Participations au Rendez-Vous des Plumes – Novembre 2022

Bonjour à tous 😊

Nous voici aux portes du dernier Rendez-Vous des Plumes de l’année… En novembre, le thème guide « Destin » était proposé avec une inspiration photographique accompagnée de trois séries de mots parmi lesquelles choisir la plus intéressante selon les idées qu’elles pouvaient inviter. Voici, sans plus attendre, les participations reçues soumises à votre lecture attentive.

Les textes ne sont relus qu’au moment de leur publication, et ce uniquement dans le but de vérifier qu’ils ne contreviennent pas au règlement de l’atelier d’écriture. Si le cas devait se produire, le texte ne serait tout simplement pas publié, sans autre recours possible de son auteur. La Petite Boutique des Auteurs n’est pas responsable des coquilles, fautes d’orthographe, syntaxiques ou grammaticales éventuellement présentes dans les textes qui participent au Rendez-Vous des Plumes.
Merci d’en prendre note avant lecture.

Amelia

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· Texte de Tuy Nga Brignol ·

La conscience de soi : se connaître soi-même

La conscience de soi consiste à s’efforcer de réduire la partie non consciente de soi pour mieux se connaître et mieux comprendre les autres et le monde. En étant conscient de soi-même, on ne se leurre pas. Quand une personne se connaît, elle comprend mieux les autres et le monde, et son action devient plus efficace. Prendre conscience de soi c’est connaître et comprendre ses propres comportements, ses sentiments, ses points forts, ses points faibles et comment y remédier. Plus cette connaissance est fine, plus la personne peut comprendre le sens dans lequel agir. Elle a confiance en elle et est à l’aise avec les autres. Il se crée un climat d’ouverture et de transparence entre les personnes.

La médecine traditionnelle chinoise (MTC) vieille de cinq millénaires, a une vision énergétique du fonctionnement et des déséquilibres de nos émotions. Ces déséquilibres émotionnels sont une signature de notre état énergétique, de nos faiblesses, et de certaines de nos énergies acquises ou innées. D’après la loi des Cinq Éléments, les Émotions sont classées en Cinq grands types présentant une résonnance avec les organes et les différents méridiens concernés.
Pour mieux gérer nos émotions et harmoniser leurs déséquilibres, il est possible d’appliquer des techniques simples, pouvant se faire en autonomie.

Nous disposons d’une faculté d’apprentissage bien supérieure à celles des autres espèces animales. Pouvons-nous, par l’entraînement, développer notre cerveau et nos capacités mentales, comme nous le faisons pour nos capacités physiques ?
Ces questions sont explorées depuis plus d’une vingtaine d’années par des neuroscientifiques et des psychologues qui collaborent avec des méditants expérimentés.
Pouvons-nous apprendre à gérer de façon optimale nos émotions perturbatrices ? Quelles sont les transformations fonctionnelles et structurelles engendrées dans le cerveau par les différents types de méditation ?

C’est une chose merveilleuse que de pouvoir se connecter à la sagesse universelle du champ de tous les possibles. Apprendre à sortir de nos croyances, des normes imposées et s’autoriser à rêver. Croire que TOUT peut arriver. Pour la plupart des gens, il s’agit d’un objectif mystérieux peu accessible. Pourtant, il s’agit de notre état naturel. Certains d’entre nous ont gardé cette faculté toute leur vie, mais pour la plupart d’entre nous, nous avons subi le conditionnement pendant notre enfance. Comment pouvons-nous la retrouver ? Pour certains, c’est la méditation qui est la clé, ou le besoin de se joindre à un groupe capable de maintenir ce champ. Pour d’autres, c’est le contact avec la nature, ou juste prendre de courtes pauses pendant la journée pour apaiser leur mental et écouter leur cœur. Quelle que soit la façon d’y accéder, les résultats sont tout simplement miraculeux. Le génie intérieur se manifeste sous forme d’idées, d’écriture, de visions ou d’éclaircissement sur les possibilités qu’offre le futur. Le champ est toujours aimant et cherche toujours à bénéficier à tous.
De plus en plus de personnes prennent conscience de leur capacité de puiser à même cette conscience collective. Plus il y a cette prise de conscience, plus nous nous rendons compte que nous faisons partie d’une intelligence gigantesque et aimante à laquelle nous sommes connectés en permanence.

Les neurosciences ont démontré que par une approche empirique et un esprit bien entraîné, des contemplatifs ont trouvé des méthodes efficaces pour accomplir une transformation graduelle des émotions, des humeurs et des traits de caractère, ainsi que pour éroder certaines tendances qui s’étaient manifestés chez des ancêtres – autant d’obstacles à un mode d’être optimal. Réaliser un tel accomplissement change la qualité de chaque instant de notre vie, en renforçant des caractéristiques humaines fondamentales telles que la bonté, la liberté, la paix et la force intérieure.
L’éventail des options disponibles à chaque instant varie énormément. À chaque instant, seul ce qui est peut être. Il est inutile de nier ce qui est advenu, ou de vouloir ce qui est soit différent. Pourtant nous aurions sans doute pu éviter que tel ou tel événement se produise, et nous pouvons certainement empêcher qu’il se répète. Il nous est possible de changer le cours des choses et de faire des choix pertinents grâce à l’acquisition de nouvelles connaissances sur ce qu’il convient ou non de faire, et entraîner notre esprit dans ce sens.

Ces dernières années nous ont bien montré comment nos certitudes peuvent être balayées en l’espace d’un claquement de doigts. Quelles sont les épreuves qui nous attendent dans un proche avenir ? Personne ne le sait. Ce qui peut faire toute la différence, c’est la façon de traverser les situations, ce sont les personnes qui nous entourent et les outils à notre disposition, pour nous engager dans la voie de notre propre libération quand les tempêtes se lèvent.
Ainsi notre destin peut être comparé à une porte invisible sans poignée ni verrou. C’est la résultante de notre mental et de nos émotions. L’ouverture de cette porte ne dépend que de notre libre arbitre et de nos choix.


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· Texte de Viviane Fournier · 3ème place

Elle s’appelait Léopoldine Tournesol, Léopoldine comme la fille de Victor Hugo, un mythe pour elle et Tournesol comme le soleil qu’elle aimait tant. Elle avait toujours froid et elle rêvait toujours trop. Elle rêvait d’horizons libres et nus, éclaboussant son âme d’une lumière imaginaire. Elle y était alors femme, sans retenue jusqu’à se perdre pour être Elle enfin !
Quand un matin d’automne, elle se retrouva dans cette pièce aux sept portes fermées, elle eut envie de crier ; l’étranglement serrait ses mots et Léopoldine se sentait déexister, elle n’était qu’une ombre sur ce plancher lisse et brillant .Elle était nuit dans les lueurs grisées de ce décor aux froides absences. Mais le destin est un bandit, il joue des tours à la vie et Léopoldine Tournesol fut comme happée par la certitude que son existence prenait un autre tournant. Elle marcha d’un pas confiant et décidé vers les sept portes, sachant qu’elle choisirait inévitablement, la jaune …c’était son identité, le miroir de son nom ! Et puis les autres lui semblaient si ternes …Elle n’eut pas peur. L’annonce qu’elle avait lue quelques jours auparavant dans le journal du coin, l’avait d’abord intriguée mais comme cela venait d’une enseigne de magasin très connu dans la région, elle pensa que c’était un grand coup de publicité avant les fêtes de Noël. C’était une boutique de décoration réputée où le bricolage côtoyait le merveilleux qu’elle ne pouvait jamais s’acheter. Cette annonce disait :
« Entrez, vous ne serez pas déçu, sept portes comme sept jours de la semaine… Derrière chacune, une surprise vous attend mais vous ne pouvez en ouvrir qu’une ! »
Léopoldine, au chômage depuis trop longtemps, à peine remise d’une cassure d’amour, n’avait rien à perdre. C’était son heure ! Elle s’avança donc vers la porte aux couleurs d’été. Il n’y avait pas de verrou, elle mit la main sur la poignée. Une sensation de douceur l’envahit aussitôt et un souffle de vent frais glissa sur sa peau. Si elle comptait bien, la porte jaune correspondait à mercredi, le jour des enfants … c’est pour cela qu’elle souriait de lumière, elle était une récréation !
Elle ouvrit. La pièce était vide. Elle sentait la menthe des forêts oubliées et les vagues marines des coquillages égarés. Sur le sol, seule, une plume. Une plume blanche avec quelques reflets bleus et noirs…Léopodine se baissa et ramassa la plume.
Tout ça pour ça ! Mon Dieu, pensa-t-elle, je m’attendais à un cadeau plus somptueux ! Un meuble aux mille tiroirs, une lampe d’Aladin, une boîte magique, un billet à dépenser dans ce somptueux magasin …histoire de terrasser les lundis, mardis, jeudis, vendredis, samedis et dimanches d’ennui où le temps ne cesse de se figer en mélancolie douteuse sur mes exils les plus fous !
Léopoldine se mit à rêver . Elle pensa soudain à hier, aux jours roses de son enfance.
Petite, elle avait toujours aimé les mercredis – pains d’épice où ses grands-parents avaient gourmandé sa vie de délices sucrés et aimants… mais c’était l’enfance et le temps l’égratigne aussi !
Elle sourit à sa naïveté et prit la plume doucement. Elle était belle, cette plume, elle avait l’air de frémir sous les doigts de Léopoldine. Elle allait la glisser dans son sac quand un vendeur arriva, un drôle de vendeur à la barbe blanchissante et au regard pénétrant :
Ah ! Mademoiselle, vous avez trouvé la plume …Vous avez de la chance, les autres portes n’ont que des pages blanches à offrir ! Vous vous avez de quoi les remplir qu’elles soient ici ou ailleurs !
Mais pourquoi cette annonce ? demanda Léopoldine
Pour faire venir les gens, Mademoiselle, la curiosité pousse les gens à savoir et forcément, tout comme vous, avant d’arriver aux portes, ils font le tour du magasin et dépensent pour l’enseigne …ils sont un peu déçus des portes, certes mais à la caisse, ils ont droit à un gros sachet de chocolats et ils sont ravis ! Il en faut peu, n’est-ce pas pour contenter un client ?! Le mot « gratuit » rend les choses aisées ! Bref …beaucoup ont choisi la porte jaune comme vous, elle est attirante mais quand ils ont vu la plume, ils ont soupiré, râlé, ri mais l’ont laissé sur le sol …Vous, vous êtes venue pour elle et vous l’avez ramassée !

A ce moment- là, une voix retentit dans la pièce aux sept portes :
— On demande Monsieur Merlin à l’accueil !

Mademoiselle, dit le vendeur je vous abandonne, on me réclame ! Prenez soin de votre plume…

Monsieur Merlin disparut. Léopoldine rentra chez elle et sortit la plume, elle la posa dans le vieil encrier de sa grand-mère et partit dormir sans plus se poser de questions … mais cette nuit-là, elle ne dormit pas vraiment . Les mots vinrent en elle comme une puissance désordonnée, elle s’en empara et se mit à écrire sur son clavier d’ordinateur. Devant elle, la plume dans l’encrier, vacillait joliment d’un mouvement d’oiseau … Le moment était précieux, simple, à peine racontable…Léopoldine se sentit libre et heureuse.

Un an après, elle reçut le plus prestigieux prix littéraire de la ville. Monsieur Merlin l’apprit et il sourit doucement …Il savait la beauté des légendes et les mystères que l’âme doit garder en secret.
Au-dessus des toits urbains, une lumière orangée habillait l’horizon et un oiseau signait de ses ailes, les quelques nuages qui frôlaient le monde …Tout allait bien.


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· Texte d’Alexandra Morin ·

« Venez à mes côtés, asseyez-vous au coin du feu. Dehors il pleut, le temps est gris, n’y mettons pas les pieds. Enroulons-nous dans les couvertures et tentons à nouveau de comprendre le monde ».
Dans le petit salon éclairé par le feu de cheminée et la lueur des bougies, trois enfants étaient assis en tailleur, emmitouflés dans de gros pulls tricotés à la main. Lucien, l’aîné, Maxime, son cadet et la petite Julie. Ils tenaient chacun fermement une tasse de chocolat chaud fumante et se regardaient en souriant. C’était un de ces précieux instants pendant lesquels mamie Sophie leur racontait des histoires, leur parlait de la vie. Même s’ils ne comprenaient pas toujours tout – leur grand-mère avait une façon de s’exprimer très particulière – ils adoraient l’écouter.
— De quoi allons-nous parler ce soir ? demanda Lucien, impatient.
— De coccinelles ? J’adore les coccinelles, s’exclama sa petite sœur.
— Pfff… n’importe quoi Juju, se moqua Maxime. On va pas parler de coccinelles , on s’en fiche ! C’est tout petit, ça sert à rien…
La petite fille se renfrogna, vexée.
— Ça ne sert à rien ? rétorqua mamie Sophie. Tu sais Maxime, ce n’est pas parce qu’une chose est toute petite qu’elle est inutile.
— Mais… une coccinelle !
Maxime croisa les bras, bougon. Il n’aimait pas qu’on le prenne pour un idiot.
— Tu vois ! s’exclama Julie en tirant la langue.
— Mamie, qu’est-ce que tu nous racontes ? demanda Lucien, calmement.
Mamie Sophie les regarda l’un après l’autre. Elle avait pour habitude de leur conter de belles choses, des aventures souvent romancées mais toujours tirées d’une réalité. Ce soir, l’histoire risquait d’être différente. C’était peut-être l’occasion d’aborder un sujet plus dur mais important pour elle. Et puis après tout… pourquoi pas. C’était aussi grâce à une toute petite chose s’ils étaient là tous les quatre.
— Ce soir, je vais vous raconter l’histoire d’une jeune femme. Une jeune femme qui naviguait sur des eaux troubles, perdue dans l’océan de ses pensées. C’est un récit difficile à partager car les mots sont parfois insuffisants pour exprimer correctement ce que l’on a en tête. Je vais essayer.
Les enfants étaient calmes et attentifs. Seul le crépitement du feu venait rompre le silence. Alors, mamie Sophie commença son récit :
— Expliquer l’incompréhensible. Voilà une tâche bien peu aisée. C’est ce qui façonne et fascine les hommes, ces êtres en constante quête de savoir, de découverte, de transcendance.
— J’ai rien compris… c’est quoi la transe en danse, chuchota Julie en se tournant vers Lucien.
— Je crois que c’est un peu comme quand on essaie de comprendre pourquoi Max ne se douche pas pendant quatre jours. Ça paraît incompréhensible mais on le fait quand même…
Mamie Sophie poursuivit.
— Pour comprendre l’histoire de cette jeune femme, il me faut donc essayer d’expliquer l’incompréhensible. A un moment de sa vie, elle n’allait pas bien. Elle était triste, profondément triste. Tous les jours. Mais voilà… elle ne savait pas exactement pourquoi et il lui était très difficile d’en parler. D’ailleurs, elle n’en parlait pas. Elle agissait comme si tout allait bien. Mais chaque jour, chaque instant était plus dur que le précédent.
— Et pourquoi elle pouvait pas en parler ? demanda Maxime.
— Sa réalité était floue, expliqua mamie Sophie. Elle n’arrivait à en extraire qu’un sens abstrait. Elle avait parfois des moments de flottement, aux prises des brumes qui l’entouraient. C’est comme si vous étiez entourés d’un brouillard constant qui venait perturber vos pensées. Et cette femme, parce qu’elle n’allait pas bien, se laissait souvent emporter par ce brouillard. Elle le laissait s’installer et condamner tous ses sens. Et puis elle plongeait avec lui dans les abysses de la mélancolie.
Il y eut un silence. Mamie Sophie avait parlé en fixant les flammes qui rougeoyaient dans l’âtre de la cheminée. Elle semblait ailleurs, comme transportée dans un autre monde, un autre temps. Les enfants se regardaient ; Julie ne comprenait rien, Maxime avait l’air concentré mais était tout aussi perdu. Lucien, lui, essaya de résumer :
— Alors la femme était triste et ne savait pas pourquoi. Et puis sa tristesse, elle était comme le brouillard. Elle l’entourait et était toujours avec elle.
— Ah, j’ai compris, dit fièrement Julie.
Mamie Sophie reprit ses esprits.
— Oui. Ce brouillard lui chuchotait de mauvais mots, de mauvaises pensées. Il l’empêchait de voir la beauté du monde qui l’entourait. Elle avait pourtant des personnes qui l’aimaient, qui lui tendaient la main. Mais cette tristesse était comme une maladie, difficile à faire partir.
— Comme la varicelle ? demanda Julie les sourcils froncés.
— Aussi désagréable, assurément ! répondit mamie Sophie en souriant. D’ailleurs, seul le temps pouvait l’aider. C’était comme si elle marchait le long d’un interminable couloir, sombre et brumeux, rempli de portes identiques. Pour s’en sortir, il fallait qu’elle trouve la bonne, celle qui la mènerait vers un destin plus grand qu’un seul lendemain. La plupart du temps, les portes restaient fermées et quand elle arrivait enfin à abaisser une poignée et à entrer, elle se retrouvait à nouveau… dans un couloir. Mais plus elle en passait, plus le brouillard se dissipait !
— Donc pour enlever complètement sa tristesse, ce brouillard… il faut qu’elle trouve la dernière porte ! dit Maxime, la main sur le menton.
— La dernière porte, répéta Julie, imitant son frère .
— Et elle l’a trouvée ! déclara mamie Sophie en souriant.
— Ouiiii… ! Comment ? s’exclama Julie, les yeux pétillants.
— Lorsqu’elle est finalement arrivée dans un couloir plus lumineux que les autres, une porte s’est distinguée. Elle était de la couleur du soleil, chaleureuse et accueillante. Elle illuminait toute la pièce. Et alors qu’elle s’en est approchée, qu’elle a tourné le verrou et qu’elle a franchi son seuil, le brouillard s’est dissipé, s’est envolé, a disparu.
Julie applaudit de joie. Elle était visiblement ravie que l’histoire se termine ainsi. Maxime semblait également soulagé. Quand à Lucien, il restait songeur.
— Mamie… dit-il, comment a-t-elle trouvé son chemin dans l’obscurité ? Comment a-t-elle su quelles portes franchir ?
Mamie Sophie sourit tendrement. Elle serra le pendentif qui reposait sur sa poitrine.
— Elle s’est aimée. Elle a trouvé le sens de sa vie. Elle a compris qu’il n’y avait pas « un seul sens » en particulier mais un pour chacun d’entre nous. Que c’était à tout un chacun de se le construire et d’en faire sa propre flamme pour avancer et éclairer son chemin. Cette révélation était comme la plus petite des étincelles… mais dans l’obscurité, il ne suffit que d’une infime lumière pour voir à nouveau.
Mamie Sophie regardait ses petits-enfants en souriant. Elle eut une grande inspiration qui vint gonfler son cœur d’amour.
— Gardez toujours cela à l’esprit : n’oubliez jamais qui vous êtes, ce que vous valez et ce que vous pouvez apporter à ce monde. Aimez profondément. Vivez, vibrez, toujours plus fort ! La vie vaut la peine d’être vécue, d’être ressentie, d’être parcourue. Et si vous devez affronter des moments plus durs, ne les évitez pas. Battez-vous. Ils sont ce qui rend les bonheurs encore plus précieux.
Et alors que les enfants prenaient le chemin de leur lit, après avoir réfléchi ensemble à ce qu’était leur propre petite flamme, mamie Sophie ouvrit son pendentif. Elle contempla son reflet dans le petit miroir qu’il renfermait et se remercia d’avoir un jour suivi son étincelle. De s’être battue pour devenir qui elle était. D’avoir réussi à s’aimer pour aimer en retour.


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· Texte de Florian Archambault ·

La porte,
Elle se dresse, la devant moi, stoïque,
Elle est lourde, pesante, intimidante,
Elle est en bois, vernie des plus sobrement,
Elle m’appelle, elle m’attire vers elle, elle me repousse,
Mes jambes, mes pieds, ils n’avancent pas,
La porte se rapproche de plus en plus de moi,
Elle n’est pas bien loin de moi,
Qu’a une dizaine de mètres tout au plus,
Plus elle s’approche, plus elle est rapide,
Et plus elle est rapide, plus elle est lente,
Le temps se brise, il ne s’écoule plus,
Comme l’espace se dématérialise tout autour de moi,
Je sens le courant d’air froid qui passe en dessous de cette porte,
De l’autre côté, à travers cette espace, je n’y vois rien, si ce n’est le noir complet,
Je ne me suis pas baissé pour regarder,
Je le sens, je le sais,
Les murs de la salle, son parquet, tout y est de bois,
Et tout y est verni des plus sobrement,
Il n’y a pas d’odeur, comme si elles n’existaient pas,
Je marche à pied nu sur le parquet,
Pourtant je ne le ressens pas,
C’est comme s’il n’existait pas,
Enfaite, je crois bien que rien n’existe,
Pas même cette pièce, cette porte,
Pas même moi,
Je ferme mes mains l’une dans l’autre,
Je ne sens même pas mon propre touché,
Je sens que la poignée de la porte dans le creux de mes mains,
Je sens son touché, le métal froid qui glace mon corps tout entier,
Corps que je n’ai pas, que je ne ressens pas,
Je resserre mes mains l’une dans l’autre,
Je les mets derrière mon dos, je les appuis dessus,
Je ne ressens pas non plus mon dos, je ne sens rien qui bloque mes mains,
Pourtant, elles sont bloquées, je ne peux as les repousser plus,
Pourtant, c’est ce que je fais,
Moi qui n’ai pas de corps,
La porte, comme si rien ne l’arrêtait, elle se rapproche toujours et encore de moi,
Plus elle se rapproche, et plus mon regard se fixe sur la poignée,
La porte n’a pas de poignée,
Je ne sens pas que j’ai peur, pourtant je suis inquiet,
Je suis terrorisé,
Je suis mort de peur,
Je sens mes mains forcer pour baisser la poignée,
Alors que je ne fais que de les monter,
J’entends le verrou de la porte, s’ouvrir,
Il n’y a pas de serrure,
Tout comme je n’ai pas d’oreille pour entendre,
La porte s’ouvre,
Je passe la porte,
La porte n’existe plus,
Elle n’a jamais existé,
Je suis seul, dans un univers vide,
Il n’y a pas de couleur, elles n’existent pas,
Il ne fait pas noir non plus, lui aussi n’existe pas,
Je sens mon cœur qui se serre,
Qui martèle ma poitrine,
Ainsi que tout mon être inexistant,
Mon cœur me fait mal,
Il me donne la nausée,
C’est comme si quelqu’un le pressait dans ses mains,
Pourtant il n’y a personne,
Pourtant, je n’ai pas de cœur,
Pourtant je n’ai pas mal,
Mais que ce passe-t-il à la fin ?
Le saurais-je un jour ?
Mon cœur, fini par éclater dans une inexistante explosion,
De cette explosion, je vois naitre des étoiles,
La sombre inexistence de tout, donne vie à un nouvel univers,
Un univers, dans lequel les étoiles naissent, grandissent et meurent,
Un univers dans lequel se trouve des nébuleuse et des supernova,
Il y a aussi des trous noir qui engloutissent tout sur leur passage,
Des planètes qui tournent en orbite autour des étoiles,
Et sur certaines de ses planètes, on y trouve des formes de vies,
Des formes de vie qui construisent des portes, des poignées et des verrous,
Certaines parmi celle-ci sont athées,
D’autres croient en l’existence d’un être supérieur,
Moi qui suis-je dans ce vaste univers ?
Mon corps est toujours inexistant,
Ceci n’est pas un cauchemar, mais pas un rêve,
Depuis que j’ai été dans cette pièce,
Dans cet univers, des milliards d’année se sont écoulées,
Pour moi, ce ne fut que quelques secondes
Tel est donc mon destin ?
Donner l’existence à un univers infini dans le temps et l’espace,
Dont j’ai vu ses première lueur, et dont je verrais ses dernières,
Dont je vois toutes ses frontières,
Ses frontières qui mènent à des portes inexistantes,
Je vis dans un univers ou je n’existe pas,
Je suis existant que par mon inexistence,


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· Texte d’Arsinoé ·

Violences

« Regarde au-delà de ce qu’ils t’ont fait. »
La voix résonne en moi comme venue de nulle part.
Jusqu’à présent, je n’avais pas accès à mes souvenirs. Je ne voulais pas voir à quel point j’étais blessée. Je voulais rester forte.
Mais, maintenant, les apparences s’effacent et je n’y arrive plus.
Et je n’ai plus qu’une solution pour exister enfin pour moi-même.
Aller voir ce qu’ils m’ont fait.
Alors je plonge.
La pièce grise s’illumine de candélabres. Un cliquetis résonne dans le verrou grippé. Le bruit fait violence à mes oreilles.
Je viens de passer trois jours dans l’obscurité et le silence, sans boire ni manger.
J’ai huit ans.
Je ne me souviens plus de la première fois qu’on m’a amenée ici, mais cela fait longtemps. Pour me protéger de la douleur physique, j’ai tout effacé dans ma tête. Maintenant, il ne reste plus qu’une sorte de brouillard blanc, comateux, qui fait pression sur mes tempes. Je regarde la porte s’ouvrir avec appréhension.
J’ai envie de m’échapper. J’ai beau avoir tout remis à zéro, je connais ce visage. Il me terrifie. Une angoisse énorme me serre le ventre.
Devant moi, il y a un homme d’âge moyen, aux cheveux poivre et sel. Il porte un costume noir soigné. Il a une sorte de distinction et d’autorité naturelle qui me plaît. Il a aussi beaucoup de charisme. Je le trouve beau malgré moi. Il ressemble à l’acteur d’un film.
J’ai honte. Honte de l’aimer aussi fort. Car je sais ce qu’il me fera.
Je détourne le regard. Lui, me sourit. Pourtant, ses yeux gris-bleu sont froids comme la mort.
« Allons, Rose, il faut se lever. Nous ne voudrions pas faire attendre nos invités, n’est-ce pas ? »
Non, il ne vaut mieux pas.
Mon corps se redresse de lui-même, comme par automatisme. Je sais profondément en moi-même que je n’ai pas le choix : pour que je reste en vie, je dois obéir à ses ordres.
J’ai un frisson lorsque les pans de son costume me frôlent. Il sent le musc et le romarin. C’est une odeur que je connais par cœur, que j’aime et que je déteste à la fois. J’avale nerveusement ma salive. Un tissu noir se pose sur mes yeux.
Je sais ce qui va suivre.
Et je n’en ai pas du tout envie.
Nous marchons vers la porte. Il me demande si je suis en état de grimper les marches de l’escalier et si mes mains ne me font pas trop mal. Depuis hier, elles sont restées liées. Je me contente de secouer la tête.
Quelque part, le bandeau posé sur mes yeux me rassure. Parce que je ne peux rien voir. Je m’imagine que les autres ne pourront pas me voir non plus.
Si je prie suffisamment, je finirai peut-être par me transformer en fantôme. Par devenir transparente, comme j’ai pu le faire autrefois.
Je me rattache à cet espoir comme à ma dernière chance.
Il faut que je réveille mes pouvoirs psychiques. Au moins une fois.
Qu’ils répondent à mon appel. Ne serait-ce qu’une fois. S’il te plaît Dieu, je sais que tu en es capable.
Mais Dieu ne répond pas.
Je suis si effondrée de l’intérieur que je n’arrive même plus à Le convaincre. Peut-être que lui aussi pense que j’ai péché. Que je suis une mauvaise fille.
J’aimerais lui dire que je ne suis pas cela. Pas uniquement. Mais la main de mon bourreau me tire toujours dans le couloir, et je suis de plus en plus terrifiée. Je sais pourtant que je ne dois pas montrer ma peur. Il faut que je reste en vie.
Un signal d’alarme hurle dans ma tête.
Alors, soudainement, je me mets à changer. Mes yeux s’étrécissent sous mon bandeau, et ma tête se fait plus claire. Cette partition, je l’ai jouée des centaines de fois : passer du blanc à la reconnaissance.
Je sais maintenant le nom et le statut de l’homme qui m’entraîne.
Et je sais aussi que je finirai par le tuer.
Quand il m’enlève mon bandeau, je suis prête.
« Rose, m’entends-tu ? » souffle-t-il à mon oreille. Sa voix me fait frissonner. Je hoche la tête. Ma voix a des accents métalliques que je ne lui connais pas.
« Que dois-je faire ? »
Il fait tomber ma robe au sol, comme un geste connu de nous deux. Alors je sais. Je sais, et quelque part en moi, une enfant hurle. Mais je lui rends son regard froid. Et j’entre dans la salle qu’il me désigne.
Les regards des hommes s’attardent sur mon visage, sur mon corps, sur mes lèvres. Et je sais la question qui les brûle de l’intérieur.
« Quel âge a-t-elle ? »
Ils font des calculs et des suppositions. Mais ils se mentent à eux-mêmes. Et je le sais.
Pour eux, je n’ai pas d’âge.
Je n’ai pas de nom non plus.
Je suis leur délivrance. Et c’est moi qui crierai cette nuit.
Mon masque d’assurance se fissure. Je ne peux plus continuer. Mais il faut que j’aille au-delà encore, pour protéger l’enfant.
Alors j’appuie sur le bouton off.
Mes yeux se perdent dans le vide et je sors de mon corps. A côté de moi, Sa présence lumineuse veille.
Dieu.
« Tu as mis du temps, tu sais. »
Je t’aime.
Je sais…
Je préférerais qu’il en aille autrement. Mais ce n’est que dans ces moments où j’ai peur pour ma vie que je peux le retrouver encore.
En-dessous, mon corps se dérobe. Qu’ils le prennent s’ils le veulent. Il n’appartient à personne. Il est vide et froid, sans cœur et sans âme. Mais il peut ressentir encore.
Alors ils me feront souffrir.
Car ils aiment ça de toutes les cellules de leur corps.
Ce sont des porcs. Des porcs sans conscience, à la merci de leurs plus bas instincts.
Pourtant, dans leur décadence, le vernis de la politesse demeure. Un vernis qui démontre leur vulnérabilité. Un vernis de beauté qui s’effrite. Un jour moi aussi je m’effriterai.
J’attends que le tumulte passe. Mes yeux enregistrent qu’un tel porte au poignet une montre de grand prix, qu’un tel possède une alliance. Qu’un tel a un ceinturon avec une boucle en or. Leurs mains sont manucurées, leurs ongles impeccablement taillés. Eux n’ont pas envie de se salir. Ils sont beaux. La saleté est en moi, sur moi.
Pourtant, ils me regardent comme si j’étais ce dont ils avaient toujours rêvé.
En un sens, c’est peut-être le cas.
Leurs mains se posent sur ma peau blanche. Elle est belle ma peau, même si elle a été souillée des centaines de fois. Si je pouvais revenir à zéro, je prierais pour qu’elle retrouve sa pureté initiale. Mais je n’ai pas le choix.
Je me laisse faire. De temps en temps une larme roule sur ma joue inexpressive. Certains l’effleurent comme un bijou précieux. Aujourd’hui, j’ai de la chance. Je suis une sorte de déesse-enfant.
Cela ne sera pas toujours le cas.
« Ne pleure pas, murmure une voix à mes oreilles. Je t’aime. Si l’on te fait du mal, je te protégerai. »
Des illusions, entendues encore et encore. Ils ne se rendent même pas compte qu’ils mentent. En cet instant libérateur, tous pensent être absolument sincères. J’en aurais presque pitié si je n’avais pas aussi honte.
Car oui, j’aime ces bras qui se referment autour de mon corps. Ces bras qui m’enserrent comme ceux du père que je n’ai jamais pu avoir, et que je n’aurai jamais. Dans leur amour dépravé qui est aussi souffrance, ils pensent me faire du bien. Et la chimie de mon corps fait que, malgré moi, je défaille sous leurs assauts.
Je ne peux pas aimer cela. Je n’en ai pas le droit. Je me sens horriblement mal. J’ai envie de vomir. Je veux mourir.
Le mécanisme de secours s’active.
Je retourne dans le présent.
« Regarde au-delà de ce qu’ils t’ont fait. »
Je suis allongée sur mon lit, parcourue de tremblements. En sécurité dans ma cellule monacale.
Plus que tout, je ne voulais pas voir cette chose.
Qu’une part de moi a aimé ce qu’ils m’ont fait.
Je sais que je ne suis pas une sainte. Mais je ne pensais pas que le poids de la culpabilité serait si lourd à porter.
Il faut que je sorte d’ici. J’ai besoin de réfléchir.
Ma main se pose sur la poignée de la porte. L’air piquant me fait du bien. Je m’agenouille sur le sol froid de la chapelle.
Ce n’était pas de ma faute.
Ce n’était pas de ma faute.
Je voulais simplement survivre.
Je voulais rester en vie.
« Je suis désolée. Je suis désolée. Je suis désolée. Je t’en prie, pardonne-moi. Pardonne-moi d’exister encore. »
Il n’y a rien à pardonner.
Alors, soudainement, les digues lâchent.
L’enfant pleure aux pieds de Dieu.


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· Texte d’Athénaïs Grave ·

Le train de l’existence

La vie est comme un grand hall de gare. Un hall immense où s’alignent des centaines de portes menant toute à une destination différente. Mais cette gare n’est pas comme toutes les autres. Elle n’offre que des trajets aller, sans jamais de retour, et sur ses quais, vous serez seul.
Alors deux choix s’offrent à vous : rester à jamais dans le hall de cette gare à contempler les milliers de possibilités qui défileront sous vos yeux, où prendre votre courage en main en posant cette dernière sur une poignée, puis oser la tourner, et sauter dans le train en marche.
Et où ce train vous mène-t-il ? Dans une autre gare, assurément. La vie est une suite de choix et de voyages. Alors, à quoi bon, me direz-vous ? Pourquoi ne pas rester confortablement dans la première gare plutôt que de cheminer d’incertitudes en incertitudes ? Pourquoi ? Très bonne question. Rien ne vous oblige à monter dans un train si vous êtes parfaitement épanouis et heureux dans votre gare. D’ailleurs, nous avons tous une gare où nous aimerions nous installer pour longtemps, celle où on se sent à la maison. Alors si votre gare vous rend heureux, restez-y. Chaque voyage a une fin, peut-être que pour vous, elle est ici. Sachez que vous êtes quelqu’un de chanceux, beaucoup cherche toute leur existence leur destiné.
Mais si ce n’est pas la gare que vous attendiez, que vous ne vous y sentez pas accompli, alors, il est temps d’embarquer. Mais quelle porte choisir ? C’est effrayant de savoir qu’il n’y aura pas de retour en arrière, de savoir ce qu’on laisse derrière soi sans n’avoir aucune idée de ce qui se trouve devant. Combien ont fini malheureux, emprisonnés dans une vie qu’ils ne souhaitaient pas de peur d’oser simplement choisir.
Comment choisir ? Suivre son instinct. Mais il faut cependant rester méfiant. Une belle porte aux allures lumineuses n’est pas synonyme d’avenir radieux. Et si cette même porte est fermement close, vous ne devez pas en forcer le verrou, sous aucun prétexte. Car le prix du trajet est souvent plus élevé que celui du trésor qu’elle renferme.
Et si, ces portes grises, s’ouvrant devant des chemins ardus sur lesquels il est impossible de rouler à cent à l’heure, ne semblent pas aussi attrayantes, dites-vous que sur leurs longs rails sinueux, vous pourriez y trouver des surprises insoupçonnées que vous n’auriez même pas aperçu, lancé dans votre TGV doré.
La vie est une succession de gares et de trains, mais c’est sur leurs sièges que l’on fait les plus belles rencontres, à condition de prendre le temps de s’y asseoir et de regarder autour de soi. Alors, peut-être, que votre prochain train, vous le prendrez à deux.


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· Texte d’Aurore Nivelle ·

Dans un monde parallèle,
Une porte s’ouvre et se referme ensuite.

Une porte s’ouvre sur mon monde magique,
Sans limite,
Sans limite de strophes et,
D’apostrophes.

Une parenthèse,
A l’air libre,
Libre comme l’air et le vent,
Libre,
La liberté retrouvée.

La liberté vivante,
De se retrouver tel que l’on est,
Dedans et dehors,
Tout le temps,

Sans comparaison,
Sans arrière pensée,
Sans pensée,
Sans jugement,
Sans fin,
NO LIMITE.

Une seule limitation,
Le verrou mis sur la porte close,
Une seule limite limitante.

Sans aucune mesure,
Déverrouiller la porte et le verrou,
Pour passer au travers,
Pour passer à travers,
La porte et,
Ouvrir le champ des possibles,
Tout le temps,
A chaque instant de la vie,
Carrément,

Pour y découvrir de véritables prouesses du cœur,
A partager,
A animer,
A aimer,
A s’aimer,
Tout simplement,
Comme un joyau au cœur de chacun.

Les mots sans demi-mesure,
Juste pour le plaisir de partager et,
D’y voir quelque chose de bien,
D’indéfinissable,
Poignant et,
De toute beauté tout simplement,
Comme quelque chose venu de nulle part,

Qui prend aux tripes,
Qui prend au cœur et,
Qui fait chavirer le cœur,
Tout simplement,

Comme des anges descendus du ciel,
Pour porter la bonne parole,
Celle du cœur tout simplement,
Epanoui,
Epanouissant,
Et ainsi apporter de la lumière,

Tout simplement,
A mettre dans le cœur de chacun et,
Au cœur de soi,
Tout simplement et,
Au cœur de la planète,
Entièrement,

Pour préserver l’environnement,
Pour préserver les environnements,
Pour préserver les habitats,
Pour préserver les hommes et leurs habitats,
Leurs toits,
Le toit du monde,
La planète tout simplement,
Carrément,
Au cœur de chacun et de tous à la fois.

Alors inondons-nous de lumière, de beauté,
Tout simplement,
Carrément,

Pour faire une belle farandole,
Pour faire une belle ronde,

Pour les accueillir,
A bras ouverts,
Et en faire ainsi des amis,
Des amis de cœur et de partage pour le plus grand bien de tous,
A la fois,

Sans aucune mesure,
Sans demi-mesure,
Juste pour le plaisir de les accueillir,
A bras ouverts,
Comme un conte de Pérrault et,
Ainsi former un bel arc-en-ciel de couleurs,
Au cœur de chacun,

Grâce à cette ouverture,
Grâce à cette belle ouverture du cœur,
Et ainsi en faire une belle opportunité, une belle perspective,
Sur un nouvel horizon venu de nulle part,
Et ainsi semer de belles graines d’Amour,
Pour toute l’humanité qui en a vraiment besoin,
Tout le temps.

Aplatir le temps et l’espace et,
Se retrouver ailleurs, dans un autre ailleurs,
Se retrouver de l’autre côté du miroir en ayant franchi cette porte,
Tourner la poignée et s’être glissé au-travers cette porte jaune dorée,
Tout le temps,
De l’autre côté du voile,
Pour lever le voile sur l’univers et,
Sur toutes ces beautés du cœur,

Des farandoles d’anges à nos pieds nous y attendent,
Pour nous serrer dans les bras,
Nous étreindre d’Amour avec un grand A,

Inconditionnellement,
Incommensurablement,
Inexorablement et,
L’humanité toute entière en a besoin,
De ces câlins de bonheur,
Par milliers,
Juste pour la tendresse et le partager,
De partager tous ensemble.

Pour propager la lumière et,
La rendre belle et accessible dans le cœur de tous et de chacun,
A la fois,
Sans demi-mesure,
Juste pour le plaisir d’avoir entre-ouvert la porte,
De s’y être glissé,
Après avoir tourné la poignée et,
Ainsi déverrouiller le verrou,
Tout le temps et à chaque instant de la vie,
Tout simplement,
Inexorablement.

Alors profitons de ce moment de partage et,
De toutes ces belles portes qui s’offrent à nous,

Devant nous et,
Devant notre cœur,
Pour nous remplir de joie et de beauté,
Tout simplement.

Une grande chance,
Pour toute l’humanité et,
Ainsi nous nourrir de lumière pour notre cœur.

Merci l’Univers, le ciel et les étoiles,
Que l’on peut voir et apercevoir de la terre ferme.

Avec compassion,
Avec passion,
Merci nos anges gardiens lumineux, remplis de lumière,
Pour nous,
Pour nous la transmettre,
Tout simplement,
Inexorablement.

Bravo au monde entier qui peut l’apercevoir chaque matin,
Cette belle lumière du matin.

Le ciel à nos côtés, à l’horizon qui pointe son bout de nez.


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· Texte de Chloé Le Bon ·

Où gisent les rêves et où demeurent les limites du destin ? Le destin et le rêve figurent tout aussi franchissables. Lorsque l’on y croit avec sincérité. Comment décrypter nos songes ? Somme toute qui peut dire s’il apparaît vrai ? Le destin qu’est-ce après tout ? On regarde vers l’avant afin de s’ouvrir et s’offrir des opportunités, puis des portes invisibles à l’œil nu. Des portes parfois scellées par le manque de conviction. Non pas parce que nous n’y arrivons pas.L’horizon si vaste soit-il, autant que nos destins. Poussons ses portails qui sont verrouillés. Que contiennent-ils vraiment derrière ? Qui y a-t-il de l’autre côté ? Comme Alice je cherche la clé qui m’ouvrira les portes de mes aventures. Alice a son pays des merveilles. Comme tous ces gens qui se cherchent encore et qui recherchent le monde idéal. Comment provoquer son destin ? avoir du pot, demeurer révérencieux, n’est-ce pas si prétentieux ? Avoir de l’audace et franchir les barrières du danger. Gravir les échelons, il arrive que l’on s’y noie, dans cette immense force, des courants magnétiques qui nous guident et nous emmènent à l’endroit exact. Prendre plusieurs chemins, se tromper souvent. Tombé sur les mauvaises poignées. Les portes ne sont pas toutes faites pour nous. On marche parfois dans le vide. Essayant de trouver qui nous sommes vraiment. Néanmoins, qui sommes-nous ? On essaie encore de faire de grandes choses stupéfiantes. Le destin est impalpable mais on peut le saisir. Tout comme la chance, on ne le voit pas, il est invisible. Néanmoins on y croit car c’est ce qui nous pousse à avancer. Ces portes alignées devant nous. Lesquelles choisir si une seule nous convient ? Toutes ses portes verrouillées, lesquelles franchir et surtout laquelle choisir ? Nous sommes tous bloqués devant nos possibilités d’accéder à la chance et au destin. Celui de se surpasser. Si les hommes font des miracles. Pourquoi n’y arrive-t-on pas à aller loin au bout de nos désirs ou à notre but ultime ? On court après la gloire, l’amour et l’argent. N’est-ce pas plus simple que ça ? Le destin n’est-il pas de réussir à vivre ? Chaque jour de notre naissance jusqu’à nos vieux jours. Le destin qu’est-ce après tout, si tout est à portée de main, la richesse, la santé et la famille ? Une porte s’ouvre et une autre se referme. Les portes se verrouillent peut-être pour toujours. Jamais nous ne regagnons en arrière. Si l’on pouvait retourner dans le temps, que changerions nous ? Nous pourrions inventer une machine afin de changer le cours des événements. Ceux qui nous ont fait grandir. Les leçons que nous avons retenues. Si toutes ses possibilités existent. Nous avons une force en nous bien au-delà de ce que nous considérons comme insurmontable. L’être humain est-il capable de se fabriquer son propre destin? Il y en a des millions, nous les avons en mains. Si toutes ces portes avec qu’une seule clé. Tout le monde serait heureux. Riche et beau en parfaite santé. Nous serions sur un pied d’égalité. Les dés entre nos mains, est-ce dieu qui distribue nos clés ? Notre porte rayonne, mais nous ne la voyons pas. Trop aveuglé par les autres plus brillantes que les nôtres. Envieux ou jaloux, par la richesse d’autrui. Pourquoi pas moi ? Combien de fois avons-nous entendu ou exprimé cette phrase ? Pourquoi tant d’inégalité dans ce monde avec autant d’opulence ? Provoqué son destin, est-ce si facile, tout compte fait ? Peut-on tenir la poignée de la nôtre et enfin la déverrouiller. Ou seront-elles toutes inaccessibles pour le commun des mortels. Aurais-je un jour cette possibilité ? De me retrouver en face de cette porte ? De voir ce verrou s’ouvrir, pour qu’enfin la poignée se libère et la clenche de porte se détende ? Sommes nous tous pareils ? Si l’on savait ce qui nous attend, serait-on en train d’effacer et d’essayer encore. Le destin, est-il qu’une façon à nous pauvre être humain digne de croyance de mettre du rêve dans nos vies ? Où est-il une preuve de son existence sur terre ? Naître avec une cuillère en argent ou être né sous une bonne étoile. Toutes ces superstitions. Ne sont-elles que des inventions, où ont-elles une signification ? Ouvrir les portes du destin, ou encore avoir l’opportunité. Prendre son destin en main. Ont-elles vraiment du sens ? Si du jour au lendemain, le destin change de route. Que les portes que l’on s’est battu d’ouvrir. Se formant soudainement. Je tente d’ouvrir cette porte, mais que cache-t-il derrière ? Une prairie remplie de joyaux et de pièces de monnaie ? Est-ce qu’on y trouverait sincèrement le bonheur ? La clé dans nos poches, à la recherche d’un trésor caché ? Mais si ce trésor tant convoité n’était qu’un morceau de papier en coton que l’on idolâtre. Ou une pièce fabriquée par l’homme lui-même. Les enfants ne veulent que de princesses et de dragons. L’homme lui n’aspire que de richesse et de pouvoir. Toutefois l’argent n’est que du vent d’un bout de coton sans valeur pure, comme les rêves. On ouvre des portes chaque jour, on rencontre des gens. N’est-ce pas là le fruit du destin ? Les portes qui s’ouvrent sont celles de notre vie. Celles de nos boulangers favoris, celles de nos chambres, celles de nos amis. On en pousse des centaines à voir des milliers dans notre vie. Certaines sont malsaines, d’autres nous donnent le vertige quand derrière il y a la personne que l’on aime. Nous ouvrons des portes sur les réseaux sociaux, des rencontres extraordinaires. Nos portes ne sont jamais vraiment fermées. Le passé parfois nous fait revivre ces instants que l’on aimerait effacés. D’un coup de baguette magique. Dès notre naissance les portes s’ouvrent, celles qui nous donnent la vie.Les portes se croisent sans jamais savoir si nous sommes fait pour les ouvrir. Comment réussir à percer son destin ? Avec beaucoup d’espérance et de pugnacité. N’est-ce pas en provoquant ce que nous désirons que l’on obtient ce qui nous a droit ? S’il est vrai que les leprechauns distribuent bonheur ou malchance. Ne sommes-nous pas maîtres de nos actes et de faits. tout comme la magie et la spiritualité. Où puisent les profits ? Qu’est-ce que la valeur d’ailleurs ? Si le blé est aussi cher qu’un champ de roses ? L’argent et la richesse se logent et se déterre sous nos pieds. Nous creusons pour trouver de l’or ainsi que de l’eau. Doutons-nous au paradis ? S’il était possible d’y inaugurer ces portes ? Je crois en ce petit exploit, celui qui nous mène à la quintessence du bonheur. Ouvrir cette porte où notre joie sera expansive. Où plus rien ne sera plus merveilleux. On ouvre nos portes, en priant qu’elles ne soient plus verrouillées, que le verrou bloqué se déverrouille. Nos cœurs s’accélèrent lorsque l’on perçoit ce qui se cache par dessous. Où peut-on dénicher notre vie parfaite ? Revenons à l’univers d’Alice qui ne rêve que de choses absurdes.Est-ce que nous aussi ne songeons pas à un peux trop absurde ? Parfois il faut boire un produit pour enfin grandir, de nos fantasmes d’enfants, ou rétrécir pour devenir aussi petit qu’une mouche. Pour vagabonder loin, partir et traverser les portes qui nous sont accessibles. Pousser les portes d’autres mondes. Voyager à travers les pays. Peu importe où peu importe notre taille, nous devons réaliser nos vœux les plus chers.Sous les verrous de la vie là où nous sommes privés de liberté. L’homme cherche à se délivrer de la vie quotidienne.L’enfant rêve toujours, l’enfant grandit, mais ses secrets sont beaux. Dans ses songes l’enfant évolue et se crée des univers à lui. Seront nous sans cesse ces enfants tendrement endormis ? Pendant que l’on dort, nos paupières closes visualisent nos frontières.Ce qui nous prouve que les espaces entre nos portes de l’invisible peuvent être entrouvertes. On imagine ces obstacles comme des montagnes à gravir Les portes sont pareilles afin que nous pensons qu’elles sont infranchissables et qu’elles sont fatigantes à pousser. Les enfants seront nos portes parallèles au monde des gardiens d’un secret verrouillé.


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· Texte de Christian Martinasso ·

Je glisse sur le dos sur une pente douce, savonnée de tendres souvenirs, sans possibilité de m’empêcher d’être attiré par l’inconnu. Les pieds en avant, je dérape au ralenti vers ces deux étranges passerelles suspendues au-dessus d’une vallée de nuages lumineusement blancs.
A bout de force depuis plusieurs jours, je m’approche inexorablement de ces deux ponts de cordes suspendus qui me mène vers ces portes.
Péniblement, appuyé sur ma canne, hésitant, je me redresse pour choisir le passage qui me transportera ailleurs.
Lequel va me mener vers un futur verdoyant, lequel vers une probable sinistre obscurité ?
Comment élire mon avenir, conduire mon destin ?
Je couve encore l’espoir vain d’espérer qu’il existe un choix, en bout de cette quête, pour basculer vers une suite apaisée et ne pas m’enfoncer dans une nuit assombrie et définitivement sans vie.
En attendant cet ultimatum, des seringues sournoises, en goutte à goutte, me maintiennent en état léthargique. Elles ne peuvent m’empêcher d’aspirer à pouvoir m’élever vers un ailleurs riche de plénitude.
Je me rêve au centre d’une vallée de larmes. Mes évocations me tressent une funèbre couronne d’épines de peine. Des images poignantes de belles festivités, emportées par un requiem mélodique de toutes les musiques de ma vie, surnagent en altitude. Transfiguré de joie, malmené par de tristes souvenances, les épaules affaissées, j’avance pas à pas. Je baigne dans une étrange sensation de marcher dans un désert infini, je n’ose deviner ce qui se cache derrière cette ligne floue de l’horizon de mes confessions. Ce mirage qui recule sans cesse m’effraye de plus en plus.
Vos mains sur ma main, mes mains sur chaque poignée, vos murmures d’affection m’apaisent et m’invitent à ouvrir sans peur un de ces deux verrous. Votre amour m’indiquera à temps quelle porte emprunter pour rejoindre enfin mes amis attablés qui m’attendent depuis déjà trop longtemps.
Au loin, je commence à entendre la fanfare du sergent poivre vert qui acclame mon arrivée :
Good morning, good morning


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· Texte de Claire Rio Petit · 1ère place

Je ne comprends pas ce que je fais là ! J’ai l’impression d’être passée sous un rouleau compresseur. J’ai mal partout. Je croyais que l’on ne ressentait plus la douleur une fois la mort venue.
D’ailleurs, suis-je morte ?
Je me souviens d’être montée sur cette falaise de craie qui surplombe la Manche. Il faisait froid. Le vent me cinglait le visage mais je m’en fichais. J’étais obsédée par l’idée d’en finir, par l’idée de sauter dans le vide et de ne plus rien ressentir. Je me souviens d’être arrivée au bord du précipice, d’avoir regardé en bas comme si j’allais pouvoir y voir quelque chose par cette nuit d’encre. Je me souviens de ne pas avoir vraiment réfléchi et de m’être laissée tombée en avant.
Puis, plus rien.
Je suis dans un lit que je ne connais pas et je ne sais pas comment je suis arrivée là. Je grelotte et j’ai beau avoir les yeux grand ouverts, je ne distingue rien autour de moi tant la pièce est plongée dans l’obscurité. Je me redresse et commence à tâtonner autour de moi. Ce lit est immense, j’ai l’impression de ne pas en trouver l’extrémité. Je parviens à me glisser au bord du matelas. Je tends une main vers ce que je pense être la tête de lit dans l’espoir d’y trouver un luminaire. Je fais tomber un objet qui heurte le sol avec fracas mais je trouve enfin un interrupteur.
La lumière m’éblouit et il me faut quelques secondes pour recouvrer mes esprits. J’explore la pièce du regard. Cette chambre est immense et magnifique. Le plafond est délicatement sculpté, les moulures blanches autour des huisseries sont dignes d’un manoir et mettent en valeur le papier peint couleur miel. Les draps de satin bordeaux sont assortis aux rideaux encadrant l’immense baie vitrée qui parcoure toute la longueur de la chambre. Dans l’angle opposé de la pièce se trouve un petit salon doté de deux fauteuils en velours bordeaux décorés avec raffinement. Sur la table basse trône un imposant bouquet de roses rouges et blanches.
J’ai l’impression de me trouver dans un palace cinq étoiles. Je suis peut-être dans un hôtel, d’ailleurs. Si tel est le cas, comment vais-je payer la note ?
Je me lève avec précaution. Je ne pensais pas qu’il y avait autant de muscles et d’articulations dans le corps humain. Je ne suis peut-être pas morte, mais je suis brisée.
J’ai repéré deux portes dans la pièce. L’une est a l’extrémité de la chambre près du petit salon et l’autre est plus proche, à droite du lit. Ma forme actuelle m’intime de me diriger vers la plus proche au risque de défaillir en plein milieu de la vaste pièce. Je m’aide du lit pour marcher en direction de la porte qui, je le suppose, doit être la salle de bain. Ce serait logique si je me trouve effectivement dans un hôtel.
J’actionne la poignée et découvre une salle d’eau digne d’un palais des temps modernes. La douche à l’italienne est assez grande pour deux personnes, la baignoire d’angle est idéale pour une séance de balnéothérapie, la vasque en marbre et la robinetterie sont rutilantes. Je ne sais pas qui fait le ménage mais c’est magnifique. Je n’ose même pas fouler le sol en marbre de peur d’y laisser des traces. Je reste plantée à l’entrée à m’émerveiller pendant de longues minutes avant de me décider à entrer. Je ferme la porte derrière moi et actionne le verrou par réflexe.
Je savoure un très long moment le contact de l’eau chaude sur ma peau frigorifiée. Je m’assois dans la douche, ne tenant plus sur mes jambes et je laisse l’eau ruisseler sur mon corps meurtri. Je m’examine. J’ai mal partout mais je n’ai aucune blessure, aucun hématome visible. Je n’ai toujou aucun souvenir, non plus.
Je sors de mes réflexions, coupe l’eau et me sèche avec attention avant de repérer et d’enfiler un confortable peignoir de bain qui diffuse une agréable et rassurante odeur de bouquet de roses fraîches. Je suis surprise de découvrir que les pantoufles fourrées assorties me vont à la perfection. Une fois vêtue et un peu d’énergie retrouvée, je décide de retourner dans la chambre pour identifier l’emplacement de mon hôtel.
J’ouvre la porte et me retrouve nez à nez avec un étranger assis au bord de mon lit.
Je pousse un hurlement de frayeur à m’en décrocher la mâchoire et l’inconnu se met à rire de bon cœur. La frayeur se dissipe rapidement et laisse place à la colère. Que fait cet inconnu dans ma chambre et pourquoi se moque-t-il ouvertement de moi de la sorte ?
Il ne me laisse pas le temps de réagir et se précipite vers moi d’un bond. Il est si rapide que j’ai à peine eu le temps de le voir bouger. Il passe un bras autour de ma taille et me soutient. Je ne m’étais même pas rendue compte que mes jambes avaient cessé de me retenir et que je me dirigeais vers le sol en une chute des plus disgracieuse.
— Tu ne devrais pas être debout, me dit l’inconnu d’une voix suave et réconfortante.
Nettement plus grand que mon mètre soixante quinze, il a les cheveux courts, bruns et impeccablement coiffés. Ses yeux sont deux perles couleur lagon, une nuance que je n’avais jamais vue avant. Son corps élancé est musclé mais pas trop. Sa poigne est douce mais ferme à la fois. Je soupire malgré moi en pensant que cet homme est bien trop séduisant pour moi et en me rappelant que je n’attire que les loosers, les beaux parleurs qui me jettent une fois qu’ils ont eu ce qu’ils voulaient. Je suis une ratée ! Je n’ai pas de vie amoureuse stable, j’ai un boulot qui me rend malade rien qu’à l’idée d’y penser et une famille totalement inexistante. Personne n’aurait remarqué mon absence si j’avais au moins été capable de mener à bien ma propre mort.
Je suis perdue dans mes réflexions pendant que mon inconnu m’aide à m’asseoir sur le lit et prend place à mes côtés.
— Où suis-je ? Qu’est ce que je fais là ? Qui êtes vous ?
Je le bombarde de questions sans lui laisser le temps de répondre. Il me regarde dans les yeux et une étincelle me fait totalement chavirer. Ce n’est pas le moment Elena, reprends toi ! Tu ne le connais pas.
— Tu es chez moi. Tu t’es suicidée il y a trois jours. Je suis celui qui t’a vu tomber et qui n’a pas pu s’empêcher d’intervenir. Je m’appelle Adrian.
Je ne réponds rien. Je reste muette et figée. Je ne suis pas à l’hôtel, je suis chez un inconnu. Un inconnu sexy qui m’a ramenée chez lui. Soudain, je percute :
— Comment ça, je me suis suicidée il y a trois jours ? ce n’est pas possible puisque je suis là ! C’est franchement pas drôle et pourtant, de l’humour, j’en ai !
— Tu as mal partout n’est-ce pas ? Tu as froid et tu n’arrives pas à te réchauffer ? Tu n’as pas faim alors que tu n’as rien mangé depuis trois jours et tu n’as pas soif non plus, d’ailleurs. Je me trompe ?
Je ne réponds rien et me contente d’acquiescer. Il poursuit :
— Je t’ai vue gravir la falaise d’un pas décidé. Je me doutais de ce qui allait se passer et je suis resté à observer. Je n’ai pas été assez discret je pense car, à un moment, tu t’es tournée dans ma direction. Tu ne m’as pas vu mais nos regards se sont croisés et j’ai de suite su que c’était toi, que tu es celle que je cherche depuis fort longtemps. Je n’ai pas eu le temps de réfléchir que tu avais déjà sauté. J’ai sauté à ta suite et j’ai sorti ton corps de l’eau. Je ne pouvais rien pour toi, ton corps n’avait pas supporté la chute et ton cœur était en train de s’arrêter. J’ai décidé pour toi et j’aurais préféré que cette décision t’appartienne et j’en suis désolé. J’espère que tu me le pardonneras un jour.
Il pose sa main sur la mienne dans un geste épris de douceur et observe mes réactions de sa mine contrite. Après quelques secondes qui me semblent durer une éternité j’arrive péniblement à articuler :
— Je ne comprends rien ! Si j’ai sauté et que tu n’y pouvais rien, de quelle décision parles-tu ?
— Je t’ai offert une seconde chance. Je t’ai offert l’éternité sans t’en laisser le choix.
Une de ses mains emprisonne toujours la mienne et l’autre me maintient le menton de manière à ce que mes yeux plongent dans les siens. Il dévoile ses canines acérées et, subitement, je comprends ce que signifie l’éternité.


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· Texte d’Emeline Auger ·

Le sol était froid. Ça l’avait étonnée la première fois, d’ailleurs. Elle ne pensait pas qu’elle pourrait à nouveau avec des sensations.
Combien de fois était-elle venue, déjà ? Elle avait perdu le fil. Elle ne comptait plus. Ça ne servait à rien, de toute façon. Rien ne changeait. Les portes étaient toujours là, éternellement closes.
Elle se leva, passa machinalement une main dans ses cheveux d’un châtain terne. Comme avant. Elle alla jusqu’à la première porte de l’alignement et l’effleura du bout des doigts. Elle avança ensuite vers la suivante tout en laissant glisser ses doigts sur le bois puis sur le papier peint défraîchis du mur. Une fois arrivée à la dernière porte la jeune femme laissa échapper un long soupir. Elle appuya son front contre le bois de celle-ci comme elle le faisait à chaque fois. Sa main se posa tour à tour sur les différents verrous qui l’ornaient. Elles avaient toutes les mêmes.
Elle avait essayé de les forcer. Elle avait tiré, frappé, donné des coups d’épaule, crié même. Mais, ici, chaque chose était immuable. Même elle, pauvre fille perdue qui avait aspiré au néant lorsque l’étincelle s’était éteinte.
Elle n’y avait pas eu le droit, cependant. Une bande vieux grincheux, réunis en une espèce de conseil, lui avait dit qu’elle devait restée là jusqu’à ce qu’elle accepte de passer son évaluation. Une fois cela fait, ils pourraient définir plusieurs orientations possibles pour elle. Elle n’aurait le droit d’en choisir qu’une seule, à l’aveugle qui plus est. Elle avait refusé cette pratique, hurlé qu’elle ne voulait pas de leur foutu évaluation.
En réalité, Marika avait peur de ce qu’ils pourraient voir ou déceler. Elle n’était pas sûre de savoir elle-même qui elle était vraiment du haut de ses vingt-sept ans. Alors laisser ces vieux croulants remuer son linge sale et sortir quelque cadavre d’un placard oublié n’était clairement pas son souhait le plus cher.
Non, tout ce que voulait Marika, ce qu’elle désirait le plus, c’était qu’il n’y ait plus rien. Que la peine et la solitude soient effacées, comme si elle ne les avait jamais ressenties. Que la colère la quitte ainsi que les doutes. Qu’elle soit seule sans que cela ne la rende amer.
Marika se rassit en tailleur au milieu de la salle d’orientation. Elle avait peur. D’elle, de comment le conseil allait la juger – car bien qu’ils l’aient assurée du contraire, il s’agissait bel et bien d’un jugement –, de ce qu’il pourrait y avoir derrière ces portes.
Sept portes. Sept orientations différentes. Un seul choix possible. Et impossible de savoir vers quoi elle se dirigerait avant d’avoir abaissé la poignée. C’était cruel. Mais qu’est-ce qui ne l’était pas ?
Ses placements successifs en famille d’accueil le temps de lui « trouver une vraie famille » ne l’avaient-ils pas été ? Est-ce que ça n’avait d’ailleurs pas été là le début de ses déboires ?
Marika passa un doigt sur sa clavicule gauche, près de sa gorge. La cicatrice était depuis longtemps devenue aussi lisse que le reste de sa peau, mais les années n’avaient pas effacé son souvenir de la douleur lancinante du couteau lui tranchant la chair. Ni la terreur qui l’avait envahie. Ce soir-là, elle avait cru qu’elle allait mourir sous l’assaut de son frère adoptif. La seule chose qui l’avait sauvée c’était l’état d’ébriété de celui-ci : il avait perdu l’équilibre et s’était effondré comme un pantin. Mue par le plus primaire des instincts, celui de la survie, la fillette qu’était alors Marika s’était enfuie en passant par la baie vitrée du salon. Elle avait couru, pieds nus et en chemise de nuit, jusqu’à ce que ses pieds ne soient plus qu’une masse douloureuse et sanguinolente.
Après cet évènement la petite Marika, aussi douce qu’une plume, avait été de famille d’accueil en foyer, confrontée tantôt à l’alcoolisme, tantôt à l’humiliation. Son innocence d’enfant avait bien vite disparue, détruite par la cruauté humaine et le dédain des autres.
Elle avait grandi dans la peur, sous les cris et les coups. Elle se détestait autant qu’elle haïssait le reste du monde. Elle avait fait de mauvais choix et de mauvaises rencontres. Avait chuté plus qu’elle ne s’était redressée.
Elle avait naïvement cru qu’à l’âge adulte tout cela cesserait. Qu’elle pourrait être seule, sans dépendre de qui que ce soit et n’avoir de compte à rendre qu’à elle-même. Mais, encore une fois, la vie s’était cruellement chargée de lui ouvrir les yeux.
Un premier copain violent qu’elle avait quitté après qu’il l’ait mordue au sang sur l’épaule. Le second avait été un parfait exemple du pervers narcissique. Il ne l’avait jamais frappé, lui, mais avait pris à cœur de la démolir mentalement plus qu’elle ne l’était déjà. Marika avait passé les années suivantes à se sentir comme un déchet, bonne à rien et utile à personne. Elle s’était accrochée à la vie pour la seule et unique raison qu’elle était trop lâche pour mettre fin à ses jours. C’était comme si quelque chose d’invisible la retenait. Elle n’avait jamais trouvé quoi, cependant.
Elle avait passé des jours et des nuits, allongée à même le sol de son studio, à écouter la pluie tomber où les gens discuter. Et à réfléchir. Au sens de la vie. Pourquoi est-ce qu’elle existait. Quel était son but. Pourquoi le monde n’était que cruauté et décadence. Elle pensait aussi. Beaucoup. Perdue à s’imaginer un autre univers, où sa vie aurait été différente et sa mère là. À quoi ressemblait-elle, d’ailleurs ? Marika ne connaissait pas ses traits. Elle n’avait rien d’elle. Le peu qu’elle avait eu avait été brûlé dans un vieux baril en métal lorsqu’elle avait rejoint sa première famille d’accueil.
Pour la jeune femme c’était d’ailleurs ça le plus dur. Bien plus que les cris, les réprimandes, les privations, les coups, la peur et la solitude. Ne pas savoir qui l’on était, ni d’où on venait, voilà ce qui était le plus dur.
Et la voilà, trente-neuf jours avant ses vingt-huit ans. Après avoir survécu à son enfance, à deux copains destructeurs, à un chef abusif, à la solitude de sa vie qui lui meurtrissait le cœur. La voilà, assise devant les sept portes d’orientation, à chercher s’il pouvait encore y avoir un sens à quelque chose. S’il y avait du bonheur quelque part pour elle.
— Qu’on en finisse, souffla-t-elle en se relevant.
Ils étaient là, en demi-cercle face à Marika, sortis de nulle part. Les vieux grincheux, comme elle disait. Le conseil.
L’un d’eux avança, barbe grisonnante et cheveux mal coiffés. Il lui tendit une main qu’elle saisit. Elle sentit un frisson lui parcourir l’échine ainsi qu’une chaleur désagréable dans la main. Et ce fut tout. L’homme la lâcha et les autres se rapprochèrent de lui. Ils se concertèrent, parlant à voix basse et lui lançant des coups d’œil par moment.
Marika serrait nerveusement ses mains contre elle. Elle espérait que ça ne prendrait pas trop de temps, et qu’elle serait vite fixée sur son sort.
Après un temps qui lui parut infini, les membres du conseil reprirent leur position. Celui qui avait pris sa main s’écarta d’un pas et, d’un ample geste du bras, désigna les portes.
— Je les connais ces portes depuis le temps que j’erre ici, marmonna-t-elle.
Sauf que, cette fois, les verrous avaient tous disparus.
Alors elle y était. Ils avaient défini sept orientations possibles.
Marika inspira à fond. La peur s’insinua en elle. Son cœur se serra, sa gorge se noua. Ses yeux la piquaient. Elle s’exhorta à ne pas réfléchir.
C’est son instinct qui la guida, comme il l’avait fait toute sa vie. La troisième porte en partant de la gauche. Marika posa la main sur la poignée. Elle lui parut étrangement tiède. Elle l’abaissa.
Et entra.
— Ma petite fille, murmura une voix.
Elle était grande et belle, les cheveux châtains comme Marika, de grands yeux verts. Elle tendit les bras devant elle. La jeune femme avança et se laissa étreindre. Elle respira son odeur, s’en imprégna.
Ce visage qu’elle n’avait pas pu connaître et aimer.
Sa mère, partie en lui donnant la vie.
— Je t’ai attendu si longtemps… mais j’aurai pu attendre encore une éternité ou deux.


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· Texte d’Emmanuel Brasseur ·

William s’était couché heureux.

William s’était couché heureux. Depuis quelque temps, il bavardait en ligne avec Jade et ils avaient enfin convenu d’un rendez-vous. Une simple rencontre pour un café, il fallait bien commencer quelque part. Sans vouloir griller les étapes, William se fatiguait du célibat.
Il avait dormi comme un loir et profita sans honte d’une longue grasse matinée. Enfin, il se décida à se réveiller en plein en sautant sous la douche qu’il appréciait brûlante. Ce soir, il serait un peu plus amoureux et il souhaitait que Jade le soit elle aussi. La vapeur avait opacifié la salle de bain, William tâtonna pour saisir sa serviette et se sécha. Il s’approcha du miroir embué, l’essuya avec sa paume, mais ne parvint qu’à y répandre le voile humide. Il frotta avec sa serviette. Rien n’y fit, la buée se reformait si vite qu’il ne pouvait rien y voir. Il ébouriffa, sans les voir, ses cheveux humides et se brossa les dents. Sa bonne humeur faisait plaisir à voir.
Il décida de descendre au coin de rue chercher des viennoiseries. Dehors, soufflait un vent d’une intensité rare. Une rafale renversa une poubelle. Un vieux sac plastique s’envola et glissa au sol vers William. Le déchet lui fila entre les pieds et continua ses virevoltes dans les airs avant de se prendre dans les branches d’un arbre dégarni.
Quand il entra dans la boulangerie, la clochette tinta gaiement et, sans tarder, la petite vendeuse sortit de sa remise, en frottant ses menottes enfarinées sur son tablier. Elle balaya du regard le magasin, haussa les épaules et s’en retourna. William l’appela, mais rien n’y fit, elle ne reparut pas.
Lassé d’attendre, il opta pour un café-croissant juste en face, au Bar des Arts. Il entra et s’assit près de la baie vitrée. Le garçon nettoyait les tables. Il le sollicita une première fois. Le barman ne réagit pas. Il chercha à capter son attention à nouveau. L’employé tourna la tête, passa devant lui et, tout en l’ignorant, se posta devant la porte, regardant les papiers sales défiler sur l’asphalte. William se leva avec l’intention de lui tapoter sur l’épaule et de se faire remarquer. Mais au même moment, le serveur fit demi-tour et traversa le corps de son client, sans même le voir. William en resta abasourdi. Il se retourna et regarda l’homme s’éloigner.
William rentra à toute allure chez lui. Il s’assura de bien refermer le verrou. Il lâcha la poignée, recula et, l’espace d’une seconde, resta planté devant sa porte. Enfin, il se précipita dans la salle de bain. La buée s’était dissoute. Il se posta devant le lavabo et retint un cri. Dans le miroir au dessus du lavabo, il n’y avait aucun reflet. Rien. Il n’y voyait que l’image du mur derrière lui. Il leva ses mains devant ses yeux. Elles étaient bien là devant lui. Il regarda ses chaussures, son pantalon. Il palpa son visage. Lui se voyait correctement, seule son image avait disparu. Il repensa aux événements du matin, comment la boulangère l’avait ignoré, comment le barman n’avait pas eu conscience de sa présence… Il comprit qu’il n’avait plus d’apparence et que, dans son invisibilité, il n’avait plus de consistance.
Le monde s’écroulait… Son rendez-vous du soir aussi.


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· Texte de L. Gagnaire ·

Elle se tenait debout, seule, face à l’ensemble des portes. Un choix s’offrait à elle. Elle s’approcha de celle qui était la plus proche d’elle et en sait la poignée. Elle essaya de l’ouvrir mais le verrou était fermé. Elle réessaya de toutes ses forces. Elle était complètement éperdue ; elle voulait l’ouvrir cette porte. Mais impossible. Elle ne savait pas pourquoi mais elle était pressée par le temps. Une alarme retentit. C’était urgent. Elle sentit une petite douleur sur le côté droit de son bras.
Elle se réveilla en sursaut. Son amie a côté d’elle.
— Tu n’as pas entendu ton réveil ? lui demanda-t-elle.


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· Texte d’Isabelle D. ·

Où suis-je ? Que fais-je ici ? Décidément, cet auteur n’en fait qu’à sa tête ! Pourquoi m’a-t-il plantée devant ces portes ? Telle est la question ! Il me fait toujours vivre les aventures qu’il veut sans même me demander mon avis. J’imagine, qu’encore une fois, c’est lui qui choisira mon destin et qu’il ne me laissera pas tourner la poignée voulue. Ah, si toutes ces portes pouvaient être pourvues d’un verrou, il serait bien embêté ! Pourquoi cette couleur jaune au milieu des autres portes qui se ressemblent tant par leur blancheur ? Il me laisse attendre là, seule, à me poser tant de questions, à me demander dans quel monde je vais me retrouver propulsée. D’ailleurs, je sais que ce n’est pas la première aventure que je vis mais, à chaque retour, il arrive à m’efface presque tous mes souvenirs par je ne sais quel procédé. J’essayerai d’être plus attentive pour prendre le dessus sur lui. Un jour, j’y arriverai !

Tiens, j’ai la sensation de bouger. Mais où va-t-il m’emmener ? Aidez-moi ! Je ne veux plus être son esclave, je veux vivre ma vie. C’est trop tard, il me fait traverser la porte jaune. Il ne prend même pas la peine de l’ouvrir, je suis son pantin, je peux passer à travers tout ce qu’il veut. Je ne peux plus faire marche arrière, j’entends des bruits étranges mais je n’y vois rien. Pourquoi me projeter dans un brouillard aussi dense ? Face à quelles créatures vais-je encore me retrouver ? Il me fait avancer sans le moindre repère. Comment ose-t-il ? Le sol ne me semble pas très stable et je ne suis pas rassurée mais mes pensées lui importent peu. A chaque pas, j’ai cette impression que je vais tomber dans un trou ou que je m’enfonce dans un gouffre. La peur s’immisce en moi et se fait de plus en plus intense mais, au fond, mes sentiments n’ont aucune importance pour lui. Comment peut-il être si égocentrique ?

J’avance et bute contre quelque chose. On dirait un arbre ou alors est-ce encore une de ces créatures étranges qu’il aime tant me faire rencontrer ? Si vous saviez ! Entre les bêtes à trois cornes, les animaux à deux têtes ou encore ces personnages bizarres à six mains, j’en ai tellement vu que j’aimerais qu’il m’épargne un instant. C’est beau de rêver. En parlant de rêves, jamais il ne m’en laissera un seul. Non, toujours de l’horreur et de la crainte, il n’a que ça au bout de sa plume. J’aimerais être née pour vivre des bons moments et me réjouir !

Le brouillard se dissipe légèrement et je peux apercevoir un tronc juste à mes côtés. Oufff ! Ce n’était donc qu’un arbre ! Je ne suis, malgré tout, qu’à moitié rassurée car les bruits étranges sont toujours là et ne ressemblent en rien à ceux d’un arbre. Je ne sais toujours pas où je suis. Ai-je atterri dans une forêt ou est-ce que ce végétal est seul dans le coin ?

Non, mais je n’y crois pas, il ose me faire avancer contre l’arbre. Ne se rend-il pas compte qu’il y a un obstacle ? Je n’irai pas bien loin s’il me laisse là ! J’ai comme le sentiment que la nuit commence à tomber. Ne me dites pas qu’il va oser m’abandonner là avec mon angoisse jusqu’au lever du soleil ! Mon cœur ne tiendra pas, je vais finir par m’effondrer tant les émotions sont fortes.Je sens que mon corps entier me lâche, rien ne va plus, je vais abandonner.

J’ouvre un œil. Que se passe-t-il ? Qu’est-ce que je fais-là ? Les souvenirs remontent tout doucement. J’ai été abandonnée au pied de cet arbre et puis plus rien, le trou noir complet. Hier, on n’ y voyait rien mais ce matin, tout me semble plus clair, je suis au milieu d’une forêt et j’entends des sabots. D’où proviennent ces sons ? Va-t-il me faire bouger ? Cette forêt ne me rassure pas. Je peux toujours espérer que cet auteur me fasse repasser la porte et m’évite l’horreur, mais ce serait rêver. Tiens, le voilà justement qui me fait bouger et entrer dans cette sombre forêt, je m’en serais doutée. Plus il me fait avancer, plus les bruits se rapprochent. Je tremble de peur ! Qu’est-ce que ça peut bien lui faire ? Ne pouvant pas maîtriser mes mouvements, je m’enfonce entre les arbres qui assombrissent complètement le ciel. Je ne peux pas m’empêcher d’imaginer les rencontres que je risque de faire à chaque pas. Ce sadique ne va pas tarder à me torturer un peu plus, c’est comme une évidence.

Après des heures de marche à travers cette forêt, une faible lueur apparaît enfin. Va-t-il me laisser respirer un peu ? J’en ai tellement besoin ! J’aimerais qu’il me fasse avancer plus vite et sortir de cette multitude d’arbres qui ne laissent rien passer. La lumière se montre petit à petit, mais je ne suis pas rassurée par les bruits de sabots qui sont de plus en plus proches. Que vais-je découvrir une fois sortie de ces tas de branches ? Je m’attends à tout malgré le peu de souvenirs qu’il me reste après chaque aventure. Enfin, j’émerge de cette forêt et je suis éblouie tant la lumière est forte. A-t-il pensé à mes yeux qui ont été dans la pénombre pendant si longtemps ? Ça m’étonnerait ! Petit à petit, il me rend la vue mais j’ai du mal à m’acclimater à tant de luminosité. Elle me semble tellement aveuglante et j’aperçois des couleurs. Décidément, tout me semble étrange. Que va-t-il me faire vivre ? J’ai tellement peur ! Quand, enfin, mes yeux arrivent à se faire à toute cette lumière, j’ai l’impression de vivre dans un rêve. Enfin m’apporterait-il un peu de bonheur ? Je me retrouve face à un magnifique arc-en-ciel et des licornes courent dans les verts pâturages. J’en reste bouche bée, je n’ai pas les mots.


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· Texte de Krys Male ·

Une voix enfantine, plus fine que la brise, caresse les murs jaunis par le temps, d’une poésie disparue :
— Un, deux, trois, tourne tourne petite Mirabelle, que ta robe rougeâtre aux traces sanguinolentes, marque à tout jamais les pas des jeunes visiteurs trop curieux.
Un petit rire timide et remplit de malice se meurt derrière la porte du château enchanté, des pays oubliés, d’où la mort est l’unique habitant connu.
La guide referme le livre de conte sur ce point final étrange. Coupés du monde dans ce château de campagne, mes amis et moi frémissons au simple passage du vent. Cette visite qui se voulait amusante, commence d’une façon originale. Derrière ses lunettes, la guide au chignon sévère, range le livre et nous demande ce que nous avons pensé de l’histoire de sa famille. Mon regard se perd sur la photo de Mirabelle, la célébrité morbide de ce château, qui a connu au fil du temps une réputation bien sentie à cause des nombreuses disparitions des acheteurs de ce domaine.
Des œuvres célèbres sont nées de la légende de la fillette à la robe écarlate, mais il se pourrait que toutes ces histoires ne sont que le fruit d’une belle imagination.
— C’était un beau conte, ricane Baptiste, mon petit ami. Ça fait si peur qu’on aurait envie d’y croire.
La jeune dame sourit en nous emboîtant le pas pour sortir de la bibliothèque.
— Je ne sais pas si c’est avéré, cependant…
Alors qu’elle nous dépasse, elle se retourne sans crier garde, nous faisant sursauter.
— Il ne faut jamais titiller les esprits.
Sur ce conseil très théâtral, elle reprend son chemin. Mon mec souffle d’agacement en me serrant contre lui.
— Elle fait flipper avec ses lunettes aux tailles de Melon. Je suis pressé de terminer la visite et toi ?
— Faut pas me le demander deux fois, j’ai envie de me faire dessus. Je t’avais dit de ne pas entrer ici, mais vu que tu ne sais pas dire non à un pari, il fallait que tu m’entraines avec toi.
— Relax, choupette. On a qu’à trouver la sortie et attendre les autres là-bas le temps qu’ils finissent la visite.
Pas mal comme idée. J’en parle au reste de la bande qui rouspète contre nous. Je suis une trouillarde, que voulez-vous ? Mirabelle ou pas, je me casse ! Les autres nous informent que le prochain arrêt sera à nos frais, on peut bien supporter les coûts, nous ne sommes pas aussi radin qu’eux !
La dernière vision que je garde, c’est celle du superbe sac fluo de Lisa. Nos potes s’évanouissent derrière une porte, puis nous prenons le chemin inverse pour la sortie.
Après avoir pris le couloir pour la troisième fois, Baptiste fait un arrêt.
— Nous sommes déjà passés ici, non ?
Je regarde autour, rien ne me paraît familier.
— Non je ne crois pas. C’est sûrement à cause de l’architecture du château que tu penses que nous tournons en rond. Dois-je te rappeler que nous avons déjà pris deux escaliers ?
— À ce sujet, pourquoi nous ne sommes pas encore au rez-de-chaussée ? Il n’y a que deux étages si ma mémoire est bonne.
Maintenant qu’il en parle…
Nous avons pris différents couloirs, sans jamais s’arrêter. Cependant, nous ne sommes pas encore au rez-de-chaussée. Avons-nous pris le mauvais chemin après le premier escalier ? Mon homme me prend la main et me propose de prendre le chemin inverse, il a aperçu un escalier de ce côté. Je ne sais pas si c’est une bonne idée, nous sommes sûrement venus de ce sens, pas moyen que se soit autrement. Autant dire que nous sommes perdus.
Il s’arrête devant une porte, l’air de réfléchir.
— Je suis sûre que nous sommes passés devant cette porte plusieurs fois, je ne suis pas fou.
— Toutes les portes se ressemblent.
— Ah ? Tu te trompes. Celle-ci est de couleur jaune, tandis que les autres sont vernies. Tu ne l’as pas constaté ? Et si on jetait un œil ? Juste pour voir, sourit-il.
— Constaté ou pas, je veux sortir. Partons d’ici.
Baptiste soupire. Il caresse le bois, presque déçu, puis me prend la main et on continue. Je lève les yeux au ciel en souriant.
Un rire d’enfant fait écho derrière nous.
— Tu entends ça ? demandé-je.
— Euh, non. Quoi ?
Dans le silence, plus rien. Je suis sûr d’avoir bien entendu pourtant. Il n’y a rien de plus que la porte rouge. Je deviens frileuse, c’est à cause de ce malheureux conte. Je dois garder la tête froide. Baptiste et moi dévalons très rapidement les escaliers. Nous arrivons sur un autre étage. Mon mec se précipite en avant et vérifie autour.
— C’est le même étage ! J’en suis sûr ! Regarde la porte !
Impossible !
Je remonte les foutus escaliers pour tomber sur un couloir vide. Qu’est-ce qui se passe ici ?
— Bébé, viens voir ! l’appelé-je. Il n’y a plus de porte ! Elle a disparu !
Ce dernier ne me répond pas. D’ailleurs je le rejoins… mais il n’est plus là.
— Baptiste ? Baptiste ? Si c’est une blague, elle n’est pas drôle.
Et s’il avait décidé de pénétrer dans la pièce cachée derrière la porte ?
Je me précipite sur la poignée, mais celle-ci ne cède pas. Elle est verrouillée.
Mon courage s’éteint tout doucement tandis que je me sens étouffé par cette couleur vibrante. Mon chéri ne répond à aucune de mes injonctions, je commence à me mordre la lippe inférieure en sursautant au moindre bruit. Je ne peux pas rester là. Je rase les murs, apeurée, sans savoir où je vais. Les turpitudes de mon cœur font échos à mes jambes en coton, l’air se rarifie à chacun de mes pas.
— Baptiste ? Lisa ? Clément ?
Je cite leurs noms comme un automate.
Un rire enfantin retentit.
Figée sur place, je suis incapable de bouger. Ce son ne peut pas être le fruit de mon imagination.
Mes palpitations me saccagent la poitrine, mes doigts sont frigorifiés. Un fredonnement latent se fait entendre à distance. C’est celui de «Au Clair de la lune».
Le… le… préféré de Mirabelle.
Non. C’est impossible. C’est TOUT BONNEMENT IMPOSSIBLE !
La comptine se rapproche de moi, pourtant il n’y a rien en face. Une porte claque derrière, je sursaute et me retourne. Rien.
Je deviens folle. C’est pas possible !
Prise d’hystérie, je fonce dans le tas en hurlant de toutes mes forces ! Les vibratos de mes cordes vocales se déchirent à la force de mon désespoir !
— JE VEUX SORTIR ! JE VEUX SORTIR !
Je dégringole violemment dans les escaliers. L’atterrissage est brutale, mais je ne reste pas étendue longtemps. La peur est plus forte que la douleur qui me lacère la peau. Étourdie, je remarque à peine la lumière naturelle qui me brûle les yeux. De la lumière ? Je réalise que je suis au rez-de-chaussée !
ENFIN !
J’entends des voix. Pas n’importe lesquelles, ce sont mes copains ! L’une d’entre elles me cloue sur place.
— Baptiste ? murmuré-je.
Je trébuche en avançant près de la fenêtre. De là je les aperçois. Mon Baptiste est avec eux, il rigole. Une montée de joie me fait exploser de rire. Il va bien. Mon bébé va bien.
— Les amis !
Je claque la vitre mais aucun ne se tourne. Mon sourire se meut en confusion quand je les vois dire au revoir à la guide pour retourner à la voiture.
Hein ?
— LES GARS ! HEHO !
Je me précipite maladroitement à la grande entrée, mais cette satanée merde ne s’ouvre pas ! Le verrou est fermé à clé. Je frappe dessus de toutes mes forces ! Je la secoue en criant, rien n’y fait ! Je retourne à la fenêtre et hurle.
— À L’AIDE ! BAPTISTE ! BAPTISTE !
La guide tourne la tête vers moi, stoïque. Elle m’entend ? Derrière elle, mes amis grimpent en voiture. Mon mec jette un œil en direction du château.
— JE SUIS LÀ ! REGARDE MOI !
Lisa sort la tête du véhicule pour lui dire d’entrer. Il obéit docilement, puis… elle… elle l’embrasse ?
Qu… ?
Les lèvres de la guide dessinent à présent un sourire mutin. Mes amis s’en vont.
— C’est un cauchemar, marmonné-je, sidérée.
C’est forcément un cauchemar. Non. Ils ne m’ont pas laissé ici.
Une larme glisse le long de ma joue.
Non. Non. N…
Je tombe à genoux, vidée.
La guide est devenue une petite fille brune, en robette blanche tâchée de sang. Elle tient un sablier dans ses petites mains. Les derniers grains touchent le fond.
D’un rire espiègle et mignon elle dit :
— Tu veux jouer avec moi ?


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· Texte de Laëtitia Aubert ·

J’ai roulé à toute allure, sans trop savoir pourquoi. Sans musique. Sans pensée. Le regard aux aguets. Les sens en alerte. A l’affût du moindre signe. Il parait qu’ils existent pour ceux qui savent les voir. Je ne fais pas partie de cette communauté. Maintenant, je le sais. Sans doute à cause de cette fichue route. Il faut peut-être un entrainement. Ou tout simplement parce que je ne savais pas. Encore. Et que les signes se décryptent, après, quand tout est fini.
J’aurai dû m’en douter ce matin-là, sur cette route interminable. Je m’y étais préparée. Depuis un moment, comme une rengaine. L’échéance était annoncée. En approche. Imminente. Pourtant, c’est faux, je te le dis, tu n’es jamais prêt à découvrir ce qu’il y a derrière la porte. Même si c’est un lieu familier. Même si tu as tes habitudes. A ce moment précis… une vie entière ne t’a pas formée à cette chute.
Tu peux retenir ta respiration. Rester un long moment à attendre, la main moite sur la poignée. Faire les cent pas, le regard fixe, comptant pour te donner du courage. Laisser ton esprit vagabonder vers l’instant où tu pourras repartir. Te gonfler d’espoir que se sera différent de la fois précédente. Tu peux faire demi-tour ou entrer d’un pas décidé. Tu restes accrocher à cette poignée, hésitant…
Peureux. Fiévreux. Inquiet. Assuré. Méfiant. Curieux. Confiant. Une pâle copie d’un sourire aux lèvres. Quelques mots préparés.
Peu importe.
Quand tu franchis le seuil, tous tes scénarios s’évaporent. Même quand l’inévitable est devant toi, crû, tu trouves des excuses à tes yeux. Parce que ton cerveau fait son possible pour protéger ton âme à supporter le choc… Animus soutient Anima, parfois de la mauvaise façon, avec des excuses maladroites, même si c’est l’intention qui compte.
Une fois la porte grande ouverte, aucun retour n’est possible. Le choc est inévitable. Il te transperce la poitrine. Parce que malgré tous ces jours où as répété aux autres, à toi-même que tu étais prête, ce matin-là, tu as raté le coche. Tu n’étais pas prête. Jamais tu n’aurais pu l’être. Ni en pensées. Ni en rêves. Ni en souvenir.
La porte qui vient de s’ouvrir te plonge pour l’éternité dans l’absence : un manque qui ne sera jamais plus comblé, qui se tatoue instantanément sur ta peau sans que tu t’en aperçoives, qui laisse une blessure sur ton cœur qui suintera longtemps avant d’espérer qu’une cicatrice se forme.
Ce cœur pleurera en secret dans tes songes à te réveiller en pleurs. Tu poseras sur ta table de nuit la jolie boite en bois avec des roses marquetées comme un objet consacré, parce qu’il est une once de ce qui n’existe plus.
Les jours s’égrènent comme les perles nacrées d’un ancien collier que tu ne quittes plus, que tu serres contre ta poitrine jusqu’à en perdre le souffle toi aussi.
Comme celle qui est partie, sans un bruit, vers un monde dont eux seuls ont eu la clé pour ouvrir l’inviolable verrou du portail vers Ailleurs, là, où tu ne peux te rendre aujourd’hui.
Toutes les deux, nous avons vécu ensemble une grande partie de ma vie imparfaite ; désormais, tu es dans un lieu que je ne situe pas dans mon existence. Parfois, encore, je guette les signes que tu pourrais délibérément m’envoyer mais je ne reçois que le manque.
Alors j’écris. Ici. Pour toi.
Maman.
Où que tu sois. Où que se trouve ton âme. Quoique tu fasses.
L’écriture, c’est un de mes univers, je sais se trouve la porte ; même si je ne sais pas toujours ce que je vais découvrir, dénicher, créer, je peux t’y inviter, car il n’y a aucun verrou. Partout où se poseront mes mots, c’est un souvenir de toi qui se cachera dedans. Ainsi, tu seras toujours quelque part, ici, là, éparpillée, voyageant, faisant des rencontres, épuisée par mille vies, mais toujours tu me reviendras.
Car là où se pose ma plume, tu seras juste derrière mon épaule, lisant en silence, pointant du doigt une faute d’orthographe, émettant un doute, acquiesçant sur un bon jeu de mots comme tu les aimes.
Tu rougiras sans doute quand tu te reconnaitras à travers les lignes. Je pourrai combler quelques instants le vide incommensurable que ton absence a créé.
Ce matin de juin, je n’étais pas prête.


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· Texte de Luc Baudot ·

Derrière la porte

« Comme c’est curieux, le derrière des portes, est lourd comme pèse un secret ».
Cette chanson des « Valentins » tourne en boucle et m’accompagne dans mon parcours matinal. La promenade est agréable le long des trottoirs semés de végétaux. Mes pensées vagabondent : Une porte, c’est comme un mur dressé entre le tumulte de la société et l’intimité du soi, un barrage à la vérité. La franchir, c’est prendre le risque de découvrir ce qu’il y a derrière.

J’arrive au terme de ma course.
C’est une porte d’entrée en bois massif, de couleur jaune, avec un heurtoir au milieu. Ni verrou, ni poignée, juste l’entrée pour la clef.
Autour de la porte il y a une habitation, mais cette dernière est secondaire ; elle ne montre qu’une façade, une représentation. La vérité qui m’intéresse se trouve à l’intérieur, derrière les murs, et c’est par la porte qu’on y accède.
Je pourrais cogner le heurtoir afin que quelqu’un m’ouvre, mais je risque de faire fuir la vraie histoire du lieu et ne trouver qu’un scénario bien rédigé aux dialogues banalisés. La réalité ne se montre qu’en privé, porte close, avec pour seuls acteurs les occupants de la maison. Si j’étais fantôme, je me glisserais dans cette demeure, spectateur invisible, ne touchant rien, n’influençant rien. Alors peut-être, je saurais.

Je connais ceux qui habitent ici. Je sais leurs nom et prénoms, mais est-ce les connaître ? Qui sont-ils réellement en dehors de la bienséance qu’impose une vie en société ? Le malheur visible n’est pas forcément le pire, le bonheur visible n’est pas toujours le meilleur.
Ces familles que l’on voit heureuses, épanouies, le demeurent-elles une fois la clef tournée et l’isolement retrouvé ? J’ai vu des couples, donnant une apparence d’union parfaite, se séparant brutalement ; Du dehors, c’est l’électrochoc, du dedans, c’est certainement le soulagement de cesser de mentir aux yeux de tous.

Mes mains tâtent les poches de ma veste. Un instant, je laisse aller mon imagination sur ce qui existe au verso de cette porte. Une chose remarquable, certainement.
Peut-être un tripot clandestin où l’on vient parier sur des combats de coqs. Une fumerie d’opium, un lieu discret de plaisirs monnayables, saturé de vapeurs de santal, d’orange amère, de paroles étrangères. Des femmes avec de longs porte-cigarettes, accoudées à des meubles laqués et incrustés de filets d’or, aux pieds s’enfonçant dans les poils soyeux de tapis persans…
Ou bien des plantes à foison, des lianes envahissantes, un lieu à l’image d’un temple perdu, assiégé par les herbes et les animaux qui y trouvent refuge. J’ai bien eu un voisin qui élevait des serpents. Les maîtres d’aujourd’hui règnent sur des mygales, des pythons, pour n’évoquer que les moins féroces…

Je fouille mon sac et j’écoute : aucun bruit ne transperce à travers l’huisserie.
Peut être est-ce un endroit magnifique, un espace lumineux aux murs immaculés. Un lieu où l’on rentre avec humilité, que l’on a peur de salir tant il nous semble interdit alors qu’il nous accueille toutes portes ouvertes sans crainte d’être taché. Un endroit de paix, de sérénité, de plénitude, un lieu idéal pour chacun et pourtant universel. Un lieu qui vous nettoie des souillures de la vie et vous dit : « Tu es spécial, je crois en toi ».
J’aimerais un endroit comme ça.

Je palpe mes poches intérieures. Devrais-je me méfier de ce que je pourrais découvrir derrière cette porte ?
Peut-être un homme courtois vit-il ici, que les voisins apprécient et qui, d’une pulsion, d’un accès de rage, va se pendre après avoir tué femme et enfants, à l’image de certains pharaons qui emmenaient leurs esclaves dans la mort, pour les servir dans l’au-delà. La vie est moche parfois, tout peut basculer si vite.
Ou un placard, sous l’escalier, cachant un esclave d’aujourd’hui, un sans papiers, un invisible exploité, terrifiés d’être dénoncé et de devoir retraverser la mer où il a vu ses amis périr.
Ou encore une cave, transformée en atelier clandestin rempli de machines à coudre, de tissus, de portants surchargés de vêtements attendant d’être livrés… Ais-je déjà vu des camions venir de nuit par ici ?

Je vérifie les poches de mon pantalon. Cela fait un moment maintenant que je suis face à cette porte à me demander ce qu’elle dissimule.
Peut être un jardin secret, un lieu que je ne peux pas comprendre tant il appartient à celle ou celui qui l’a créé. Un lieu rempli de rêves, de fantasmes, d’attentes flottant comme des spectres intouchables. Je ne pourrais pas rester dans un tel lieu sans avoir l’impression d’être hors sujet, de profaner un sanctuaire.
Ou peut être est-ce simplement vide, sans bruits, avec pour seul occupant l’attente de ce qui vient ; un ermitage, un lieu d’humilité et d’acceptation où l’on reste à l’écoute du temps qui passe, où l’on n’existe plus en tant qu’individu mais en tant qu’élément nécessaire à l’ensemble.

Je soulève un pot de fleurs, il n’y a rien dessous à part une radicelle qui essaie de s’enfuir. Mon esprit cherche à s’immiscer une dernière fois au travers de la porte.
Peut être s’y trouve t-il une femme extraordinaire, une femme que j’ai déjà rencontrée, avec qui j’ai passé des années de complicité, de tendresse, et que je suis prêt à retrouver avec joie. Une femme qui me complète, m’offrant tout ce qui me manque. Une femme que je ne connaitrai jamais assez. J’aimerais rencontrer une telle personne… J’aimerais ?

Enfin, je trouve mes clés, fais tourner le pêne et, heureux, je rentre chez nous.


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· Texte de Matthieu Scernin ·

ォ Je suis tellement contente de te voir ! サ
Ses bras s’enchaînent autour de mon cou, un bisou trop brûlant sur mes lèvres, et je sens mes membres se lever mécaniquement pour l’enlacer en réponse à sa joie qui déborde et m’éclabousse. À peine relâché, elle me saisit la main et me promène jusqu’à sa chambre avant de me présenter fièrement la tenue qu’elle a sélectionnée spécialement pour notre dîner de ce soir qui célébrera nos uns an de relation.
Émoustillée par l’évocation de cet événement, elle retire ses vêtements. Amoureuse, elle n’a pas envie d’attendre notre retour pour quelques caresses passionnelles. Elle est très mignonne avec ses fossettes et son museau en trompettes qui remue quand elle est contente. Pourtant, une gêne me ronge à chacun de ses contacts empressés de ramasser plus d’amour de ma part. Ce désagréable ressenti me pèse. Minuscule au commencement, ce brouillon parasite dans mon crâne s’est rapidement gavé de toutes mes pensées négatives jusqu’à devenir monstrueux. Après seulement quelques minutes contre elle, j’ai la sensation que mon corps est infesté d’épines, comme si je m’étais roulé dans la fornication avec un sapin. Je crois qu’une discussion s’impose.
Ma réflexion est interrompue soudainement. Durant notre rapport, de curieuses portes ont surgi tout le long de sa chambre. De son côté, satisfaite apparemment de cette tiède étreinte, elle s’est déjà relevée et n’a apparemment rien remarqué. Elle est électrique et tournoie de droite à gauche entre son armoire et ses étagères pour tester différents accessoires.
De mon côté, je ne peux m’empêcher d’approcher, happé par ce, je ne sais quoi, qu’elles dégagent. Mon regard les passe en revue à plusieurs reprises, comme un enfant qui choisit son jouet et finit par opter pour celle en bois ocre. Ma main n’est qu’à quelques centimètres de la poignée lorsqu’elle me demande :
« Il y a un problème ? »
Sa voix trahit une inquiétude inattendue. Elle semble comprendre sans que je n’aie à mettre de paroles sur mes actes. Je n’ose pas me retourner et transformer clairement cette soirée de rêve en cauchemar. Je devine les larmes naissantes, les cris, les reproches, alors que je frissonne au contact de l’ouverture qui me confirme ce que je dois faire. Honteux et lâche, je l’ouvre sans un mot pour m’enfuir.

« Où étais-tu passé ?! Ça fait une heure que je t’attends ! Tu as fait les courses, au moins ?! »
À peine entré dans l’appartement, je laisse les jurons exploser pour lui signifier subtilement que je ne suis pas d’humeur à subir des remontrances après cette laborieuse journée et que j’ai besoin de repos.
Elle se fiche éperdument de mes doléances et me traite d’égoïste. Enfin, une fois sa formulation traduite dans un langage plus poli. Elle enchaîne en criant au point que je m’attends à tout moment à ce que sa mâchoire soit propulsée pour me mordre. Durant cette scène de joutes d’une tristesse quotidienne, je me mets à la dévisager comme si je redécouvrais ses grimaces hargneuses. Avec ses charbonneux cheveux et sa peau pâle, elle ressemble curieusement à une sorcière de conte, en moins jolie. La haine peut métamorphoser bien de plaisants visages. Et dire que j’ai accepté de m’enfermer dans une telle histoire après seulement trois mois de relation. Elle portait un rouge à lèvres parfum fraise lorsque nous avons scellé ce pacte d’un baiser.
Tandis que les murs tremblent, terrorisés par une probable pluie d’éclairs émanant de ma furie d’interlocutrice, je constate qu’une série de portes familière se trouve derrière elle. Les mêmes que le jour où j’ai quitté ma précédente copine. Je peux entendre les serrures chanter. Des sirènes qui m’encouragent à approcher pendant que la voix de ma petite amie s’est transformée en grognements gutturaux d’ogresse.
J’empoigne la première sortie à ma disposition sans me retourner, peu importe la destination. Elle ne cherche pas à me retenir, probablement reconnaissante de lui avoir épargné une extinction de voix en prenant la poudre d’escampette.

Nous sommes à table, déjeunant dans le jardin fleuri de ses parents. Elle réclamait que je les rencontre rapidement, bien que nous ne nous fréquentions que depuis trois semaines. Elle est tellement gentille, elle me donne l’impression d’illuminer les alentours à chacun de ses adorables gestes. C’est agréable après la dernière harpie qui m’avait coincé entre ses serres.
L’atmosphère est conviviale, un repas dominical garni d’un rôti, de pommes de terre et de petits-pois. Blotti dans l’apaisement, c’est ce moment que le père choisit pour rompre l’équilibre :
« J’ai un peu perdu le fil à force, mais qu’est-ce qui s’est passé avec ton précédent copain, déjà ? »
« Il… Il a eu un accident. »
Ma copine baisse les yeux en lâchant cette tragique information. J’ignorais qu’elle souffrait d’un récent deuil et je m’empare de sa main pour lui apporter un peu de réconfort. Son géniteur ne sait comment rebondir à cette information, et c’est son frère qui enchaîne :
« Comme le précédent ? »
Je me fige en entendant cette question.
« Non, voyons ! François a disparu, les policiers ne l’ont jamais retrouvé. Cédric a juste eu un accident en voiture. Problème de freins… »
Je sens comme de la tension entre ses doigts. Ma bouche est très sèche, tout d’un coup.
« Les garçons jouent de malchance avec toi. Ça me rappelle ton ex du lycée qui avait fait une overdose une semaine après que vous ayez rompu. »
« C’est le karma, que veux-tu ? »
Tout le monde rit, et ma petite amie se tourne vers moi avec un gargantuesque sourire. Je pense apercevoir une inquiétante étincelle dans ses yeux baignés d’une innocence de plus en plus suspecte. Je pâlis, exsangue, et, pris de panique, lâche une gerbe d’immondices qui se répand sur la robe de ma dulcinée.
La tablée est sous le choc alors que je remarque sur le mur extérieur de la maison une armée de portes qui m’encourage vivement à fuir ce guet-apens avant qu’il ne soit trop tard. Trop heureux, je zigzague jusqu’à la première sortie disponible, encore sonné par cette relation potentiellement létale, et me volatilise.

Nous prenons le petit déjeuner, tout en se taquinant avec nos mains facétieuses. Plusieurs mois qu’elle découche chez moi, la sensation qu’une musique caresse chacun de nos moments paresseux à deux. Je pouffe à une de ces plaisanteries, enveloppé dans un sourire moelleux avec son rire qui m’enivre à travers chaque note. Tout est parfait.
C’est ce moment qu’elle choisit pour retirer sa main. Je rapproche la mienne, croyant à une erreur, mais ses doigts sont glacials. J’exerce une légère pression, quémandant une marque d’affection, et j’ai l’horrible sentiment de câliner le vent. Je souhaite l’interpeller des yeux, mais son regard s’obstine à pointer vers le sol, camouflé par quelques mèches de cheveux en pagaille. Je suis perdu.
« Il y a un problème ? »
Elle secoue la tête, et pourtant s’éloigne tout en continuant de me refuser le moindre coup dœil. Chacun de ses pas cultive de vénéneuses branches ronceuses qui sabrent l’intérieur de mon estomac.
« Je suis désolé. »
La panique me brûle soudain telle une décharge. Je tente de me lever, mais reste dans l’incapacité de m’embraser pour me jeter entre elle et la sortie. Je ne parviens pas à me libérer de ma chaise. L’impression que l’horrible plante qui ravage mes organes a pris racine sur mon siège et m’a ferrée à lui pour toujours.
Avachi, avec les muscles anéantis, je la vois caresser le mur et dévoiler une porte aux couleurs ocre. Je la supplie de nous accorder encore une heure pour décider, marchande en avançant qu’elle passe peut-être à côté de sa seule chance d’être heureuse.
Elle s’évapore, et c’est le verrou de la porte qui répond en me laissant, seul.


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· Texte de Sandrine Drappier Ferry ·

Camille arriva au Haut-du-Tôt, le plus haut village des Vosges, par le bus de 15h53. Aussitôt, sans un regard pour les quelques petits vieux assis sur les bancs autour de la place, elle s’empara de son sac à dos et entreprit la longue montée qui la conduirait à la ferme de sa grand-mère, la Combe d’ Aubée.
Une demi-heure plus tard, elle en poussa la porte et, sans un regard pour le lieu qu’elle n’avait pas revu depuis plus de trois ans, elle entra directement dans la chambre qu’elle occupait autrefois, se jeta sur le lit et s’endormit.
Deux jours plus tard, la porte s’ouvrit brutalement, faisant sortir Camille de son sommeil en quatrième vitesse. Elle ouvrit un œil, puis deux, et aperçut un géant barbu au regard noir pousser les volets et ouvrir la fenêtre en grand.
— Oh, ça ne va pas, qu’est-ce que vous faites ? Zut, sortez de chez moi !
— Sûrement pas, ça fait deux jours que tu n’as pas ouvert un œil, pas mangé, pas pris de douche, ça suffit ! Qu’est-ce que tu es venue faire ici ? Mourir ? Je ne te laisserai pas faire ça. Si ta grand-mère te voyait !
Mais quel est cet imbécile se dit la jeune femme en le regardant les yeux pleins de larmes. Cela eut le don de radoucir l’inconnu.
— Excuse-moi, c’était nul.
— Oui, c’était très méchant. Mais vous êtes qui enfin? Et qui vous a donné l’autorisation de me tutoyer ?
— Je suis le propriétaire de la ferme. Tu es ici presque chez moi.
Cette révélation laissa Camille sans voix.
— Ta grand-mère m’a vendue la ferme il y a trois ans. Je lui avais laissé l’usage de la maison d’habitation.
Le cœur de la jeune femme fit un bond. Son corps se tordit de douleur. Sa grand-mère ne lui en avait jamais parlé. Pourquoi ? Elle ne comprenait pas. Elle savait, pourtant, comme Camille tenait à cet endroit. Enfin….
— Ecoutez, je suis exténuée. Laissez-moi dormir.
L’homme comprit qu’il valait mieux laisser Camille encaisser la nouvelle. Depuis six mois, tout son univers s’était écroulé après les décès simultanés de son mari et de son fils dans un accident de la route, puis la crise cardiaque fatale de sa grand-mère alors qu’elle se rendait à l’hôpital pour la soutenir, et lui venait encore d’en rajouter une couche.
Pendant dix jours, il fit le garde-malade. Lui apportant de la soupe, veillant sur elle. Et puis, une nuit, Camille se leva, alla dans la forêt. Quelques minutes plus tard, le propriétaire fut réveillé par un hurlement, suivi d’une longue plainte. Cela lui glaça le sang. Instinctivement, il sentit qu’il s’agissait de Camille. Et il eut mal. Il se leva, suivit le chemin sous les sapins et la découvrit, allongée sur un tapis de mousse, pleurant à gros sanglots.
Il aurait voulu sortir de sa cachette. La prendre dans ses bras. La consoler. Mais il ne pouvait pas. Tout cela était de sa faute, il ressentait une profonde culpabilité, comme s’il avait mis un verrou sur sa sensibilité. Alors, impuissant, il la regarda hurler sa peine puis rentrer à la ferme au petit matin.
Mais le lendemain, il vit Camille enfin dehors. Il la rejoignit dans le jardin. Elle était pâle, fragile mais elle lui sourit quand il vint à sa rencontre.
— C’est à l’abandon.
— La vieille Viviane avait baissé. Elle allait avoir 88 ans. Elle venait encore un peu mais plus suffisamment pour avoir un jardin comme ceux auxquels tu étais habituée.
Il n’éprouva pas le besoin de lui dire que sans lui, les choses seraient devenues bien compliquées pour la vieille dame. Il ne voulait pas se poser en bon samaritain, n’étant pas sûr de ne pas avoir fait ça juste pour se racheter.
— Je vais devoir partir si la ferme vous appartient. J’ai déjà bien abusé.
— Tu as le temps. Rien ne presse. Pendant que tu dormais, l’épidémie de coronavirus a progressé et nous sommes confinés. Nous allons devoir cohabiter.
Camille se sentit presque rassurée par la nouvelle. Elle se sentait en paix ici. Même si cela réveillait en elle des souvenirs du passé qu’elle avait tenté de toutes ses forces d’oublier.
— Alors, viens avec moi, il est l’heure de traire les chèvres et de commencer à faire les fromages.
Ils travaillèrent tout le jour sans presque plus se parler. Le soir, ils partagèrent un bol de soupe, un fruit.
— Je vais aller me coucher. Je suis fatiguée. Bonne nuit.
— Bonne nuit
Sur le pas de la porte, Camille se retourna.
— Au fait, je vous ai vu hier, dans la forêt. Ce n’est pas bien d’espionner les gens !
Le lendemain, au petit-déjeuner, ce que craignait le propriétaire de la ferme se réalisa. Camille posa la question tant redoutée.
— Au fait, vous vous appelez comment ?
Il hésita. Il aurait aimé ne pas avoir à répondre. Pouvoir lui dire un mensonge. Mais non, il se lança.
— Jonas. Je m’appelle Jonas Dietrich, Camille.
Il la vit blêmir. Il n’osa plus la regarder droit dans les yeux.
Elle ouvrit la bouche en grand de stupéfaction puis sortit précipitamment. Il la rejoignit quelques minutes plus tard.
— Tu sais que je t’ai haï toute ma vie ?
— Je sais.
— Tu m’as fait très mal.
— Je sais, Camille. Et je m’en veux énormément.
Ils restèrent silencieux. Chacun se remémorant leur dernier été passé ici. Vingt ans plus tôt.
Camille vivait à la ferme avec sa grand-mère, Viviane. Celle-ci ressentait l’énergie des esprits du monde vivant, qu’ils soient humains, animaux ou plantes. Elle avait enseigné son don à Camille au fil des années. La petite fille avait donc pris l’habitude, après l’école, de se réfugier dans la forêt. Cet univers était devenu comme une respiration. Mieux, un confident à qui elle pouvait confier tous ses tourments.
Un jour, elle s’était retrouvée nez à nez avec un loup. Elle avait bien sûr eu très peur mais, finalement, elle s’était liée d’amitié avec l’animal. Mais son meilleur ami, Jonas, les avait découverts et en avait informé son père. Une battue avait été organisée et Camille avait retrouvé l’animal, allongé dans les fougères, le corps criblé de balles.
La jeune adolescente avait été en état de choc pendant des semaines. Elle refusait désormais d’entrer dans la forêt et rien n’avait pu la faire changer d’avis. Alors, résignée, Viviane avait préféré éloigner la jeune fille et l’avait confiée à sa sœur à Nice. Camille s’était installée là-bas ne revenant plus que trois semaines en été. Elle restait cloîtrée dans la maison, refusant de se promener ou même de revoir ses anciens amis. Elle s’était mariée, avait eu un fils.
C’est Camille qui brisa le silence qui s’était installé entre eux.
— Tu crois au destin ?
— Ce que tu as vécu, par ma faute, a profondément modifié le tien. Alors oui.
— Tu sais, le soir de l’accident, j’ai percuté un sanglier. Comme s’il voulait me dire « Maintenant, cela a assez duré, il faut que tu reviennes ».
En mettant des mots sur ce qu’elle n’osait pas encore se dire rationnellement, c’est comme si elle s’autorisait à ouvrir la poignée de la nouvelle porte de son avenir.
— Je commence à me sentir en paix dans la forêt. Et dès que j’en sors, je suis triste et perdue.
— Le temps va t’aider, Camille. Je ne t’ai jamais demandé pardon. Je voudrais le faire aujourd’hui.
Camille ne savait pas encore si elle pourrait pardonner un jour à Jonas mais enfin, elle acceptait ce passé avec ses peines comme faisant partie de son destin et elle se rendait compte qu’elle commençait aussi à accepter le décès de Romain et de Théo.
Camille pleurait à chaudes larmes et cette fois-ci, Jonas la prit dans ses bras. Ils ne savaient, ni l’un ni l’autre, de quoi serait fait demain. Le monde était-il en train de s’effondrer tout autour d’eux à cause de cette pandémie ? En tout cas, cette épreuve-là, ils allaient la vivre ensemble. Parce que le destin les avait remis en présence. Comme un signe. Comme si, pour eux, digérer le passé était indispensable pour aller de l’avant.
Camille regarda Jonas longuement et alors qu’elle ne pensait jamais prononcer ces mots, elle murmura « je te pardonne ». Un jour, elle le savait, elle se pardonnerait aussi.
En attendant, ils avaient raté l’heure de la traite. En bas, les chèvres allaient faire tourner leur lait. Il était temps de retourner à la vie.


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· Texte de Romain Lizé · 2ème place

Le serrurier de San Gimignano

A l’aube du 14ème siècle, s’il vous avait été donné de flâner dans les ruelles ensoleillées de San Gimignano, petite ville typique de l’arrière-pays toscan, peut-être auriez-vous entendu les coups de burins de Pier Paolo Siniresi descendre du dernier étage de sa maison-tour.
Il avait hérité cette bâtisse opulente de ses parents, d’obscurs financiers florentins morts dans des circonstances tout aussi obscures alors qu’il venait de fêter ses quinze printemps. Pour occuper son temps libre, le jeune Pier Paolo n’était pas du genre à battre la campagne avec ses camarades de l’instruction élémentaire. Premier sorti quand retentissait la cloche de seize heures, il marchait d’un pas pressé jusqu’à ses appartements sans lancer un mot à qui que ce soit. Ses parents affectionnaient guère l’enfant lunaire que la nature leur avait donné. Eux qui n’avaient d’yeux que pour les affaires et les mondanités, ils pressentaient que leur mode de vie ne survivrait pas chez ce garçon aussi déconnecté des contraintes matérielles que des impératifs sociaux. Au vu du peu de résultats produits par les punitions et châtiments destinés à l’acculturer à l’esprit de la famille, le couple Siniresi, dans un accès de pragmatisme hérité de leur fine expérience du commerce, s’est résolu à enfanter à nouveau. Mais Dame-Nature ne leur a pas laissé cette opportunité.
Au fil des années, les sermons du couple se sont transformés en un désintérêt manifeste pour leur progéniture, laquelle s’en trouvait fort soulagée. Leur relation réduite à une stricte cohabitation s’est terminée à la fin du 13ème siècle quand, s’inquiétant de n’avoir croisé personne dans les escaliers depuis plus d’une semaine, Pier Paolo a poussé timidement la porte des appartements parentaux. C’est là qu’il a découvert, gisant dans une mare de sang séchée, ses deux parents poignardés en plein cœur. La scène l’a jeté dans un état de sidération absolue. Dans cette forteresse construite au 10ème siècle dans un but strictement défensif, l’horreur avait réussi à s’immiscer sans un bruit, à la manière d’un poison inodore qui consume la vie en silence. En a découlé un sentiment d’insécurité permanent chez l’adolescent, sentiment qui a façonné sa vie, et l’a prédestiné au métier de serrurier.
Bien que les soupçons se soient rapidement penchés sur lui, Pier Paolo a été innocenté du crime par manque de preuves et surtout, il faut bien l’avouer, en raison de la réputation sulfureuse de ses parents. Ces derniers n’étaient pas regardant sur l’origine des florins qu’ils se mettaient en poche.
Étonnamment, alors que la majorité de leurs faits et gestes étaient guidés par l’appât du gain, aucun capital financier n’est revenu à Pier Paolo. Peu lui importait, il a gardé la maison-tour et y a installé son atelier de serrurerie. Guidé par des traités d’artisanat glanés à l’occasion de ses rares sorties, il s’est formé seul à ce savoir-faire exigeant.
Les habitants s’étonnaient de ne jamais voir les lumières s’éteindre au dernier étage de la tour. Une réputation d’ermite peu fréquentable lui a rapidement collé à la peau. Il s’en moquait royalement. Du haut de sa tour désormais protégée par ses propres verrous dont on reconnaissait l’excellence jusque dans les riches salons florentins, plus rien ne pouvait l’atteindre.
Des quatre coins du royaume lui venaient des lettres de notables en tout genre, désireux de protéger leurs biens des soulèvements et luttes intestines qui agitaient les populations. Il prenait plaisir à lire les flagorneries de ces bourgeois apeurés, prêts à toutes les compromissions pour protéger leur butin.
Contre toute attente, le jeune homme effacé s’est transformé en un redoutable homme d’affaires. Comme tout artisan qui a acquis une vaste maîtrise de son métier, il ne retrouvait l’excitation des premiers jours que dans la confection de pièces uniques : d’immenses serrures enfermant des reliques sacrées, d’épais loquets protégeant la couche d’une princesse héritière, des poignées de porte piégées gardant les réserves d’or du royaume.
La notoriété de Pier Paolo est devenue si large qu’il a dû embaucher un secrétaire pour trier les demandes qui émanaient de toute l’Europe. Mais tout cela n’était plus assez. Courbé sur sa table de travail, il ne trouvait plus l’inspiration pour ses commandes toujours plus complexes. La fraîcheur du prodige adolescent laissait peu à peu place à un personnage aigri. Son âme a noirci dans l’ombre de son donjon imprenable. On ne saurait dire s’il s’agissait d’une réminiscence d’instincts refoulés, ou de la naissance d’un monstre.
Les demandes se sont entassées. Le secrétaire a été congédié. La lumière du dernier étage de la maison-tour s’est éteinte. Et le mystère s’est épaissi autour du serrurier solitaire.
Des décennies plus tard, sous le soleil brûlant du mois d’août, un homme nouveau est sorti de sa tour d’ivoire. Rasé de près, vêtu de précieux habits de soie rouge, Pier Paolo avait l’allure d’un prince. Il a traversé la ville sous les regards subjugués des passants. Il arborait un sourire franc, affable, avec un léger rictus carnassier. Les plus anciens y ont vu une ressemblance flagrante avec son défunt père. Tout cela glissait sur lui. Il a marché d’un pas décidé jusqu’au siège des pouvoirs publics.
Dans un langage très fluide qu’on ne lui connaissait pas, il a exposé le grand projet qu’il voulait porter pour la ville : remplacer toutes les serrures à moindre frais pour rétablir la sécurité dans la cité. Les responsables locaux ont d’abord freiné des quatre fers. Les finances étaient dans un état lamentable. Pier Paolo les a finalement convaincus que faire de San Gimignano la ville la plus sûre de l’état leur rapporterait quelques honneurs politiques. Son expérience du commerce lui avait appris à flatter l’ambition de ses plus éminents clients. Il n’avait pas perdu la main : un mois plus tard, les premières serrures ont vu le jour.
Pour l’occasion, il a embauché une armée de petites mains qui réalisaient une succession de tâches basiques. Le savoir-faire ainsi découpé, aucun d’eux ne saurait lui faire concurrence à la fin de la mission, sans compter l’efficacité induite par ce mode de production. Il inventait une forme de taylorisme avant l’heure. Seule « la touche finale » lui revenait. Tous les ouvriers se demandaient ce que pouvait être cette dernière opération étant donné le parfait fonctionnement des serrures en sortie d’atelier. Mais, après tout, ils n’étaient pas experts.
En huit mois de dur labeur, toutes les serrures étaient prêtes à être installées.
Pier Paolo avait eu beau rogner sur ses prix, accepter toutes les exigences de ces messieurs les décideurs, courber l’échine à s’en rompre les lombaires, il est resté inflexible sur un point :
Nous ferons installer toutes les serrures en un jour, nous marquerons cette date comme la fin de l’insécurité à San Gimignano !
Les politiques, d’abord courroucés du nombre d’installateurs à payer pour une telle folie, ont fini par céder devant la verve messianique de l’étrange serrurier.
Au lendemain de ce jour de fête célébré en grandes pompes, le silence était total. A dix heures passées, les rues étaient toujours vides.
Comme il fallait le craindre, ce projet fou cachait un sombre dessein. Pier Paolo Siniresi a fomenté l’un des assassinats de masse les plus diaboliques de l’histoire. Au moment où les habitants ont fermé leurs serrures flambant neuves, des billes de verre remplies d’un poison très volatile ont éclaté à l’intérieur du mécanisme. La précision du dispositif alliée à l’extrême concentration de poison n’a laissé aucune chance aux malheureux.
Celui qui avait choisi ce métier pour se protéger du monde a transformé son savoir-faire en une arme létale. Une arme pour expulser cette haine qui pourrissait en lui depuis l’enfance. La solitude a décuplé ses tourments au point de façonner ce personnage au sourire froid que personne n’a jamais revu, fantôme d’un siècle lointain qui hante les murs de San Gimignano.


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· Texte d’Oona ·

Je ne sais pas si tu m’entends ?
Mon futur dans tes mains, à demi fermées ; s’échappent des désirs, des rêves et des possibilités. Longtemps je me suis attribué mes échecs et réussites mais je m’étais fourvoyé, toi seul t’incombe cette tâche. Tu lis dans mes pensées, mes plus secrètes pensées, même moi je n’y ai pas accès et pourtant tout arrive comme il se doit d’être à l’instant T. J’ai beau essayer de te devancer ; le temps linéaire que l’on nous a inculqué m’empêche de prendre les devants. À croire que tout est écrit et que tu sais tout ce qui va se passer pour chacun de nous qui sommes arrivés nu de sagesse et de passé pour voir malgré tout si on a compris une leçon ancestrale : l’égo ne doit pas primé sur l’être qui a été conçu par l’amour et qui doit le propager autour de lui.
Aujourd’hui les choses peuvent basculer et bouleverser ma vie, me retrouvant face à des portes ; des choix qui me changeront à tout jamais et changeront les autres qui me soutiennent. J’aimerais juste pour une fois un signe de ta part. Je me suis, il y a bien des années, abandonné à tes volonté car je sais, que tout ce que tu me fais vivre, malgré les souffrances, c’est pour permettre à mon âme de m’élever. Mais cette fois, c’est différent, si je fais appel à toi ce n’est pas seulement pour moi, d’autres seront aussi touchés par mon choix. Je ne te demande pas une poignée de mains, mais un signe qui me laissera entrevoir la bonne porte à prendre, car je risque de finir au plus mal ou sous les verrous, pour avoir voulu faire le bien.
Destin, mon futur est entre tes mains, aide-moi à choisir la porte qui ne me précipitera pas vers une fin tragique que j’aurais pu éviter, et éviter à ceux qui m’entourent. Éclair mes pas pour trouver la bonne porte lumineuse de paix et d’amour.


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· Texte de Ghislaine Victor ·

Les yeux fermés, Alice prit une profonde inspiration, bloqua et expira doucement. Quoiqu’elle décidât, son choix serait le bon puisque c’était le sien. Elle avait attendu ce moment depuis longtemps et à présent qu’elle y était, le doute s’insinuait. Sournois, il se glissait dans son esprit comme un serpent entre les failles d’un mur. Elle savait qu’il n’y aurait pas de retour possible. Aussi s’imposa-t-elle de prendre le temps nécessaire. Elle repensa à ce qui l’avait emmenée jusque là. Juste devant cette porte.
Alors qu’elle menait la vie d’une jeune femme insouciante, s’intéressant à la dernière mode, sortant avec ses amies, abusant parfois de l’alcool et vivant comme si elle était immortelle, elle avait rencontré ce curieux personnage au détour d’un rayon de librairie. Curieusement, elle qui n’était pas une lectrice assidue, était entrée dans cet endroit qui l’avait attirée. Elle avait poussé la porte, une petite clochette s’était déclenchée, elle se souvint avoir souri à ce petit bruit désuet. La boutique ne payait pas de mine de l’extérieur mais une fois dedans elle avait été émerveillée par la disposition des ouvrages. L’ordonnancement des lieux lui avait donné l’impression d’entrer dans un autre temps, un autre monde, et elle s’était demandé comment de tels lieux pouvaient survivre à l’époque actuelle. Elle avait eu la sensation d’avoir laissé sa vieille peau à l’extérieur sur le trottoir et de renaître à quelque chose qu’elle ne comprenait pas encore. Le temps s’était suspendu. Elle avait vaqué parmi les allées, la lumière tamisée l’avait invitée au recueillement, au silence et à la découverte. Elle avait pris plaisir à feuilleter les livres que rencontrait sa main. Elle plongeait dans des mondes inconnus à chaque ligne lue, à chaque page tournée. Puis, à un moment donné, il était apparu. Elle aurait été incapable de lui donner un âge. Tout ce qu’elle savait c’est qu’il avait une aura magnétique, quelque chose de mystérieux et en même temps de familier. Il lui avait fait penser à un sorcier tel qu’on en croise dans les livres de science-fantasy. Il l’avait regardée longuement de ses yeux d’un bleu clair perçant. Elle ne s’était pas étonnée du silence qui les entourait et lui avait rendu son regard, plutôt surprise de se sentir aussi à l’aise en face à face avec un parfait inconnu. Sans dire un mot, il avait souri puis était retourné à ses affaires. Alice avait continué à flâner dans la librairie puis était rentrée chez elle, flottant toujours dans cette atmosphère curieuse et apaisante. Elle était ensuite revenue à plusieurs reprises dans la boutique. Et toujours elle le croisait au détour d’un rayon, il la regardait de façon énigmatique puis disparaissait à nouveau. Un jour, il avait rompu le silence en lui disant : « Je t’attendais, viens. » Elle l’avait suivi sans résistance. Il lui avait parlé des différentes dimensions qui les entouraient, des fréquences, des vibrations, de la vie, des vies multiples qu’ils avaient traversées. Elle l’avait écouté avec dévotion. Elle sentait que ses mots la nourrissaient, que quelque chose de subtil pénétrait en elle, la transformait sans qu’elle ait autre chose à faire qu’écouter.
Un soir alors qu’il avait terminé la présentation d’un ouvrage récemment acquis, il lui avait demandé si elle voulait tenter l’expérience de la porte. Ce n’était pas n’importe quelle porte, on y accédait par un état modifié de conscience, dans l’immobilité et le silence. Cette porte ouvrait sur les grands mystères de la vie et une fois qu’on passait le seuil on ne pouvait pas faire demi-tour. Mais ce qu’on y gagnait valait mille fois ce qu’on laissait derrière soi.
Elle avait alors pris l’habitude de revenir toutes les semaines pour s’entraîner dans l’arrière-boutique à se poser, se déposer et se reposer dans le silence et le calme de la méditation guidée qu’il murmurait. Un après-midi il lui avait dit qu’elle était prête.
Et voilà qu’elle se trouvait intérieurement devant cette porte. Elle avait le choix de l’ouvrir ou pas. Sachant que si elle ne l’ouvrait pas, elle repartirait à sa vie tranquille. Malgré sa préparation, elle ressentait une légère appréhension. L’inconnu lui faisait peur. Elle ne sortait que très rarement de sa zone de confort, et encore cela avait été pour des défis sportifs. Aujourd’hui elle sentait que le défi avait une toute autre portée. Il changerait sa vie. Elle rit intérieurement en pensant aux films dans lesquels le héros doit choisir une porte parmi plusieurs, elle au moins n’avait pas ce choix là à faire. Elle devait juste se décider à ouvrir une seule porte, cette porte.
Elle posa la main sur la poignée et ressentit une chaleur se diffuser dans son bras puis envahir son corps, suivie de picotements, pas vraiment désagréables, plutôt curieux et inhabituels. Une étrange émotion monta en elle, une sorte d’euphorie mêlée de larmes. Elle savait qu’il n’y aurait pas de retour possible.
Lentement elle défit le verrou. Puis lâchant toute résistance, elle ouvrit la porte.


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· Texte de Pierre Leseigneur ·

Emotions de télé

Les caméras sont braquées dans la pénombre, prête à jeter sur moi leurs yeux noirs et froids dès que la lumière s’allumera. Je serai alors visible sous quinze angles différents. Probablement me verra-t-on plus et mieux que je ne me suis jamais vue moi-même. Ils se rinceront l’œil, aucun doute. Les hommes sont ainsi…pides. Insipides. Le jeu de mot m’amuse. Je sais pour quelles qualités je suis là. Pas de hasard. Il faut vendre un peu de rêve. Que les images soient… Belles ? Non, la beauté ne les intéresse pas. Non, il faut qu’elles soient captivantes ! Voilà ! Que tous soient captifs du show. Pour sûr on zoomera sur mes yeux, ma bouche, mon décolleté etc. Surtout mon « décolleté etc. ».
J’ai rarement été aussi nerveuse.
Je me suis préparée pour ce moment et me voilà en proie à cette petite bête qui me chatouille l’estomac.
Une voix retentit, sourde et lointaine. Tout le monde la connait par cœur. Le speaker s’enflamme et embrase son public. La salle mitoyenne ou à quelques pièces de celle où j’attends comme une bête dans le noir, retentit des ovations. D’aussi loin qu’ils soient, je peux aussi deviner l’excitation des téléspectateurs.
Une autre voix s’adresse alors à moi par l’oreillette. Je sursaute. La voix masculine la plus douce que j’ai entendue de ma vie.
Ça va bientôt être à vous, Gaïa. Comment vous vous sentez ?
— Pleine forme !
C’est une bonne nouvelle ça. Et niveau émotionnel, Gaïa, que ressentez-vous ?
L’onctuosité de cette voix est hypnotique. C’est comme si je m’asseyais dans un nuage. Je ne serais pas surprise s’il me demandait de faire la poule, d’un coup, sans raison, et que je m’y emploie allègrement sans résistance.
— Stressée.
C’est tout ce que je parviens à en dire.
Silence dans l’oreillette. Ovations au loin.
Ok, ça va bien se passer, Gaïa. Concentrez-vous. Vous connaissez tout ça. Ecoutez-vous, gardez le contrôle.
Cette façon qu’il a de répéter mon prénom à chaque phrase. Je me sens comme avec un ami intime. Cette voix. Cette proximité. Est-il possible de s’immiscer dans une âme à travers une oreillette ?
Frisson.
Cinq secondes, Gaïa. Je reste avec vous.
À quoi peut-il bien ressembler ?
Le décompte me parvient à travers les murs. Les spectateurs scandent : « trois…deux… »
Nous y voilà.
« Un… »
Les lumières inondent la pièce. Aveuglée, je braque mon avant-bras en visière. Mais il est déjà trop tard… On dit que la plus grande vitesse connue est celle de la lumière. Moi je suis persuadée que c’est celle des émotions. Le temps que cette explosion lumineuse me vrille les rétines, j’ai déjà retrouvé tout ce stress que la voix dans l’oreillette avait presque fini par estomper.
Gaïa, tu es à l’image. On me demande de te dire que tu dois enlever ton bras de tes yeux. Je sais. C’est un peu rude, mais tu vas t’habituer.
Il me tutoie. Intimité plus encore, plus encore…
— C’est interdit de se protéger ? On ne m’a jamais parlé de ça.
Je commence à croire que beaucoup de choses n’ont pas été stipulées. Une intuition.
On a besoin de voir tes yeux. Fais-moi confiance.
J’ai confiance en vous, en toi, qui que tu sois.
J’obtempère finalement, malgré la gêne. Mes yeux s’accoutument enfin.
Les portes se dressent à quelques mètres en face de moi. Alignées comme un peloton d’exécution. Pourtant, c’est moi la condamnée. Du moins, certainement pas le bourreau.
Je dois choisir une porte.
Tu dois choisir une porte, Gaïa.
Lis dans ma tête, jeteur de sort.
Elles sont toutes parfaitement similaires. Si la réalité le permettait, je pourrais parier que chacune ouvre sur l’exactement même pièce. Des réalités parallèles clones les unes des autres.
Mais je dois rester concentrée.
Je me jette à l’eau. Saisis la poignée de la porte centrale.
Six émotions de base. Six portes. Derrière chaque porte…
J’entre dans la nouvelle pièce par la porte que j’ai choisie et me retrouve dans un lieu gigantesque. J’ai les mains moites et le cœur qui cherche un refuge. Un ciel gris, ou plutôt d’un mélange de noir et de vert écrase les lieux. Un type s’approche de moi.
— Il est l’heure, vite !
— L’heure ? L’heure de quoi ?
— Vite ! Dépêchez-vous !
La boule dans mon ventre grossit à mesure que l’inconnu me presse et m’oppresse. J’essaie de le calmer mais il n’entend rien d’autre que cette heure qui le bouscule tant. Plus je l’exhorte à se calmer et plus je sens ce stress qui m’habite grandir. Encore et encore. Au point qu’une nausée s’empare de moi.
Quand enfin l’inconnu décide de disparaitre, je reprends mon souffle. J’avais presque oublié de respirer.
De nouvelles portes apparaissent. Quatre seulement cette fois-ci.
Tu t’en es bien sorti Gaïa. Tu as passé la première salle. Continue.
— C’était la salle de quelle émotion ? La peur ? Ce n’est pas vraiment ce que j’ai ressenti…
La voix ne répond pas et m’invite à ouvrir une nouvelle porte.
La peur me saisit. Le boule dans le ventre a grossi et des frissons me chahutent.
OK. Je dois avancer.
J’ouvre, entre.
C’est pire encore. Le ciel. Plus sombre. Plus bas. Sinistre. Mes pois se hérissent sur les bras, dans la nuque. Des bruits me parviennent. Comme des rumeurs. Des pas irréguliers, inhumains, bestiaux. Surtout inhumains. Ça vient de tous les côtés à la fois, comme si ça se déplaçait. Comme si ça m’encerclait. Et ça se rapproche.
Mon cœur va exploser. Mon souffle se raccourcit.
Les bruits sont si proches.
Tenir le coup…
Tout s’évanouit. Silence.
Super Gaïa. Bravo. Tu as conscience que la plupart de tes prédécesseurs lâche à la seconde salle ? Vous pouvez être fière de vous.
Merci, même si je n’ai pas le souffle pour le dire.
Même dans l’engouement, la voix demeure plane. C’en est troublant.
Cette fois c’était bien la peur. Aucun doute possible.
Parmi les quelques-uns qui sont allés jusqu’à la troisième salle, certains sont morts. Crise cardiaque. Ça a fait le tour des ragots, comment ne pas le savoir. Il faut bien évidemment que cette pensée me traverse à l’instant précis où j’ouvre la troisième porte. La boule dans mon ventre se hérisse d’épines empoisonnées.
La lumière vient de la droite, pas du ciel. Il n’y a pas de ciel. Une présence dans mon dos. Les épines dans mon ventre. J’ai mal. Ma vie. Ma vie est en jeu. Je ne veux pas mourir ! Je cours, m’enfuis. La présence me poursuit. Elle râle derrière moi. Juste derrière. Je pourrais défaillir tant je suis terrifiée. La tête qui tourne. Plus d’oxygène. Dans ma nuque, le souffle de la bête ! Tiens bon Gaïa ! Décharge électrique dans tout le corps. La mort. C’est la mort !
Tout disparait. Le calme revient.
Terrorisée. Epouvantée.
Les larmes brûlent les entailles sur mes joues. D’où viennent-elles ? J’ai dû m’accrocher quelque part.
Soudain, quelque chose bascule dans mon être. C’est quoi cette arnaque ? Une salle, une émotion. Là c’était juste de peur, encore et encore. De plus en plus fort. Et après, ce sera quoi ?
Un feu s’allume et consume la boule aux épines. La chaleur m’envahit.
Allez Gaïa, tu déchires tout, continue à…
— La ferme !
Je fonce vers l’une des deux dernières portes. Je vais tout défoncer !
J’entre dans une salle nimbée d’une odeur ferreuse. Sur mon flanc gauche, une petite silhouette passe en me bousculant. Un enfant. Une arme à la main. Je l’appelle. Il ne m’entend pas. On l’abat. Le feu en moi devient tornade incandescente. J’accours au chevet de l’enfant soldat, mais il a disparu. Apparait à sa place une gamine qu’on marrie à un vieux type. J’enrage ! j’ai des envies de meurtre ! Au fond, on brûle une forêt. On dépèce des renards.
La haine !
Puis, plus rien.
Le verrou vient de sauter.
J’ai compris.
Tout compris.
La voix dans l’oreillette parle dans le vide.
Je n’entends plus que le vide à l’intérieur de mon âme.
Luxe.
Calme.
Volupté.
Comme dans un vieux poème.
C’est ça, la clé du jeu. Chaque pièce nous fait vivre l’émotion avec laquelle on y entre, version décuplée.
Calme.
Plus qu’une porte.
Sérénité.
J’ouvre.
J’y découvre une pièce qui renferme une plage, délimitée par une forêt paisible. Ressacs, bruissement…
Je suis la première à aller au bout de ce jeu.
J’ai gagné.


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· Texte de Pascal Dandois ·

La sonnerie

J’entendis sonner à la porte du château. On sonnait à la porte de château de manière insistante. Je restai immobile, attendant que ce visiteur malencontreux se décide à passer son chemin. Je voulais absolument resté tranquille. Je n’avais pas du tout l’intention d’aller répondre à cette alerte. De plus, quelque chose m’inquiétait ; ce son résonnait un peu comme un glas. Je ne voulais pas y aller vous-dis-je. Mais cette sonnerie était insistante, elle n’en finissait pas. Peut-être y avait-il une véritable urgence. Peut-être devait-on m’annoncer une nouvelle très importante à laquelle je ne pouvait pas échapper puisque cette sonnerie continuait sans fin. Qu’elle me harcelait, qu’elle n’avait de cesse. Je n’avais pas le choix, je devais indéniablement aller jusqu’à la porte, tourner sa poignée . Au fil de la résonnance stridente, je sortis de ma chambre, empruntai les multiples escaliers, traversai les nombreuses salles et les longs couloirs… Avant que je n’atteigne la porte d’entrée le bruit s’arrêta. J’hésitai à rebrousser chemin mais la curiosité l’emporta. J’allai jusqu’à elle et ouvris le verrou ; derrière, rien, pas la moindre trace de quiconque. Je me demandai un instant si je n’avais pas été le jouet d’une hallucination auditive. Puis je tendis la tête hors de l’huis pour observer dehors, alentour… personne. Soudain, je sentis une douleur atroce dans mon dos, celle d’une lame plantée entre mes omoplates. Avant de tomber pour mourir, je me retournai pour reconnaître mon assassin. Il avait trouvé un autre accès pour entrer. Il s’agissait bel et bien d’un piège pour que je sorte de ma cachette.


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· Texte de Sandrine B. Holder ·

Entre mes mains

Mon esprit dérive loin de cette chambre sinistre où la peinture défraichie s’écaille de toute part. Des fleurs fanées reposent sur la table de chevet dans un pichet ébréché. Je me tiens devant la fenêtre vêtue d’un vieux jeans, d’un pull à col roulé difforme et d’une paire de bottines usées. J’ai repris du poids, et mes cernes sous les yeux se sont estompées. Dehors, le vent glacial a fait son apparition, obligeant les rares promeneurs serrés dans leur manteau à hâter le pas.
Depuis combien de temps suis-je ici ?
À force de me battre contre l’inéluctable, j’ai perdu un temps tous mes repères. Des mois, enfermée dans une colère sourde qui gangrenait ma vie. Des semaines d’errance à m’accrocher à des chimères.
Je t’ai craché au visage, accusé de tous mes maux, haï.
Et puis, tes visites se sont espacées, pour n’être plus qu’un lointain souvenir.
Malade de ta présence, de ton absence.
La porte s’ouvre. Un infirmier pose une enveloppe sur la table. Il porte encore sur ses bras, des coups de griffes infligées lors des nombreuses crises. Être aux multiples facettes. Cerbère froid et intransigeant qui me sangle sur le lit et m’injecte un calmant pour soulager mon âme. Agneau qui lave mon corps délicatement et remonte la couverture jusqu’à mes épaules pour que je n’ai plus froid. Un ami, un frère de cœur qui supporte toutes les dérives, sans jamais riposter.
Dans le couloir, les bruits habituels. Les cris, les pleurs des patients mais aussi les rires. Les chariots bousculés, les lits déplacés, les allées et venues incessantes de ces blouses blanches si peu considérées.
Pas besoin de mots, une simple poignée de main suffit. Je ne le reverrai plus. Promesse d’un avenir serein.
Il est l’heure. Un dernier regard sur cette pièce pour ne plus s’aveugler.
J’ai désormais les clés pour faire sauter les verrous qui jalonneront ma vie.


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· Texte de Kiznaisen ·

À chaque fois que Ses mains approchaient mon cou, je criais le nom de ma mère. J’implorais le ciel de me donner sa force et sa volonté. Elle, qui avait supporté le poids de mes erreurs. Elle, qui apportait le soleil dans son sillage. Lorsque je me trouvais au plus mal, elle me montrait le chemin. Elle était ma guide, ma muse.

Ma mère fut pendant longtemps l’une des quelques personnes à pouvoir trouver la bonne porte jusqu’à mon moi intérieur. Et elle seule possédait la bonne clé pour ouvrir la serrure. Les autres êtres qui touchaient au but, ceux étaient sur le point de me découvrir telle que j’étais réellement, se retrouvaient de façon inéluctable au seuil de la porte. Comme s’il fallait décrocher la lune pour m’atteindre.

Un beau jour, une deuxième clé spéciale apparut. Ma respiration en devint saccadée. La peur de l’inconnu, et de l’Inconnu, troubla mes habitudes. Je m’efforçais d’échanger le contenu des salles, de changer les routes de ma vérité. Malgré ces contretemps, il parvenait toujours à se rapprocher de moi. Constamment, il pointait sa flèche dans la bonne direction. Je pensais bêtement que ma porte dorée n’était plus bien cachée, que j’étais devenue un livre ouvert.

Il m’avait fallu beaucoup de temps et d’énergie pour découvrir que je me trompais. Il n’y avait que lui qui voyait clair dans mon jeu, tandis que les autres prétendants continuaient de subir ma duperie. À ce moment, je sus. Je remerciai ma mère de m’avoir préservée toutes ces années. Les rides autour de ma bouche plus en vue, je le laissai accéder à mon entrée et pénétrer dans mon monde. Advienne que pourra, le fil de ma vie avait choisi cet instant pour se nouer à celui d’un autre.

Les débuts furent compliqués. Je frétillais de joie la journée ; le soir dans mon lit je pensais à ma mère. J’avais l’impression d’être jetée en pâture à un prédateur. De nouveau, Ses mains me menaçaient. Cette silencieuse Dame, troublant mon sommeil et mes acquis, fut proche de m’emmener avec elle dans les abysses. Heureusement pour moi, la lumière réussit à me protéger. Elle venait de lui.

Obnubilée par mes peurs, je n’avais pas remarqué qu’il était présent. Qu’il se tenait à mes côtés, depuis le début de la scène. Si ma pièce secrète n’avait pas volé en éclats, je le devais en grande partie à lui. À quelle autre preuve devais-je assister pour lui faire confiance ? J’en avais déjà vu assez, je ne pouvais attendre une énième manifestation de sa bienveillance, au risque de douter. Une nouvelle fois. La décision de l’accepter viendrait de moi. Est-ce que ma mère tirait sa sérénité de ce changement d’attitude ?

Je voulais devenir aussi forte qu’elle. Porter mes mains au service des miens.


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· Texte de Rose T. ·

Ça y est. J’y suis. Peut-on appeler ça le destin ? Ou alors la providence ?
J’ai toujours essayé de combler toutes les personnes qui m’entourent… Il fallait que je sois là pour elles, que je les fasse passer avant moi, avant mes propres états d’âmes…
Et me voici à l’aube de mes 40 ans, d’aucuns diront que je fais une crise de la quarantaine mais ils se trompent. Il n’y a aucune crise de quelle sorte que ce soit ! Je suis où je dois être, j’en suis convaincue. Pour une fois dans ma vie, je vais me faire passer en priorité, quel changement radical !
En passant l’entrée du studio, toutes mes serrures mentales ont explosé ! Je suis sûre que c’est dû à ce goût de liberté que je ressens en ce moment… A moins que je ne sois en train de faire un AVC… Non non, ce n’est pas possible… Respire Alba… tu respires, tu savoures cet instant, tu vas y arriver !
Vous avez compris, il m’arrive souvent de me parler à l’intérieur. Je pense que nous sommes au moins une dizaine dans ma tête !!
Je suis arrivée à l’accueil, j’ai envie de faire demi-tour mais la personne me prend en charge, elle m’amène dans une pièce assez sobre et me demande de m’asseoir en attendant qu’on revienne me chercher dans quelques minutes.
En tête à tête avec moi-même, je suis enfin apaisée !
M’inscrire pour ce casting me permet de prendre enfin ma vie en main. Aujourd’hui tout peut changer.
Ça y est. J’y suis.


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· Texte de Martine Lenoir ·

Le destin tragique d’une mère courage

Clémentine avait épousé un homme gentil et attentionné. La culture des champs suffisait pour subvenir à leurs besoins et leur assurer un bonheur simple. Jusqu’au jour où Georges tomba d’une meule de foin et se brisa les 2 jambes.
Le malheureux resta allongé plusieurs mois avant de retrouver l’usage partiel de la marche. Malgré l’aide de béquilles il claudiquait encore l’année suivante et était incapable d’effectuer son labeur.
Clémentine avait dû endosser le rôle de chef de famille. Elle ne lésinait pas sur ses efforts pour maintenir la maisonnée à flots. En plus de s’occuper du foyer et des 4 enfants elle assumait désormais seule les travaux agricoles.
Elle faisait de son mieux mais la récolte avait été désastreuse. Le fruit de son travail ne suffisait pas à nourrir correctement les enfants dont l’ainée avait à peine 10 ans. Leur alimentation se limitait aux œufs du poulailler et au lait de la chèvre. De temps en temps elle tuait une poule pour leur offrir un repas amélioré.
Mais à l’entrée de l’automne la volaille se fit rare. Il fallut rapidement trouver des revenus en dehors de la ferme. Clémentine proposa alors ses services comme femme de ménage chez un notaire du canton. Deux fois par semaine, bravant le froid ou la pluie, elle se rendait à pied dans la bourgade située à 5 kilomètres. Pendant une demi-journée elle frottait les sols, astiquait les meubles, dépoussiérait, lavait le linge, le repassait et rentrait épuisée.
Elle consacrait alors de moins en moins de temps à l’entretien des champs. Résultat, les mauvaises herbes envahissaient les parcelles et la terre ne produisait que de maigres récoltes.
La pauvre femme s’acharnait mais elle se battait contre des moulins. Elle se sentait seule et impuissante. Pourtant les villageois, témoins de l’appauvrissement dramatique de leurs voisins avaient réagi avec générosité. Quelques pommes de terre, un chou, des chandails pour les enfants, chacun apportait sa contribution comme il pouvait.

Deux ans passèrent. Les champs n’étaient plus que friches, les ressources de la famille se réduisaient inexorablement. Nourrir les enfants et les maintenir propres relevait désormais du défi quotidien.
Un matin Clémentine craqua. Elle vola un petit morceau de viande chez le notaire. Elle avait espéré que personne ne remarquerait son larcin. Mais la cuisinière avait l’œil. Elle en informa son patron qui accusa la mère de famille en portant plainte à la gendarmerie.
L’après-midi Clémentine fut arrêtée sous les yeux de ses enfants effrayés et de son mari sidéré. Tout le village assista à l’interpellation de la prévenue et l’escorta en criant à l’injustice. Mais les gendarmes restèrent sourds aux supplications. Pas de pitié pour les voleurs. Telle était la devise en cette fin de XIX ème siècle en France.
Elle passa la nuit à pleurer sur une paillasse dans une pièce insalubre et sans éclairage qui faisait office de cellule. Au petit matin elle remarqua que la porte n’avait pas de serrure. Elle sortit de la cellule et s’échappa mais dans sa précipitation elle bouscula le gardien qui s’était assoupi sur une chaise dans le couloir. Elle fut rattrapée avant d’avoir franchi la porte de la gendarmerie aggravant ainsi les faits pour lesquels elle était accusée.

Quelques mois plus tard elle était condamnée à un an et un jour de prison avec relégation en Nouvelle-Calédonie.
Elle fit appel, en vain. À cette époque il fallait montrer l’exemple pour endiguer la délinquance croissante en France tout en peuplant cette terre colonisée depuis 1853.
Clémentine fut enregistrée sous le matricule 230. Sur la feuille de dépôt était inscrit :
Clémentine Hubert, 4 enfants, ménagère, 1 mètre 44, cheveux châtains, front étroit, yeux bleus, nez allongé, bouche petite, visage ovale, teint coloré.
Un descriptif laconique pour une vie brisée, celle d’une maman dévouée réduite au statut de bagnarde.

Ce 4 mars 1891 elle a embarqué à bord du Calédonie avec d’autres femmes qui comme elles n’ont commis que de petits délits.
Le bateau vient de quitter le port de Brest pour les antipodes. Les hurlements des bagnardes fendent les entrailles du navire et brocardent le vacarme des rouleaux de la mer d’Iroise sur la coque. Clémentine suffoque. Déjà les prémices de l’enfer mordent sa chair. Petit bout de femme dévastée, elle recroqueville sa carcasse meurtrie sur les planches putrides de la cale.
Le venin de la douleur inonde sa poitrine. Elle ferme les yeux, cadenasse les miettes de son bonheur passé et grave à l’encre pourpre de son chagrin les frimousses de ses enfants, ses soleils à jamais perdu.


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· Texte de Sangya Dee ·

Hors contrôle

Nos chairs étaient devenues superflues, des outres remplies d’eau qu’il fallait nourrir et nettoyer à heures régulières. Étions-nous pour autant plus spirituels ? Nullement. On usait à outrance nos sens par le biais d’un monde électronique, qui se chargeait de nous faire éprouver les différentes émotions…
Où se trouvait mon corps physique ? Depuis ma naissance, il y a près de vingt-quatre ans, dans une immense salle, joint à de nombreux êtres humains, répartis en rangs d’oignons, sur plusieurs étages. La manière dont j’ai pu apprendre cela est la raison de cet écrit.
Pour je ne sais quel motif, appelez cela hasard ou destin, je ne sais, toutefois un beau jour, ma connexion à ce monde virtuel s’interrompit. L’écran noir, le néant. Imaginez, après deux décades à l’intérieur d’un tel métavers, l’arrivée d’un black-out. Je croyais que j’étais mort. Vous rigolez, pourtant j’ai pensé que l’au-delà c’était ce vide intersidéral dans lequel je flotterais indéfiniment, jusqu’à ce que mon énergie résiduelle s’épuise, comme la disparition des étoiles naines.
Cependant, petit à petit, je ressentis des fourmillements dans les bras et les jambes, c’était douloureux — décédé, je ne pouvais éprouver de souffrances n’est-ce pas ? — j’essayais de stimuler mes membres, or il m’était impossible de bouger. Je déteste l’inactivité et encore plus cette sensation d’être prisonnier. Je forçai donc sur mon bras gauche. Il y avait une résistance, néanmoins je sentis qu’un tissu, une couture commençait à se défaire. Rapidement, les liens cédèrent. Je procédai de la même façon pour le bras droit. Je tentai d’ôter le casque qui m’entourait la tête. J’eus l’impression que l’on me tirait l’estomac vers le haut, j’en avais des nausées. En fait, une sonde gastrique servant à nous nourrir et nous fournir tout ce dont nos entités avaient besoin. Saisis de panique, je retirai différentes perfusions ainsi que quelques fils qui me reliaient à toute une machinerie, puis enfin, je défis les derniers liens qui maintenaient mes jambes.
Un drôle de bourdonnement tintait dans mes oreilles et j’avais l’impression que mon corps pesait des tonnes. Il m’était difficile de m’habituer à ce nouvel environnement. Je n’avais qu’une idée, réintégrer mon monde au plus vite. Mais cela m’était impossible.

J’essayai de parler, seulement pas un son ne réussissait à sortir de ma gorge. Elle était fort sèche et me faisait mal. Heureusement, la lumière était tamisée, blafarde néanmoins supportable. Après quelques minutes, je parvins à stabiliser mon état, à poser un regard autour de moi. J’étais dans une immense salle dont les murs étaient encadrés de portes blanches : il y en avait des centaines. J’étais encerclé par des rangées de corps sur des lits, tous encore actifs dans leur monde virtuel, notre milieu depuis notre avènement.
Il me fallait me mettre en route, ne pas rester sur place, or je n’arrivais pas à marcher. J’étais tel un nouveau-né. Je m’étonnai qu’il n’y ait eu aucune alarme qui s’enclenche ou un comité d’accueil chargé de me réintégrer au plus vite. Le silence était total hormis les bruits, les « bip » des machines. Apparemment, j’étais le seul à avoir été désactivé.
À quatre pattes, je me dirigeai vers les murs les plus proches. Quand j’arrivai au-devant d’une porte, je m
e saisis de la poignée pour tenter de l’ouvrir : c’était fermé. Y avait-il un verrou de l’autre côté, c’était fort probable ? M’appuyant aux parois, je repris une position de bipède pour avancer. Je testai chacune de ces potentielles sorties, mais sans succès.
Étais-je condamné à rester enfermer dans cette salle jusqu’à ce que mort s’ensuive ? Je m’imaginais déjà en train d’en défoncer une à l’aide d’un des lits. J’envisageai le pire, jusqu’à devoir me nourrir des différentes réserves alimentant les personnes couchées. Il fallait que j’arrête de penser aussi loin. Je soufflai quelques instants. Observant mes membres, ma chair, je fus étonné des disparités entre mon corps physique et celui existant dans ma vie électronique. J’avais la peau noire et une constitution maigre, comme si mes muscles avaient fondu par manque d’activités. Une certitude, j’avais désespérément besoin de me nourrir.
Quelle surprise de découvrir au fond du mur qui était perpendiculaire au mien, une porte jaune ! C’était la seule et elle dénotait par rapport aux autres. Lorsque je tournai la poignée, celle-ci ne résista pas et s’ouvrit. Je ne pouvais y croire. Un souffle d’air froid sortit de la pièce et j’en frissonnai. Je jetai un coup d’œil dans l’entrée. Ce n’était qu’une salle plus petite, vide et nue de tout élément. Seul un boitier transparent était accroché sur le mur qui me faisait face. Au fond de celui-ci, une clé rouge. De part et d’autre de cette box, deux portes, une jaune et une blanche. Laquelle devais-je prendre ?
Souhaitant m’en remettre au destin, j’écoutai ma voix intérieure, qui me guida vers le boitier. À peine réussis-je à saisir la clé, que toutes les lampes s’éteignirent. J’étais dans le noir total… à nouveau. Essayant de garder mon calme, je me dirigeai vers les sorties, à tâtons. Les deux portes résistèrent. Introduisant la clé dans la serrure de ce qui devait être la porte jaune, il y eut un déclic et elle s’ouvrit.
Quel choc ! Comment vous décrire un pareil paysage ? J’étais au beau milieu d’un océan en furie, un monde recouvert d’eau, où de-ci de-là, quelques gratte-ciels dépassaient, tels des piliers battus par les vagues. Sous moi, il y avait une dizaine d’étages.
Ce qui m’effrayait le plus c’était que cet océan semblait continuer de s’élever. Dans peu de temps, toutes les salles seraient inondées. J’entendis du bruit derrière moi. Certainement les diverses personnes en train de se réveiller à la suite de la coupure de courant. Ensemble, nous serions plus fort. Un rayon de lumière pénétrant dans la pièce me fit apercevoir quelques formes mouvantes se dirigeant vers moi.
Je poussai un cri de stupeur, constatant leurs visages, hagards, décharnés… Certains avaient du sang autour de la bouche. J’en vis plusieurs se jeter sur un autre, puis le dévorer comme un vulgaire morceau de viande. C’était affreux ! Pourquoi se comportaient-ils de cette manière ? Je ne voulais pas terminer en en-cas de ces êtres devenus zombies. Sans attendre, je décidai de plonger dans les eaux tumultueuses.
Savais-je seulement nager ? J’allais vite m’en rendre compte. Je luttais tant bien que mal entre la houle et les vagues s’abattant sur moi. À bout de forces, je fus submergé en peu de temps et me laissai sombrer vers les fonds de plus en plus sombres, jusqu’au noir absolu.
Je m’éveillai en sursaut… un cauchemar, ouf ! cela n’avait été qu’un affreux cauchemar. Cependant, je me trouvai bien trempé. Regardant autour de moi, j’étais à l’intérieur d’une maison que je supposais être la mienne. Du moins, ce qu’il restait d’une demeure. Je me situais dans une chambre mansardée dont la toiture fuitait de toute part. Il devait donc pleuvoir dehors. Il n’y avait pas de fenêtre pour le vérifier, juste ces gouttes qui perlaient sur mon lit et moi-même. Sur un mur, une affiche reprise dans un encadrement annonçait ceci :
« Bienvenue citoyen. Si tu lis ceci, c’est que tu as réussi le 153e niveau de cette expérience dans laquelle tu t’es engagée : Instinct ou destin. Derrière cette porte, tu retourneras à ta vie normale. Pousse le loquet et le test sera terminé ».
Je regardai la porte. Elle était jaune poussin comme les précédentes empruntées. Il ne me restait plus qu’à la franchir selon cet intitulé. Il suffisait d’écouter les indications, apparemment…
Mais, vous ai-je dit que je ne supportais pas de suivre la routine d’une ligne d’existence dictée et établie ?


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· Texte de Patricia Forge ·

Etre aux services des autres, elle le fait depuis toujours. Sans jamais faillir, sans la moindre faute, avec tout son amour.
Dès l’enfance déjà, elle a eu sa part de corvées. Le vent de la Liberté n’avait pas encore soufflé. A cette époque les enfants ne donnaient pas leur avis. Ils obéissaient sagement et disaient merci.
Elle aimait la campagne, les lapins et les poulets que son père, dans son temps perdu de mineur de fond, bichonnaient.

A treize ans elle prit d’autres responsabilités quand de sa sœur, tard venue, il fallut s’occuper. Terminé l’air de la campagne, en centre-ville ils partirent habiter. A seize ans, l’école s’arrêtait là. Elle voulait être pâtissière. Couturière à l’usine elle pointera.
Il fallait travailler et donner son salaire. Tout en continuant les tâches ménagères.

L’amour à dix-sept ans, un amour de vacances. Un bébé impromptu, dix-huit ans… le mariage. L’encadrement de la passion par la raison.
Pour ce bébé unique, sa vie elle consacrera. Avant de se dévouer pour son petit-fils, quarante-cinq ans déjà.

Aujourd’hui, alors qu’approche soixante-six ans, elle ne pense qu’aux autres sans jamais compter son temps. Le loquet du bonheur, elle l’a poussée sans hésitation. En distribuant son cœur à profusion.
Un accident de la route l’a meurtrie dans sa chair. Trente et un ans de misères, douleurs et galères.
Et pourtant, malgré toutes ses opérations, elle se débrouille seule, elle gère tout à la maison.

C’est une vie d’héroïne que je raconte là. Une femme du quotidien dévouée d’amour pour les siens.
Une femme incroyable, une mère exemplaire. Oui, j’ose le dire, je suis très fière de ma mère.
Elle a sans nul doute fait le plus dur métier, celui peu considéré de mère au foyer. Seulement rémunérée par nos baisers.

Ce n’est sans doute pas un hasard si le mot Ange forme son prénom. Les fées à sa naissance savaient bien que ce serait une femme d’exception.


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· Texte de Jean-Jacques Camy ·

Les portes silencieuses
L’entrée de la maison ne fut pas difficile
à trouver. Mais à l’intérieur du domicile
la grande pièce nue, au parquet brillant
sur lequel se reflétaient sept portes fermées,
m’impressionnait. Chacune des portes étaient
soulignées d’un encadrement sombre aux battants.

Il me fallait choisir l’une de ses issues,
et seulement une. La porte peinte en jaune
m’attirait mais j’avais peur qu’elle ne fût
là que pour me leurrer, qu’elle ne fût pas la bonne.

Je n’avais qu’une seule chance. Quelle porte
choisir ? Une des extrémités ou qu’importe ?

Les portes n’avaient pas de loquets, mais avaient
des serrures dont le verrou était peut-être
activé ? Personne à qui pouvoir m’en remettre.
pas âme qui vive pour pouvoir à me sauver.

Et si j’effectuais la bonne tentative,
j’ignorai totalement ce qui m’attendrait
derrière, de l’autre côté de la rive.
A choisir poignée, ma main ne se décidait

Apres un dernier regard pour balayer la
pièce, très prudemment, et à reculons,
je quitte les lieux en laissant à l’abandon
les portes, et le mystère de leur au-delà.


Et pour terminer cette sélection, je vous présente le mien, hors concours :

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· Texte d’Amelia Pacifico ·

Comment faire sauter le loquet de ta carapace au maillage si serré ? Pourquoi décides-tu, si brutalement, de te fermer au monde, de te fermer à moi ? De quelle manière éclater l’encadrement dont tu as cerné tes émotions ? Quand pourrai-je à nouveau te toucher, au sens propre comme au sens figuré ? Laisse-moi entrer dans ta maison. Laisse-moi te dire. Laisse-moi te faire sentir. Les violences ne sont pas éternelles. Elles peuvent se taire, ne plus faire de bruit. Je te le promets. Laisse-moi te montrer, te guider. Les blessures peuvent échapper au sel de la vie. Le cauchemar peut devenir rêve. Je te le promets. Laisse-toi atteindre. Laisse-toi à portée de voix. Les âmes d’enfants n’ont pas à rougir. Elles ne sont en rien reponsables de ce qu’elles ont vécu. Laisse-toi du temps. Laisse-toi du lest. Un jour ne ressemble jamais au précédent. Le soleil se lèvera sur ton champ brûlé. Je te le promets. Laisse-moi te murmurer. Laisse-moi te bercer. La tendresse n’est pas vulnérabilité. La confiance n’est pas le piège que tu crois. Laisse-moi te voir. Laisse-moi t’aimer.


Merci à tous pour vos participations et lectures !

A bientôt 💋

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