées, s’animent de leurs dernières forces par l’espoir que ton regard croise ce papier.
L’ogre a eu raison de moi, l’infâme m’emporte. Mais l’ogre n’aura pas eu raison de nous, seul l’amour importe. Dans les ténèbres, le calme vaincra la terreur que j’espérais t’éviter. Tu me manques terriblement, et l’endroit où je vais ne changera rien à cet effet. Ne te presse pas à me rejoindre, pourtant. Fuis, fuis, loin d’ici, le plus rapidement. Rejoins la paix et la liberté, parle, vis l’amour que tu n’as pas encore rencontré. Qu’importe la distance, je serais toujours là, proche de toi. Et quand ce sera l’heure, je t’attendrais sur le quai.
Je t’embrasse
Anatoliy


  • Siv Heigberg

Il n’était pas encore l’heure de se lever. Rien de prévue en ce samedi, mais aucune envie de quitter le lit nous avais traversé. Le soleil avait pourtant chassé mon sommeil, lui qui se réveillait si tôt en ce début de printemps. Il ne faisait pas encore si chaud que cela. Nous avions laissé la fenêtre ouverte. Je me retournais vers toi. Tu dormais paisiblement. Je venais me coller sans aucune autre intention de me réchauffer pour peut-être replonger dans les rêves que tu habitais. Le froid était pire pour me réveiller que la lumière. Je m’approchais et senti le goût de lait de ta peau. Je te serrais délicatement contre moi pour ne pas te perturber puis fermais les yeux. Là, je me sentais bien contre toi. Mes cheveux s’étaient délicatement emmêlés avec les tiens faisant un mélange bicolore que nulle autre que toi aurait eu la patience de démêler sans tirer dans tous les sens les fils s’entrecroisant. Je plaçais mon visage au creux de ton coup et venais entourer le haut de ton flanc découvert avec mon bras. Le contact me diluait de plaisir. Il n’y avait rien au monde qui aurait pu me rendre plus heureuse.
Petit à petit, je ressentis les papillons qui m’animaient en ta présence s’éveiller tandis que la vitre refléterait bientôt les rayons de l’étoile solaire dans notre direction. Je sentis que c’était la seule chance de pouvoir te voir pendant que tu dormais. Je me redressais lentement, découvrant peu à peu ton visage serein. Je me sentais première astronaute découvrant la face cachée de la lune. Une simple vision qui, en travelling, faisait ressortir tout l’amour que je portais pour toi. Une fois arrêtée, la pause gravée à jamais dans ma mémoire, je me laissai à fixer l’ombre perdre du terrain. Le faux miroir que nous n’avions fermé jouant son rôle de révélateur. Je comptais les secondes baladant ma main sur ton bras, tel un être humain, mon index et mon majeur étant ses jambes, sans appuyer pour ne pas te priver de tes songes. La peau, toute douce, laissait apparaître un fin duvet transparent. Tout en m’assurant que tes yeux restent clôt, je m’amusais de le voir se dresser après ma tendre promenade sur ta peau. Frissons que je voulais absorber.
Lorsque ta paupière fut éclairée, j’entendis le lent bruissement du tissu de l’oreiller puis je sentis ton regard dans le mien. Mon sourire te salua et tu me rendis ma présentation. Pour maintenir le silence, je mettais mon front contre ton dos, semblable à une étreinte. Tu soulevais un peu ta tête pour que j’y passe mon bras. Je viens t’embrasser, optimisant la surface collée à ta peau. Nous restâmes ainsi de longs moments. Statues de chair enlacées dans un dernier élan d’affection avant la pétrification. Nous mettions toutes nos activités à l’arrêt pour nous concentrer sur nous-même. Longtemps nous nous étions cherchées et maintenant nous avions gagné le droit de ne profiter que de l’instant où nos corps prennent le dessus sur nos paroles taisant toute résistance voulant briser le silence et permettant à nos cœurs de se synchroniser en respirant au même rythme.
Figées ainsi, nous aurions pu rester encore un long moment. Cependant, la vie nous rappelait que le mouvement était notre force. Avancer ensemble vers un endroit où nous ne serions plus jugées, insultées ou bien reniées. Nous étions obligées de bouger pour ne pas que l’on nous enterre nous croyant mortes.
Au bout d’un long moment, accompagné par mes bras, tu te retournas et vint te blottir contre moi. Tu demandais un temps encore d’accalmie. Je ne pus te le refuser. Tes jambes entourant les miennes, je te tenais dans mes bras, caressant le haut de ta tête pour te consoler. Je n’avais jamais senti mon cœur battre aussi fortement et rapidement. Les coups étaient si forts qu’on aurait pu voir ma peau rebondir à chaque battement. Dans ces étreintes langoureuses nous nous rechargions en énergie pour affronter le quotidien de deux parias, rejetées uniquement du fait de leur amour. Alors que nous n’avions aucune autre prétention que d’exister parmi le monde qui nous avait été offert à notre naissance.
Tu resserrais un peu ton corps contre le mien voyant que le temps fuyait plus vite que nous le voulions. Le jour quittait notre lit pour aller se perdre sur notre bureau d’écriture. Quatre mains racontant mondes et merveilles dans des histoires plus passionnées les unes les autres. Il était pourtant l’heure et tu le savais. Délicatement, tu enlevais la pression qui restreignait mes mouvements, déterminée à nous nourrir en ce début de journée. Tu étais déjà redressée, prête à partir lorsque ma main se posa sur ton poignée dressé, repoussant le matelas. Ne voulais-tu pas rester encore un peu ?


  • Patricia Forge

Petite musique du bonheur
Il pleuvait sur Paris.
Comme il pleuvait sous ton parapluie.
Je me suis assise près de toi,
Sur ce banc… à proximité d’un vieux lilas,
Doucement je t’ai murmuré,
De faire une pause, de respirer.
Si dans la vie et ses tumultueux chemins,
Il y a souvent des moments chagrins,
La nature qui nous entoure,
Nous dévoile sans détours,
Que le bruit de la pluie,
Est l’espoir de nos envies.
Sa musique est un cadeau,
Qui efface les lourds fardeaux.
Après la pluie, le beau temps,
Jette tes idées sombres au gré du vent !
Abattu, tu m’as regardé,
Un sourire sur tes lèvres s’est dessiné,
La pluie jouait un doux clapotis,
Une musique douce de la vie.
Un rayon de soleil s’est dévoilé,
Un arc en ciel s’est dessiné,
Et dans une petite flaque à tes pieds,
Ton regard et le mien se sont aimés.
Une pause dans un jardin,
La pluie comme un parfum,
Sa musique pour l’éternité,
Unira nos destinées.


  • Marie-Christine Legrand

Pause onirique
Le drap de soie froissé exalte un subtil parfum de corps.
Allongée de côté, elle semble assoupie.
Sa joue délicate, veloutée, se fond au tissu de soie rose poudrée.
Et ses lèvres rosies laissent filtrer un souffle de bonheur.
Temps de pause, une pause de sérénité où s’échappe un soupir de bien-être.
Une douce mélodie flotte dans l’air.
Elle s’élève au-dessus de l’homme à côté.
Et l’homme en toute quiétude s’est lové près de son dos,
Scellant ainsi un pacte d’amour.
Avec son buste viril et charnel niché au creux de ses épaules
Il l’épouse d’un bras protecteur,
Liant ainsi leurs mains d’une douce complicité.
D’un bref silence, la note musicale reprend sa portée.
Soulève avec elle les pensées de l’homme assoupi.
Elle les guide en interceptant celles de la jeune femme.
Pause.
Leurs pensées captées flottent et se mêlent.
Elles sont suspendues au-dessus de leur corps le temps d’un silence.
Soudain, la musicalité s’étiole.
Le tempo prend de la vitesse.
Telle une chevauchée fantastique, il les dépose sur un sable doré.
Elle, sur un alezan, cavalcade cheveux au vent.
Lui sur un Marwari calque son allure d’un sourire insouciant.
Rien ne les éclabousse.
Mais au loin l’orage gronde.
De sombres cumulus en flottaison au-dessus du volcan,
Assombrissent le ciel aux palettes de gris-noir.
Le volcan rugit et fait trembler ses pentes d’émeraude.
Ses pulsations ondulent jusqu’à la plage.
Et le sable se colore de grains sombres.
Les chevaux ressentent les vibrations d’un danger imminent.
Danger, qu’elle et lui fixent au loin dans les tourments du ciel et de la terre.
Leurs montures angoissées ralentissent l’allure.
Instantanément le silence s’impose.
Elle, cherche le regard de son aimé.
Lui a lâché son insouciance et laissé place à l’inquiétude.
Soudain, c’est le BOOM !
La terre a craché ses entrailles de rouge sang et de feu.
Leurs silhouettes sont projetées dans les airs tels des ballons en flottaison.
Raccrochés, emportés par la portée musicale et son tempo effréné,
Ils sont guidés vers la quiétude de leur assoupissement.
Où leurs corps emmêlés par la tiédeur des draps froissés se réveillent à terre
Au son d’une douce mélodie.


⭐ Inspiration n°2

  • Tuy Nga Brignol

Un concept appelé « Effet papillon »
Dans les années 1960, le mathématicien et météorologue Edward Norton Lorenz a découvert que de minuscules changements d’échelle de papillon au point de départ de ses modèles météorologiques informatiques pouvaient tout provoquer, du ciel ensoleillé aux orages violents,
sans aucun moyen de prédire ce que pourrait être le résultat. En clair, de minuscules
changements au sein d’un système complexe conduisent à des résultats impossibles à prévoir.
D’après ce concept, même la plus petite de nos actions peut provoquer des vagues modifiant le cours des événements dans le monde. Dans un système complexe et dynamique, l’effet papillon est la dépendance sensible aux conditions initiales. Un petit changement peut entraîner des effets importants et imprévisibles au fil du temps. L’effet papillon peut fonctionner dans les deux sens, négatif ou positif.
D’un point de vue métaphorique, tout ce que nous faisons affecte l’ensemble. Toute impulsion énergétique affecte l’univers entier. Nous nous affectons nous-même les uns les autres. Notre vie peut influencer plus ou moins la Conscience Collective. Nous vivons dans un monde où tout est interrelié et connecté. Une infime modification des conditions initiales peut engendrer des effets très importants. Tout dans la nature a son propre cycle d’évolution que ce soit à l’échelle humaine, animale, végétale ou terrestre. Tout se métamorphose en permanence mais à des échelles de temps et d’espaces très variées.
La Conscience Collective est la poubelle de la conscience globale de notre espèce. Le pouvoir de notre conscience est incroyable et nous n’avons aucune idée de son pouvoir étendu. La poubelle est en soi une bonne chose. C’est l’endroit où les choses terminent leur vie et sont recyclées en quelque chose de nouveau.
Par ces temps de chaos, nous pouvons choisir de changer notre registre intérieur. C’est un chemin qui est en nous. D’après une citation de Lavoisier sur la conservation des masses lors du changement d’état de la matière, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.
Par nos regrets et nos propres désirs, nous avons différentes façons de voir la réalité. C’est un type de connaissance que nous pouvons acquérir en expérimentant et en suivant un lent processus de transformation. Cela fait partie du processus d’ouverture et d’éveil. Il faut du temps, de la patience et de la persévérance. Suivons simplement notre chemin naturel et cela viendra.
De même, un petit acte de bienveillance, un simple sourire ou des vibrations positives que
nous émettons peuvent avoir un effet exponentiel dans un autre endroit où nous pourrions ne
jamais être témoins. Ces choses et gestes apparemment sans importance sont comme l’effet
papillon. Les petites choses comptent et nous sommes tous connectés à un système plus vaste.
Faire pulser notre rayonnement et nous serons surpris de l’effet papillon produit, tout d’abord en nous, puis autour de nous. Peut-être avons-nous un rôle au-delà de ce que nous pouvons nous imaginer ?


  • Delphine Fontaine

Je sais pas, je sais plus, je suis planté au bord de ces rails, je fais le funambule. Mes croquenots sont tout dépenaillés, ma chemise trempée sort de mon pantalon étriqué, mes mains sont en sang, enfin, j’exagère, elles sont juste griffées par les barbelés. Je sais pas où j’ai passé la nuit, j’ai mal à la tête, ça me serre comme un étau, je m’allonge sur les rails, ça me fait mal à la nuque, je roule mon paletot en boule, je crois que j’ai déjanté, que je suis sorti du chemin. Lequel ? Je m’en souviens plus. Je me remets debout, je délace ces godasses éculées, et puis j’écarte les orteils. Une véritable infection. Je retire mes chaussettes ; des trous aux talons. Mais bon sang, je sors d’où ? C’est pas mes habits, je réalise que c’est pas mes habits. On m’a piqué les miens, ça y est, je me souviens maintenant. J’étais en costard, je vois ma mallette, là-bas, mon attaché-case, défoncé. Je cours, je m’entrave, je tombe le nez dans le cuir. Mon portable, écrasé, aplati ; mes dossiers, déchirés, rassemblés, mal pliés dans la besace. J’allais à une réunion, c’est ça, ça tourbillonne dans ma tête, ça tambourine, j’essaie de recoller les morceaux des souvenirs, mais pas moyen. Ça arrive par bribes. Je comprends pas, je comprends pas ce que je fais sur ces rails déserts, herbeux. D’un seul coup, ça sort des buissons, ça m’attrape, ça matraque. Qu’est-ce qu’ils me veulent, enfin ? Je gueule, je prends une mandale, je m’affale sur le sol, j’ai juste le temps de sentir ma bouche saigner et ma lèvre exploser. Noir. Et puis blanc. Trop de blanc. Des bips, des néons, des fils, des tubes transparents, des gouttes, une seringue géante. Ouah ! Je m’écarte, c’est quoi ce cirque ? J’appelle :
— Ouh ouh ?
Le drap voisin répond d’un air étouffé :
— La ferme !
Je gueule :
— Je suis où, là ?
— A l’hosto.
— Et je fais quoi ?
Un grand rire lugubre :
— J’en sais rien.
— Tu m’as vu arriver ?
— Ouais.
J’essaie de me hisser sur mes coudes, mais pas moyen. Je m’affaisse, entreprends de gémir ; le voisin rejette ses draps, se plie en deux :
— Mais bon sang, tu vas pas la fermer, ta grande bouche !
Il plante ses yeux globuleux dans les miens, me postillonne à la face, alors je m’enfonce dans mon lit, me mets à sangloter. Mes épaules s’agitent, me font un mal de chien. Le gars sonne :
— Tu l’auras bien cherché !
Des femmes masquées, emblousées, s’amènent. Tout un lot de bonnes amies en tenue bleu glaciaire. Deux me prennent par dessous les bras, une ouvre la porte-fenêtre, et hop, je tombe dans les ronciers, trois mètres en dessous. Je me redresse, en sueur, je suis dans un lit.
— T’as pas fini, non ? Ça maronne à côté de moi.
J’écarte les draps, et là, je découvre un rang de bigoudis planté sur un col de chemise de nuit. Ma femme !
— C’est toi, Clothilde ?
— Ben qui tu veux que ce soit ?
— J’ai bougé ?
— Un peu mon n’veu ! T’as fait la samba toute la nuit !
Elle allume la lumière, se tourne vers moi :
— Vivement que tu l’passes, c’t’entretien ! J’en ai marre des nuits que tu m’fais passer !


  • Jean-Charles Paillet

Ambiance mineure pour un musicien

22 heures 07 unique son
dans la chambre noire un temps
la régularité des battements
d’un cœur en solo

23 heures 13 soupirs et pleurs
des larmes doubles triples
se “des croches” des yeux
accords brisés

23 heures 33 pause souvenirs
le Sol se dérobe
elle n’est plus La
si seulement…

02 h 21 nuit blanche
pâle figure double souffrance
son amour sa ronde des sens
n’est plus à portée

Des bémols dans sa ligne de vie

Le ton est imposé
la partition jouée d’avance
il n’y aura pas de surprise
elle lui a tourné le Do


⭐ Inspiration n°3

  • Sandrine Drappier Ferry

Deux œufs à la coque
Bien sûr, ils diront que je n’avais aucune raison de partir. Bien sûr ! Avec un si bon mari ! Directeur dans une banque ! Et une grande maison avec un bel extérieur et même des jeux d’enfants abandonnés juste avant la clôture du voisin. « C’est sûr, ils n’ont pas de problèmes d’argent, eux ” penseront-ils ! Deux enfants, ce n’est quand même pas si fatiguant que cela. Alors, oui, il y a une maison à tenir. Des repas à préparer. Du linge à nettoyer. Ce n’est quand même pas trop demander que de s’occuper du train-train quotidien. Et en récompense, des vacances à la mer en été et au ski en hiver. Je sais qu’ils disent cela quand ils me croisent dans la rue. « Elle fait toujours la tête, la femme du banquier. Comme si elle ne nous voyait pas. Dans ses habits sinistres, ce tout petit corps, cette fragilité en elle ». Ils ont raison. Je ne suis pas très aimable, pas le genre de femme à copiner avant que les enfants ne sortent de l’école. Ni après d’ailleurs. Mais ont-ils seulement cherché à comprendre ? A regarder plus loin que derrière le voile des apparences ?
Je m’appelle Isabelle Dumain. J’ai trente-huit ans. Un mari directeur de banque. Deux petits garçons. Pierre, sept ans, l’aîné. Il a grandi trop vite. C’est un petit garçon silencieux. Trop sérieux même, avec un regard froid. Qui obéit au doigt et à l’œil à tout ce que dit son père. Louis a deux ans de moins que Pierre. Il est moins sérieux. Quelques sourires transforment son visage, quelquefois.
Je me lève à six heures du matin chaque jour. Je vais dans la cuisine préparer le petit déjeuner de mon mari. Deux œufs à la coque. Des tartines de pain grillé. A six heures trente, je l’entends descendre l’escalier. Je dépose l’œuf dans le coquetier. Le pain dans la petite assiette, à droite de la tasse à café. Je m’assois sur la chaise en face de lui. Il entre et s’assoit devant moi. Trempe la première mouillette dans l’œuf. Mange en silence.
Puis — chaque matin c’est pareil — il lève les yeux dans ma direction. Des yeux froids. Des yeux à me glacer le sang.
— Il manque dix dixièmes de secondes. Avec un peu plus d’attention et de patience, tu aurais pu me faire des œufs parfaits.
Il manque toujours une infinité de petites secondes ! Alors, il reculera l’assiette sur la table. Il se penchera sur moi, attrapera ma tête, sa main agrippée fermement à mon crâne. Je sentirai ma colonne vertébrale s’allonger jusqu’à ce qu’elle touche le plafond de la cuisine. Et durant ce minuscule temps avant qu’il ne saisisse mes cheveux, juste avant que ma tête ne cogne la table, je me préparerai à ne pas crier pour ne pas réveiller les enfants, parce qu’ils n’aiment pas quand je pleure ni quand je dois lui demander pardon.
Il me laissera à moitié assommée sur la table et se lèvera. Prendra les habits que j’ai repassés la veille au soir et que j’ai posés sur la chaise dans notre chambre. Il ira se doucher puis réveillera les garçons. Pendant que je sécherai le sang sur mon front, que je referai cuire deux œufs à la coque, j’entendrai les enfants rire avec lui. Et quand ils descendront l’escalier, je me hâterai d’essuyer la table. Il a horreur de la moindre miette dessus.
Les petits s’installeront dans la cuisine sans me dire bonjour. Ils n’en ont pas le droit. Après leur petit-déjeuner — céréales pour Louis, œufs pour Pierre, “comme papa” — il s’occupera d’eux, mon si «bon » mari ! Les débarbouillera, les habillera et les conduira à l’école.
Après leur départ, je m’habillerai rapidement. J’ai une heure trente pour me préparer, faire les courses, revenir avant qu’il n’appelle. Toute ma journée réglée ainsi, selon son bon vouloir, ses contraintes, ses tortures. Et le soir, ses punitions !
Ce matin, je suis montée dans le bus qui me conduit au supermarché et, là, je me suis dit que ce n’était plus possible, que cela devait arrêter. J’ai crié « stop » et j’ai sauté hors du bus, hors de ces années de brimades. J’ai couru jusqu’à l’école, j’ai essayé de dire calmement à la maîtresse que je devais reprendre Louis suite à un décès dans ma famille. Mon fils m’a regardé et m’a souri. De ce petit rictus qu’il ose quand il sait que personne ne nous regarde. Et je lui ai souri aussi.
— Viens, mon grand, on se dépêche, on va chercher ton frère
— Oui, maman, tu sais j’ai des grandes jambes
Et j’ai compris qu’il savait ce que je m’apprêtais à faire. Que peut-être, du haut de ses tous petits cinq ans, il attendait ce jour. Très vite, j’ai pris sa main, je lui ai fait un baiser, le premier depuis bien longtemps et je lui ai dit « mon chéri » et nous avons couru à perdre haleine.
J’ai donné la même excuse à la maîtresse de Pierre. Mais mon aîné ne m’a pas souri. Il a levé les yeux vers moi et j’ai cru voir son père. Ses yeux froids qui me glacent le sang. Mais il nous a suivis docilement.
A dix heures trente, nous avons poussé la porte d’un foyer qui venait en aide aux mères et aux enfants en danger. La dame qui nous a reçus était vêtue d’un tailleur strict et d’un chignon impeccablement serré sur les tempes. On aurait dit une directrice d’orphelinat et sans la main de Louis serrant la mienne à la broyer, je ne sais pas si j’aurais eu le courage de rester dans la pièce.
— Vous avez été au commissariat ? Vous avez déposé une main courante ?
J’ai dit non. Je sais comment cela se passe. Je sais qu’une fois sur deux on ne croit pas la mère. Et mon si bon mari ne m’aurait jamais laissé de deuxième chance.
— Vous devez m’aider.
J’ai imploré. Louis collé à moi. Ses petites mains contre ma taille me donnaient de la force et j’ai regardé Pierre en lui souriant à travers mes larmes.
— Ça va aller mon grand, ne t’inquiète pas.
Il ne m’a pas souri. Il a regardé la dame du foyer. Longuement. D’un regard perçant à glacer le sang, puis il a dit :
— Mon papa est très méchant avec maman.
Et du haut de ses sept ans, il a raconté toutes ces années de brimades, toutes rangées dans son cerveau d’enfant, toutes une à une ressorties sans pleurer. Comme si son cerveau était un ordinateur où il avait tout consigné. Date par date, années après années. De ses tous premiers souvenirs au petit-déjeuner de ce matin.
Il a dit cela d’une petite voix maladroite. Une petite voix à qui l’on a interdit de parler et qui, s’affranchissant de cette injonction, peine à trouver son équilibre. Mais il n’a pas flanché. Méthodiquement, l’un après l’autre, il a vidé tous les tiroirs. Alors, la dame du foyer a pris son téléphone et quelques minutes plus tard, une officière de police est entrée pour prendre nos dépositions.
Il fallait quitter le lotissement, la ville. Se recréer une famille à trois. Laisser les mots, les rires refranchir nos lèvres sans peur, sans crainte. Réapprendre à être des enfants, une maman. Nous avons loué un petit appartement au bord de la mer pendant cinq ans.
Demain, mon mari sortira de prison. Demain, il se mettra à notre recherche. Tout est prêt pour notre déménagement. Alors, ce matin, je suis descendue dans la cuisine. J’ai préparé les céréales et deux œufs à la coque. J’ai grillé du pain. J’ai réveillé Louis qui s’est jeté dans mes bras. Pierre nous a rejoints quelques minutes plus tard. Il a levé ses grands yeux froids sur moi et m’a dit « cela va être une belle journée ».
— Oui, mon grand, cela va être une belle journée.
Après le petit-déjeuner pris en commun, nous avons été nous habiller. Toutes nos affaires étaient déjà rangées dans la camionnette. Les enfants ont pris leurs sacs à dos, moi mon sac à main.
Juste avant de partir, j’ai déposé sur la table, une enveloppe sur laquelle j’ai écrit « Pause ». La même que celle laissée cinq ans plus tôt sur la table de notre si belle maison.
Pierre m’attendait à la porte. Il m’a tendu sa main pour la première fois en me souriant. Puis, il m’a dit :
— Tu sais, je crois que je n’aime plus les œufs !


  • Marie Thomas

Anne-Marie se réveilla, comme chaque matin depuis quatre-vingts ans. Depuis quelque temps, elle se sentait différente. Une sensation de flottement s’emparait d’elle, un état d’inconscience qu’elle ne parvenait pas à définir. Elle fit le tour de sa maison, ce foyer qu’elle avait pris soin d’entretenir depuis tellement d’années. Anne-Marie n’avait rien d’une ménagère, pourtant elle savait faire en sorte que les gens se sentent chez eux dès qu’ils franchissaient le pas de la porte. Elle avait en elle ce que peu ont : une chaleur humaine naturelle. Même lorsqu’elle n’était pas dans sa demeure, elle était la personne dont on recherchait la compagnie. Bien qu’habitant avec son mari, qui avait choisi de vivre presque en ermite dans ce qu’il appelait son « bureau », c’était elle la maîtresse de maison.
Anne-Marie, du haut de son âge avancé, n’avait rien de conventionnel. Professeur d’espagnol de profession, elle avait pris sa retraite il y a bien des années. Ce qui aurait permis à n’importe qui de faire une pause dans l’exercice de ses fonctions mais elle n’en fit rien. Sa passion pour l’enseignement l’avait rattrapée et elle avait choisi d’organiser des cours hebdomadaires à son domicile. Pourtant, la vie d’Anne-Marie était en relâche.
En décembre, elle avait appris la présence d’un corps étranger en elle : un cancer. Ce qui aurait dû la foudroyer fit place un état nouveau, proche de la résilience. Elle avait accepté sa vie et avait compris qu’elle avait eu ce qu’elle souhaitait. Ayant donné naissance à quatre enfants, qui eux-mêmes lui apportèrent neuf petits-enfants, Anne-Marie était passionnée par l’amour qui l’entourait. Cet état affectif intense était son guide et son moteur pour sortir de son lit, à l’aube, chaque matin. Mais ce matin-là, son rituel pourtant bien établi n’était plus. Tout ce qu’elle parvenait à faire, c’était d’arpenter son domicile et de vérifier si chaque chose était bien à sa place. Elle observa longuement son mari qui avait fini par trouver le sommeil à une heure avancée de la nuit. Elle constata également une présence dans la chambre des petits-enfants. L’un d’eux avait choisi de rester auprès d’elle.
Au fur et à mesure de la journée, elle constata que des gens allaient et venaient chez elle. Elle ne comprit pas ce que faisaient là toutes ces personnes avec une mine attristée, les échanges de condoléances qui pleuvaient et les larmes qui coulaient le long des joues tel des ruisseaux venant de naître.
Elle était toujours là mais c’est comme si personne ne la voyait. Elle fut saisie par une nuance à laquelle elle n’avait pas songé : son corps était là, parfaitement immobile et attirant tous les regards mais son esprit était toujours présente. Ses tentatives de communication furent perçues par certains, ce qui la rassurait. Elle comprit alors qu’elle avait pris une pause dans sa vie, avant d’être accueillie ailleurs. Elle ne savait pas où elle allait, mais elle avait la certitude que tout aillait bien se passer.



  • Ma participation, hors concours, sur l’inspiration n°3

La note vibre dans les os qui l’écoutent, mélancolie d’instruments chargée de poésie élémentaire. Quelques touches d’ivoire actionnées pour ressentir, transmettre, frémir… pour rythmer la respiration qui s’interrompt à l’instant où le silence revient, apnée musicale, moment suspendu au-dessus du monde. Un autre univers s’ouvre, espace éthéré dans lequel les âmes parlent en se frôlant, les coeurs battent à l’unisson, métronome d’une dimension parallèle accueillant nos espoirs et nos envies. Une atmosphère d’amour, d’amour pur, d’amour simple.


Merci à tous pour vos participations et lectures !

A bientôt 💋

2 réflexions sur “Participations au Rendez-Vous des Plumes – Mai 2023”

  1. 2 oeufs à la coque
    j’adore. très bien écrit, l’histoire dont on se doute, mais qui révèle tout le drame, l’effroi, le trouble, la terreur sous jacente.
    magnifique récit

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