Bonjour à tous 😊
Je vous présente les participations du mois de mars du Rendez-Vous des Plumes, rythmées par les notes de piano des inspirations soumises lors de l’appel à textes posté il y a deux semaines. “02:05” était le guide de ce thème tout en envolées mélodiques, parfois pleines d’entrain, parfois plus nostalgiques… découvrons ensemble ce que ces mystérieux chiffres accompagnés d’une ambiance musicale ont invité chez nos participants !
Les textes ne sont relus qu’au moment de leur publication, et ce uniquement dans le but de vérifier qu’ils ne contreviennent pas au règlement de l’atelier d’écriture. Si le cas devait se produire, le texte ne serait tout simplement pas publié, sans autre recours possible de son auteur. La Petite Boutique des Auteurs n’est pas responsable des coquilles, fautes d’orthographe, syntaxiques ou grammaticales éventuellement présentes dans les textes qui participent au Rendez-Vous des Plumes.
Amelia
Merci d’en prendre note avant lecture.

· Texte de L. Gagnaire ·
La photo
Des heures qu’il tournait en rond, en ce quatorze avril. Il regarda sa montre. 02 heures 05. Enfin, quatorze heures cinq. Un appareil photo entre les mains, son regard se promenait partout à la recherche de l’élément qui pourrait faire partie de son prochain livre. Peut-être était-il trop perfectionniste, mais quoi qu’il en soit, il n’arrivait pas à trouver la perle rare. L’odeur iodée que ramenait les vagues ne l’inspirait pas davantage. Il se tourna vers l’étendue d’eau. Une histoire lui revint en mémoire. Celle que son grand-père avait raconté au cours d’un dîner.
Je me souviens d’une île, dans le golfe de Gascogne. D’une petite île. On y avait passé un de nos étés, pendant les vacances scolaires. On avait loué un petit gîte, sur cette île. C’était quand on était petit. Je me souviens d’une escale sur cette île et une autre dans le port de Lorient. Moi, le citadin, habitué aux grands immeubles et au béton, me voilà face à l’océan. Nos parents avaient décidé de nous emmener naviguer, découvrir le littoral. Ils pensaient que ça nous ferait du bien, le grand air, la découverte de quelque chose de nouveau, que l’on ne connaissait pas, de la nature. Quand je dis nous, je parle de moi et de mes sœurs. On avait embarqué sur un grand bateau, style croisière fluviale ; avec plusieurs personnes à son bord, que l’on n’avait 1 jamais rencontré avant. Le bateau proposait deux escales par journée. Il y avait une dans la matinée et une autre dans l’après-midi. A mon âge, quinze ans environ (si j’ai bonne mémoire), j’étais encore fasciné par les histoires de pirates et de celles de navigateur. Découvrir un territoire inconnu, quelle aventure. Le matin, on avait parcouru de longs en large la petite île où l’on était arrivé. C’était marrant pour nous. On passait de la douceur des plages sablonneuses à la force des falaises et des rochers. Le fracas avec lequel les vagues entraient en contact avec les roches m’en imposait. J’étais presque terrifié par une telle démonstration de force. J’avoue qu’elle me faisait un peu peur, cette étendue d’eau. Il y avait quelque chose d’imposant, si près de l’océan. Je me souviens du port de Lorient. On avait longtemps regarder les bateaux de retour de la pêche ou même ceux avec les gros porte-conteneurs. Mais malgré tout, malgré l’eau, les vagues, l’odeur iodée, le vent dans nos cheveux, le sable dans nos chaussures, les récifs et les rochers, ce dont je me souviens, c’est de Maëliss. Une jeune fille avec de longs cheveux bruns, raides et des yeux marrons. Elle avait le même âge que moi, Maëliss. Sa peau était pâle malgré le fait que nous étions en été. Je me souviens qu’il faisait soleil, ce jour-là, quand pour la première fois, je l’ai rencontré. Je n’osais pas lui parler. Je n’osais pas aller la voir. J’étais intimidé par elle, tout comme par l’océan. Je lui trouvais une certaine ressemblance avec l’étendue d’eau. A la fois calme, douce, apaisée et sereine, elle pouvait sans prévenir changer d’humeur et se faire terrifiante, sûre d’elle et forte. Elle venait de Lorient, Maëliss. Peut-être que c’était le lieu qui faisait ça, ou alors les vacances. Quoi qu’il en soit, c’est elle qui a fait le premier pas. On est devenu amis. Tout les deux. Ça s’est fait si rapidement, ça fait si simplement que j’en suis encore étonné aujourd’hui. On partageait les mêmes centres d’intérêts. Et puis, au fil des vacances scolaires, on s’est rapproché davantage. On est devenu un couple. On ne se quittait plus. Et maintenant, on est marié. C’est drôle, la vie, quand même. Je l’ai rencontré au cours d’une escale dans un port et c’est comme si elle-même avait fait escale dans ma vie pour ne plus jamais en sortir, pour ne plus jamais en partir. La vie c’est comme une boite de chocolats, on ne sait jamais sur quoi l’on va tomber.
Ses enfants et ses petits-enfants, tous réunis autour de la table, l’écoutaient avec tellement d’attention. Le discours de leur papy fut terminé par un baiser entre le vieux couple. Un sourire s’étendit sur ses lèvres au souvenir de ce jour-là. Il avait tellement aimé l’histoire de son grand-père ; sur sa rencontre avec sa grand-mère. Ça avait bercé toute son enfance. D’autant plus qu’ils les avaient toujours vu heureux, jamais un mot plus haut l’un que l’autre. Ils se souriaient toujours et s’entendait bien. Pourtant, ils avaient été mariés longtemps, même très longtemps ; si longtemps que personne n’aurait été capable de dire depuis combien d’années. Évoquer les vieux souvenirs, c’est ce qui l’avait fait devenir photographe. Toute la famille aimait souvent se réunir autour de la grande table de la salle à manger pour regarder des photographies de la jeunesse des grands-parents ainsi que des parents. Et lui, il appréciait plus que tout les émotions qu’il voyait, qu’il devinait ; la force d’un instant capté pour longtemps sur du papier glacé. Il se tourna vers l’océan, ajusta son appareil et regarda et l’objectif. C’était le moment idéal pour prendre sa photo. Une vague violente vint frapper le phare. Une tempête se préparait et il saisit l’instant où l’eau rentra en contact avec la bâtisse. La vague était tellement grande, comme se mesurant au phare lui-même, pour rappeler à l’homme que la nature a conservé tout ses droits et toute sa force. La photo fut parfaite ; un souvenir à ses grands-parents.

· Texte de Noah ·
Une feuille, un maillon dans la chaine, le fruit d’une volonté. Elle qui nait au printemps recroquevillé comme timide devant le soleil qui lui donne tant, s’ouvre au monde peu à peu. Pleine de ses nervures, elle prend forme, copiant les voisines, retraçant son identité. Pourtant elle se teinte de ce vert unique que rien ni personne ne peut imiter. Ses craquelure, cicatrices et blessures, marque de sa vie, preuve de sa résolution face à l’adversité devant qui elle n’à jamais ployé. Mais il y à en se monde une limite à toute existence, son âge l’embrunie, elle qui était si fier de son vert dans la fleur de l’âge. Morose, la feuille perd peu à peu sa voute de vue, se courbe et regarde envieuse les brins d’émeraude qu’elle avait vu naître sous ses pieds. Le froid et les vends avait eu raison de ses sœurs, lui faisant goutter une affreuse solitude, à tel point qu’elle se demandais ce qui la retenais à sa vie. C’est alors que dans la lumière automnale d’un soleil qu’elle avait tant admiré, un souffle délicat vient cueillir ses dernières forces, dans une dernière danse avec la brise. Et oui ainsi que tous ses semblable, cette simple feuille, à la vie bien remplis, accueillait ses derniers instants avec le sourire, ravie de les passer en compagnie de son ciel adoré.

· Texte d’Emmanuel Brasseur ·
La première nuit
Je vois la lumière. Rien ne bouge. Un ange survole la ville. Son chant se glisse dans les ruelles et les caniveaux scintillent de mille accords. Les rats flamboyants défient la misère et offrent un buffet à tous les sans-abris. Ils se comptent par milliers depuis la guerre et nombre d’entre eux trainent autour de la gare de l’Est.
Le chérubin n’est pas venu seul, les étoiles se répandent sur les pavés. Les humains survivants avancent en demi-lune. Les pieds frappent le sol. Je les accompagne. Le tambour macadam vibre sous leurs à-coups. Les corps se penchent, se rallongent, roulent et sursautent. Les bras forment des nœuds que l’émotion tente de défaire. Pourtant, rien ne presse, la nuit ne fait que commencer. Il reste encore deux minutes et cinq secondes. Les loups ne se sont pas montrés et personne ne viendra arrêter leur danse. Les cœurs chantent et les chimères se déplient. Les hommes et les femmes se rapprochent. Ils ont quelque chose en commun que j’ai du mal à saisir. Leur cohérence m’échappe. Je suis perdu. Isolé. Je dois pénétrer, m’intégrer au groupe. Une fille me tend la main. Elle porte un manteau lumineux. Elle sourit. Elle est une couleur. Rouge.
Je saisis son invitation et perds délicieusement le contrôle de mes mouvements. Je suis libéré. Je change de rêve. Je décolle. Je m’élève dans la farandole. Les cœurs triomphent et l’espoir plane.
Par mégarde, je lâche la main. Le vent me repousse violemment. Trop vite, je m’éloigne malgré moi. Quand te reverrai-je ?
La seconde nuit
J’entends la vibration du diapason. Le son s’amplifie dans la forêt profonde. La résonnance persiste et devient agressive. Mes tympans saignent et les loups me tournent autour. L’odeur écarlate les a attirés. Ils sont affamés. La clarté sombre et se déchire en lambeaux sournoisement. Sans crier gare, la peur et ses alliés me prennent par traîtrise. Je m’enfuis en courant. Je trébuche. Je m’écorche. J’ai du mal à respirer. Les bêtes tournoient. Elles grognent. Je panique. Il y a, à quelques mètres devant moi, une fine corde d’acier, je sais qu’il me faut l’atteindre et tirer dessus pour mettre fin à ma terreur, mais il ne m’est pas possible de m’en approcher. Je piétine. Je m’enlise. Les tueurs restent derrière moi. Les crocs brillent et la bave dégouline en lames acides.
Je vois passer la main, elle entre dans mon rêve. Le rouge sur les ongles, voilà comment elle est. Ses doigts se posent sur les touches d’un piano droit. Chaque note allume un astre. La voûte nocturne se transforme. Les arbres s’inclinent un à un et les loups s’apaisent, puis s’endorment. Je retrouve la liberté de mes mouvements. Je saisis la cordelette métallique et une légère pluie se met à tomber. Les étoiles deviennent mélodie. Elles virevoltent et viennent s’accrocher à un fil invisible. La guirlande illumine un trompettiste. Son instrument projette des reflets d’or et ses trilles ricochent sur les gouttes d’eau. Toute l’immensité carillonne.
La troisième nuit
J’erre dans le noir, mais je n’ai qu’à tirer sur la chaînette pour que la splendeur envahisse ma fantaisie. Je réalise que trois fois j’ai vu les lumières et qu’elles s’accompagnaient toujours de musique. La vie, c’est comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber. À cet instant, des fleurs se mettent à chanter. Leurs voix suraiguës susurrent une mélopée étrange. Près de la chorale florale, les loups dorment. Je pense à Rouge. Je voudrais rejoindre son mirage. Le mien, sans elle, ne me mène nulle part.
Un homme se tient droit devant moi. Il a l’air d’un sage asiatique.
« Pourquoi souhaites-tu changer de songe ? me demande-t-il.
— Pour rejoindre Rouge.
— Et que feras-tu dans le rêve d’une autre ?
— Je partagerai l’émotion, laisserai circuler la beauté et lui offrirai mon étoile.
— Crois-tu qu’elle t’attend ?
— Je l’espère, sinon j’en mourrai.
— Et les loups ?
— …
— Ils font partie de ton fantasme, ils vont te suivre. Le résultat peut-être désastreux.
— Ne peuvent-ils pas rester ici ?
— Où tu seras, ils seront aussi.
— Alors faut-il qu’ils demeurent féroces ? Je peux les amadouer.
— Tu peux essayer. »
Indécis, je regarde les loups. Les fleurs me chantent la solution. Pour ne pas les réveiller, les délicates continueront leur récital. Tant que la complainte survivra, les bêtes demeureront tranquilles.
J’arrose les belles et leur prépare un somptueux jardin. Puis, je cherche Rouge. Je vois ses ongles, je sens sa peau. Elle prend ma main. Je ne sais plus si nous sommes dans mon rêve ou dans le sien, mais je sais qu’elle veut danser encore.

· Texte de Jean-François Joubert ·
Absence !
Le feu mère de la terre, le sang de nos champs, l’ère glaciaire, et les tyrannosaures qui tyrannisent les moustiques, ça pique ! Aujourd’hui, la zone de l’ozone s’en va, et les chevaux perdent leurs crinières… Un dauphin sur la lune et trois quatre mains sur un piano, ces sons qui dansent quand je panse mon antre, ma maison. Je peine dans la nature à lever mon colon, loin des indiens ocre rouge, tiens un poisson, il parle de sa ville d’Ys, de son château de sable, des platanes, du varech, de la crotte du poison toxique des bidons ville. Sur un trottoir, je marche affolé par le théâtre, la scène qui me fuit, et la pluie acide qui régie le terrain vague. Une vague se lève aussi sensible qu’un soleil, le phaéton garde la lumière de nos cœurs, l’entraille de nos vies, celle de nos envies, je rêve d’un monde où la souris ne court pas dans un labyrinthe mais joue à l’accordéon. Place de la liberté, j’avance, mes pas sont pénibles et mes reins pètent sous le poids, la masse de la barbarie. Le mal se mêle petite pelote de laine, une couverture de soie, et mon regard court sur le dos des nuages, je ne compte pas mon âge, dérisoire. Je pense à l’histoire, au gourdin, au consanguin, au village, à la grotte, au temps où l’ours mangeait ma main, et personne ne le nourrissait pas même une abeille, il dormait. Parfois, je voudrais oublier et ne voudrais comprendre que l’étincelle de ton visage d’ange serait mon plus beau cadeau. Parfois, je plonge mes dents de requin dans un marais salant, le sel de l’amour, chute, je me marre comme ce canard en sucre ; légère anguille aphrodisiaque, un paradis qui sort de l’enfer, le chemin de fer me lancerait sur ta route, pas à Beyrouth, ni à Brest sous les averses de bombe atomique au talent sulfurique. Je sens, ton front, ton froid, ta vie, ton enfant sensible dans son écran plasma, je garde le phare d’ Ouessant, le Stiff, l’esquif le bateau de notre jeunesse, je glisse et dévore un canari sans puiser dans le canadair, j’avance peu à peu vers la couleur du serpent arc-en-ciel, le talon de chine le mur du son. Du feu, du bois, l’Amazonie, et la Patagonie, l’agonie de ma conscience, le peu de science, et les fruits de la passion, le vole à voile et la pluie qui s’appuie sur mes cheveux encre noir de calmar, diable d’un soir. Je pète une durite de ma voiture sans roue, mon carrosse de fée, de sylphe, et de désir d’aller chercher des ailes et un aileron d’avion. Le feu, la force, la rage, la fleur de la flore, l’anthracite, l’entrecôte, l’entracte, le gris de mon sourire, roche sédimentaire… je fuis…
Fille du fils de l’aire, elle porte un prénom de chat, et j’aimerai qu’elle transporte ma gène sur des surfaces de jeu, boule béluga dans son ventre rond, pas un ballon mais le songe, sage, étrange de porter le dessin qui s’anime ; elle est mienne, je suis rien, juste né nier, le cou lié par la corde de ses jambes et pile et face, qui efface la reine de mes nuits, la fleur de ma peau, le corps aux pieds le klaxon de ma folie, celle de mes désirs, ma montagne, mon escalier, nous sommes liés par le refrain d’une chanson « ne me quitte pas ! »
Le fleuve fauve roule sur ma joue, je pleure, et j’ai peur de la revoir, de m’asseoir sur le rebords d’une piscine, et de lui déclamer ma flamme, de lire sa joie, que je jubile encore une fois. J’ai la foie en son retour vers le lac du ciel, la rue de nos âmes, qu’elle change une roue au cœur de l’Afrique, une roue de nain d’étiopathe d’Ethiopie, une roue de paon, une roue, de cycliste, une roue de l’enfer de son absence loin de mes sens, la pie nous observe, elle et son amour fuyant son souhait de jardin minuscule, du lien liant un spermatozoïde et un ovule, une bulle de vie dans son entraille, elle se taille sur la route des épices, Paprika, gingembre, curcuma…
La flèche de cupidon heurte mon séant moi qui rêve d’océan, pacifique, ou le terrible golf de Gascogne, je me cogne la tête aux barrières qui nous séparent en deux entité, la réalité est qu’elle est loin de ma perle, de mes yeux, je lutte contre la chute des moulins à vent ses paroles en l’air. Ascète mon nom est Bernard l’ermite, je croise des cygnes, des coques de coquillage, et mon bateau prend l’eau, de là-haut, je suis si orange pressé le matin, thé ou café, je contredanse à la gare, je chiale sur son voile, et je suis tu, elle est miel, moelle, sereine sur son fils équilibre de la houle de Klein, bleu mystère. Âne e latence, je ne trouve pas la règle de Jupiter juste, l’équerre, la bière le boise, la bise de la tramontane, le roi du vers solitaire, la mer de chine l’ancre du Casaque, le temps d’une soupe, d’un potage, du partage, plus volage, je suis fidèle aux fous de bassan, et je traîne ma misère sur l’écran vide de ma mémoire, le noir, l’absinthe, l’alcool à brûler, le soleil, fruit feu fer de lance, je lance un appel pour retrouver l’absolue certitude que le mont blanc est une recette pas l’occasion d’une ascension à la verticale. Je roule, je coule, je cale, et je me soigne le mal de mère, le mâle de vivre, les maux de croire que la rose à des épines, et le goéland la miniature aventure d’un albatros, atroce douleur de l’absolue certitude de se diluer tel une peinture tritium dan un mélange de doute et de passion. Patience, jeu, joie, carte, tarot et sucettes au thym, je suis cette glace, ce miroir insolent, cette tâche sur le tableau de Jackson Pollock vert lanterne. Je suis lent. Je suis terne, les stratus se croisent et j’attends un train arrière, un retour vers le passé, un parc, une blanquette, une banquette, une fleur jasmin, un délice, un roi de pique est passé sur mes doutes, sans ailes, je ne suis qu’un sapiens qui pionce sa peine de… sa peine d’ôter un œuf, de croire que nous somme deux, un plus un, et un refrain, une note, une partition, un ballon météo en cachette sur le flot de ton soul, moi qui me soûl au jus d’ananas, et qui construit sa route sans CO2. Je suis en classe, j’attends la cloche, le fromage du destin, le roquefort du chasse d’eau, le rock de l’échec, le pat du plateau, je déraille, voyez-vous mon désarroi, être sans elle, la plume d’un colibri l’alibi que le cauchemar est l’arrête, le prétexte du lieu, rouge ou jaune, de pierre ou de chair, l’hameçon de la science, la con…science, pion en malnutrition, le barre entre aye… j’ai faim… Absence !

· Texte de Tuy Nga Brignol ·
De tout temps, la musique a le pouvoir de nous faire vibrer au plus profond de nous-mêmes. Elle exacerbe notre imaginaire et stimule la sécrétion de neurotransmetteurs au niveau de notre cerveau. Par ses fréquences, la musique nous touche dans ce que nous avons de plus intime : notre sensibilité, notre vécu, nos émotions, rêves et passions….
Dans un lâcher-prise total, je me laisse pénétrer par les notes de musique. Telle une antenne vivante vibrant entre Ciel et Terre, j’accueille, en même temps que ma respiration, une belle lumière dorée qui remplit la région du cœur. ICI et MAINTENANT, mon mental est devenu une boîte vide pour accueillir les murmures de mon cœur. Vais-je réussir à comprendre ses messages ?
Cela demande que je transforme mon mental en une boîte vide… Une boîte vide qui reçoit les informations issues des désirs profonds du cœur qui commence à parler. Il est important de pouvoir récupérer ma capacité à percevoir ces messages intuitifs. Cela m’apprend à travailler avec plus de courage et à être capable de porter un nouveau regard vers une autre réalité.
Nous avons tous évolué à travers des mémoires et des expériences qui demandent à être comprises. Un des grands maux terrestres est l’ignorance. Changer de regard, s’ouvrir à une autre vision, afin de comprendre le pourquoi du pourquoi, c’est la clé d’ouverture des portes de la compréhension et de l’évolution. Quand je ne comprends pas et quand je ne sais pas pourquoi certains événements sont survenus, le chemin devient souvent périlleux.
L’énergie vitale circule en nous comme un ruisseau rapide lorsque rien ne l’obstrue, mais diverses forces telles que des traumatismes, des vibrations négatives et des déceptions agissent comme des pierres qui entravent le courant. Si nous les laissons s’accumuler, notre énergie vitale est déviée de son cours ou bloquée entièrement, ce qui provoquerait mal-être, manque de vitalité ou même une maladie.
Cependant, lorsque nous ne pouvons pas percevoir comment les choses peuvent s’améliorer parce que tout semble être en désordre, nous gardons notre foi. Ainsi, la foi est la capacité d’être tellement connecté-e à cette connaissance intérieure que nous sommes la foi même face à l’adversité et aux défis. Nous sentons que nous sommes inébranlables ! La foi est la capacité de faire confiance à notre propre guidance intérieure pour entreprendre courageusement des actions alignées.
Faisant face de manière constructive au stress et aux contrariétés, nous ne subirons pas la stagnation des vibrations négatives. En prenant le temps d’éliminer ces forces nuisibles, nous leur retirons tout pouvoir d’influencer négativement notre vie.
Pour suivre cet appel du cœur, cela implique d’accepter des leçons de vie, d’accepter d’entreprendre des changements, et bien souvent de sortir de sa zone de confort.
Il est important de faire preuve de discernement lorsque nous savons que notre mental est agité.
Notre intuition est facilement bloquée si nous sommes stressés. La relaxation est donc très importante. Il est important de pouvoir récupérer notre capacité à voir courageusement ce que disent les messages intuitifs de notre cœur. C’est à nous de prendre la décision de reconnaître, d’identifier et d’agir pour traiter les blocages. La structure mentale est là pour activer notre intuition et les désirs de notre cœur, mais le mental ne le fait pas efficacement tout le temps. Le mental est en quelque sorte dans son propre programme, passant par différents scénarios et ancré dans différents systèmes de croyances. Le simple fait d’y penser suscite déjà des sentiments de résistance chez la plupart d’entre nous.
Un champ énergétique fort et fluide est la clé qui ouvre les portes de la paix de l’esprit. La prise de conscience du flux d’énergie qui nous soutient nous permet de prendre en charge notre propre bien-être. La peur est probablement le grand coupable lorsque nous ne pouvons pas identifier la source de la stagnation. Nous avons peut-être simplement peur … de lâcher ce qui obstrue le flux, tel que de se débarrasser des attachements toxiques et des émotions bloquées. Lâcher prise peut être un défi, mais l’épanouissement ressenti lorsque le flux est rétabli sera une récompense bienvenue et bénie.
Reconnaître courageusement ce que notre cœur nous dit, c’est honorer cette fréquence d’intuition. Il est important de faire preuve de discernement lorsque nous savons que notre mental est agité. Ce n’est que dans le calme que nous pouvons accéder pleinement à notre intuition et percevoir les désirs du cœur.
Apprendre à se poser des questions, apprendre à se demander ce que signifie tel événement, se demander si c’est le bon choix, ou si c’est le bon moment pour entreprendre une certaine action.
Être dans un état connecté, c’est être capable de percevoir d’où viennent les informations et de les filtrer en conséquence. C’est être capable de filtrer certaines informations venant de l’extérieur (médias, amis, collectif…) comme de l’intérieur.
Il s’agit de croire que quel que soit le chemin choisi, les étapes vont changer en conséquence, me permettant d’arriver quand même à ma destination, toujours ! J’apprécie de recevoir ma guidance intérieure, de (re)prendre confiance en moi-même, de (re)prendre mon pouvoir par rapport à ma vie, d’approfondir le chemin de connaissance et d’acceptation de soi.
Il est possible de se sentir parfois perdu-e et de marcher lentement, mais tant que je continue à marcher la tête haute j’atteindrai ma destination. Il n’est jamais trop tard pour guérir ce qui fait mal, il n’y a jamais de meilleur moment que MAINTENANT.

· Texte d’Athénaïs Grave ·1ère place
Elle court. Elle court. A en perdre haleine. Elle court. Traverse le pont. Saute par-dessus les flaques. Elle court. Malgré la pluie qui martèle sa peau. Malgré le regard désapprobateur des passants. Elle court. Une seconde, elle s’arrête, regarde la grande horloge sur le fronton de l’église. Et, de nouveau, elle court. Les gens se demandent : « Mais où va cette jeune femme si prestement ? », « Pourquoi se hâte-t-elle autant ? ». Mais elle ne s’arrête pas pour répondre à leurs questions. Elle court. A perte de rue. Sans perte de temps. Elle court vers son futur. Vers son présent. Elle court. Car son rêve en dépend. Elle court pour les sourires d’un instant. Elle court sa vie. Elle court sa raison. Elle ne voit plus l’eau qui brouille sa vue. Ne sent plus le froid qui gèle ses mains. Elle court. Plus rien d’autre ne compte. Elle court. Toujours plus vite. Elle court.
Enfin, elle monte les marches. Elle respire. Il était temps. L’air ranime ses poumons. Elle sourit. Elle rit. Elle est à temps. Elle ralentit. Un fois à l’abris de la pluie, elle tombe la capuche qui protège ses cheveux. Elle marche, tranquillement. Dans les couloirs. Elle marche. Elle a atteint le but de sa course. Elle ôte ses vêtements détrempés. Elle revêt son costume noir et blanc. Elle marche.
Elle s’installe à sa chaise. Elle ferme les yeux. Pendant qu’on la coiffe. Pendant qu’on la maquille. Elle respire. Elle a le temps. Prête, elle rouvre les yeux. Elle se lève. Et elle marche. Dans les couloirs. Elle marche, sûre d’elle. Elle n’a plus besoin de courir. Elle peut marcher, confiante, digne, vers son avenir. Elle marche.
Elle marche vers la scène. Elle saisit sa baguette. Et marche vers le pupitre. Elle salue. C’est le silence. Tous la regardent, assurée et fière, au centre de la scène. Ils l’entourent. Ils l’attendent. Tous retiennent leur souffle. Ils guettent, le moindre de ses gestes. Elle attend. Elle respire. Elle est au centre.
Quand enfin, elle lève sa baguette, ce n’est plus elle qui court. Mais les notes qui volent. Se répercutent sur les parois. Vibrent sur les cordes. Résonnent dans les bois. Traversent les âmes. Et elle, au centre, de la scène, les dirige. Elle leur donne corps. Elle leur donne voix. Et pendant que ses mains dansent, les notes courent. Elles courent sur les murs. Elles courent dans les cœurs. Elles courent sur les peaux qui frissonnent.
Elle imprime un dernier geste de baguette. Et le silence redevient maître. Mais dans ce silence roi, frémit encore la mélodie. Puis les battements de cœur s’apaisent. On respire à nouveau. Une seconde. Deux secondes. Trois secondes. On respire. On reprend son souffle. On attend. Puis telle une unique vague humaine, le public se lève. Le silence se rompt. Sous le tonnerre des mains qui s’entrechoquent. Sous la ferveur des applaudissements.
Alors un tressaillement court le long de son dos. Et dans sa course, dessine un sourire sur son visage. Elle fait un pas en avant. Elle s’incline. Elle félicite les musiciens. On lui apporte un bouquet de fleurs fraîches. Et alors que pleuvent encore les applaudissements, et que court encore son cœur, la chef d’orchestre quitte enfin la scène.

· Texte de Geoffroy Gauthier · 3ème place
Les sourires dansent
Je me dépêche d’aller au travail. J’ai peur de l’extérieur. Trop dangereux. L’atmosphère, viciée, est irrespirable depuis deux ans maintenant. Sans un masque FFP40, impossible de survivre. Dans les bâtiments, l’air est filtré. Je ne me sens en sécurité nulle part qu’entre quatre murs. Je cours presque, poussée par l’idée que mon masque pourrait être défectueux, me laissant à l’agonie, asphyxié, seul.
Je m’apprête à pousser la lourde porte quand tout à coup, j’entends de la musique. Malgré sa prohibition. Elle provient d’une enceinte trafiquée tenue fièrement par un dissident. Enfin, c’est ainsi que les médias appellent ces parias dont la principale motivation est de bêtement troubler l’ordre à la moindre occasion. Je sors mon téléphone pour le dénoncer aux autorités, on verra s’il affiche toujours un air satisfait après s’être fait embarquer.
J’appelle, un agent répond. Soudain, j’aperçois cette femme… ou plutôt sa crinière, comme une cascade de feu. Timidement, elle dodeline. La surprise me fait lâcher mon téléphone. Je rêve ? Elle danse ? C’est strictement interdit ! Elle encourt le risque de se faire démasquer sur la place publique. Les spectateurs raffolent de ces exécutions, les acteurs, beaucoup moins.
Sans prévenir, elle se retourne et de ses yeux, me sourit. Mon cœur manque un battement. D’un bond élégant, elle s’approche, me saisit avec douceur et m’entraîne dans une valse enivrante. A mesure de nos tournoiements, j’ai l’impression que nous prenons de la hauteur. Doucement, nos pieds quittent le sol, je suis happé par son regard. Plus rien d’autre qu’elle ne compte alors que nous atteignons les nuages. Nous virevoltons au-dessus de tout, loin des angoisses étouffantes, loin du vide de nos existences, légers. Comme deux plumes portées par la brise musicale.
Alors, je sens une main lourde, crispée, me ramener droit sur le bitume. Un policier. Les pupilles injectées de violence. La matraque brandie, il nous somme d’arrêter… si nous tenons à nos rotules. Son collègue prend en chasse le dissident pour lequel j’éprouve dorénavant une certaine affection car, tout de même, c’est lui qui avait déclenché ce merveilleux tourbillon d’émotions. Le poursuivant, pataud, s’étale de tout son poids en essayant d’attraper la veste de sa proie qui en profite pour détaler. Nous, inconscients, nous rions. Quelle erreur…
La sentence tombe. La plus extrême pour des criminels de notre envergure. Nous nous faisons donc escorter sur la place publique face à la foule hurlante. Les visages déformés par la haine se devinent derrière les FFP40. Les policiers se postent devant nous, glaciaux. Nous prenons une longue et dernière inspiration… et nos masques sont retirés. Je la regarde. Cette fois, c’est de tout son visage qu’elle me sourit, belle comme un soleil. Émus aux larmes, nous nous abandonnons complètement, et, sous le regard médusé du public, nous nous embrassons, passionnément. Les spectateurs les plus frustrés quittent déjà les lieux, avant même le clou du spectacle, scandalisés de ne pas nous voir supplier pour notre vie. La mort est apparemment plus divertissante qu’un baiser. Ceux qui restent fixent leurs chaussures en silence, déboussolés, leurs cœurs taris étant devenus étrangers à l’amour, sentiment oublié de tous.
L’air me manque. Pourtant, je me sens vivant, enfin. Démasqué, certes, mais heureux. Pour une unique fois. Je sens mon corps tout entier réclamer de l’oxygène. J’utilise mes dernières forces pour la serrer contre moi, comme un arbre se cramponne à la Terre et, à bout de souffle, nous nous écroulons, à jamais dans les bras l’un de l’autre.

· Texte d’Oona ·
La poupée du ciel
Poupée du ciel.
Un ange.
Poupée de cendre.
Légère.
Poupée du ciel.
Un ange.
Poupée de cendre.
Je vole.
Je ne suis que mon ombre.
Libérée de ma tombe.
Je vois la lumière.
Est-ce le moment de m’en aller ?
J’entends un appel.
J’me lance.
Au loin ce chant,
Me bouleverse.
J’entends un appel.
J’me lance
Au loin ce chant.
Je m’envole.
Je ne suis que mon ombre.
Libérée de ma tombe.
Je vois la lumière.
Adieu, je dois vous quitter.

· Texte de Laura Beslier · 2ème place
Des taches abstraites de couleurs pastel, des courbes difformes qui s’entremêlaient, disparaissaient, et réapparaissaient. Cette toile défilait encore et encore devant ses yeux de cire.
Comme tous les matins, à l’ouverture de la boite en acajou, la petite poupée de porcelaine tournait, tournait, et tournait toujours. L’aube à peine dévoilée caressait d’une agréable chaleur, la fine peau de son corps, de ses jambes effilées, jusqu’au teint laiteux de ses mains. À chaque tour, ses courbes gracieusement sculptées semblaient s’étirer toujours plus. À l’image de sa robe, un sobre morceau de tissus rouge, le bout de ses doigts espérait sans cesse se fondre dans le tournoiement du vent. Mais ceci restait vain.
Elle tournait, tournait, et continuait de tourner.
Sa cage en bois ne lui laissait pas la possibilité de rêver à autre chose que de ce tableau. Bien que son cœur, qui luttait pour survivre, en aurait bien voulu. Immobile, elle dansait pour le plaisir de ses visiteurs, sans jamais pouvoir leur rendre leur sourire, reproduisant les mêmes gestes, les mêmes mouvements. Parfois certains individus s’aventuraient à la toucher, mais elle n’appréciait pas, et redoutait ces moments. Plus d’une fois, leur curiosité tactile la blessait, fissurant un ou deux millimètres de sa carapace. Les marquages du temps avaient bien entamé son corps. Elle savait parfaitement que son heure était proche. Bientôt, le plus fidèle de son admirateur allait recycler sa maison, avec elle y compris. Son cœur était serré, mais elle demeurait malheureusement impuissante. La coupure sous son pied grappillait du terrain.
Elle tourna encore, puis, comme un fait irrémédiable, un craquement retenti, et son corps fragile bascula.
La plateforme qui l’avait jusque-là fait danser tous les jours, était vide. Préparée à ça, elle n’était pas inquiète, sa vie passée l’avait comblée. Elle laissa les battements dans sa poitrine s’affaiblir peu à peu. Puis, sans s’en rendre compte, ses paupières recouvrirent la cire de ses yeux. Tout comme le silence apaisant de la pièce, elle attendait son départ. Le soleil poursuivit tranquillement sa conquête du ciel, sans qu’il ne se passe rien. Elle patienta, mais le calme semblait vouloir persister. Elle était prête à s’abandonner à son destin, lorsqu’un détail l’interpella. Avait-elle fermé les yeux ? Oui… ses paupières s’étaient bel et bien articulées.
Subitement, une sensation étrange la traversa. Une pression électrisante dans le creux de sa main remontant jusqu’à ses épaules. Ce fut ensuite le tambourinement incontrôlé sous son enveloppe frigide qui l’a surprise. Ces découvertes la chamboulaient. Partagée entre la peur et l’excitation, elle se sentait perdue. Néanmoins, la curiosité était trop forte. Et pour la première fois, elle osa se questionner. S’agissait-il d’une autre existence qui se tenait là, sous ses paumes abîmées ? Cela lui paraissait surréaliste, invraisemblable. Comment une pauvre poupée en porcelaine destinée à divertir son propriétaire, pouvait-elle mener sa propre vie… si l’on pouvait même lui accorder ce mot. Non. Et pourtant… La raideur dans ses jambes, et la sensibilité de ses doigts ne la trompait pas. Elle n’en savait rien de la raison. Mais maintenant, elle pouvait s’échapper de sa cage en acajou, et tracer son propre chemin.
Dans un élan candide, elle insuffla un souffle de vigueur à ses membres afin de les sortir de leur torpeur. Les engrenages de ses genoux s’activèrent en premier. Très maladroitement, elle parvint à plier ses jambes effritées. Puis vint le tour de ses coudes. Ses poignets encore rigides lui servirent quant à eux de canne, afin de se redresser. Impatiente, elle tenta de se mettre debout, comme elle avait souvent vu ses visiteurs faire. Elle plaça d’abord un pied, légèrement tremblant, et aligna l’autre. Toutefois, à peine eut-elle posé le second, que tout son corps lâcha, et elle s’effondra dans un nuage de poussière. La douleur n’était pas comparable aux blessures qu’elle avait subies jusqu’alors, cependant, cela lui arracha une triste grimace. Après un instant pour admettre cet échec, elle fit une nouvelle tentative. Seulement celle-ci se termina à l’identique. La chute fut en revanche moins violente. Comme un enfant commençant à marcher, elle avait appris. Elle recommença, et recommença à nouveau. Et malgré de discrets frémissements, la persévérance la récompensa. Ses deux jambes parvinrent enfin à supporter le poids de son corps creux.
Ses yeux adoptant un nouveau point de vue, étaient fascinés par le paysage. Toutes les couleurs, toutes les formes étaient claires. Elle distinguait chaque détail. D’un pas hésitant, elle avança doucement vers le rebord. Elle voulait en voir plus. Le monde semblait se déployer toujours davantage devant son ombre. Elle continua, dévoilant à chaque enjambée étourdie, un peu plus du vide qui s’étendait devant. La distance rétrécissait. Puis ses pieds s’arrêtèrent brusquement. Une seconde de trop, et l’appel de la gravité l’aurait réduite à l’état de débris. Le gouffre la terrifiait et l’époustouflait à la fois. Elle ne se doutait pas de l’existence d’un décor aussi vaste, au-delà de son estrade. L’adrénaline enivrait tous ses sens. Le regard ébahi, elle poursuivit son escapade, et plaça un talon sur l’arête de la boite aux reflets ensoleillés. La sensation du tranchant sous la plante de ses pieds la fit frissonner d’euphorie. Jouant les équilibristes, elle étira ses bras, et poursuivit un pied devant l’autre. Elle sentit enfin ses doigts commencer à se réchauffer, et s’articuler. La petite poupée avança lentement, centimètre par centimètre, telle une marionnette s’aventurant dans la folie du monde.
Sa balade l’amena à une longue passerelle hexagonale, qu’elle dévala d’une traite. Le vent chatouillait affectueusement ses cheveux figés. La descente fut si rapide, qu’elle n’eut pas le temps de repérer le fragment de fusain à son arrivée, et dans une dégringolade, elle recouvra sa belle tenue d’un gris cendré et poudreux. Le très large plant de bois plus clair qui recouvrait tout à perte de vue, calma ses ardeurs. Encore un peu désorientée de sa nouvelle chute, elle marcha doucement afin de poursuivre son expédition. Son chemin croisa celui de massifs objets, reflétant et déformant son reflet à volonté sur une coquille transparente. Cette vision l’amusait, mais la petite poupée de porcelaine ne savait pas encore comment exprimer cette joie éphémère. Un peu plus loin, un champ blanc, parsemé de lignes colorées, émettait un étrange son sous le froissement de ses chaussons luisants. Le bruit, assez rêche a ses oreilles, ne l’agaçait pas. Au contraire, il avait quelque chose d’intriguant, de relaxant. La traversé, jonchée d’obstacle de forme circulaire, se révéla assez laborieuse. Ses doigts ne purent s’empêcher de caresser avec délectation, toutes les textures tantôt très fines et rugueuses, tantôt douces et cotonneuses. Subitement, une ombre au-dessus de sa tête la fit sursauter. Les mains refermées sur le bas de sa robe, elle tenta d’observer la silhouette à contre-jour, mais ne réussit qu’à percevoir le bourdonnement de ses ailes. Un puissant courant d’air la fit ensuite perdre l’équilibre, et son corps se renversa en arrière dans un fracas à l’échelle de sa courte taille. L’insecte, perturbé par la scène absurde s’éloigna, la laissant seule dans ce désert de relief inconnu.
Une note familière interrompit sa promenade. Une musique. Le frappement d’un piano.
Attiré par la mélodie, inconsciemment, elle s’avança sous une aura lumineuse. Les notes se firent alors plus fortes, plus intenses, recouvrant à présent les battements dans sa poitrine. Elle aimait ce son. Ses lèvres s’étirèrent dans un sourire innocent. La mélodie était semblable à une formule magique guidant ses gestes. Instinctivement, ses bras se courbèrent au-dessus de sa tête. Sa jambe rejoignit la continuité de la courbe de son corps.
Elle se mit alors à tourner, tourner, et tourner encore.

· Texte de Cédric Bessaies · Coup de ♥
La moindre parcelle de peau mise à nue s’offre au vent qui y pose ses flocons. Leurs morsures en fractales sont pardonnées pour leur beauté éphémère – fragile et cruelle, comme toutes les beautés.
Le blanc goudronne le sol d’un linceul spectral et les cieux se réfugient derrière un manteau sans couleur qu’aucune chaleur ni lumière ne parviennent à percer. Les ombres du jour se mêlent à celles de la nuit que le silence enlace avec bienveillance.
Les parfums comme les rires ont sombré, domptés par un sommeil de marbre blême. Le temps s’étire, ses carcans gravent le vide et la volupté de l’oubli efface les empreintes.
Une silhouette se dessine pourtant dans ce désert hâve – une silhouette que seuls la faim, le froid et la solitude peuvent sculpter. Une figure de glace parmi tant d’autres, l’une de celles qui n’ont plus de nom et dont la faveur d’un foyer n’évoque qu’un songe évanescent, la réminiscence captieuse d’un monde inaccessible.
Ses oripeaux rongés par les saisons laissent la bise l’enserrer et l’étreindre, la griffer et la fuir. Ils ne font que creuser davantage ses contours morcelés et raviver le relief valétudinaire de son visage.
Elle est de celles qui n’existent plus : sans un regard pour la faire vivre, elle n’est rien. Elle attend ; n’attend rien mais attend – peut-être d’exister ; peut-être de disparaître.
Mais une enfant s’arrête. Une enfant le regarde, l’espace d’un instant. Elle le regarde sans détourner les yeux. Et elle parle.
— Pourquoi tu es sale, monsieur ?
Le mutisme avait conquis sa voix, comme le jour vole les étoiles.
— Pourquoi tu es tout seul dehors, monsieur ? T’as pas d’amis ?
Il voudrait répondre, mais il ne le peut pas. Le monde le lui refuse, il ne laisse pas ses sentiments s’échapper. Alors c’est sa tête qui les exprime, d’un mouvement épuisé.
— T’as pas froid ? Pourquoi tu vas pas à ta maison ? T’as pas de maman ?
Il voudrait dire qu’aucun âtre ne peut plus réchauffer son cœur. Dire qu’il est seul, que les passants sont aveugles – ou peut-être ferment-ils simplement les yeux.
— Bah moi j’ai froid, et j’ai pas de maman.
Cette fois, il n’a plus rien à dire.
— Mon papa il veut que je lui donne des fleurs, mais ça sert à rien, la tombe elle s’en fiche des fleurs. Tiens.
Elle lui tend le bouquet comme on tend une main à quelqu’un qui se noie.
Ses nuances bariolées font revivre son monde. Ses fragrances délicates lui rappellent que même le givre peut fondre.
— C’est pour toi. Comme ça, tu sentiras bon.
D’une main fébrile, il l’accepte. L’enfant sourit : il existe à nouveau.
— Je dois y aller, au revoir monsieur ! Je reviens la semaine prochaine !
Et elle disparaît en galopant, sa silhouette mangée par les flocons.

· Texte de Magalie Valla ·
Je suis couchée sous cet arbre depuis des heures. Le trop plein d’émotion m’a fait exploser. Je me suis figée sur place puis je suis tombée au sol. Je me suis laissée envelopper par les milliers de brins d’herbe qui m’entourent. Ils sont doux, ils me caressent. Ils m’attirent à eux pour que je me reconnecte à la terre. Mes sens s’ouvrent. Le touché de la terre fraiche et humide, l’odeur de la nature qui se réveille un matin de printemps, le bruit des feuilles au-dessus de moi qui dansent dans le vent, le gout de la rosée qui s’est posée sur mes lèvres.
Je ne peux plus bougée mais je me sens apaisée. Je voudrai rester dans ce cocon toute la vie. Les soucis sont loin derrière, je ne pense plus à la charge qui m’a fait craquer. Je suis seule, bercée par la musique de la nature. Je suis entourée des éléments qui a créé notre terre et qui nous fais vivre contrairement à ce que pense les hommes. Nous sommes infimes à côté. Nous ne vallons rien sans eux.
Je me recentre sur l’essentiel. Je ne pense plus à moi. Je suis un nouvel élément. Je me confonds dans le sol.
Je n’ai jamais rien connu de plus paisible que cette expérience. Je reste encore des heures, peut-être même des jours je ne saurai le dire tant le temps semble inexistant. Je me sens bien comme je ne me suis pas senti depuis des mois, des années. Rien ne peut m’atteindre. Je suis protégée. Je suis en dehors de l’existence.
Je reviens peu à peu à la réalité tiraillée par la faim. Le froid commence à me saisir les os. Je réalise qu’il fait nuit. Je suis perdue. Je ne peux pas dire depuis quand je suis là. Je ne me souviens plus quel jour nous sommes. Je me sens toujours apaisée même si un poids commence à se faire sentir sur mes frêles épaules. Le quotidien me revient en tête. Je dois travailler. Je dois m’occuper de ma famille. Je dois soigner ma maison. Mes épaules sont si lourdes que j’ai l’impression de m’enfoncer dans le sol et d’être attirée dans les abîmes. Pourtant je me relève. Je regarde ma montre, il est 2h05. Nous sommes en plein milieu de la nuit. La panique me submerge. Où suis-je ? Ma famille, mon mari et mes enfants doivent me chercher partout. Que vais-je leur dire ? Que je me suis connectée avec la nature pour supporter une vie qui ne me laisse pas vivre ?
A toi la charge mentale, laisse-moi dormir, laisse-moi manger, laisse-moi être heureuse, laisse-moi vivre !
Une femme fatiguée de devoir être parfaite dans tous les rôles que la vie lui a choisis.
Femme, épouse, mère, fille, amie, collègue, ménagère, et tant d’autres encore.

· Texte d’Alice Fétille ·
Une nuit d’automne, une feuille qui tombe, une feuille qui craque, une fleur qui sombre,
Il y avait sous ses doigts les mots qui se jetaient,
Ou plutôt se noyaient, dans les gouttes de larmes, que la feuille épousait.
Elle entrevit l’espoir au milieu de ses vers, voulut enfin y croire même au fond des ténèbres.
Mais la pluie recouvrit le bruit de ses sanglots, sur ses joues balaya les preuves du fardeau.
Courte réalité d’un immense chagrin,
Voilà comment une fleur perdue dans un jardin,
A tenté de pousser toute seule dans un coin.
A l’abri des regards, lors d’une pause très brève,
Le pouvoir de passer,
Du sourire à la peine,
De la vie à la mort,
De la haine à l’amour.
Et puis se rendormir, ou plutôt se laisser remplir à nouveau de ce vide,
Attendre que ces minutes d’ivresses reviennent, pour le vaincre,
Pour se sentir revivre… Au moins deux minutes cinq.

· Texte de Patrick Couetti Smiff ·
Et la nature était là, toujours aussi naturelle, toujours aussi vibrante et chancelante au rythme de quelque parcimonie de vent. Au rythme de quelque frénésie de mélancolie, ayant pour fond le diapason de quelque violon. Oui elle est là, toujours là, avec ses feuilles se mouvant dans quelque frémissement, se laissant bercé au rythme du vent, imperceptible et imprévisible, en écho avec nos sensations, perceptions et représentations de l’instant. Oui elle est là, avec ses certitudes d’être là, ses préludes aussi d’incertitudes. Elle est là aussi, comme un cerveau qui oscille, sans trop savoir pourquoi il oscille ainsi, sans trop savoir pourquoi il vrille comme si. Elle est là, dans ses articulations, laissant pantois nos fascinations, laissant libre-court à nos inspirations. Elle est là sans faire à proprement de l’esprit dans ses ouvertures d’esprit, propre à quelque vivant humain. Vivant humain, mais aussi vivant animalier, qui tente aussi à la manière de son vivant d’exister à sa manière. Des manières qui errent, des manières qui flairent, des manières qui hument l’air, des manières, qui mine de rien, n’ont pas vraiment d’air. Des manières de vie qui s’attachent à des lanières de sens de vie, pour se relier sans se délier, à la manière de quelque reliure, à la manière de quelque ouverture. La nature qui vit dans quelque symbole de vie, la nature immuable au point d’en faire quelque facétie de fables. Fables affables, fables immuables, fables bancales où le naturel côtoie le surnaturel, de la nature vivante à la nature morte, des feuilles qui s’accrochent, aux feuilles qui tombent, des feuilles aux apparentés multi-colorées aux feuilles qui s’effeuillent, des feuilles édentés à la feuille d’érable unique en son genre qui en son antre emblématique peuple de façon unique le drapeau canadien.
La nature qui s’ouvre dans des rêves, la nature qui œuvre dans des trêves. Des trêves de pensées, aux rêves édulcorés à l’unisson de quelque sensation et émotion. Les rêves en éveil, les rêves qui veillent, les rêves qui s’éveillent aux rêves, qui ne rêvent plus. Nature et culture, seriez-vous au même diapason de quelque violon ? Du violon qui dévoile quelque mélancolie, au violon qui vogue dans quelque vague d’esprit qui vagabonde, comme un voilier sur la mer vaque entre flots et remous, dans le vague de quelques vagues. Du violon au violoncelle, du violon qui laisse dans ses cordes quelques étincelles qui s’accordent, entre créativités d’émotions, et écho de vibrations. Du violon qui clame le calme et qui se pose dans quelque prose de musicalités. « Musique » pour reprendre le titre d’une chanson de France Gall. « La musique est un cri qui vient de l’intérieur » chantait Bernard Lavilliers. La nature, qui, de son extérieur se pagine à livre ouvert de l’intérieur. Nature qui veille et musique qui éveille. Chacun sa nature, chacun sa musique. Chacun sa nature, chacun sa culture, entre sa nature qui cultive naturellement et sa culture naturelle. Chacun sa féérie, chacun ses rêveries, chacun ses mots rêvés, chacun ses rêves de mots : « Laissez passer les rêves » ( chanson France Gall et Michel Berger), les rêves volubiles et fluets, les rêves « superficiels et légers », comme dans la chanson « superficiel et léger » France Gall/Michel Berger ( « Comme un bébé vient au monde, redevenir fragile, superficiel et léger, comme cet oiseau des îles qui déploie ses ailes, plane et descend sur la mer, si belle, si belle »), comme « l’oiseau et l’enfant » (Marie Myriam, prix Eurovision 1977). L’oiseau vole, l’enfant s’envole, la nature et le naturel veillent, « l’enfant s’éveille ». Les violons foisonnent de frissons, les frissons procurent quelques frictions aux sensations, là où les mots sont les moissons d’innombrables interpellations et d’émotions. La nature est là, pavoisant de se ses effets calmes et sereins, ventilée par quelque vent qui va et vient comme « une chanson populaire » : « Ca s’en va et ça revient, c’est fait de tous petits liens, ça se chante et ça se danse, et ça revient, et ça se tient comme une chanson populaire » pour reprendre l’un des airs populaires d’un certain Claude François. La nature est naturelle, la chanson est populaire, et d’un air naturel la chanson peut se chantonner naturellement en pleine nature. La nature est là et s’observe en public, là où « les amoureux se bécotent sur des bancs publics » aurait pu chanter Georges Brassens, là où dans la chanson blues « peur de rien » Jean-Jacques Goldman exprimait : « Y’à qu’une guitare à la main, qu’j’ai peur de rien ». La nature pose, la musique compose, le chanteur propose. Le poète fait des proses, la nature fait des pauses entre silence et parfois stridence de quelque vent sifflant, là où Richard Anthony entendait dans sa chanson « siffler le train », là où Joe Dassin aurait préféré « sifflé sur la colline, un petit bouquet d’églantine à la main ». La nature offre des bouquets (ce serait le bouquet qu’elle n’en offre pas), là où la chanson se déverse en « pot pourri », là où dans le fruit, il faut retirer le pourri pour pouvoir consommer plein pot le fruit. La nature repose entre lierres et mousses. La musique trémousse les corps ondulant : France Gall dans « tout pour la musique » : « Et ils tapent dans leurs mains, comme de doux hystériques, comme des fans fanatiques ». Là où d’autres encore ont une « toute » autre vision dans quelque toute autre chanson dont la raison toise l’humour et la jovialité sans contre-façon : « Tout, tout, tout, vous saurez tout sur le… », chantonnait autrement Pierre Perret dans une toute autre chanson de renom, mais ce n’était pas forcément la même musique, bien qu’aussi naturel au niveau du corps et respectable dans ses allégories d’ironie. La culture qui ironise et fait de l’humour, la nature qui peut en être sa compagne d’humeur. L’humeur des villes, l’humeur des campagnes comme il existe la fable « le rat des villes, le rat des champs ». La culture qui pense et fait penser en silence. En silence, comme un certain nombre d’autistes. En silence, comme un certain nombre d’autistes autrement artistes. En silence, comme la discrétion des artistes. En silence, comme le sont les sensations et émotions des autistes, naturellement dans la nature naturelle, à même titre que l’air naturel d’accompagnement de quelque violoncelle…/…

· Texte de Sandrine Drappier ·
Oui, c’est moi ! C’est bien moi, là, sur l’estrade. Je viens d’entrer sur la scène, droite, détachée. Je salue l’assistance. Je vous salue, juste avant d’aller m’asseoir devant le sublime piano Steinway de l’auditorium de Turin. Oui, Turin, en Italie! Vous n’en revenez pas ? Moi non plus. Oui, c’est bien moi, la petite prolo italienne qui, au lieu d’écouter Laura Pausini, préférait Mozart et Beethoven. Oui, le musicien, pas le chien des films Disney… Moi, qui au lieu d’apprendre la gratte, me suis mise au piano, et me voilà aujourd’hui pour mon tout premier concert ! Et quel concert !
C’est drôle d’être là, devant vous, non, c’est plus que drôle, c’est terrifiant ! Les hommes en smoking, les femmes tirées à quatre épingles, couvertes de diamants dans des robes de grands couturiers. Tout ce luxe me paralyse, ce n’est pas moi, mais qu’est-ce que je fais là ! Fuyons… Et pourtant, la musique c’est toute ma vie, tout ce travail pour atteindre la note parfaite c’était pour ce moment-là, pour cette estrade, pour ce Steinway, pour vous tous, là devant moi !
Plus de mille yeux braqués sur moi, mille mains qui tout à l’heure vont m’applaudir, ou plus certainement cinq cents bouches qui mourront d’envie de me huer, qui vont demander que tout cesse… La pire honte de ma vie !
Et c’est comme si j’avais tout oublié de la musique, de cet adagio. Comme si, même, je ne me souvenais plus d’où il fallait poser mes doigts sur l’instrument. Le trou noir. Un mauvais rêve !
Je me regarde dans les vitres de la scène, ce brin de fille vêtue de cette longue robe rouge trop échancrée, ce n’est pas moi. Cette longue fille serait plus à sa place sur un terrain de basket. Je ne me reconnais pas. Et ces grands bras inertes ! Donnez-moi des ailes que je puisse m’envoler, disparaître.
Vous êtes d’un silence de plomb. Toute l’assistance semble en apnée alors que moi, je me liquéfie. Là devant vous ! Mais que cesse cette torture. Arrêtez de me regarder ! Laissez-moi quelques instants pour m’habituer à l’exceptionnel de la situation. Aidez-moi à faire fuir ce syndrome de l’imposteur qui me paralyse.
Je regarde ma montre. Cela fait 02:05 que je vous regarde ainsi. 02:05 à revoir devant mes yeux toutes ces années d’apprentissage, toutes ces difficultés. 02:05 à me souvenir de Madame Buchet, ma prof de piano, de ses petits couinements lorsque je jouais une mauvaise note, ce bruit particulier de langue qui suivait toujours, son regard impitoyable et au fil des années, cette lueur d’admiration quand elle m’écoutait. 02:05 pour me dire que, peut-être, c’est ici ma place, parmi vous. Et même si je ne serai jamais de votre monde, même si, en sortant j’enlèverai cette robe dans laquelle je ne me sens pas à l’aise, pour enfiler un pantalon et une paire de baskets. 02:05 et…
Et soudain, je te vois. Oui, toi l’inconnu au premier rang ! Oui, toi ! Là ! Ne détourne pas ton regard. Laisse tes yeux ancrés dans les miens pendant que je m’installe sur le tabouret. Communique-moi ta force, ton calme pendant que je lisse ma robe, pendant que je prends une dernière respiration. Non, ne regarde pas ma gorge trop offerte ! Donne-moi ta force ! Porte-moi !
Je pose mes mains sur le piano, caresse ses touches délicatement, lui murmure des mots que seul, lui et moi, comprenons. Et je ferme les yeux. Les premières notes emplissent l’espace. Je ne vois plus rien, je n’entends plus rien.
02:05 à vous interpréter cet hommage de Ludovico Einaudi, in a Time Lapse. Dans un laps de temps. Le temps qui s’est arrêté dans la nuit du 24 au 25 août 2016 lorsque la terre a tremblé. Un séisme impossible à prévoir, qui toucha les régions de l’Ombrie, des Marches, des Abruzzes et du Latium, 02:05 pour rendre hommage aux 250 personnes décédées, aux 365 blessés. 02:05 pour soulager votre peine, comme une pommade posée sur votre peine immense. 02:05 d’immeubles et de maisons détruites et qu’il faudra reconstruire et ce concert sert à cela, lever des fonds, pour effacer toute trace de cette nuit de cauchemar. Pour revivre. 02:05 à ne plus être moi, mais un souffle, une force, à penser à mes grands-parents tués dans leur sommeil cette nuit-là.
Et quand le piano redevient muet, quand je sors de la transe musicale, dès après la toute dernière note, alors que je me lève pour recueillir vos applaudissements, c’est ton regard que je cherche.
Et lorsque je vois les larmes couler sur ton visage, sur ta barbe naissante, je ressens toute la tension accumulée dans chacun de mes muscles. Comme un orgasme resté en suspens trop longtemps. Je te souris. Et mes yeux te fixent rendez-vous.

· Texte de Jacques Grange ·
Elle était presque tout pour moi. Nous écoutions un orchestre en plain air dans un cadre fait pour l’amour: Pas pour tout le monde, il faut croire…Soudain, elle est partie sans rien dire. L’orchestre continuait à jouer une mélodie romantique.
Une violoniste me regardait en jouant et en pleurant. Mes propres larmes restaient en moi. La musique et les yeux de la violoniste m’aidaient à rester là sans rien dire. Mais je ne pouvais m’empêcher de ressasser: Elle est partie sans rien me dire…
L’orchestre s’est tu. Les musiciens un a un se disperse dans les alentours. Seule reste la violoniste et ses yeux bleus qui me réchauffent le sourire que je lui offre très volontiers. Elle me rend mon sourire en même temps qu’elle reprend l’archer. La mélodie qu’elle commence n’accompagne plus le départ de l’ex-aimée mais les notes sous ses doigts et dans mon cœur font naître la mélodie du renouveau.
Les musiciens on disparu, les auditeurs et spectateurs aussi. Il ne reste plus que la violoniste, ses yeux bleus et moi. Elle est toujours assise à son pupitre et continue à jouer seule au milieu des pupitres et chaises désertées par ses collègues. Je m’approche d’elle lentement. Elle joue toujours. Ses yeux se ferment. Dans un souffle où fébrilité, prière et fascination se mêlent, je lui dis:
— Non ne les fermez pas.
Elle ouvre la bouche pour me répondre. Le plus tendrement et délicatement possible, je lui mets le doigt sur cette bouche en m’efforçant de ne pas gêner le chemin de l’archet afin que la mélodie se poursuive. Elle ouvre les yeux, les miens sont”aux anges”, oui “aux anges”!
Elle termine magnifiquement la mélodie. Elle range son violon et son archet dans l’étui. Elle se lève. Nous nous prenons la main et sans rien dire nous partons pour un voyage sans orchestre mais vers la musique de l’amour que rien ne peut arrêter…

· Texte de Laurence Fortin ·
Le prénom de la discorde
La petite Hélène.
C’est comme ça qu’on l’appelait au camp. Matricule 50290 tatoué avec un triangle pointe en bas en dessous. Elle avait à peine vingt et un ans.
Elle avait donc un nom, n’était pas qu’un numéro, contrairement à la plupart des détenues. Elles n’étaient pas nombreuses, celles qui pouvaient prendre une douche, avoir un repas par jour, dormir sur une vraie paillasse avec une couverture. La petite Hélène était violoniste dans l’orchestre féminin dirigé d’une main de fer par Alma Rosé.
Tous les matins et tous les soirs, elles jouaient pour celles qui partaient travailler, un répertoire soigneusement choisi par les SS : Berlioz, Schubert, Beethoven, la petite musique de nuit de Mozart, les danses hongroises de Brahms, la Chaconne de Bach, le beau Danube bleu de Strauss. Le dimanche, ou parfois pour des dîners d’apparat, elles avaient pour public des officiers nazis. Ils aimaient particulièrement l’étude pour piano en mi majeur n°3 opus 10 de Chopin, que la cheffe d’orchestre avait arrangée pour en faire une chanson, avec pour début de paroles :
« En moi résonne une chanson,
Belle chanson,
Qui me fait revenir des souvenirs à l’âme.
Jusqu’ici mon cœur était en paix.
Ces doux sons retentissent à nouveau
Et m’envahissent. »
Alma Rosé, dont la musique tourmentait ou consolait les femmes, les témoignages se succèdent et diffèrent d’une personne à l’autre, d’une âme à l’autre, est morte à Auschwitz, malgré son apparent statut privilégié. Mais elle a réussi sa mission secrète, détourner ses musiciennes de l’horreur, par une discipline, un travail acharné, en exigeant et obtenant une double ration de nourriture et des soins lorsqu’elles tombaient malades. Elles ont presque toutes survécu.
Après la guerre, Hélène s’est engagée un temps dans l’Armée, a continué ses études de lettres et a surtout œuvré au sein de l’association « Le centre international de l’enfance ». C’est dans ce cadre qu’elle a été envoyée pour une mission de quelques jours à Brazzaville. Elle devait visiter des hôpitaux, des écoles, des centres d’art et donner des conseils pour le développement et le bien-être des enfants.
Elle l’a entendu avant de le voir. Dans le couloir vétuste d’une école de musique, résonnait un violon d’une pureté évoquant aussitôt dans son esprit la virtuosité de Rosa, violoniste célèbre avant d’être cheffe d’orchestre dans les camps de la mort. Elle s’est approchée, le cœur battant, poussant une petite porte vitrée. Un jeune garçon, l’air très concentré, avec une douceur incroyable dans ses gestes jouait l’air de Chopin. L’échange entre eux lorsque la musique s’est tue leur appartient. Il a bouleversé pour toujours la destinée de Philippe Malanda.
M. Malanda a rendez-vous avec son luthier attitré, M. Ginsberg, pour une inspection minutieuse de son violon, celui qu’Hélène lui avait confié. Les nazis savaient bien comment se procurer les plus beaux instruments, c’était un violon d’une très belle facture.
Elle lui avait imposé des conditions. Il devait poursuivre ses études en Europe, avec les meilleurs professeurs. Personne ne devait savoir d’où venait son instrument et il ne devait jamais mentionner son nom à elle. Elle souhaitait aussi qu’une fois par an, il se rende dans les cabarets où jouait une autre rescapée des camps, Violette Jacquet-Silberstein, matricule 10205, et qu’ensemble ils reprennent le répertoire appris pendant ces sept mois qu’avait duré l’orchestre. Ceci dans la plus grande discrétion. Cela n’avait pas été une mince affaire, sa petite taille, sa couleur de peau ne passant jamais inaperçues dans les environs de Toulon.
Lorsqu’un ami musicien lui avait recommandé M. Ginsberg pour s’occuper de l’entretien de son instrument, il lui avait bien précisé que ce monsieur était un peu spécial. Grand, une carrure massive, des yeux bleus, des cheveux blonds bien nets. Son physique contrastait avec son attitude, démarche hésitante, fantomatique, regard fuyant et parole bredouillante. Son ami avait même dit qu’il le soupçonnait d’être un peu dérangé, peut-être autiste, tant il était incapable du moindre effort social. Mais c’était un luthier hors pair.
M. Ginsberg savait à peine articuler un bonjour, il est vrai, glissait dans sa boutique comme s’il voulait se fondre dans le décor. Cependant, il devenait intarissable dès qu’il s’agissait de musique et d’instruments. La première fois qu’il avait eu en main le violon de M. Malanda, il avait aussitôt posé beaucoup de questions extrêmement précises. Il avait même dit que cet instrument rare valait très cher sur le marché. Il s’occupait à ses heures perdues d’acheter et de revendre des instruments et celui-ci l’intéressait particulièrement. Mais bien entendu ce violon n’était pas à vendre.
M. Malanda et lui avaient fini par s’entendre sur l’essentiel. Au fil des années, une complicité étrange, se passant de mots convenus pour entrer tout de suite dans le vif du sujet, les liait. Ils pouvaient discuter pendant des heures. Leur dispute favorite concernait le beau Danube bleu, que M. Ginsberg appréciait particulièrement alors que M. Malanda ne le jouait que pour respecter la mémoire d’Hélène, tant il trouvait ce morceau sans nuances. Ils se parlaient toujours avec déférence, employant un ton qui leur convenait, sans aucune familiarité, une distance respectable.
Ce soir-là, après une énième discussion qui avait suivi une révision parfaite de l’instrument par M. Ginsberg, M. Malanda s’aperçut qu’il n’avait pas de chèque pré établi de l’association de son orchestre, comme c’était de coutume. Qu’à cela ne tienne, il paierait de ses propres deniers, certain qu’il serait remboursé promptement. Il remplit donc un chèque et le tendit à M. Ginsberg.
Celui-ci l’examina, vérifiant que tout était en ordre. D’une manière inattendue, il fit une remarque personnelle, la première depuis leurs premiers échanges.
« Ah, vous vous prénommez Philippe ? Comme le Maréchal ! Je suis un grand admirateur, mon second fils s’appelle Philippe aussi. »
Et pour terminer cette sélection, je vous présente le mien, hors concours :

· Texte d’Amelia Pacifico ·
Deux minutes et cinq secondes de bonheur. Une promenade, main dans la main, dans les rues d’une ville qui vibrait au son des cigales, puis, ce moment suspendu, entre nous. Un baiser. Le monde entier semblait lui aussi s’être arrêté pour nous regarder. Le cristal bleu de tes yeux dans lesquels j’avais plongé les miens reflétait le soleil qui s’était fait timide pour notre escapade. Nous n’avions pas besoin de sa présence pour rayonner. Nos regards, nos rides, nos lèvres, tes mains sur mes reins et mon souffle dans ta bouche, tout n’était qu’incandescence. Deux minutes et cinq secondes de bonheur dans une parenthèse enchantée volée à nos quotidiens désormais loin de nous. Une odeur d’asphalte mouillé, une musique de carrousel en marche, le crépitement de la pluie chantant sa mélodie sur les toits de tôle qui nous entourent, des passants aux visages absents, et ta présence, là, devant moi. Une pause d’un battement de cils dans l’immensité de la vie qui nous traverse, un instant de grâce le temps du battement conjugué de nos deux cœurs. Le battement de cœurs amoureux.
Merci à tous pour vos participations et lectures !
A bientôt 💋
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