Participations au Rendez-Vous des Plumes – Mars 2023

Bonjour à vous 😊 Je vous invite à découvrir les merveilles proposées par nos plumes de talent pour l’appel à textes de Mars qui mettait en lumière des tatouages à la symbolique singulière 🧡

Les textes ne sont relus qu’au moment de leur publication, et ce uniquement dans le but de vérifier qu’ils ne contreviennent pas au règlement de l’atelier d’écriture. Si le cas devait se produire, le texte ne serait tout simplement pas publié, sans autre recours possible de son auteur. La Petite Boutique des Auteurs n’est pas responsable des coquilles, fautes d’orthographe, syntaxiques ou grammaticales éventuellement présentes dans les textes qui participent au Rendez-Vous des Plumes. Merci d’en prendre note avant lecture.
___ Amelia


Thème-guide de mars : Liens (non obligatoire dans le traitement de la consigne)

Type d’inspiration : Photographies

⭐ Inspiration n°1

  • Tuy Nga Brignol

Le tatouage est une pratique en constante évolution et connaît une diffusion sociale grandissante. C’est un dessin décoratif et symbolique permanent effectué sur la peau dont la pratique est attestée dans la société depuis le Néolithique. À l’origine, il était le plus souvent effectué avec de l’encre de Chine ou des encres à base de charbon ou de suif. La trace sur la peau traduit une volonté d’esthétisation de la relation de l’être humain au monde. Il affiche l’indépendance de l’individu face au social, sa volonté claire de faire ce qu’il entend.
De nombreux couples choisissent de placer leur tattoo commun au même endroit de leur corps afin de sceller leur engagement de couple. Anna et Tom ont décidé de se faire tatouer. Ils choisissent l’ancre comme motif à placer sur leur index.
L’ancre est le plus ancien des tatouages marins, mais aussi le plus populaire. L’ancre relie le bateau à la terre et l’empêche de dériver. Elle est signe de stabilité et de force, d’attachement, de sécurité. Dans la symbolique chrétienne, l’ancre symbolise l’espérance, et figure avec le cœur et la croix, parmi les trois valeurs théologales.
Les doigts de la main représentent les petits détails du quotidien. Ils sont en lien avec la dextérité, l’habileté et l’impatience. Une symbolique propre est attribuée à chaque doigt. L’index est lié à l’odorat et à l’intellect. Il exprime l’orgueil, l’autorité, la diplomatie, mais aussi l’ambition. Il informe sur la position sociale. L’index donne la direction et peut signifier le désir (“je veux ça”). Il représente aussi le jugement. L’index ou « doigt miroir » fait référence à Jupiter. Il donne des informations sur la conscience de soi, la capacité à l’introspection. En psychologie, l’index – appelé “doigt de Jupiter”- représente l’autorité, et le besoin de réussir dans la vie. Il indique que la personne a un goût marqué pour l’autorité.
D’après les résultats de la recherche en neurosciences, ce sont nos pensées qui créent nos expériences de vie, et c’est à nous de prendre une décision consciente sur la façon dont nous voulons vivre notre vie. Les choix qui nous animent méritent toujours toute notre attention et notre présence d’esprit. Chacun de nous aspire à se sentir enraciné dans l’amour et à créer des liens qui nous soutiennent. Les personnes avec lesquelles nous nous engageons nous aident à nous sentir connectés, et refléteront toujours qui nous sommes à l’intérieur.
Le véritable amour nous donne le pouvoir, avec son message implicite que « nous sommes, avons toujours été et serons toujours faits d’amour ». Il est identifiable par la façon dont il nous fait ressentir. Il y a une qualité paisible à une expérience authentique d’amour qui pénètre jusqu’à notre cœur, touchant une partie de nous-mêmes qui a toujours été là.
Le véritable amour active cet être intérieur, nous remplissant de chaleur et de lumière. Il est agréable et édifiant, pas jaloux ou anxieux, et ne compromet pas qui nous sommes en tant que personne. Quand les gens nous aiment vraiment, leur amour pour nous éveille notre amour pour nous-mêmes. Ils nous rappellent que ce que nous cherchons à l’extérieur de nous-mêmes est une image miroir de l’amant(e) à l’intérieur. De cette façon, le véritable amour ne nous fait jamais nous sentir nécessiteux, manquant ou anxieux.
Lorsque nous nous sentons ravis, excités, et anxieux, nous vivons probablement une romance, mais pas de l’amour. La romance peut mener à l’amour, mais elle peut aussi s’estomper sans s’épanouir, pour devenir un simple flirt. La romance peut être très amusante tant que nous n’essayons pas d’en faire trop. Si nous essayons d’en faire plus, elle devient alors douloureuse. En voulant nous y accrocher, nous pourrions nous retrouver à rêver d’un fantasme, ou pire, coincés dans une relation qui n’a jamais été censée durer.
Souvent dans nos vies, nous devenons la proie de l’idée d’une chose plutôt que de vivre réellement la chose elle-même. Nous voyons cela jouer dans nos vies amoureuses, dans la vie amoureuse de nos amis, de notre famille et même de personnages fictifs.
La conceptualisation, la représentation et la poursuite du véritable amour sont de véritables industries dans le monde moderne. Cependant, très peu de ce qui est offert nous conduit réellement à une expérience authentique de l’amour. Par ailleurs, alors que nous tentons de saisir ce que nous pensons vouloir et que nous ne le trouvons pas, nous pouvons souffrir et faire souffrir nos proches.
La plus grande liberté que nous puissions connaître dans n’importe quel type de relation est de pouvoir exprimer notre vérité – de parler et d’agir à partir de notre Vrai-Moi – afin d’établir des limites et de protéger notre bien-être et notre bonheur. C’est à cette condition qu’au terme du Voyage, les deux partenaires auront la possibilité de créer une relation de plus en plus passionnée, de plus en plus aimante capable de résister à l’épreuve du temps.


  • Alexandra Morin – 3e place

Le vieux Morgan était assis sur le banc du port, comme tous les jours depuis des mois. Le cœur serré, il regardait les bateaux aller et venir, écoutant les clapotis de l’eau contre leur coque. Les câbles des mâts tintaient et leurs voiles claquaient au vent. Il ne connaissait que trop bien cette musique qui l’avait accompagné toute sa vie.
Il observa des pêcheurs qui quittaient le port. Deux d’entre eux semblaient discuter avec émerveillement du bateau amarré au ponton. Morgan leva les yeux vers lui, plein de mélancolie.
En face, se dressait un beau voilier d’une dizaine de mètres de long. Il était en bois verni d’une couleur cuivre chaleureuse, brillante sous le soleil. Le grand mât s’élevait majestueusement vers le ciel, soutenu par les haubans en acier. Les voiles en coton d’un blanc immaculé flottaient légèrement au gré du vent et les cordages en chanvre, soigneusement enroulés et rangés sur le pont, semblaient prêts à être utilisés à tout moment. Il ne manquait qu’un capitaine manœuvrant son gouvernail en bois qui trônait au centre du cockpit.
— Qu’est-ce qu’il est beau !
Morgan tourna la tête et s’aperçût qu’une petite fille se tenait assise à sa gauche. Il ne l’avait pas entendu arriver et se demanda depuis combien de temps elle était là. Elle plongea son regard dans le sien. Elle avait des yeux d’un bleu vif et profond, comme l’océan, des yeux pleins de curiosité et de fraicheur qui le déstabilisèrent.
— Vous ne trouvez pas ? Moi je l’adore ! Je le regarde tous les jours depuis qu’on est arrivé ici.
— Heu… si. Il est beau, grommela-t-il.
La petite fille lui sourit.
— Un jour, je serai capitaine d’un grand navire comme celui-ci et je parcourrai les mers comme une pirate !
Le cœur du vieil homme se serra et il détourna son regard. Ses yeux fatigués s’embuèrent.
— Je ne comprends pas pourquoi il ne quitte jamais le port, en plus, personne ne va jamais dessus. Je me demande bien à qui il appartient. Moi, si j’avais un bateau comme celui-là, je vivrais dessus toute ma vie ! Je voguerais par-delà les mers à la recherche de… Oh ! Monsieur !
Morgan essuyait ses larmes. Il regarda la petite fille.
— Tu as raison, ce bateau devrait vivre, dit-il. Mais il a perdu son cœur. La raison pour laquelle il glissait fièrement sur les flots, au gré du vent.
— Son cœur ?
— Son cœur et son âme.
La petite fille fronça les sourcils et regarda le voilier.
— Mais… ce n’est pas possible, c’est un navire !
Morgan était fatigué et n’avait pas la patience.
— Tu ne peux pas comprendre. Un bateau n’est pas qu’un objet en bois.
Quelques secondes s’écoulèrent sans qu’aucun d’eux ne parlent. Morgan sentait que la petite fille l’observait et cela commençait à l’énerver.
— Tu n’as pas un autre endroit où aller ? Je suis sûre que quelqu’un t’attend chez toi… heu…
— Naïa.
— Quoi ?
— Je m’appelle Naïa. Et je sais qu’un bateau n’est pas qu’un objet en bois. Justement. Je vous disais que ce navire ne pouvait pas perdre son cœur… car son cœur, c’est l’océan. Et l’océan est toujours là pour accueillir les marins et les pirates qui n’ont pas leur place sur terre. Dire que ce bateau n’a plus d’âme signifierait que l’espoir que je ressens à chaque fois que je pose les yeux sur lui n’existerait pas. Que les rêves qu’il crée ne seraient que des songes destinés à ne jamais se réaliser. Que son capitaine aurait oublié l’excitation, l’émerveillement et la liberté infinie ressentis quand il l’a emmené pour la première fois en mer.
Morgan la regarda bouche bée.
— Monsieur… je ne suis peut-être qu’une enfant, mais tous les jours, quand je regarde l’océan, je suis happée par sa grandeur qui s’étend à perte de vue et j’en ai presque le vertige ! On dirait une toile sur laquelle tout est possible. Je m’imagine derrière le gouvernail d’un grand voilier, sous les cris des mouettes qui planent au-dessus de ma tête. Je suis consciente que la mer peut être une amie fidèle comme une ennemie impitoyable. Je sais bien que certains jours, les marins sont submergés par la puissance des vagues, des géants de colère qui frappent la coque du navire. Mais leur visage creusé par le vent et le sel, leurs mains caleuses à force de tirer les bouts, ce sont les témoins d’une vie d’aventures trépidantes ! Faire partie d’un monde plus vaste, plus complexe et plus magnifique… voilà ce à quoi j’aspire. Là où chaque brise peut apporter une nouvelle découverte et une nouvelle émotion.
Morgan l’avait écouté sans un mot. Les yeux écarquillés, il avait l’impression qu’une vague venait de le frapper en plein cœur. Naïa lui sourit et prit sa main dans la sienne.
— Vous avez les mains d’un aventurier. Tout ça, vous l’avez vécu… mais vous l’avez juste oublié quand elle est partie. Les gens du port me l’ont dit, je sais que vous avez perdu votre épouse. Moi, je pense qu’elle aurait voulu que vous continuiez à vivre tout ça, parce qu’ils m’ont dit qu’elle aimait l’océan autant que vous. Elle ne vous en voudra pas de profiter de tout ça sans elle, au contraire. En fait, elle est toujours là, dans chaque goutte qui vient mouiller le ponton, dans chaque vent qui caresse votre visage. Elle vous attend. Et ce Navire aussi, l’Odyssée, il n’attend que son capitaine pour lui redonner son âme.
L’homme pleura à chaude larmes. Il avait l’impression qu’un poids terrible quittait son corps, sa tête et son esprit. Tout ce qu’il gardait en lui depuis des mois venait d’être bousculé par cette petite fille.
— Je suis désolée mais je dois partir, Monsieur…
— Morgan.
— « Celui né de la mer », lui dit-elle en souriant.
Naïa se leva et le regarda une dernière fois, hésitante, ses yeux bleus pétillants d’espoir.
— Oui ? Lui demanda-t-il, essuyant à nouveau larmes.
— Monsieur Morgan, est-ce qu’un jour, vous m’emmènerez avec vous ?
Le vieil homme lui sourit, l’océan venait de l’appeler.


  • Les lettres d’Ely

Le restaurant est bondé et Bianca excédée retourne en cuisine les bras chargés suite à des erreurs de lecture dans ses commandes, les numéros de table se mélangent constamment. Sa dispute avec Matt la distrait. Un rapide coup d’œil à sa montre, dans 5 minutes elle aura enfin fini son service du soir.
Au fond, Matt a raison de lui faire remarquer que ses critiques récurrentes le blessent seulement, il n’était pas obligé de s’énerver. Certes, elle ne devrait pas lui reprocher sa surconsommation de soda puisqu’il a quand même 5ans de plus qu’elle et le droit de boire ce qu’il veut. Néanmoins, elle a été vexée donc même si elle aime passionnément cet homme, il est clair que tant qu’il ne se sera pas excusé, elle restera muette.
Il faut avouer qu’en dépit de ses 30 ans, Bianca est une jeune femme très impulsive, têtue et passionnée. Une petite rêveuse émotionnellement instable. Matt s’attends toujours à la voir passer du rire aux larmes ou de 0 à 100 en quelques secondes. Alors que lui se montre plus équilibré, plus réaliste et sait se modérer. Il apprend encore à la canaliser, mais il apporte déjà beaucoup de réconfort à la femme qu’elle devient à ses côtés, ainsi que la sécurité dont la petite fille à toujours manqué.
D’instinct elle caresse la petite ancre noire. D’habitude elle est cachée par le majeur puisqu’elle est tatouée à sa main droite, juste là sur le bas de l’index. Matt porte la même marque, elle est le symbole du lien qui les unit l’un à l’autre depuis un an. Il la leur a offerte pour se souvenir qu’ils se soutiendront toujours et qu’il veut être à ses côtés même si cela signifie couler avec elle.
Minuit sonne quand Bianca, épuisée de sa soirée quitte le travail pour rejoindre Matt. Voir la petite voiture grise sur le parking et le joli profil de Matt, fait remonter à la surface des souvenirs de leur première rencontre. Quelques flashbacks et le temps recule jusqu’au 7 juillet dernier.
Ce jour-là, son emploi du temps avait été modifié alors elle avait saisi l’occasion pour proposer à Matt de venir, ce qu’il avait accepté avec empressement. Elle attendait sur le parking d’une immense gare. Angoissée de faire une nouvelle rencontre, elle se rassurait comme elle pouvait et repensait aux messages qu’ils échangeaient depuis plusieurs mois. Environ 100 kilomètres les séparaient encore.
Matt était arrivé 1 heure plus tard et avait eu des difficultés à lui décrire sa position. Le stress déformait les informations. Toutefois, ce n’était pas bien grave, la voix de Matt pressante, souriante, à la fois douce et rassurante. Elle l’avait séduite instantanément…
Une voix calme et familière parvient aux oreilles de Bianca, le présent reprend progressivement place et l’illusion s’efface.
— Eh Bianca ! Tu veux camper là ? J’aimerais bien rentrer tu sais, je suis fatigué de ma journée aussi, lance Matt après avoir baissé la vitre de sa portière.
La jeune femme contemple son compagnon qui ne comprend vraiment pas ce qu’il lui prend de traîner comme ça. Il est évident qu’il lui en veut encore et elle aussi, pourtant le voir lui redonne le sourire. Il est aussi beau que la première fois avec ses cheveux en batailles et sa barbe de 10 jours… C’est fou pensa-t-elle, rien ne les destinait l’un à l’autre et pourtant ils étaient passés de simple match virtuel à partenaire de vie en quelques heures à peine.
— Bianca sérieux tu rêvassera plus tard, monte dans la voiture s’il te plaît, j’en ai marre d’attendre sur ce parking ! s’exclame-t-il plus fort.
Elle fait finalement les deux derniers mètres en courant, contourne la 208, grimpe côté passager et s’attache sans dire un mot et sans regarder une seule fois le conducteur. Sidéré, Matt la dévisage.
— Tu boudes ?
— …
— T’es sérieuse là ? Je viens de faire 25min de route et de nuit pour que tu n’es pas à rentrer à pied et toi tu fais la gueule ?
— …
— On peut discuter au moins ? Tu peux m’expliquer ce qu’il se passe ? Ton service s’est mal passé ?
— Non. Non. Oui.
— OK.
Il a l’habitude de la voir se fermer et se contient, il n’insistera pas d’avantage. Il préfère retenter plus tard et programme son GPS avant de démarrer. Les mains crispées sur le volant, il a quelques difficultés pour se concentrer et jette des œillades furtives à sa compagne dans l’espoir qu’elle se décide à lui parler.
— Qu’est-ce qu’il y a ? lui demande t’elle vivement.
— Tu es trop belle. déclare-t-il avec tendresse.
Bianca s’empresse de tourner la tête et regarder dehors pour qu’il ne la voit pas sourire. Frustrée de perdre son air sérieux elle choisit de l’attaquer.
— Tu comptes t’excuser un jour ? Ce serait la moindre des choses. >> lâche-t-elle sèchement
— M’excusez ? De quoi ? Pour ce qu’il s’est passé à la maison ? Pourquoi c’est toujours à moi de m’excuser ? Si tu arrêtais de critiquer tout ce que je fais peut-être qu’on n’en serait pas là ! s’écrie-t-il
Le ton de Matt est sec, il a clairement perdu son sang-froid et s’en rend compte. Il déteste quand Bianca fuit son regard et le provoque, il s’en veut d’avoir crié.
— Tu sais, je t’admire et la plupart de tes conseils améliore ma vie mais laisse-moi le temps de changer à mon rythme et surtout ce que je veux changer, je ne veux pas que tu m’impose ta vision car je ne suis pas toi. Tu comprends ou pas ? explique-t-il calmement.
— …
— Bianca, fais un effort s’il te plaît, je suis content que tu t’investisses comme ça et veille sur moi, mais la méthode n’est pas adaptée. Je veux bien avoir ton point de vue et entendre tes recommandations, mais je veux aussi avoir le choix au lieu de systématiquement me sentir juger. Tu comprends ou pas ? renchérit-il avec douceur.
La jeune femme ne sait pas quoi répondre, elle a conscience de son erreur et de l’affection que lui porte Matt depuis le tout début. Elle voudrait faire disparaître les quelques minutes qui viennent de s’écouler et le serrer dans ses bras… Matt a tellement de qualité. Ce qu’elle admire le plus c’est justement sa diplomatie et la facilité qu’il a pour résoudre les conflits avec bienveillance. Finalement à force d’entendre des autres qu’elle était trop ou pas assez, elle a fini par croire elle aussi que tout le monde devait lui ressembler.
— Tu ne veux toujours pas me parler ? l’interroge-t-il un peu triste.
— Si, si… C’est juste que je ne sais quoi dire. Je ne sais pas te parler… Je suis constamment offensive et ça me déçoit. Mes paroles sont maladroites et mes mots te font du mal…
— Je sais que ce n’est pas volontaire et que tu peux améliorer ça, mais on peut travailler dessus ensemble. Amour, je voudrais simplement que tu me fasses confiance et sentir que tu crois en moi.
— Mais je crois en toi, je ne sais pas pourquoi je n’arrive pas à te le montrer… lui confie-t-elle d’une voix fébrile.
Le jeune homme la connaît par cœur, il peut lire tous ses visages, déchiffrer chaque mouvement de sourcil… A cet instant, Matt se gare et coupe le moteur. Malgré le faible éclairage, il sait que sa petite amie est sincère et que des larmes mouillent ses joues. Délicatement, il glisse une main dans celle de Bianca qui l’étreint fermement.
— Je ne lâcherais jamais cette main. Enfin sauf si tu me le demande ou si nos sentiments changent mais je n’en ai pas envie. Je ne suis pas amoureux tu sais, j’ai choisi de t’aimer toi et toutes tes contradictions. Ce qu’il y a entre nous, ce lien qui s’est créé est puissant et précieux à mes yeux alors même si c’est difficile, je veux continuer avec toi. Amour c’est toi que je veux, personne d’autre ! Et si j’ai besoin de te l’enfoncer dans le crâne à coup de pelle bah tu mettras ton casque de moto avant et puis voilà ! Affirme-t-il fièrement.
La ferveur du discours les fait tout deux partirent en fou rire. Ils se précipitent hors de la voiture et s’embrassent passionnément avant de composer le code de l’interphone. La porte s’ouvre et leurs regards se croisent ; l’index tatoué de Matt vient subtilement crocheter celui de Bianca pour l’attirer à lui dans la cage d’escalier et la porte se referme sur eux.


  • Alvane Marae

Cette image est très évocatrice d’un amour fusionnel : un couple uni, tourné vers un même avenir.
Elle me fait également penser au serment du mariage où le marié et la mariée promettent « de se soutenir, s’encourager, se respecter et s’aimer malgré les obstacles ».
Elle donne la vision idyllique d’un homme et d’une femme prêts à rester solidaires, malgré la tempête et les difficultés de la vie. Telles deux cordes fortement nouées entre elles, rien ne peut briser cet amour, ce lien entre deux personnes éperdument amoureuses.
Cette représentation m’inspire aussi une certaine cohésion dans la manière de voir, d’aborder la vie et l’avenir.
Ce nœud, parfois fragile mais jamais dénoué, est l’un des secrets de longévité d’une relation amoureuse.
Je pourrais résumer cette photo par la phrase suivante :
« Marchons dans la vie, main dans main, quoiqu’il arrive ».


  • Marie-Christine Legrand

LIENS DE L’AME
Taliyah flotte sur le petit nuage de l’amour. Ses cheveux d’or ondulent comme les vagues sur l’océan non loin de là. Silencieuse, rayonnante, elle calque son allure au rythme de Théo. Une connexion très forte les unit. Ce lien s’est tissé au fil de leurs rencontres. Au début, il y a quelques mois, elles se faisaient brèves avec en guise d’au revoir un léger baiser volé. Puis l’audace aimantée par l’attractivité de leur corps, a scellé leur amour naissant dans leur crique bercée par le rythme des vagues et des mouettes rieuses.
Aujourd’hui, jour de printemps de l’an mille neuf cent quatre-vingts quatorze, c’est là qu’ils se dirigent. Mille et unes pensées bouillonnent dans la tête de la jeune fille. Son index se couple à celui de Théo. La légère pression fait remonter la chaleur le long de son bras nu et réveille en elle la sensation, la perception plutôt qu’une petite vibration inhabituelle anime le bras de son amoureux. D’un subtil mouvement de tête, elle tente de comprendre dans son regard azuré ce qui lui dicte cette impression. C’est cette clairvoyance dont elle seule a le secret qui donne une force à leur union.
Ils laissent derrière eux le sous-bois des pins tourmentés par les vents. Traversent la clairière dont les légendes du coin susurrent qu’elle cache des fées venues des contrées du nord. Soudainement, la voix du jeune homme rompt ce flottement :
— Tu crois qu’elles nous observent et nous suivent ?
Un imperceptible « ouf » semble apaiser les néfastes idées vagabondes de Taliyah. Sa voix cristalline monte d’un ton plus haut que d’habitude et entonne :
— Sûr ! Tu en as même une sur ton épaule !
L’effet est immédiat. Les yeux rieurs du jeune homme s’animent. Son sourire illumine son visage hâlé par l’air de la mer. Ses mains chaudes enlacent la fine taille de la jeune fille puis glissent autour de son buste. Sa légère pression ancre leurs corps. Et ses lèvres gourmandes aimantées par l’odeur fruits rouges de celles de Taliyah scellent un langoureux et profond baiser. Ils ne font plus un. Puis d’un léger essoufflement, elle rompt cet instant magique et murmure :
-Le premier arrivé à la crique aura un autre bisou, et une info en prime !
-Je vais encore gagner ! Puis, plus doucement. J’ai une chose à t’apprendre…
Mais déjà la jeune fille sportive emportée par l’élan de la course à la victoire n’a pas eu le temps de capter ses dernières paroles cruciales. Elles se sont essaimées vers le large au gré du vent. Leur écho parviendra-t-il jusqu’à elle. Pas sûr, car sa belle foulée la rapproche du chemin sableux qui descend ver la crique. Cette jeune infirmière athlétique a déjà plusieurs marathons à son actif. Théo, lui, élancé et sportif également, s’entraine régulièrement auprès de la Marine Nationale dont il en a fait son métier comme ses aïeuls. Cependant, aujourd’hui malgré sa belle enjambée et sa belle intention de réclamer son deuxième baiser voire plus, il semble être retenu et freiné. L’annonce surprise reçue ce matin même le tourmente. Il doit choisir ses mots avec douceur et apaisement pour contenir la réaction de Taliyah.
Il y a un peu plus d’un an qu’ils se sont rencontrés lors d’un stage d’exercices de secours en mer. L’effet a été immédiat. L’attirance pour l’un et l’autre s’est révélée devenir une évidence. Dévorant leurs temps libres en passion grandissante, ils ont symbolisé leur union en une marque indestructible à l’image de leur amour. En effet, le tatouage d’une petite ancre marine orne l’intérieur de leur index. Ce lien scelle la force et l’attachement envers l’autre. Et comme le disait Taliyah, tout devient possible avec toi.
Arrivée la première à la petite crique d’un ancien repère de pirates, allongée sur le sable et illuminée par les rayons orangés de soleil couchant, elle s’étire telle une étoile de mer puis tend les mains pour accueillir son vaincu à la course.
— T’as gagnée mais de peu ! Dit-il en s’allongeant près d’elle en l’enlaçant.
Puis, soudain, ses longs sourcils bruns se contractent. Son regard cherche au loin la force de parler et de lancer le sujet qui le consume depuis le matin. Elle, attend, le souffle en suspension, suspendue aux lèvres de Théo.
— Taliyah ! Je… J’ai reçu ce matin une missive.
Un silence se fait tout à coup. Elle capte les mouvements saccadés de sa pomme d’Adam. L’angoisse fonce sur elle comme la mer sur le rocher. Tout à coup, il plonge son regard vers le sien et d’un sursaut de courage annonce :
— Je dois partir dans 3 jours en mission pour six mois au large des côtes africaines.
Voilà, c’était dit. Elle reçut cette annonce comme une tempête sur l’océan. Bien sûr, elle connaissait le métier de marin, son engagement et les futurs déplacements à venir. Mais cette révélation cyclonique, la fit bondir. Elle marcha de long en large dans leur espace intime en se tenant la tête pour ne pas exploser. Resté assis, Théo attendait avec attention le moment où il pourrait la prendre dans ses bras et apaiser sa tempête. Ce fut ce moment où les larmes jaillirent en flots puis les soupirs qui lui donna le signal du rapprochement. Elle se lova, hoquetant, contre son torse rassurant.
— Pourquoi, maintenant ! C’est trop injuste ! Oh Théo c’est trop tôt !
Elle serre les poings de rage et désespoir. Elle avait eu un pressentiment lors de leur ballade mais cet évènement aussi bouleversant, elle ne l’avait pas vu venir. Les douces caresses sur ses cheveux et la voix apaisante du jeune homme agissent comme potion magique. Ou alors les fées auraient-elles apaisé leur chagrin ?
— Profitons de nos trois jours nous serons ensemble non-stop ! Et puis on restera connecté en pensée et avec le réseau. Ça passera vite tu verras !
— Oui ! Je vais tenir pour nous deux et peut-être bientôt nous trois !
L’étonnement illumine le visage de Théo et sur ce merveilleux lien, ils repartent main dans la main vers leur nouvel avenir sous les yeux bienveillants des invisibles fées.


  • Audrey Swientczak

Nous nous sommes rencontrés sur un bateau, il était beau, le teint halé, les cheveux au vent, il était libre.
J’étais laide, blanche, les cheveux collants, je voyageais clandestinement.
Je me suis accrochée à lui comme l’ancre d’un bateau s’accroche au fond de mer, il s’est accroché à l’encre de mes yeux. Il m’a sauvé de la noyade.
Ça fait plusieurs jours que je survis cachée à bord de ce bateau, je me nourris un peu en faisant les poubelles la nuit, quand tout le monde dort confortablement dans sa cabine, mais je n’ai pas vraiment faim, j’ai le mal de mer, je suis abattue, détruite, ma vie est en sursis.
Je ne sais pas ce que je serais devenue s’il ne m’avait pas trouvé, accrochée. Gil m’a emmenée à sa cabine, je tenais à peine debout, je tremblais de tout mon être, j’avais froid, j’avais peur, qu’allait-il faire de mois ?
— Depuis combien de temps es-tu à bord ?
Il met une couverture sur mes épaules.
J’hésite à répondre.
— Je ne sais plus.
— Tu n’as plus de force, ça doit faire un moment.
Il me fait apporter un bon repas chaud, m’installe dans son lit et me borde comme un bébé.
Un lit, j’en avais oublié le confort, la douceur et la bonne odeur des draps propres, je me sent mieux et m’endors rapidement.
Je reste là, dans sa cabine pendant 2 jours, il s’occupe de moi, nous apprenons à nous connaître, il me parle de lui, de son travail, de sa vie.
Je lui parle un peu de moi, de ma fuite. Le temps passe vite, je reprends vie tout doucement.
Le matin du troisième jour, nous accostons à Marseille, il va me faire descendre du bateau et après que vais, je devenir ? Je n’ai pas envie de le quitter, il y avait longtemps que je ne m’étais plus sentie en sécurité.
Gil m’a trouvé des vêtements propres à la laverie, il a bon goût, ils me vont bien.
Nous nous mélangeons aux touristes survoltés de descendre visiter la ville et je passe incognito.
Me revoilà sur la terre ferme, le soleil brille, on quitte le port.
Gil me regarde le sourire aux lèvres.
— Voilà, tu es libre.
Ma gorge se noue, il va me laisser comme ça, on va se quitter comme ça ? Je ne sais pas quoi dire.
— Merci pour tout Gil.
Je plonge mon regard plein de larmes dans le sien, je retarde le moment de le quitter et là, il me prend la main et m’entraîne avec lui.
Un an plus tard, on profite de notre journée de congé pour visiter Amsterdam. Dans une petite rue, la vitrine d’un tatoueur nous attire, on se regarde, on entre, pas besoin de se parler, on sait pourquoi on est là.
Pour fêter notre rencontre, on s’est fait tatouer une ancre, nous sommes liés à jamais.


  • Rubenia Timmerman

Ma vie était comme une mer agitée.
Je me sentais frêle comme un radeau dans la tourmente, me laissant porter par le courant, incapable de lutter, terrifiée par les bruits de tonnerre.
Et puis, tu es arrivé.
Ta présence a été comme un phare dans la nuit, vers lequel j’ai ramé de toutes mes forces. Ma mer intérieure s’est apaisée et j’ai retrouvé l’énergie et la joie de maintenir mon cap.
Aujourd’hui, nous sommes Toi et Moi dans le même bateau, co-capitaines de nos existences, prêts à affronter les tempêtes et avides de nouveaux horizons.


  • Léna Baixas – 1e place

Je fixe le vide.
Je crois que j’y ai ma place.
Ton côté du lit est froid. Je n’y distingue plus les contours de ton corps et mes yeux dessinent la ligne plate qu’a laissée ton absence. Au-delà du rien, c’est toi que je vois.
Je suis la ligne jusqu’à ce qu’elle remonte sur l’oreiller. Tu aurais dû être là. Juste là. Ton visage endormi, ta joue pressée sur le côté. Tes sourcils auraient été froncés, de ce petit air renfrogné que j’ai toujours aimé.
Tu devrais être là, à mes côtés.
Je laisse le dos de ma main glisser. Mon bras s’enfonce dans les draps. Sur mon doigt, je vois les traits épais et noirs d’une ancre tatouée. Sa jumelle avait existé. On était jeunes. Le monde pouvait bien nous pardonner quelques clichés.
Pourtant, tu étais bien mon ancre, ce qui me rattachait à la Terre, m’enfouissait dans le sable, et m’évitait de voguer trop loin au large de mes pensées. Tu avais ce truc que les autres n’ont pas. Cette fabuleuse répartie que même mes pires angoisses n’arrivaient à contrer. Tu gagnais à tous les coups. Je crois que c’était fait exprès, que tu avais décidé d’être ce barrage, brillant chevalier dont la langue faisait office d’épée.
Et je passais des heures à te regarder. J’aimais la longueur de tes cils couvant tes grands yeux chocolats, profonds aux éclats dorés. Je me nourrissais de tes sourires. Comme ton rire me manque… Je crois que si je me concentre bien, que je m’accroche à mes souvenirs, je peux encore l’entendre rebondir dans notre chambre. Il est vif, bruyant. Il ne s’excuse pas d’exister. Mieux, il réussit à m’emporter.
Je m’emporte moi-même à présent, vers des images de toi qui appartiennent au passé. Tu te souviens de nos matins ensommeillés ? Des rêves que nous nous racontions ?
« J’ai rêvé de bébés tsunamis.
— C’était des vagues, ma chérie. »
Est-ce qu’elles t’ont emporté ? Est-ce que mon ancre t’a lâché ? Je te tenais pourtant si fort. Je peux encore sentir ta main au creux de la mienne, tes doigts autour des miens. Leur chaleur s’est imprimée sur ma peau et ton odeur ne me quitte plus. Elle imprègne notre chambre.
Sur ma joue, c’est l’eau salée qui s’écoule jusqu’à mes lèvres. Ma tristesse a le goût de ton absence. Ces larmes ravagent ma peau, la piquent, la mordent. Chaque nuit, elles creusent mon visage et je me demande si un jour elles le grignoteront en entier comme le sel de la mer grignote le bois.
Mes paupières se ferment, je roule sur le dos. Le silence n’appartient qu’à moi… ou peut-être que je lui appartiens. À vrai dire, il me dévaste. Je n’y entends plus ta respiration lente et profonde, tes légers ronflements, le frottement de ton corps dans les draps. Tu parlais dans ton sommeil parfois. Tu m’appelais, mon prénom à moitié mâché entre tes lèvres empâtées.
C’est toi que j’appelle ces derniers soirs.
Et je ne tiens plus. Je me relève. Je n’allume pas la lumière. Je ne veux pas voir ta veste sur la chaise du bureau, tes chaussures dans un coin de la pièce, ou le livre sur la table de chevet, celui que tu ne finiras jamais. Je ne veux pas regarder à nouveau nos photos encadrées: notre mariage à l’ancienne creek où nous nous étions rencontrés, un pique-nique en forêt, le jour où tu as été diplômé, et tous ces autres instants que je pourrais dessiner sans les voir tant ils restent gravés.
Les yeux plein de larmes, je titube. Quelques pas maladroits me portent jusqu’à la salle de bains et ici, je ne peux me résoudre à tâtonner dans le noir. J’allume une vieille lampe posée sur le coin du meuble-vasque parce que le néon suspendu au-dessus du miroir est toujours cassé. Tu avais promis de le réparer. Je ne suis pas harcelée par tes photos dans cette pièce mais il y a ta brosse à dents dans le petit pot, juste à côté de la mienne ; quelques-uns de tes vêtements sales qui débordent encore de la panière ; ta serviette rêche et roulée en boule dans un coin. Des traces de vie étalées un peu partout dans l’appartement. Je sais qu’une fois le ménage fait, un grand nombre disparaîtra. Manon viendra jeudi pour m’aider. Je ne suis pas sûre d’être prête. C’est un peu de toi qui va s’en aller.
Debout face au lavabo, je tends ma main sous la lumière de la lampe. J’écarte mes doigts et je dévoile à nouveau le tatouage sur ma phalange. Ça aussi, c’est un bout de toi, de nous. Je me souviens du jour où mes parents l’ont remarqué pour la première fois: on avait séché le dernier jour de lycée avant les grandes vacances pour aller chez ce tatoueur rencontré à un festival et sur le chemin jusqu’à la rue Pasteur, tu avais eu la brillante idée d’une ancre. Parce que tu rêvais de vivre sur un bateau, au large de je-ne-sais-plus quels flots, et que moi, je rêvais d’une maison. Tu avais dit qu’une maison, qu’un foyer, ce n’était pas seulement un endroit mais un sentiment au fond du coeur ; et que ça, on pouvait le transporter partout, même au milieu de l’océan. On aura notre propre ancrage, là, sur la peau et on saura toujours à quel port s’amarrer. Je crois que c’était tes mots. Je ne sais plus trop. Je me souviens avoir ri en te poussant sur le trottoir. Et quand j’étais rentrée chez moi, ce jour-là, mes parents n’avaient jamais autant hurlé. Ils me trouvaient trop jeune pour une promesse tatouée. Et si, dans trois mois, vous ne vous aimiez plus?
Je passe mon index sur le tatouage. Je dérive dans le silence. En moi, ton nom perce le vacarme de ma souffrance. J’aurais préféré qu’on ne s’aime plus, que cette disparition ne soit que le résultat d’une dispute, d’une trahison… n’importe quoi, à part ça.
Jeudi, tes affaires auront pratiquement toutes disparu. Et elles continueront à disparaître avec le temps. Tout comme les souvenirs qui deviendront plus flous, plus distants. Ce tatouage, lui, resterait à jamais comme le rappel constant que tu as été là. Un peu comme ces messages sur les murs de notre vieux lycée : machin est passé par-là. Moi, j’ai un «je suis passé par là» tatoué sur le doigt.
Sur la porcelaine blanche, ton rasoir est toujours là. L’idée me vient. Je ne la maîtrise pas. Elle me traverse comme une fulgurance. Mes larmes redoublent parce que j’y pense à ce geste, je l’imagine, je le vis dans ma tête avant même de l’esquisser dans le réel. La culpabilité m’inonde. Je suis désolée de vouloir t’effacer, si terriblement désolée.
Mais cette ancre n’est plus rattachée à aucune autre et je crois que si je la laisse sur ma peau, elle m’emportera jusqu’au fond. Je préfère voir la plaie, observer la cicatrice. Alors par-delà le flou de mes larmes, je vois ma main empoigner le rasoir. Je suis sûre que c’est ma main et pourtant je n’ai pas la sensation qu’elle m’appartient. Je presse les fines lames contre ma peau. Je grimace. Je pleure. Je saigne. Je te dis que je suis désolée, encore et encore, et que je t’aime.
Dans les stries de ma chair, le sang noie l’encre.
Je te laisse sous ma peau, là où je ne peux plus te voir, mais où tu seras toujours.


  • Emelyne Ville

Une rencontre vient d’avoir lieu. Une évidence.
Une certitude aisée, limpide et authentique.
Deux âmes qui se trouvent, et deviennent confidentes.
Un homme et une femme, humbles et romantiques.
Ils découvrent leur union au fil du temps,
Et décident d’emprunter le même chemin.
Il y aura des bas, des hauts; aussi des Printemps.
Ils le savent, s’en doutent; mais en restent sereins.
Ils se tiennent, car quand l’un chute, l’autre le relève.
La vie cimente leur duo et les enracinent.
Leur complicité dans les côtes est leur sève,
Dans les pentes aussi! Ils sont leur antitoxine.
Leur parcours? Avancer ensemble vers l’horizon.
Alors leur ancrage sera leur mariage.
Couleurs et fleurs abonderont à foison,
Ornant cette journée, témoignant de leur voyage.

Ils découvrent encore des sentiers de traverse,
Surtout quand la pluie tombe en violentes averses.
Les aléas peuvent être douloureux ou rugueux,
Les coudes serrés, doigts liés, ils restent joyeux.
Les gens ne comprennent pas, ou peu, leur unité,
Monade qui respecte pourtant leur liberté.
Les mauvais jaloux ne sont que de passage,
Forts d’être deux, ils n’en restent pas moins sages.
Au détour d’une route, ils aperçoivent un champ éclatant de blé.
Ils se promènent, caressant les épis hâlés.
L’idée germe d’agrandir ce lien précieux:
Un délicat et mignon enfant, reflet d’eux.
L’avenir est devant, l’optimisme les rend
Insouciants. Le changement: ils sont parents!
L’aventure continue. Ils sont confiants.
La destinée se réalise, les comblant.


  • Jean-Charles Paillet

Mon enfant je te transmets
le rire cristallin de la rivière
d’entraînants pas de danse
de la lumière dans tes mains
de verts chemins à n’en plus finir

Je te transmets un ciel musical
la pulpe des mots poétiques
le goût du fruit mûr sur la branche
des prés accueillants où te reposer
et plus de mille soleils dans ton cœur


  • Athénaïs Grave

SOUVENIRS
Te rappelles-tu ces jours, où le brouillard gris brouillait nos yeux ? Te rappelles-tu ces nuits où le froid givré brisait nos os ? Te rappelles-tu des feux de forêt, qui dévoraient nos passés ? Te rappelles-tu la grêle, qui martelait notre peau ? Te rappelles-tu la boue, qui nous a faits tant de fois glisser ? Te rappelles-tu la pluie, qui ruisselant sur nos joues, masquait nos larmes ?
Te souviens-tu de ce soir-là, sous la lune claire, où nos corps sur un lit de feuilles mortes étaient encore tombés ? Te souviens-tu avoir cru ne plus jamais pouvoir à nouveau te relever ? Te souviens-tu nos regards qui se noyaient dans les flots de l’autre ? Comme deux oisillons perdus tombés du nid. Te souviens-tu cet instant où… ?
Ainsi, comme deux bouteilles jetées à la mer, nos deux cœurs, après avoir été ballottés par tant de remous, se sont ancrés, dans les abysses de nos âmes.
Et le va-et-vient du vague à l’âme, qui fait trembler nos frimousses, crisper nos lèvres, froncer nos sourcils, n’est rien, face à la chaleur du soleil qui perce difficilement les bas-fonds en un mince trait de lumière victorieux.
Alors, comme on suit un fil d’Ariane, nous l’avons suivi. Deux à deux. Main dans la main. Cœur dans le cœur. Nous avons bravé la houle des orages de vie.
Enfin, te rappelles-tu ce jour, où sans y penser, nous nous sommes rendu compte qu’enfin nous pouvions respirer.
La tête, hors de l’eau.


⭐ Inspiration n°2

  • Robin Ruiz

J’ai toujours estimé qu’elle était ma lune, et moi son soleil. Son caractère froid, renfermé, presque lunatique, face à l’homme que je suis : quelqu’un d’extravagant, sensible, toujours prêt à dégainer le moindre sourire, prêt à faire face à n’importe quelle conversation.
Dès le départ, j’ai su que ce n’allait pas être simple de vivre avec ces différences qui nous exacerbent, nous font voir le monde autrement, qui ne cessent de nous mettre en désaccord. J’aurais pu lâcher prise il y a bien longtemps, continuer à prendre soin de mon rayonnement. Faire en sorte que ma carapace dorée reste intacte, continuer à croire en moi et en ce que j’entreprends.
Mais malgré cela, elle m’intriguait. Je voulais en savoir plus. Je voulais savoir si j’étais capable de partager ma lumière, même à quelqu’un qui souhaite résider dans l’ombre. Je voulais savoir si j’étais capable de créer un lien avec cette personne qui vient d’ailleurs, même si je dois me fourvoyer, et mettre mon sourire en péril. En somme, je crois bien que je voulais devenir son héros, être celui qui la sauvera de Lucifer.
Elle a toujours été teigneuse à mes égards, presque mauvaise. Elle se moquait ouvertement de mon optimisme, avec son air cynique que j’ai toujours détesté. Elle se fichait totalement des fragments de bonheur qui m’appartenaient et que je lui narrais. Elle ne voulait pas les entendre, encore moins y croire. Aujourd’hui, avec du recul, je constate qu’on ne donne pas de fragments de vie à quelqu’un de brisé. Même un ciel trop sombre n’autorisera pas aux étoiles de briller en lui.
Pourtant, elle s’exprimait avec moi avec une force sans pareille. Comme si elle voulait (et pouvait) enfin mettre en valeur ses opinions noircies par le temps, et se réconforter dans ses tendres ténèbres. Elle voulait me prouver que la lumière n’est que factice, et que tôt ou tard, quelqu’un fera s’abattre le rideau sur vous. Qu’il est au final plus facile de détester que d’aimer, plus simple de se méfier que de faire confiance.
J’avoue que sur certains points, elle n’avait pas tort : Pour apprendre à maîtriser ce que j’exultais jour après jour, j’avais moi aussi par le passé, sombré dans la folie, le désespoir et la colère. En quelque sorte, je voyais mon moi du passé à travers elle. Et ça me terrifiait. Je constatais que j’avais pu être un jour si désorganisé, si nonchalant avec mes pensées et les autres ! Que j’avais été capable de faire du mal aux gens qui m’entourent, simplement par manque de douceur…
Mais une fois de plus, c’est bien pour cela que je m’efforçais de la ramener du bon côté de la rive : Si j’y arrivais, Je savais que j’allais pouvoir créer un lien si puissant avec elle, que tous les astres en parleraient encore dans des millions d’années. Même si la tâche était ardue, je savais pertinemment qu’elle valait la peine d’être accomplie. Ou plutôt, cette fille en valait la peine. Comprenez – moi : Comment est-ce possible, qu’une femme d’apparence si belle, sorte de sa bouche autant de mots vexants et remplis de haine ? Autant de contrariétés et de paradoxes en un seul être, c’en était trop pour moi. J’étais certainement le seul à voir qui elle était vraiment, et ce qu’elle était capable de devenir. C’est pour cette raison que je me devais d’aller la ramener du fin fond des enfers, car je savais que tel n’était pas sa place.
Dans nos (rares) moments de silence et de paix, je m’efforçais de croire en toutes mes théories la concernant, et je ne me trompais pas : Dans le fond de ses yeux bleus (magnifiques, au passage), j’arrivais à déceler ses appels à l’aide, et ce depuis la première fois que nous nous sommes regardés. Je savais, à chaque fois que j’avais la chance de plonger dans son âme, qu’elle attendait que quelqu’un vienne la délivrer. Et même si ses dires m’indiquaient de partir, elle s’attendrissait quand je refusais. Et bien évidemment, ses yeux ne se plissaient pas quand j’acceptais.
Mais aujourd’hui, après toutes ces aventures passées à ses côtés et avec beaucoup de recul, je constate que je me trompais lourdement. Je croyais bêtement que pour créer un lien aussi puissant auquel j’aspirais, je devais simplement me contenter de ma bonne humeur, savoir la transmettre, et faire sourire celle que j’aimais. J’étais bien naïf. Et malgré tout ce que j’ai pu dire sur ma bien-aimée, je crois bien que c’est elle qui m’a réellement aidé, et non l’inverse. Je ne dirais pas que le monde est aussi obscur qu’elle le pensait au départ, mais cet univers n’est effectivement pas parfait. Il est même voué à ne pas l’être, et je crois bien que c’est ce qui fait la beauté de son unicité.
Quelle condescendance était la mienne ! Certes, j’étais fier et je le serais toujours de pouvoir donner un sourire ou entendre un rire de la part d’autrui. Mais j’ai enfin compris, grâce à elle, que les gens n’ont pas besoin uniquement de ça. La solitude, la tristesse, la colère ou encore la jalousie sont des sentiments qui nous appartiennent en tant qu’humain, et même la personne la plus solaire a ses parts d’ombre. Comme dit précédemment, la perfection ne semble pas exister, et il devient bon de le savoir : nous pouvons finalement nous permettre de verser une larme, tomber à genoux, ou encore perdre notre sang – froid.
Et au fond, je crois bien que c’est cela qui fait notre force, à tous. Bien sûr, il faut être capable d’apprendre ce que cela exprime en nous, mais, … Quelle bêtise était la mienne, franchement. Oui, je crois bien que c’est elle qui m’a sauvé, finalement. Elle qui est venue me prendre la main dans ce paradis artificiel qui était le mien pour me ramener un peu sur Terre, elle qui m’a montré que le cynisme avait sa place parmi nous, elle qui m’a fait comprendre que j’avais le droit d’être faible, de temps en temps.
Elle m’a même appris, que Lucifer signifie « porteur de lumière », en latin… Cela est aussi troublant que représentatif de notre histoire.
Voici donc le lien qui me tenait tant à cœur : Le Soleil ne serait pas le même sans sa Lune, et inutile de vous expliquer que l’inverse est tout aussi vrai. Je lui ai appris à ouvrir les yeux, elle m’a appris à les fermer.


  • Patricia Forge

UNION CELESTE
Le Soleil a rendez-vous avec la Lune … C’est comme ça qu’il m’a présenté la chose, un matin bleu de pluviôse, lui un café, moi un chocolat chaud, entre deux factures sur mon bureau.
C’était sans doute une phrase anodine, un peu badine lancée négligemment pour détendre l’atmosphère avant de parler affaires. Il espérait peut-être un plus prompt règlement pour ces factures laissées en suspens.
Qui était la Lune ? Qui était le Soleil ? Le débat était lancé, les factures devraient patienter.
Le fil de la conversation nous fit voguer vers d’autres horizons. Il m’évoqua le surf et ses vagues déesses, des lagons enchantés et le rhum ambré.
Je lui contais des sapins enneigés, des chiens attelés. Des promenades silencieuses, une nature merveilleuse.
Le temps avait tourné, les factures expédiées, il dut prendre congé. Mais désormais, chaque matin, avant une dure journée de labeur, il venait éclairer quelques instants mon bureau et réchauffer mon esprit et mon cœur. Nos passions, nos doutes, nos erreurs, nous les échangions en un petit quart d’heure. Une pause-café, une pause chocolat, et le travail reprenait ses droits.
Ce sont des mauvaises langues et leurs ragots mesquins qui transformèrent ces moments anodins, ce lien innocent, en un sentiment plus puissant.
On se téléphona, on s’organisa un repas.
Je rêvais à la Lune, il devint mon Soleil…
Cette histoire dure toujours et pour ne jamais oublier, les deux astres nous nous sommes tatoués.
Lune et Soleil pour la vie. Et le Soleil est là la nuit pour bercer mes envies dans une lueur de poésie que la Lune nous envie.


  • Dorothée Fourez

Comme Le jour et la nuit
S’opposent et s’emmêlent,
La lune et le soleil
Se masquent et se cachent.
Nous sommes Unis par ce lien invisible
Aux yeux de nos semblables
Fait de dits, de contredits
Qui s’imposent et se mêlent
Un amour improbable
Un amour invincible.
Nous sommes le noir et le rouge
Nous sommes l’argentée et le doré .
Comme des diamants éclatants
dans leur écrin nous suivons notre destin
Nous attirons tous les regards.
Nous sommes de feu
Nous sommes si peu.
Ta peau faite de miel
Attise mes envies sauvages,
Nous sommes l’espoir et la fougue
Nous sommes faits de secrets
Comme les hiéroglyphes effacés .
Nos draps se glacent
Nos bras s’enlacent,
Nous sommes amants
Nous sommes de grands enfants
Jouant avec nos lendemains.
Nos épidermes gravés de nos différences
Nous rappellent nos ressemblances
Et nous ramènent à notre réalité :
Nous sommes humains tout simplement.


⭐ Inspiration n°3

  • Sandrine Drappier Ferry

J’avais vingt ans et je venais de prendre mon envol du nid familial. J’avais trouvé refuge dans le studio d’une très haute maison semblant monter jusqu’aux nuages qui se situait «traje de chez Perle», une ruelle servant de passage entre deux rues. Dès mon arrivée, cette Perle m’avait hypnotisée. Mais, ni mes recherches dans les archives de la ville, ni mes interrogations ne purent répondre à ma curiosité. A croire que Perle avait effacé toute trace de son existence. Pourtant, je sentais sa présence et son odeur partout. D’elle, de cette Perle, de cette demoiselle Perle plus exactement, tout restait à deviner, comme si la jeune femme, insaisissable, tournait inlassablement le long d’un carrousel enfantin dans un jeu d’ombres et de lumières.
Perle fut une enfant du siècle industriel. Elle est née dans l’une de ces baraques faites de tôles et de vieux bois mouillé, tout contre le chantier du chemin de fer, où l’on s’affairait de l’aube à la nuit tombée pour implanter des traverses d’acier qui permettraient au train d’arriver dans ce petit bourg et le transformerait en une ville moderne, où chacun verrait ses conditions de vie s’améliorer. C’était ce qui avait été promis pour attirer les ouvriers en tout cas.
Perle était venue au monde dans ce baraquement poussé de terre au milieu du marécage sur un mauvais matelas infesté de puces. Perle, née avec de grands yeux couleur d’améthyste, s’était retrouvée, dès sa naissance, orpheline de mère, puis quelques années plus tard, de père, mort écrasé sous l’une des traverses tombée de l’essieu où elle était maintenue en attente d’être déposée au sol. Perle, petite poupée délicate, sur qui les yeux des hommes s’arrêtèrent bien trop tôt et qui fut souillée un soir par l’ombre de l’un d’entre eux.
L’abject découvert, il fallut trouver un coupable et ce fut elle, Perle, qui fut désignée. Perle, de sexe féminin, rejetée, abandonnée par les gens de sa classe parce qu’il fallait cacher ce qui aurait pu mettre en danger les pères, les maris, les fils du chantier du chemin de fer.
Cela fut donc acté et, cette nuit-là, les ouvriers décidèrent de l’abandon de l’enfant innocente. Et l’on se souvint de ce passage condamné dans la ville entre les marécages et le quartier bourgeois du temps où la lèpre avait envahi la cité et où, là aussi pour ne pas voir, on avait abandonné à leur triste sort les malades afin qu’ils meurent loin des regards. C’est donc là dans le traje que l’on décida de conduire la petite coupable.
L’entrée de la ruelle fut ouverte à la nuit tombée juste après la journée de travail. L’enfant souillée y fut déposée à la hâte puis l’on remonta le mur qui empêcherait Perle de sortir de son tombeau et on l’abandonna ainsi, emmurée vivante.
Et passèrent les années. Sans que l’on prononce le nom de la petite. Les ouvriers, en découvrant que le progrès ne servirait que les intérêts bourgeois, se résolurent à partir vers d’autres traverses à construire. On oublia totalement Perle abandonnée dans la ruelle. Tout autour, la ville continua à se développer et à frémir de vie. Et passèrent les années.
Un jour, un inconnu qui avait vécu là avant, enfant, du temps de la construction du chemin de fer, arriva. Il n’avait pas oublié Perle, ni ses yeux couleur d’améthyste. Il avait compris que c’était par la faute de son père que l’on avait enterré Perle vivante. Il s’était tu lui aussi mais il savait où les hommes du campement avaient conduit la petite fille.
Il avait passé tant d’années à tenter d’oublier, à ne plus se souvenir de ces yeux d’améthyste, de la responsabilité de son père sur ce petit corps sans doute mort dans la ruelle, à rentrer tout ça au fond de son ventre qu’il en était tombé malade une année entière. Il allait mourir, il le savait. Alors, il devait retourner là-bas avant pour offrir une sépulture digne à la petite, comme une dernière chose à faire pour partir proprement.
Il avait donc pris la route comme si la maladie le portait, lui imposait un rythme dans la marche et lui donnait la force qu’il fallait pour réparer l’innommable et, ainsi, lui et sa maladie marchèrent longtemps par-delà les vallons et les plaines. A peine arrivé, il ouvrit le mur à coups de pioche et se retrouva dans une petite cour où des vignes rouges flamboyantes montaient le long du mur et venaient s’enchevêtrer sur la maison. Il s’arrêta devant et attendit comme si l’espoir de retrouver Perle vivante ne l’avait jamais quitté. Il appela doucement. Et quelqu’un, lentement, souleva le rideau de vignes rouges et sortit de sous le mur de lianes. Perle était là devant lui. Bien vivante, adulte maintenant, une femme désormais aussi vivante que lui pouvait l’être. Au bout, tout au bout de sa maladie, tout au bout de ce long chemin qui l’avait retenu vivant jusque-là.
Il retrouva ses yeux profonds aux reflets d’améthyste comme dans son souvenir. Dedans, il vit les vieilles traverses à demi enfouies dans le marécage, les vieilles baraques de tôles et de bois, les matelas infestés de puces sur lesquels, grands et petits, naissaient et mouraient. Il regarda son long corps fluet, fragile comme une porcelaine biscuit précieuse prête à se casser, ses bras et ses pieds encore enfantins et ses cheveux bruns tissés de mille fils d’araignée coupés courts et cette petite crête derrière la tête semblable à la queue d’un paon. Perle n’était pas vêtue d’un vêtement mais d’un tube fait de branchettes et de brindilles qui commençait sous ses seins enfantins. Alors, seulement l’homme remarqua cinq paires d’ailes qui tournaient tout autour de Perle en tricotant ce nid protecteur épousant les courbes androgynes.
Il y avait quelque chose de terriblement réconfortant dans cette apparition. Comme si l’homme après ce long voyage, après cette maladie, se sentait empli d’une force nouvelle. Il n’était pas étonné. Finalement, il avait toujours su qu’elle aussi l’attendrait toutes ces années. Comme si elle reconnaissait aussi l’enfant qui avait joué avec elle dans le campement fait de tôles et de bois mouillé.
Alors, elle l’entraîna dans la maison. Il vit son dos, où des branchages tordus semblaient comme sortir de sa peau, comme un prolongement de ses propres os. Sa crête brune, derrière la tête, s’ouvrit et libéra un nid dans lequel reposaient cinq petites colombes blanches. Ils entrèrent dans la maison, là où Perle avait vécu, et il vit un grand escalier qui montait jusqu’au toit si haut que l’on pouvait toucher la cime des nuages. Il vit aussi d’étranges oiseaux blancs semblant flotter dans les airs et, sans même que Perle le lui explique, il comprit qu’il s’agissait des âmes des lépreux qui, de leurs petites ailes délicates, avaient accompagné l’enfant lors de son bannissement. Alors, l’homme malade qui avait fait un long voyage, porté par sa culpabilité, sut qu’il était arrivé au bout de son chemin. Il s’assit et écouta Perle dire tous ces mots enfermés tant d’années en elle et qui s’apprêtaient à s’échapper désormais pour la libérer.
Aucun son ne sortit des lèvres de Perle. Celles-ci restèrent totalement immobiles, parfaitement closes et pourtant l’homme entendit distinctement sa voix, comme une langue universelle, ou un langage propre à ces deux enfants, fait de grincements d’acier semblables aux bruits qu’ ils se souvenaient tous les deux avoir entendus autrefois sur le chantier du chemin de fer, une voix d’acier mêlée à une autre qui ressemblait au souffle du vent qui agitait le campement au début de l’automne, et en voix de tête une troisième, réplique exacte du chant de la petite rivière caressant les galets où ils allaient se baigner quand ils étaient enfants durant l’été.
Alors il sut, qu’elle, que cette Perle, que cette demoiselle Perle, venait de retrouver par son arrivée, par cette ruelle ouverte, son innocence bafouée. Et, sans même se parler, sereinement, les deux jeunes gens montèrent l’escalier qui conduisait dans les nuages. Comme si leur cage, enfin, venait de s’ouvrir et qu’ils avaient désormais possibilité de s’envoler vers le bonheur.


  • Marina Leridon

LES CALOPSITTES ELEGANTES
Ils se sont rencontrés devant une volière. Tous deux étaient hypnotisés par la beauté des calopsittes élégantes.
Ces perruches jouaient de leur huppe érectile pour communiquer avec leurs congénères. Quelques mâles, reconnaissables à leur tête d’un jaune plus intense, ne cessaient de tourner autour des femelles et chantaient afin d’attirer leur attention.
Au bout de vingt minutes, ni l’un ni l’autre n’avait bougé. Ils se jetaient des coups d’œil discrets.
L’homme se décida à parler.
— Vous aimez ces volatiles vous aussi ?
La femme sourit.
— Oui. Vous aussi je suppose ?
— Ce sont mes oiseaux préférés. Je viens souvent les admirer ici.
Tous deux gardaient les yeux rivés sur les mini perroquets. Quelque chose se passait dont ils n’avaient même pas conscience, empêtrés qu’ils étaient dans leur échange d’une banalité affligeante. Les battements de leur cœur s’accéléraient. Une délicieuse couleur rosée envahissait les joues de la jeune femme alors qu’elle se tournait vers lui.
— Moi, c’est la première fois. Ils sont vraiment magnifiques.
Pendant de longues minutes, les cœurs continuèrent à battre la chamade. L’homme se lança à nouveau.
— Ça vous dirait de boire un verre ? Une buvette se trouve juste là.
La femme fixa ses pieds, hésita puis sembla prendre une grande décision.
— D’accord !
Ils s’éloignèrent de la volière du même pas et s’installèrent à une petite table.
— Un café s’il vous plait, demandèrent-ils à l’unisson au serveur.
Ils éclatèrent de rire. Leur fou rire redoubla quand ils regardèrent la buvette : c’était une mini roulotte bariolée. Sur le toit, des plumes multicolores s’agitaient sous la légère brise.
Leur attention revint vite vers l’autre… Il dévisageait la femme d’un air émerveillé.
— Je ne vous ai jamais vue ici ?
Elle sourit timidement. Ses pommettes rougissaient de plus belle.
— Je suis en vacances pour quelques jours. Je repars demain.
Le visage de l’homme se ferma.
— Vous habitez loin ?
— Oui. Dans le sud de la France.
— Comment va-t-on faire pour se revoir ? Je crois, non je suis sûr, que je suis amoureux de toi.
Les yeux de la femme s’arrondirent, son corps se figea. Elle resta muette quelques instants. Il sortit son portable de sa poche.
— Tu me donnes ton numéro ?
Interdite, elle lui dicta les chiffres. Soudain, comme mue par un ressort, elle se leva et s’enfuit en courant.
De longues années plus tard, l’homme se repose dans son fauteuil préféré. Des rides de bonheur sculptent son visage.
Il regarde pensivement son tatouage. La femme, qu’il appelait « mon petit oiseau » en souvenir de leur première rencontre, a répondu à son appel. Ils ont discuté pendant des semaines par téléphone puis se sont retrouvés devant la volière. Elle n’est plus repartie.
En signe de leur amour, ils se sont tatoués : un oiseau pour elle et une cage (toujours ouverte) pour lui.
Aujourd’hui, son « petit oiseau » s’est envolé à jamais. Il lui reste le souvenir des merveilleux moments qu’ils ont partagés, soudés et inséparables comme les calopsittes.


  • Liat

La légende :
Il y a longtemps, quand j’étais encore enfant, mon grand-père m’avait raconté une légende. Je ne me rappelle plus de tout les détails mais il était question d’un phare et d’une jeune femme.
Un jour, plusieurs marins avaient décidé de sortir en mer pour aller pêcher. Ils étaient partis en groupe, chacun sur son embarcation. La fiancée d’un des marins se rendaient tous les jours et toutes les nuits au phare pour essayer d’apercevoir le bateau de son ami qui revenait. Mais il n’en fut rien. Plus les jours passèrent et plus elle devait se rendre à l’évidence. Les marins, dont son futur mari, s’étaient perdus en mer. Par dépit, elle se jeta du phare. On dit qu’elle revient à la tombée du jour pour guetter l’arrivée de son fiancé. Certains disent avoir aperçut sa silhouette fantasmagorique flotter près du phare.
Eh bien, pour vous dire la vérité, cette légende m’a toujours effrayé. Mon grand-père m’avait vivement déconseillé d’aller trainer là-bas. Mes parents avaient essayé de m’expliquer que ce n’était qu’une simple histoire pour faire peur aux enfants et aux âmes trop sensibles. Ils avaient réussi à me convaincre. Mais là… Là… Je dois vous avouer que je suis en train de flipper. J’ai l’impression que ma vie ne tient plus qu’à un fil. Vous voulez savoir pourquoi ?
Tout a commencé il y a deux jours. J’étais de retour dans ma région natale pour présenter ma fiancée à mes parents. On avait pris le train, traversé des paysages en fleurs en ce mois de mai. On était passé devant de belles bâtisses avant d’arriver près de la mer et au loin, on avait aperçut le phare, ce fameux phare.
— C’est un phare là-bas ? Il a l’air splendide. On ira le visiter, avait décrété Caroline sans même me demander mon avis.
Je préféra garder le silence. Je n’allais pas non plus lui expliquer que j’en avais aucune envie et ce, à cause d’un fantôme. Depuis qu’on m’avait raconté cette légende, je ne m’en étais plus approché. Peut-être qu’elle oublierait cette histoire.
Mes parents furent heureux de nous accueillir et de nous aider à nous installer dans ma chambre d’enfant, au premier étage. La décoration fit rire Caroline qui se mit à fouiller partout.
Après les présentations, Caroline et moi, nous sommes allés nous promener dans le coin. La première journée passa en tout point comme je l’avais imaginée. Elle semblait avoir oublié le phare et ce n’en était pas plus mal. Mais ça, c’était ce que je m’imaginais. J’aurais dû le savoir. Quand Caroline veut ou pense à quelque chose, elle n’en démord pas. Et là, c’était ce foutu phare.
— Avant de partir, je voudrais tellement monter tout en haut du phare, avait-elle lancé en plein milieu du repas. Tu sais celui que l’on a vu dans le train ?
— Oui. Mais tu sais, ce n’est pas très intéressant…, tentais-je.
— Arrête. La vue doit être superbe !
— Pas tant que ça…
— On dirait que tu n’as pas envie d’y aller. Je me trompe ?
— Non. Ce n’est pas ça…
— Vous parlez du phare Blird ? Me coupa maman. Ça fait des années qu’il a peur d’y monter.
Caroline parut tout d’un coup très intéressée.
— Ah bon ? Pourquoi ? Tu n’as pas le vertige.
— C’est à cause de la légende, intervient papa.
— Quelle légende ?
— Et du fantôme, renchérit maman.
— Quel fantôme ?
Mon père lui expliqua. Caroline se moqua.
— Tout ça, c’est simplement une histoire pour faire peur. Mais à la base, la jeune femme a vraiment existé. C’était la fiancée de Monsieur Diot.
— Ah bon ?
— C’est qui, monsieur Diot ? Demanda Caroline.
— Un notable du coin. Il a fait fortune en investissant l’argent de sa pêche dans l’immobilier. Il a fait beaucoup de donations à la ville. C’est à lui que l’on doit l’hôpital et la bibliothèque.
— Oui. Il était fiancé à une jeune fille du coin. Elle s’est suicidée. On a retrouvé son corps en bas du phare. C’est dommage parce que quelques temps après, les embarcations sont rentrées au port, avait repris mon père.
— Tout les marins sont rentrés sains et saufs. Le seul disparu c’était un homme, un nouveau. Je ne me souviens plus de son nom.
— Super, avait lancé Caroline. On y va ce soir.
Et voilà comment je m’étais retrouvé en haut de ce phare à vingt-deux heures passées. Un coup de vent avait refermé la porte, nous séparant Caroline et moi. Je l’entendais crier de l’autre côté. Elle me demandait de lui ouvrir. Une sensation étrange me fit tourner la tête. Mon sang ne fit qu’un tour. Caroline se mit à crier davantage. Je pense que le hurlement que j’ai poussé à cet instant lui a fait comprendre que quelque chose n’allait pas. Devant moi, une espèce de forme blanche flottait au-dessus du sol. Elle avait les traits d’une jeune et belle femme. Je la vis s’éloigner de moi pour se diriger vers un coin du phare. Il eut un vent brusque et une pierre tomba dans un bruit assourdissant. La jeune femme revint vers moi avant de disparaître. D’une démarche peu convaincue, je m’approchais doucement du trou que cette pierre avait fait en tombant du mur. Il y avait quelque chose dedans. Sans être vraiment rassuré, j’y glissa la main et l’attrapa. C’était un bout de papier. Vu l’apparence jaunie, il devait être assez vieux. Je le déplia et me mit à le lire. C’était une lettre adressée à un certain Marc Lande.
« Mon cher et tendre Marc,
Cela fait plusieurs jours et nuits que je monte en haut du phare pour apercevoir ton retour. J’ai tellement peur qu’il t’arrive quelque chose, surtout depuis que j’ai décidé de quitter mon fiancé. L’homme que l’on me force à épouser et qui me rebute. Tu sais à quel point je ne supporte plus sa rudesse. Ses coups me laissent toujours des marques sur le corps mais ce n’est rien à côté de la douleur que je ressens à l’intérieur . Je suis presque sûre qu’il est au courant pour nous deux et que s’il a organisé cette expédition de pêche, c’est simplement pour en profiter pour te faire du mal.
Aujourd’hui, j’ai aperçut son bateau. J’ai aperçut tout les bateaux qui revenaient. Il ne manquait que le tien. J’ai tellement peur qu’il te soit arrivé quelque chose. Ne m’en veut pas mon amour mais je préfère mourir que survivre à la douleur de te perdre et d’être obligée de vivre avec cette brute. Je cache cette lettre ici, à l’endroit qui nous permettait de correspondre sans que personne ne s’en aperçoive. Si tu es encore en vie et que tu trouves ce message, vis ta vie et sois heureux pour nous deux, mon amour. »
— Qu’est-ce que c’est ? Demanda Caroline.
Sa voix me fit sursauter. Je ne m’étais même pas rendu compte qu’elle était arrivée à ouvrir la porte pour venir se placer derrière moi.
Journaliste de profession, j’ai publié ma trouvaille dans le journal local, tout en expliquant l’histoire. Bien sûr, je suis passé outre la présence du fantôme. Qui l’aurait cru ? Tout le monde n’avait pas besoin de savoir ça. Quoi qu’il en soit, vous me croirait ou non, mais quand la vérité fut rétablie, on n’entendit plus jamais parler d’une silhouette de jeune fille apparaissant à la nuit tombée.
Et de ce qu’elle veut


  • Sandy Géronimi

INSEPARABLES
Inséparables. Ce mot nous définissait parfaitement. Toujours ensemble, jamais l’un sans l’autre. Si proches que cette situation en dérangeait certains, qui ont essayé de nous éloigner.
Loin d’être effrayé, tu affirmais encore davantage ta présence en me tenant la main, en me guidant à travers les embûches. En me montrant le chemin, quand je n’y voyais pas clair. Tu étais ma béquille, l’épaule sur laquelle je m’appuyais. Mon repère. Lorsque je tombais, tu te montrais toujours présent de manière à me rattraper. Mon sauveur. Toi seul semblais me connaître, savoir ce qui me convenait.
Les autres l’ignoraient, ne comprenaient rien. À quoi bon rester avec eux, leur accorder mon temps et ma confiance ? Cela me rendait malade. Plus ils tentaient de renouer un lien, plus je me détachais d’eux. Et plus tu m’offrais tes bras, plus tu m’accueillais au sein de ton repaire.
Un jour, tu m’as proposé ces tatouages.
— Des dessins complémentaires, tu m’as dit. Pour nous unir encore davantage. Pour toujours. Fais-moi confiance.
Je me sentais prête à tout pour toi. J’ai fermé les yeux. Souffert en silence. Ce n’était pas la première fois.
En les rouvrant, j’ai observé ces nouvelles parties de nous. Rougies. Abîmées. Et tout a basculé. La vérité m’a sauté aux yeux. Sur ta main, qui serrait toujours la mienne, une cage. Elle semblait ouverte, mais le doute m’a assailli. Était-ce réellement le cas ? J’ai tourné la tête, afin de modifier mon point de vue. J’ai examiné l’oiseau, ancré à jamais sur ma peau. Le pauvre animal semblait irrémédiablement attiré vers cette prison – cette partie de toi que tu affichais maintenant ostensiblement – et se trouvait incapable de regarder dans une autre direction. Soudain, la sensation de ta main sur la mienne, celle-là même qui m’avait rassurée tant de fois, m’a paru insupportable. Tous les mots de mes proches, que j’avais si violemment repoussés, me sont revenus d’un seul coup. Relation toxique. Liaison malsaine. Aveuglée. Sourde…
Le cœur battant, j’ai lâché ta main, étonnée d’y parvenir si facilement. Pris de court, tu n’as pas eu le temps de resserrer ton étreinte. Je me suis relevée, une détermination nouvelle et jusque-là insoupçonnée au fond des yeux. Je pouvais le faire. Rien ne me retenait. Sans un regard, je suis sortie de cette emprise, la tête haute.
Le minuscule oiseau apeuré s’est transformé en un somptueux phénix et a fini par se libérer, pour voler de ses propres ailes.


  • Catherine Uguelle – 2e place

ELLE
Je passe d’invité en invité. Les coupes doivent rester pleines. Aujourd’hui, le champagne coule à flots : aujourd’hui, j’ai trente ans !
Je balaie la salle du regard et la fierté me remplit le cœur. Tout le monde semble s’amuser. Mes meilleurs amis mettent l’ambiance et s’évertuent à décoincer les membres de ma famille présents ce soir. Je remarque une grande blonde – Mélanie, ma voisine de palier et amie depuis quelques années- qui tente de faire danser mon père. Réticent au départ, il se laisse tenter et entame visiblement à contrecœur une lambada maladroite. Si ma mère ne cache pas sa réprobation en laissant son mari s’éloigner avec une belle jeune femme, elle éclate vite de rire quand elle le voit se trémousser péniblement au rythme de la musique.
La piste improvisée au milieu de mon salon est pleine d’apprentis danseurs, plus joyeux les uns que les autres. Quant au buffet, il ne désemplit pas : mes petits fours faits maison ont leur petit succès. Je débarrasse quelques plateaux vides et je rejoins ma cuisine pour récupérer les derniers amuse-gueules restés dans le réfrigérateur.
Concentrée sur ma mission, je n’entends pas ma cousine Callie arriver dans mon dos.
— Ta mère m’a dit que tu t’étais offert un nouveau tatouage.
Je sursaute et me cogne la tête en me relevant brusquement.
— Ouille. Ça fait mal. Dis-je en éclatant de rire. Oui, regarde comme il est beau.
Je lui tends ma main pour lui montrer la belle colombe imprimée sur la peau de ma main, juste à côté de mon pouce.
— Elle est bien faite dis donc. Alors, elle signifie quoi pour toi ?
— Comment ça ?
— Un tatouage, ça ne se choisit pas comme ça, sur un simple coup de tête. Ça se réfléchit, ça se pense. Donc… Pourquoi une colombe ?
Je soupire, pas vraiment désireuse de tomber dans ce genre de piège. Mais je connais ma cousine et je sais qu’elle ne me lâchera pas tant qu’elle n’aura pas de réponse.
— Elle représente la paix, ma liberté, ma nouvelle vie. C’est tout.
— Tu veux dire… Sans elle ?
Je me contente de hocher la tête.
— Tu me pardonnes ? Je dois m’occuper de mes invités.
Je me sauve misérablement avant qu’elle ne puisse répondre. J’adore Callie mais c’est une sacrée commère. Si je lâche un truc, toute la famille sera au courant avant la fin de la nuit.
Je rejoins la fête, ravie de constater que l’ambiance n’est pas retombée pendant ma courte absence. Je pose mes plats à côté des autres et je prends un instant pour souffler. Ma mère en profite pour se faufiler jusqu’à moi.
— Nous aurions dû organiser cette fête pour toi ma chérie. C’est ton anniversaire et tu cours partout.
— Mais non Maman. J’avais très envie de recevoir tout le monde chez moi. Tu passes un bon moment j’espère ?
— Oui oui, c’est parfait même si…
— Même si quoi ?
— J’aurais aimé que tout se passe différemment et que ta sœur soit là.
Un frisson de dégoût me parcourt l’échine. Comment peut-elle dire une chose pareille ?
— Ben moi, je suis heureuse qu’elle ne le soit pas.
Je m’éloigne, agacée par la réaction de ma mère. Après tout ce que nous avons enduré ? Elle regrette encore l’absence de Charlotte ? Et elle me balance ça l’air de rien le jour de mes trente ans ?
Je tente une retraite vers ma chambre pour m’isoler et recouvrer mon sang froid. Mais c’est sans compter sur des retardataires qui viennent de frapper à la porte. Je me pare de mon plus beau sourire et j’ouvre aux derniers arrivants. Mon sourire disparaît aussitôt quand je reconnais la personne qui se tient devant moi : ma sœur.
— Salut soeurette ! Joyeux anniversaire ! Tu ne me laisses pas entrer ?
Je recule en titubant, sonnée par une apparition que je redoutais depuis des années. Charlotte est de retour.
Elle n’attend pas mon feu vert et me bouscule pour s’engouffrer dans l’appartement. Elle se dirige droit vers le salon et crie d’une voix forte :
— Salut tout le monde !
Un vent glacial s’abat sur ma fête. La musique s’arrête, les rires s’estompent et se transforment en chuchotements gênés. Tout le monde reconnaît cette belle rousse, même les personnes qui ne l’ont jamais vue. Et pour cause, Charlotte est ma jumelle. Ma jumelle infernale.
Je suis née quelques minutes avant Charlotte et elle ne me l’a jamais pardonné. Selon elle, je réussissais tout ce que j’entreprenais parce que j’étais l’aînée. Et elle ratait tout parce que je lui faisais de l’ombre. Au fil des ans, une rivalité malsaine s’est installée entre nous mais je ne l’ai pas compris tout de suite. Ni mes parents d’ailleurs. Quand elle a commencé à me piquer mes petits amis, à saboter mes relations amicales ou professionnelles, j’ai subitement réalisé qu’elle ne me voulait que du mal. Mais je ne réussissais pas à me défaire du lien qui unit les jumeaux. Je lui trouvais toujours des excuses. Quand elle a tué le chiot que je venais d’adopter, j’ai su que la prochaine étape serait de me faire mal physiquement. Ça n’a pas tardé puisqu’elle a tenté de me renverser avec sa voiture. Elle ne m’avait pas vue hurlait-elle encore quand les flics l’ont embarquée.
Depuis huit ans, elle était enfermée dans un hôpital psychiatrique et aux dires des médecins, son état ne s’améliorait pas. Alors qu’est-ce qu’elle faisait au milieu de mon salon ?
— Qu’est-ce que tu fous là Charlotte ?
— Oh la la ma chérie, quelle agressivité ! C’est notre anniversaire non ? Trente ans ça se fête.
— Comment tu as pu sortir de l’hôpital ?
— Quelle importance ? Oh Papa, Maman, quel plaisir de vous voir !
Elle s’avance vers mes parents, pétrifiés et les embrasse bruyamment. La tête me tourne, le sang bout dans mes veines.
— Dis-moi ce que tu fous là ! Crie-je hystérique.
Elle me toise, le regard mauvais puis se reprend et me lance un sourire éblouissant. Elle s’approche de moi, tranquillement, se déhanchant ridiculement. Elle se stoppe à quelques centimètres de moi et me lance :
— Je suis venue te montrer mon nouveau tatouage.
— Hein ?
Elle remonte la manche de sa veste et je découvre sa main avec horreur. A côté de son pouce, elle arbore fièrement le tatouage d’une cage. Elle se penche alors vers moi et me chuchote à l’oreille :
— J’ai hésité avec un cercueil mais je me suis dit que la cage, c’était plus poétique non ? Ta colombe y sera bien.
Elle recule d’un pas pour contempler l’effet de ses paroles sur moi. Et assène son dernier coup.
— Tu ne croyais quand même pas que j’allais te laisser t’envoler ?


  • Laurence Marchand

Des liens indéfectibles se créent parfois sans que l’on sache vraiment pourquoi. C’est ce qui est arrivé à deux amis, qui ont noué une belle amitié, alors que rien ne les y prédisposait.
C’est arrivé comme çà, sans prévenir, cela leur est tombé dessus, et sur le moment ils ont été surpris, étonnés et perplexes.
En effet, ils n’auraient pas dû se rencontrer le petit garçon, haut comme trois pommes, qui arrivait toujours en retard et qui ne savait pas toujours se défendre contre les attaques des autres enfants, qui le chahutaient et le malmenaient dans la cour de l’école. Et le grand échalas, toujours prompt à la bagarre, qui n’avait peur de rien et que personne n’osait jamais contredire où embêter.
Le premier se prénommait Lucien, dit Lulu et le second Louis, dit Loulou.
Ils avaient pourtant le même âge, mais alors que Lulu était légèrement plus petit que la moyenne, Loulou, lui, dépassait tous les autres, d’au moins une tête.
Les premières semaines de classe, rien ne laissait présager que cette amitié improbable naîtrait entre ces deux gamins. Lulu, régulièrement à la traîne se faisait souvent charrier par les autres écoliers qui se moquaient de lui, lui faisant des croche-pieds, lui tirant les cheveux qu’il avait d’un roux flamboyant, ce qui ajoutait de l’eau au moulin de ses détracteurs.
D’ailleurs, Loulou n’était pas le dernier a profité de la faiblesse de Lulu, qui se renfrognait , essayant le plus possible de passer inaperçu en restant le plus souvent seul dans son coin.
Tous les jours, Lulu se rendait à l’école à pied, avec une boule au ventre qui ne le quittait que rarement. Il franchissait le portail, bien souvent le dernier, pour ne pas avoir à subir les foudres de ses camarades.
Petit à petit, il s’enferma dans un mutisme, dont il sortait à peine lorsque son professeur l’interrogeait. Il n’avait plus goût à rien. Le soir il rentrait chez lui en courant, s’enfermant dans sa chambre et n’adressant la parole à ses parents qu’au moment du repas. Ces derniers ne comprenaient pas, ils demandèrent en vain des explications, mais ils n’obtinrent rien de Lulu. La situation en resta là.
Ce jour-là, une sortie de classe était prévue en campagne, afin d’étudier de près les insectes, au programme de cette année. Lulu y participait à contre cœur, sachant déjà qu’il allait encore être la cible des railleries des autres élèves.
Il était prévu de pique-niquer, chacun devant apporter de quoi se restaurer. Le cours de science naturelle débuta. Chacun s’employa de son mieux à examiner les insectes et autres bestioles, afin de satisfaire au mieux le professeur. C’est alors que, Lulu étant occupé avec un scarabée doré, fut soudain pousser dans une énorme fourmilière. Il fut aussitôt assailli par mille minuscules fourmis qui ne se privèrent pas de le piquer, partout, s’insinuant dans ses vêtements.
Ses agresseurs rigolaient à en perdre haleine, alors que lui commençait à suffoquer, cédant à la panique, et lentement il perdit connaissance. Loulou, le plus proche, fut aussitôt alarmer par le fait que Lulu ne donnait aucun signe de vie et qu’il était plus pâle qu’un linge. Il n’entendait plus les bruits alentours, ni les cris des autres enfants, ni ceux du professeur. Il se pencha sur Lulu, et ayant quelques rudiments de secourisme, entrepris de lui faire du bouche à bouche, lui insufflant un air salvateur.
Petit à petit, Lulu revint à la vie, doucement ; son visage repris quelques couleurs.
Il regarda autour de lui, ne sachant plus où il se trouvait. Et soudain, tout lui revint en mémoire.
Les larmes lui montèrent aux yeux. Il toussa, se mit à trembler tant d’effroi que de froid, la température de son corps ayant chuté de façon drastique. Il vit alors un visage, qu’il ne reconnut pas immédiatement. Puis il reconnut Loulou qui le regardait d’une drôle de façon. Ce dernier ne reflétait aucune méchanceté ni malveillance. Il l’aida à se relever, lui passant une veste sur les épaules, les spasmes et les sanglots n’étant toujours pas éradiquer.
La main de Loulou ne le lâcha plus jusqu’à l’école et personne parmi l’assistance ne s’avisa de le lui faire remarquer.
Ce jour-là, un lien invisible mais néanmoins robuste s’était tissé entre les deux garçons, qui devinrent depuis lors, inséparables.
Lorsque Lulu rentra chez lui ce soir-là, ses parents eurent l’impression d’avoir un autre enfant. Il était enjoué, gai, comme ils ne l’avaient pas vu depuis très longtemps.
Dès le lendemain, Loulou attendait Lulu devant chez lui, et ils firent la route ensemble jusqu’à l’école. Ils ne se quittaient plus. Lors des récréations, maintenant, Lulu n’était plus seul. Il n’arrivait toujours pas à réaliser ce qui s’était passé. Il eut même droit aux excuses de ceux qui l’avaient poussé, et bientôt cette mésaventure ne fut plus qu’un lointain souvenir.
Mais, alors que tout se passait pour le mieux entre les deux garçons, le père de Loulou ayant été muté dans une autre ville, il dût déménager.
Cela fut un arrachement pour les deux enfants, qui se promirent de s’écrire, se téléphoner, et se voir aux vacances scolaires.
Ils parvinrent malgré tout à conserver leur belle amitié. Ils se voyaient de temps en temps, leur parents respectifs, ayant compris la teneur du lien qui les unissait, faisant leur maximum pour les réunir lors des congés.
Ils firent leur vie tant professionnelle que familiale, mais cela ne les empêcha nullement de rester amis, au contraire. Chacun d’entre eux fut le témoin de mariage de l’autre, le parrain des enfants. Ils affrontèrent ensemble les épreuves de la vie, et le hasard faisant décidément bien les choses, ils se retrouvèrent ainsi à habiter à nouveau la même ville.
Pour eux c’était une évidence, ils faisaient partie de la même famille, au même titre qu’un frère où un cousin, et aujourd’hui encore, ils sont unis comme les deux doigts d’une même main.



  • Ma participation, hors concours, sur l’inspiration n°2

Ma chaleur cherche ta lumière et se nourrit des pâles rayons que tu fais luire sur notre amour, balisant notre existence incertaine au travers d’une horde d’autres, ces autres qui se réchauffent à mon sein sans savoir auquel se vouer dans leur vie morne et sans saveur.
Ma pulsion de vie répond à ce rythme poétique que tu cadences au gré de tes envies, partagées avec passion dans une dimension que nous sommes seuls à connaître, perchés dans cette atmosphère dans laquelle s’oxygène notre bonheur.
Mon rayonnement féroce appelle ta douce lueur pour un apaisement, une guidance, une voie à explorer au coeur du firmament dans lequel nous évoluons avec grâce, palpitant d’un amour sans pareil, cosmique, intersidéral, d’un autre monde.
Et ta peau, qui hume la mienne comme si sa vie en dépendait, ton grain qui se colle au mien pour m’épouser au-delà de ces nuits berçant notre union improbable. Moi le soleil, toi la lune, deux astres aux antipodes, si différents et pourtant vitaux l’un pour l’autre.


Merci à tous pour vos participations et lectures !

A bientôt 💋

4 réflexions sur “Participations au Rendez-Vous des Plumes – Mars 2023”

  1. Les lettres d'Ely

    La concurrence est rude et quel plaisir de pouvoir tous vous lire, de découvrir chacune de vos propositions et interprétation.
    3 photos et pourtant une infinité de possibilités.
    Certaines histoires m’ont touché, d’autres m’ont effrayée…
    Le temps à filé et je me suis enivré de vos mots.
    Depuis 3 ou 4 ans, je n’ouvre plus qu’Audible pour écouter des oeuvres ayant pour thème le développement personnel, la réalisation d’objectifs et tous ce qui tourne autour de l’amélioration de soi, l’évolution…
    J’avais presqu’oublié ce que cela apportait de lire des histoires, de plonger dans le monde imaginaire de quelqu’un, écouter une voix inventée lire au rythme que l’on veut… Prendre le temps de dessiner chaque mot et vivre les silences.
    J’ai failli oublier pourquoi j’aimais toujours emporter un roman partout où j’allais… Merci pour le rappel.

    J’ai hâte de voir vos participations pour avril 🙏🫂🐾

    Merci à toi d’avoir créer ce blog, ces projets qu i nous permettent de croiser les plumes pour voir plus grand et s’inspirer mutuellement ✍

    1. Ely, merci infiniment pour ton commentaire ! Ce sont ces précieux témoignages qui donnent tout son sens à l’action que j’ai entreprise voilà deux ans. Redonner le goût, l’envie, d’écrire, mais de lire, aussi, et le recueil de nouvelles édité chaque année complète lui aussi totalement ce sens ! Merci beaucoup, pour ta participation, et tes mots posés dans cet espace ♥

  2. Encore un plaisir de se laisser guider par les thèmes proposés et d’écrire pour le partage, merci Amélia.
    Félicitations pour toutes ces participations !

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