Participations au Rendez-Vous des Plumes – Octobre

Bonjour à vous 😊

Nous retrouvons avec plaisir de nouvelles participations réalisées autour d’inspirations visuelles qui n’ont pas manqué de vous emmener loin, dans de bien jolies contrées, que nous allons explorer maintenant ensemble…

Les textes ne sont relus qu’au moment de leur publication, et ce uniquement dans le but de vérifier qu’ils ne contreviennent pas au règlement de l’atelier d’écriture. Si le cas devait se produire, le texte ne serait tout simplement pas publié, sans autre recours possible de son auteur. La Petite Boutique des Auteurs n’est pas responsable des coquilles, fautes d’orthographe, syntaxiques ou grammaticales éventuellement présentes dans les textes qui participent au Rendez-Vous des Plumes. Merci d’en prendre note avant lecture.
___ Amelia


Thème-guide d’octobre : Voyage (non obligatoire dans le traitement de la consigne)

Type d’inspiration : Inspiration photographique

⭐ Inspiration n°1

Véronique Magy

Voyage en train
Ouhouh ? Quelqu’un me voit ? M’aperçoit ? Je suis à la fenêtre de la troisième voiture du train. Je fais coucou de la main. Il y a quelqu’un à l’extérieur ? Je ne suis pas seul dans le train. Les autres passagers, adultes comme enfants, ont l’air content. Moi je suis inquiet.
Ca m’apprendra à avoir des discours absurdes, à tenter de me montrer. A longueur de journée, j’invente des histoires, je me les approprie. Je suis un peu le cousin de Tartarin. J’ai l’impression d’avoir lassé mes amis. Peut-être ne me croient-ils plus ? je n’ai rien vu venir. Ma vie est d’un tel ennui, d’une telle monotonie que je m’efforce de la nourrir. Quel mal à cela ? Je rêve et je fais rêver. Quand ils me parlent de leurs week-ends en Europe, je leur narre ma rencontre avec les Kangourous en Australie. Quand François me raconte avoir testé le vol en hélicoptère, je décris mes séances de préparation au métier d’astronaute. Quand Nathalie évoque ses études Erasmus en Pologne, je cite les 5 licences et trois masters que j’ai obtenus en précisant m’être débrouillé sans maîtriser aucune langue étrangère. Ils ne me croiraient pas et je n’ai pas les compétences pour faire croire que je connais d’autres langues. Pour le reste, tout est crédible, c’est évident. Je donne des couleurs à ma vie et je les partage.
Je n’ai pas compris ce qui s’est passé ni comment j’ai atterri dans ce train qui traverse un paysage mouvementé, peu engageant, que j’aurais préféré éviter. Mes voisins de cabine, une famille avec deux bambins ont l’air ravi. Ils n’ont probablement pas conscience des événements. Scotché à la fenêtre, je les goûte totalement.
Mes amis ont émis des doutes il y a deux jours à propos de mes aventures. Nous buvions tranquillement un verre à la terrasse d’un café. Je ne cerne absolument pas pourquoi ils ont joué à me questionner. J’ai répondu à tout, sans difficulté. Comment s’appelle le roi de Nouvelle-zélande (où j’ai plongé dans une cage en fer au milieu des requins) ? Papom3 le fier ! ( Ils ne peuvent pas vérifier de toutes façons). Quelle rocher célèbre, connu pour son pouvoir de guérison, peut-on admirer à New-York? Le caillou bleu-vert, qui tient son nom d’une chanson indienne (Ca aussi, c’est invérifiable. Ils n’ont jamais foulé le sol américain). J’ai répondu à tout, sans une once d’hésitation.
Alors Belette (c’est un surnom, il ne communique jamais son vrai prénom) a dit :
«C’est super. Tu as répondu à tout. Ta vie est incroyable. Nous voulons te proposer un défi. Partant ? »
Un défi ? Euh… Je ne le souhaitais pas mais comment refuser après leur avoir relaté mes différents succès ?
Dimitri a continué :
« On te propose de devenir Philéas Fogg.
( C’est qui Philéas Fogg ?)
« Génial, ai-je crié feignant l’enthousiasme ».
Ursula a enchaîné :
« Tu rentres chez toi. Tu prépares un petit sac, tu ne prends que 10 euros avec toi. On te rejoint dans 20 minutes et on t’emmène les yeux bandés vers l’inconnu. Pour peut-être un tour du monde, mais ce sera facile pour toi qui connais déjà ce monde. »
Je suis rentré rapidement pour ne pas perdre de temps. J’ai triché et pris cent euros (je n’avais pas plus) ainsi que ma carte bancaire ( mais je ne peux retirer qu’en France)., puis j’ai lancé quelques affaires de toilette et un change dans un petit sac. (Que faut-il emporter en priorité quand on part ? Je n’en avais aucune idée !).
Ils sont arrivés vite, trop vite, m’ont bandé les yeux et guidé vers une voiture. Nous avons roulé sans que je puisse dire combien de temps. J’étais libre de mes mouvements mais je résistais au fait de retirer le couvre-vue, de regarder. Question d’honneur ! Je découvrais de nouvelles sensations : la peur, le stress, la pression, l’emprise de l’inconnu. Je restais immobile et silencieux.
Quelques kilomètres plus tard, nous sommes sortis du véhicule. Ils m’ont accompagné vers un endroit bruyant. J’identifiais des sons de machines, sans doute des trains. Des voix aussi, beaucoup de voix, des rires et un brouhaha incroyable.
Selma (J’ai reconnu son accent) m’a dit : « il faut monter des marches. Vas-y doucement. ».
Peu après, j’étais assis sur une banquette. Ils m’ont rendu la vue et m’ont donné un billet sur lequel ils avaient raturé la destination. Bertrand a déclaré, en pouffant :
« On te laisse à ton aventure Philéas Fogg (Encore ? Mais c’est qui Philéas Fogg ?). Profite de ton tour du monde. On se retrouve dans un an ».
Ils sont partis, ont quitté le train. Il a fallu quelques secondes pour que je retrouve mes esprits, que je réalise. Un haut parleur a émis un message :
« Mesdames et messieurs, chers passagers, bienvenue. Attention à la fermeture des portes, Nous partons pour le bout du monde ! »
Le bout du monde ? On se revoit dans un an ? Mais que se passait-il ? C’était trop, même pour l’honneur. Je me suis levé pour descendre. Un mouvement brusque m’a rassis d’office. Le train avait démarré. Des personnes ont applaudi et lancé des hourras tandis que je me préoccupais de la façon dont j’allais affronter cette épreuve, avec seulement cent euros (heureusement que je n’en ai pas pris que dix) !
Pour réfréner mon envie de pleurer, je me suis parti vers la fenêtre du couloir (Il n y en avait pas dans la cabine. Ce mode de transport était bizarre).
C’est de ce corridor que je lance mes coucous, en espérant être repéré. Coucous qui sont plutôt des appels de détresse bien qu’ils jurent face à la gaieté exprimée par les autres passagers. Je constate effaré que nous roulons sur un pont étroit. Par moment les voitures balancent avec des grincements déroutants. Je doute de sa solidité. A l’extérieur, les nuages s’assombrissent, un grondement intervient, imperceptiblement puis de plus en plus terrifiant. Je ne rêve pas : les montagnes semblent prendre vie et se meuvent légèrement, même si les cumulonimbus les dissimulent progressivement. Cette couleur marron gris envahit l’atmosphère, une fumée blanche apparaît, issue du train. Une panne ? Un incendie ? Cette agitation de la nature provoque les cahots de la machine. Je me tiens de plus en plus fermement à la barre du couloir. La tempête hurle sa force. Pourquoi suis-je le seul à ne pas rire ? J’ai peur. Ca prend combien de temps pour arriver au bout du monde ? Je l’avoue, j’avoue tout. Je n’ai jamais dépassé mon département. Je n’arriverai pas à survivre à une telle épopée. Je ne suis pas Philéas Fogg (Qui c’est d’ailleurs ?). Ouf, le pont est passé. Nous nous éloignons, Je respire, soulagé.
Brusquement, la machine stoppe. Je manque de tomber tant je suis surpris.
Le haut-parleur aboie à nouveau :
« Mesdames et messieurs, nous espérons que votre voyage a été agréable et que vous conserverez dans vos mémoires cette découverte du bout du monde. »
Des mains en nombre applaudissent, Le train est arrêté. Le déplacement n’a pas été si long mais quelle frayeur !. Je suis perdu. Où suis-je ?
Je me mêle à la foule et descend les hautes marches. Je me trouve dans une gare où je discerne, interloqué, mon groupe d’amis, « morts de rire » selon l’expression consacrée.
Nathalie tend le doigt en direction d’un panneau. Je tourne la tête vers la cible et je lis :
« Studio cinématographique et d’attraction. Vivez la réalité d’un monde à part vers les tempêtes du bout du monde. »


  • Patrick Fouquet

Terminus
Le train qui quittait Granville ce matin-là portait en lui une immense tristesse, bien différente des voyages ordinaires. Pour moi, Louise, il sonnait le glas d’un séjour exceptionnellement doux chez ma grand-mère, une période teintée de sérénité et d’amour familial. Les journées passées à Granville, à déambuler le long des vagues et à admirer, émerveillée, le majestueux Mont-Saint-Michel, s’ancraient dans mon cœur comme de précieux souvenirs.
Debout sur le quai, les yeux de ma grand-mère brillaient d’une lumière voilée par les larmes. Son sourire, à la fois tendre et mélancolique, était un doux adieu que mon cœur peinait à accepter. L’étau de la séparation se resserrait autour de moi, chaque mètre que le train parcourait m’éloignant de son étreinte chaleureuse et rassurante.
Je collais mon front contre la vitre froide, regardant son visage s’estomper peu à peu, emporté par la distance. Alors que Granville s’effaçait à l’horizon, un pan de mon cœur semblait rester sur ce quai, pris au piège dans les adieux et les souvenirs inoubliables d’un séjour.
À mesure que le train traversait la campagne vallonnée, j’étais absorbée dans le spectacle du paysage qui défilait. Les villages pittoresques se succédaient, les toits des maisons se découpaient sur l’horizon, créant un tableau vivant du temps présent.
Dans les champs, les vaches paissaient avec tranquillité, leurs mouvements lents et mesurés contrastant avec la hâte mécanique du train. Parfois, une charrette tirée par des chevaux apparaissait sur un chemin de campagne, se déplaçant à un rythme qui semblait défier la vitesse effrénée de notre convoi.
Les escarbilles, ces petites particules de charbon s’échappant de la cheminée de notre locomotive, venaient parfois chatouiller mes yeux. Chaque scène qui passait devant la fenêtre du train était une peinture vivante, un fragment de la France rurale, capturé dans la lumière douce d’un matin d’automne.
Le déjeuner à bord du train, en cette époque de 1885, était un moment de simplicité et de convivialité. Je m’installais confortablement dans la banquette, entourée de mes compagnons de voyage, et je sortais mon repas frugal : quelques tranches de pain frais, une sélection de biscuits secs, et des fruits joliment emballés dans un linge par ma grand-mère.
Il y avait quelque chose de réconfortant dans cette simplicité. Loin de l’opulence des diners en ville, il régnait dans ce train une atmosphère d’authenticité et de partage. Certains passagers échangeaient des morceaux de fromage contre des fruits, tandis que d’autres offraient des biscuits en échange de quelques tranches de saucissons.
Alors que le train s’arrêtait en gare, le rituel de montée et de descente des passagers m’offrait un spectacle fascinant. J’observais, un sourire amusé et attendri aux lèvres, la manière dont les femmes, en particulier, abordaient cette épreuve avec une grâce et une élégance digne d’une danse bien orchestrée. Leurs robes à tournures, magnifiques mais encombrantes, rendaient chaque mouvement à la fois majestueux et délicat.
À chaque arrêt, j’assistais à ces petites scènes avec une curiosité renouvelée. Lorsque les femmes s’apprêtaient à monter dans le train, elles soulevaient légèrement leurs jupes, révélant juste assez de leur cheville pour leur permettre de gravir les marches sans encombre. Cette manœuvre, bien que pratiquée avec discrétion, était un véritable art. J’admirais leur capacité à conserver leur dignité tout en se pliant aux exigences pratiques de leur tenue.
Leur descente était tout aussi fascinante. C’était comme si chaque montée et descente du train était une célébration, non seulement des voyages entrepris, mais aussi des traditions et de l’élégance d’un monde qui, je le savais, était en plein changement.
À chaque départ, je me recroquevillais à nouveau sur mon siège, emportant avec moi ces images, ces mouvements et ces sourires, comme de précieuses photographies d’un temps qui s’échappait lentement. Ces instants capturés dans mon cœur m’accompagnaient alors que le train reprenait sa course à travers les paysages changeants en direction de la capitale.
La tranquillité de l’après-midi fut brusquement interrompue alors que nous approchions de Paris. Jusqu’alors bercée par le rythme régulier et rassurant du train, je fus soudain tirée de mes rêveries par une accélération inattendue. Au début, j’attribuai cette hausse de vitesse à une tentative du mécanicien de rattraper un éventuel retard. Cependant, le train ne tarda pas à atteindre une allure qui dépassait de loin les normes habituelles, semant une vague d’inquiétude parmi les passagers.
Les conversations, qui jusqu’alors bruissaient agréablement dans les compartiments, se turent comme par enchantement. Des visages inquiets se tournaient vers les fenêtres, les yeux écarquillés, cherchant à déchiffrer les paysages qui défilaient à une vitesse de plus en plus vertigineuse.
Des murmures s’élevèrent, spéculant sur les raisons possibles de cette accélération. Était-ce une urgence mécanique, un impératif non prévu par les horaires, ou quelque chose de plus sérieux? La spéculation alimentait l’inquiétude, et quelques passagers se levaient, s’accrochant aux dossiers des sièges ou aux poignées pour maintenir leur équilibre.
Je tentais de masquer mon inquiétude par une façade de calme, mais en moi, une angoisse grandissait. Qu’est-ce qui pouvait bien pousser notre train, d’ordinaire si ponctuel et prévisible, à se précipiter ainsi vers Paris avec une telle urgence? Les questions tourbillonnaient dans mon esprit, sans réponse, alors que le train continuait sa course effrénée vers la capitale.
Arrivant en gare, un grincement aigu retentit, suivi d’une série de secousses violentes. Les passagers furent projetés contre les parois du wagon, et des cris de surprise et de peur remplirent l’air. Je me cramponnais à la banquette, mon cœur battant à tout rompre. Des valises tombèrent du compartiment, et des éclats de voix alarmées s’élevaient de partout.
Puis, avec un bruit assourdissant qui semblait déchirer le ciel, le train s’arrêta brusquement. Secouée violemment, un silence effrayant succéda au tumulte !
L’odeur âcre de la fumée commença à s’infiltrer dans le wagon, et la réalité de la situation s’imposa lentement à mon esprit.
Plusieurs passagers se relevèrent, aidant ceux qui étaient tombés ou étaient encore coincés entre les banquettes. Un homme tenta d’ouvrir la porte, mais elle semblait bloquée.
Des enfants pleuraient, cherchant du réconfort dans les bras de leurs parents. Les visages étaient pâles, certains portant des égratignures ou des bleus. Des éclats de verre jonchaient le sol, provenant probablement des fenêtres brisées ou des objets personnels des passagers.
Une fois l’impact initial passé, et malgré le choc et la confusion, j’ai réussi à sortir du wagon. Ce que j’ai vu en descendant du train était un paysage de dévastation qui dépassait toute imagination.
Sur le quai, la scène était chaotique. Des passagers et des passants se précipitaient pour aider, traînant les blessés loin des wagons endommagés. Des cris de douleur et de peur se mêlaient aux ordres criés par les secouristes qui commençaient à arriver. Certains voyageurs, encore sous le choc, erraient désorientés, tandis que d’autres cherchaient frénétiquement des proches.
La locomotive, en particulier, était un spectacle effroyable. Elle avait traversé le bâtiment de la gare, détruisant tout sur son passage, avant de s’écraser dans un kiosque à journaux en contrebas.
Autour de moi, des personnes étaient en larmes, certaines s’agenouillant pour prier, d’autres simplement assises en état de choc.
Le contraste entre le matin paisible à Granville et le chaos dans lequel je me trouvais était saisissant. Le souvenir des adieux chaleureux de ma grand-mère sur le quai semblait appartenir à une autre vie, une vie interrompue brutalement par la réalité de cette tragédie.
Louise, le 22 octobre 1885 en gare de l’Ouest à paris, il est 15h45.


  • Luc Baudot

Carnet de voyage
Septembre 2022, Saint-Pierre-des-Corps.
Une cité, des hôtels, un parking et une gare minuscule au milieu. Du gris, du blanc, du béton, un Don Quichotte rouillé. Un peu la zone quoi. Déprimant !
Trois heures d’attente. J’erre dans la gare, lieu étrange, rempli d’incongruités. Par exemple, le premier quai n’est pas numéroté. Les trains ne s’y arrêtent jamais, se contentant de passer au ralenti ; La voie 1, la plus éloignée de la gare est séparée de la 2 par la voie Z. Z pour « Zone » ? ; Il n’y a pas de voies 3 ni 5 ; La 4, digne d’un départ vers Poudlard, vient s’arrêter en plein quai entre la 2 et la 6. Les trains ne peuvent que repartir d’où ils sont venus.
Sur un des quais, se trouve un coin « détente », rempli de prises et de tables permettant de rester connectés au boulot, aux amis. Des fauteuils, plus confortables, sont réservés aux batteries pleines. La bonne surprise : un distributeur d’histoires courtes. Encore faut-il lever les yeux de l’écran pour le remarquer dans son coin, comme mis au rencart. Je suis curieux, j’essaye les 3 boutons : 1, 3 et 5 mn, et reçois trois histoires sous forme de tickets de caisse ultra-longs. Je remarque que les trois bandes de papier sont de longueur quasi identique, quelle que soit la durée de lecture promise. En tout cas, les récits sont agréables et de bonne qualité littéraire.
Mon train est annoncé voie 4, pourtant la gare n’est ni son terminus, ni son départ. Un mystère de plus. Sur le quai, l’affichage de destination est défectueux, trop lumineux. Je n’arrive pas à discerner le nom des stations. À mes pieds, une infinité de cercles en quinconce sont peints en blanc sur l’enrobé noir, fantômes d’anciennes consignes de distanciation qui n’ont jamais du être respectées. J’imagine chaque voyageur attendant sagement sur son cercle avant de se tasser dans les wagons. Un peu d’humour dans une morosité de brutes !
« Voie 4, éloignez-vous de la bordure du quai. »
Le train avance lentement pour s’arrêter face au heurtoir. La première personne à sortir du wagon traîne deux énormes valises derrière elle, s’arrête dans le sas pour en récupérer une troisième encore plus gigantesque, puis passe une à une ses malles par la porte étroite pour descendre les quelques marches jusqu’au quai. Derrière elle, la file de voyageurs attend patiemment. Son paquetage empilé, notre « sherpa » part à la recherche d’un chariot. Je me sens ridicule avec ma valise minimaliste à la taille calculée pour glisser sous mon précédent siège du Ouigo.
Les autres « arrivants » descendus, une file de « partants » se forme à l’entrée de la voiture. En tête, un homme qui porte à l’épaule deux gigantesques housses-sacs. On dirait des vélos pliants. Il peine à monter dans le wagon puis bloque la file le temps de les coincer dans le casier à bagages. Derrière lui, résignés, les autres voyageurs attendent patiemment. Un éternel recommencement.
J’accède à ma place. Sur la vitre, un autocollant « Laissez-vous rêver » où un petit nuage est prisonnier d’un cercle qui se détache en blanc sur le gris sale du quai, faisant concurrence aux auréoles « distanciatrices ». Perso, je n’ai jamais réussi à rêver sur commande. Encore un conseil qui se veut bénéfique mais qui n’apporte rien de plus que masquer une partie de la vue. En fait de rêve, chacun est dans son monde : casques, portables, PC, films, jeux, SMS, boulot, connectivité. Je fais complètement réac avec mon carnet, mon stylo et mes mots fléchés.
« Voie 4, attention au départ, veuillez vous éloigner de la bordure du quai ».
Le chef de train donne les consignes standards avec en bonus quelques règles d’hygiène. Je dois réserver le meilleur accueil aux hôtesses qui vont passer et déposer mon billet sur la tablette pour vérification. Sans contact SVP. De toute façon, chacun est déjà dans sa bulle, son cercle blanc, presque palpable.
Le train me berce depuis trente minutes. Je me rends aux toilettes et suis assailli en chemin par une nuée de cercles blancs : fléchage des casiers à bagages, messages divers, « O » de TGV inOui. De retour à ma place, le gobelet que tient ma voisine se change lui aussi en cercle blanc autour du café noir. Sur sa tablette, une empreinte mouillée en forme de rond. Dehors, quatre autres ronds blancs, ce sont les bassins d’une station d’épuration. Toutes ces courbes me donnent le tournis. Je tourne mon regard vers la porte vitrée du compartiment décorée de lignes concentriques, comme des rayons dont le centre serait au dessus du wagon. Cela me rappelle l’effet du soleil frappant les vitraux d’une église, vu de l’intérieur. On dirait un appel des cieux, la représentation des lumières que l’on devrait voir en passant de vie à trépas.
« Poitier, 3 minutes d’arrêt »
La gare est encastrée entre deux parkings bétonnés se faisant concurrence autant pour la taille que pour la laideur. Une jeune femme qui conversait depuis St-Pierre d’un chuchotement ininterrompu vient de faire une pause. Nous sommes dans l’intervalle où le compartiment s’est vidé de ceux qui descendent et où ceux qui embarquent sont encore sur le quai. Le silence règne. Mais un murmure peut en cacher un autre et le répit ne dure pas : retour des valises qui s’entrechoquent, des « excusez-moi », des « je crois que vous êtes assis à ma place », des annonces standards, du jingle SNCF, du coup de sifflet, du bruit du fer des roues frottant celui des rails…
Nous traversons une forêt qui n’en finit pas. Ma voisine boit un jus de légume diététique sans sel, agrémenté de deux parts de brioche pur beurre aux pépites de chocolat, peut être pour faire passer le goût du potage, puis retourne illico vers son smoothie verdâtre afin d’éviter l’étouffement. Une femme semble chercher sa place comme on cherche sa voiture sur un parking de centre commercial à la différence qu’elle ne peut pas biper. Finalement, elle repart d’où elle est venue. Je branche mon téléphone sur la prise du siège. Un cercle blanc, spécifiant le pourcentage de charge, apparaît à l’écran comme un rappel « attention, les cercles sont là ! ». Le bar nous informe qu’il est ouvert et sans file d’attente. Je vois des sandwiches en forme de « buns » bien ronds, avec une tranche de tomate et d’oignon de même forme, un steak haché calibré et des confettis de salade. Puis ce sont tous les porteurs de lunettes du compartiment que j’imagine affublés de montures façon « Lennon ». J’ai la soudaine envie de dessiner des cercles plein mon carnet. Help ! Je dois trouver un angle droit de toute urgence !
Le train entre dans un tunnel.
Noir, silence.
Puis le bruit des roues sur les rails revient, accompagné de ce qui ressemble à celui d’un fer à repasser mis en position « vapeur », en plus prononcé.
Mais toujours le noir.
Peu après, une lumière au dehors, un cercle lumineux vers lequel nous avançons. Nous le traversons. Il est suivi par d’autres halos identiques, de plus en plus rapprochés les uns des autres. Je suis tétanisé.
Lumière soudaine.
Par la fenêtre, abasourdi, je vois un paysage verdoyant en contrebas et des panaches de fumée émanant de la voiture de tête. Le train est sur un viaduc incurvé. J’ai déjà vu ces lieux, dans un film je crois. Soudain, cela me revient, j’ai toujours rêvé d’être là. Je voyage dans le « Jacobite Steam Train » et nous sommes sur le « Glenfinnan Viaduc ». Magnifique, je ne pouvais espérer mieux…
« … prochain arrêt, La Rochelle, terminus de ce train. Veuillez vérifier… »
Retour brutal aux PC que l’on ferme, aux chargeurs que l’on range, aux valises que l’on descend des portes bagages, aux passagers debout dans le couloir central, à la porte vitrée qui s’ouvre et se referme sans arrêt jusqu’à ce que quelqu’un la bloque…
Je reprends pied dans la réalité. Je ne suis pas en Écosse, mais bien à La Rochelle, ce qui est déjà super. Même la gare m’apparaît comme un beau bâtiment.


  • Guy Voluisant

La surprise de Betty
Betty commençait à s’assoupir. Déjà de très nombreuses heures qu’elle avait quitté Newcastle. Elle avait même changé deux fois de train, peinant à transporter sa grosse valise. Petite rouquine très éveillée, elle allait sur ses dix-huit ans, et effectuait un de ses premiers voyages seule.
C’est vrai, avec les locomotives à vapeur ça ne va pas très vite, mais en contrepartie il y a du spectacle ! Des panaches de fumée somptueux, des bruits haletants, répétés, comme les ahanements d’un énorme animal qui tirerait tous les wagons.
Malgré cela, et les beautés du spectacle de la contrée – les magnifiques Highlands, les superbes viaducs – elle sentait qu’elle allait bientôt sombrer dans un petit somme. La rame était tranquille. Elle était même seule dans son compartiment.
Mais le train ralentit… il arrivait à Glennstockburn, une petite gare située en rase campagne…
L’énorme machine s’arrêta en poussant un grand soupir, gratifiant les lieux d’un coup de sirène disproportionné.
On entendit au loin le chef de gare crier : ” Glennstockburn, deux minutes d’arrêt ! ”
Des gens montèrent dans le train ici ou là. Et… tout peut arriver… un beau jeune homme vint s’asseoir pile en face d’elle, lui décochant un grand sourire.
Betty hocha la tête en guise de bonjour. Le train redémarra. Du coin de l’oeil elle détailla l’arrivant.
Il avait un port distingué, était bien habillé, son visage était alerte… mais en même temps elle lui trouvait quelque chose d’étrange. Sa tête était arrondie, ses yeux un peu globuleux, sa bouche assez large…
Elle remarqua surtout sa peau, un peu grise, comme tannée. Et… il était grand… très grand…
Il ne tarda pas à lui adresser la parole, lui demandant ce qu’elle faisait là.
Elle expliqua qu’elle partait voir sa grand mère adorée à Inverness, tout au Nord de l’Ecosse, au bout de la ligne. Le jeune homme hocha la tête à son tour.
Je m’appelle Ness, expliqua-t-il.
Moi, c’est Betty, répondit-elle.
Les gares se succédaient aux gares : Fitchgarrett, Steamglad, Leelewynn…
Elle s’aperçut vite que le jeune Ness était très savant, imbattable sur la géographie de la région. Il ébahit Betty par ses connaissances sur les lacs, les lochs, la faune, la flore…. il décrivait tout en
détail… A croire qu’il avait vécu sur place !
Elle pensa qu’il était peut-être chercheur à l’Université de Glasgow…
Mais, en même temps qu’il s’expliquait, Betty remarquait qu’il devenait de plus en plus nerveux… A un moment il la regarda d’un air un peu triste, comme s’il pressentait un au revoir prochain, une séparation.
Elle avait même l’impression qu’il… se transformait ! Sa tête s’arrondissait, son cou grandissait, et ses jambes s’allongeaient encore…
Un peu gêné il lui fit un signe, expliquant qu’il allait prendre l’air dans le couloir… Au bout d’un moment elle eut l’impression qu’il se tenait à quatre pattes !
C’est alors qu’il se passa un événement étrange… très étrange… Le train avait ralenti, longeant maintenant les berges du fameux Loch Ness… Un paysage sauvage, superbe…
Betty entendit soudain la porte du wagon s’ouvrir… et elle aperçut le jeune homme sauter directement dans le Loch ! On entendit un grand ” Splash !”
Elle se précipita à la fenêtre… elle eut juste le temps d’apercevoir dans l’eau une sorte de dinosaure marin… et… elle crut même qu’il lui faisait signe ! Sa tête ressemblait à celle de Ness, son ex passager…
Betty ne savait que penser… Elle resta longtemps à s’interroger…
Soudain elle se réveilla.. dèjà Inverness ! Vite, la valise !… Avait-elle rêvé ? Allez savoir…


  • Jean-Charles Paillet

Encore un départ
les trains n’arrêtent pas

Les quais sont pleins
cohue tentaculaire
œil unique rivé
aux éternelles minutes

Les valises débordent
de tout
et de rien

L’essentiel est dans le voyage


  • Jérôme Bertin

Braquages
Je m’étais toujours juré de venir en Italie. J’avais appris la langue à cet effet. Je rêvais d’une Italie magnifique, des campagnes flamboyantes, des villes mystérieuses…J’avais lu des dizaines d’albums photo, m’extasiant devant les clichés. Mais je voulais découvrir l’épaisseur du pays, sa subtilité. J’avais mis de l’argent de côté pendant pas mal de temps, et je m’étais arrangé pour avoir une période de congé assez longue.
Je suis parti à travers le pays, avec pour point d’accroche des hôtels que j’avais réservés, dans des grandes villes. Je me baladais par mes propres moyens, je voulais sortir des circuits les plus traditionnels. Et je prenais le train. L’occasion de découvrir par la fenêtre de superbes paysages.
Je me suis retrouvé dans un de ces trains issus de passé, train à vapeur hyper-traditionnel. Idéal pour traverser une campagne épanouie.
J’étais seul dans le compartiment, et puis un vieil homme est arrivé, et il s’est assis face à moi. Un casque de cheveux blancs, un visage buriné, un corps que l’on devinait sec mais musclé sous ses vêtements. Je ne cherchais pas spécialement à engager la conversation. C’est lui qui m’a parlé en premier.
— Vous visitez le pays ?
— Vous avez deviné que je suis étranger, j’ai répondu dans un Italien sans doute moins bon que le sien, mais j’étais surpris de pouvoir me débrouiller, depuis mon arrivée.
— Je sais être observateur, il m’a répondu. Et son regard m’a dit clairement que c’était bien le cas. J’y ai lu une lucidité déconcertante. Un homme qui avait beaucoup vu, beaucoup vécu…A l’observer, je me rendais compte qu’il y avait quelque chose d’impressionnant chez lui. Une stature, une envergure…
— Notre pays vous plaît ?
— Je pensais que sa beauté me bouleverserait. Je me rends compte que c’est bien le cas. Ces paysages que l’on traverse…Ces villes que je parcours en cherchant à me rendre dans des coins peu fréquentés…Il y a toute une histoire, tout un passé derrière…
— Vous ne croyez pas si bien dire. Vous voyez, je suis un homme âgé, et je suis intiment lié à ce pays…J’ai 79 ans…Vous ne l’imagineriez sans doute pas. J’ai été impliqué dans l’histoire du banditisme de ce pays.
Je l’ai regardé en se demandant s’il se moquait de moi. Il avait pourtant l’air sérieux. Se confesser ainsi à un étranger…Mais il était vrai que, quand on va avouer des choses, on le fait souvent à un inconnu. Et puis que risquait-il? A son âge…
— Je n’ai jamais fait partie d’aucun gang, et il y a pas mal d’activités auxquelles je n’aurais jamais touché. Moi ce que j’aimais, c’était voler de l’argent, sans haine, sans armes et sans violence, comme a dit un braqueur de chez vous, Albert Spaggiari. Faire fonctionner mon intelligence. Monter un plan pendant des mois et le voir réussir. Ca c’est bien. J’ai vidé les coffres d’une banque en passant par les égouts, ou l’immeuble d’à côté…Mais mon plus beau coup, ça a été dans les années soixante-dix. J’ai braqué plusieurs trains avec une équipe. Tout était parfaitement organisé. Les transports d’argent par train ça n’existe plus aujourd’hui. Un wagon protégé, mais on est arrivé à pénétrer à l’intérieur. Des complices attendaient à un endroit précis. On leur a jeté l’argent. Et on a recommencé deux fois parce que justement personne ne pensait qu’on le ferait.
Je le regardais, totalement fasciné. Je comprenais bien que ce qu’il me disait était vrai.
— Avec tout cet argent, je me suis retiré des affaires, et je vis depuis trente ans paisiblement à la campagne dans un grand domaine agricole. Je fais du bio.
— Ca doit vous rappeler des souvenirs, de prendre ce train, je lui ai dit, bien conscient qu’on avait une discussion totalement décalée.
— Et de bons souvenirs…J’aimais maîtriser les choses totalement.
— Vous rentrez chez vous ?
— Je vais me rendre à la police. Les carabiniers m’attendent à Milan. C’est bien notre destination, n’est-ce pas ?
— Tout à fait.
— Ca doit vous surprendre, non? Vous voyez, au fil du temps, il y a quelque chose qui s’est manifesté en moi. Ca s’appelle la conscience. Je me suis rendu compte que ce que j’avais pu faire n’était pas bien…Ca m’a pris il y a quelques années…Et c’est l’an dernier que j’ai décidé d’aller me livrer. Je laisse derrière moi un domaine en parfait état de fonctionnement à ma famille. Je sais que je passerai les dernières années de ma vie en prison, qu’il y aura un procès avant, que je serai sali, accusé de tout. J’ai découvert que j’avais une conscience, et que je ne pouvais pas lui échapper.
Le silence s’est installé entre nous. A son âge, curieux choix que de venir se livrer, lié à un sursaut de culpabilité.
Je croyais absolument ce qu’il me disait. Pourtant, je le trouvais sympathique. Il y avait quelque chose dans son allure, dans son attitude, dans sa décision, qui attirait le respect. J’avais rencontré pas mal de personnes hautes en couleur en Italie. C’en était une de plus. Paradoxalement.
Le train est enfin arrivé. Sur le quai, il y avait effectivement des carabiniers.
Il a avancé vers eux, posément, avant de vaciller et de tomber sur le sol.
Je descendais du train, je me suis précipité sur lui, comme d’autres. Un homme a crié ‘Je suis médecin !’ et s’est penché sur lui. Je ne l’étais pas, mais j’ai bien compris qu’il était mort.
La seule justice à laquelle il aurait droit serait une justice divine.


  • Estelle During

Le grand voyage
Comme tous les jours, Roger quitta son travail à quinze heures et s’arrêta au café du tilleul. Là, il retrouva les gars du cru qui campaient devant des verres assumés d’une piquette antidépressive. Ils refaisaient le monde et vociféraient contre un patronat esclavagiste. Mais en ce bel après-midi d’été, la conversation évolua rapidement autour d’un sujet exaltant : –‒ Qu’est-ce tu f’rais toi si t’avais de l’argent ? lança subitement Louis à Joseph. –‒ Ben, j’achèterais une auto, un poste de radio et une nouvelle robe à ma femme pour qu’elle soit moins moche ! Tous se mirent à rire et Paulo en fit tomber le mégot collé à sa lèvre. Alors Joseph posa la même question à Roger qui répliqua d’une verve assurée : –‒ Moi, j’irais à la mer et je nagerais dedans. Je courrais sur le sable, je m’allongerais dessus et je regarderais passer les belles baigneuses ! –‒ Ouais, toi tu pourrais, t’es vieux garçon ! rétorqua Georges. Mais moi, ma bourgeoise me foutrait une taloche si j’regardais des filles en maillots de bain ! Et ils repartirent de plus belles en rires et en rasades. Mais Roger tus qu’il avait épargné de l’argent depuis plusieurs années, petit à petit, tel un écureuil accumule ses noisettes. Il voulait réaliser son rêve lui ! Samedi arriva enfin. Roger partit pour la gare de Belfort et acheta un billet aller-retour Belfort-Sète. Le train s’immobilisa sur le quai dans un crissement assourdissant. Il monta et s’installa sur une banquette inconfortable. Puis, le train commença à glisser et Roger contempla le paysage qui défilait de plus en plus vite. Quelle aventure merveilleuse : c’était ça la vie ! Au bout d’une cinquantaine de kilomètres, il aperçut au loin un haut et majestueux viaduc arquant vers la gauche et surplombant une rivière scintillante. Il prenait conscience qu’il était privilégié de pouvoir admirer un tel panorama. Aurait-il le vertige en regardant en bas ? Les roues sur les rails chanteraient-elles une autre ritournelle en passant sur l’ouvrage étroit ? Le train allait bientôt franchir l’édifice. Il apercevait la locomotive aborder le virage et s’engager sur le viaduc. Un bruit sourd et métallique accompagna la progression. Une secousse inattendue l’effraya. Son regard plongea dans l’abîme vertigineux. Il eut l’impression que son corps vacillait, happé dans un étourdissement inconnu ! « Quel vertige ! » constata-t-il. Puis soudain, il fut plongé dans le noir. « Et maintenant, un tunnel ! » s’exclama-t-il. Au sortir de celui-ci, une vive clarté l’aveugla, laissant rapidement place à une belle lumière solaire. Sa vue se réadapta et il passa le reste du voyage à admirer les paysages. Tant de ravissements l’enchantaient. La gare de Sète fut annoncée. Il allait enfin découvrir la grande bleue ! Il descendit les deux hautes marches du wagon, élégamment, presque en planant. Il était aux anges ! Il saluait d’une brève inclinaison de la tête toutes les personnes sur le quai tant il était heureux. Au sortir de la gare, il se dirigea instinctivement vers la mer. Il avait l’intuition qu’elle se trouvait au bout de la route. Tous les autochtones avaient droit à son sourire angélique. Et il la vit enfin, turquoise, calme, démesurée ! De suaves fragrances l’accompagnèrent jusqu’à la plage. Arrivé sur le sable, il scruta l’horizon, là où la mer épouse le ciel ! Quel paysage extraordinaire ! Il se déchaussa et fut surprit par la tiédeur du sable. Il se dévêtit et pénétra dans l’eau jusqu’à la taille. Il n’aspira pas à aller plus loin car il ne savait pas nager. Après une bonne demi-heure à patauger, il remonta, se coucha sur la plage et saisit quelques poignées de poudre dorée dans ses mains mouillées. Les grains de sable cotonneux caressaient ses paumes. Le clapotis des vaguelettes enchantaient ses oreilles. Soudain, il cru apercevoir au loin une silhouette éthérée qui ressemblait à celle de son défunt père. « Mais non, ce ne peut être lui ! » raisonna-t-il. Et il repartit de plus belle dans la grande bleue. Après trois bonnes heures à patauger, à contempler, à dorer au soleil, il ne tarda pas à plonger dans un divin sommeil. Il fut réveillé au petit matin par les cris stridents de mouettes affamées. Reposé, il s’étira et se rhabilla après avoir tenté d’éliminer les grains de sable collés sur sa peau. Il se sentait fier de l’économie du prix d’une nuit d’auberge qu’il avait réalisée grâce à ce sommeil involontaire. Curieusement, il n’avait pas faim et l’âcre goût du café ne lui manquait pas. En fin de matinée, il reprit tristement le train en direction de Belfort. Sa place dans le wagon lui offrait la vue sur une petite partie du joyau azuré qui s’amenuisa après le départ du train puis disparu définitivement. Le défilé de garrigues, de montagnes, de champs, de forêts, de villages l’occupa durant quelques heures. Puis il ferma les yeux un instant avant de s’assoupir. À son réveil, le contrôleur passa à côté de lui sans lui demander son billet. Il supposa qu’il ne l’avait pas remarqué car il était encore tout avachi de cette sieste inattendue et providentielle. Arrivé à Belfort, il prit le chemin du village. Il rentra chez lui, enchanté, ravi. Comme il était tard, il ne prit pas le temps de passer à la salle de bain et s’écroula sur son lit. Au petit matin, il ne dérogea pas au rituel du lever automatique, mais les souvenirs de son escapade emplissaient son esprit. Il était heureux ! Même le café, d’habitude si âpre, semblait être touché par la grâce car il dégageait un riche bouquet floral. Le lendemain, lorsqu’il arriva à l’usine, il demanda à Henri s’il avait passé un bon dimanche. Celui-ci ne répondit pas. « Ces machines infernales ont fini par le rendre sourd ! » pensa-t-il. Alors il avança, timbra puis débuta sa besogne dans un vacarme assourdissant, l’empêchant de parler à qui que ce soit. L’heure de la sortie arriva et il se rendit au café du tilleul. Lorsqu’il entra, les invétérés buveurs levèrent leurs verres en criant « À la tienne Roger ! » avant d’engloutir leurs contenus. –‒ C’est drôlement chouette de trinquer à ma santé, mais mon anniversaire c’est la semaine prochaine ! affirma-t-il. –‒ À notre pote de galère ! –‒ Ah chienne de vie ! –‒ Trimer toute sa vie pour en arriver là ! –‒ Si c’est pas malheureux ! s’exclama Joseph. –‒ Oh j’aurai 60 ans ; c’est déjà bien d’y arriver non ? intervint Roger . Le Jean-Pierre est parti à 51 ans lui ! Et le Marcel, il a pas fait long feu après son thyphus ! –‒ Les voies du Seigneur sont impénétrables ! soupira Joseph. –‒ Pour sûr ! reprit Roger. Mais vous avez l’alcool trop triste aujourd’hui ! Je rentre chez moi. Je vous paierai un coup la semaine prochaine. Salut à tous. Roger, quitta les lieux sans même prendre un verre et rentra chez lui. Il dégagea hâtivement le journal qui dépassait de sa boîte aux lettres et pénétra dans sa maison. Il se servit trois verres de vin qu’il engloutit l’un derrière l’autre. Il avait l’impression d’être enveloppé d’un cocon invisible, tissé par le fil de ses émotions qui devenaient indéfinissables : tantôt imperceptibles, tantôt exacerbées. Probablement la conséquence de ces trois verres de vins bus cul sec, supposa-t-il. Il décida alors d’aller dormir et passa auparavant par la salle de bain. Il ouvrit le robinet, plongea ses mains sous l’eau et fixa le miroir. Il ne sentait pas l’eau froide ruisseler sur ses mains. Le bel accessoire au tain moucheté ne lui renvoyait pas son reflet. L’alcool avait-il endolori ses sens à ce point ? Subitement, un visage apparut face à lui : c’était celui de son père, pâle, fantomatique. Le sol se déroba sous ses pieds. Il se lamenta : « Je délire ! C’est l’alcool !». Cependant le reflet du miroir s’exprima d’une voix caverneuse : « Bienvenue Roger ! ». Terrorisé, Roger recula et butta contre la table de la cuisine. Il se retourna, bascula en avant, prit appui sur la table, les mains de chaque côté du journal qui titrait : « Le Mulhouse-Sète déraille et plonge dans le Doubs. On dénombre 39 morts ! ».


  • Flavien Liger

De toute part du brouillard, le temps grisâtre de ma terre patrie recouvre tout à des kilomètres à la ronde. Cela fait des jours, ou des mois, je ne sais plus depuis quand le soleil n’est pas venu réchauffer nos visages et nos cœurs. Mais c’est une sorte de mélancolie habituelle qui m’habite face à ce paysage que j’ai appris à aimer. Au départ, il était difficile d’apprécier cette ville, ses habitants mornes et l’air irrespirable. Aujourd’hui, je suis devenu l’un d’entre eux qu’avant je méprisais. Sur le quai des centaines de personnes, des pleurs, des câlins, puis des grands mouvements de main. Lorsqu’il sonne le départ, une vapeur blanche fait disparaître nos proches nous laissant seuls sur notre siège, emplis de penser. La sensation est vive quand on se me mets à bouger, le paysage se met à défiler, lentement puis de plus en plus rapidement. Une boule remonte de mon ventre à ma gorge qui me serre si fort, je dois me racler la gorge à en pleurer pour essayer de la soulager, sans un grand succès.
Sous mes yeux des teintes de gris défiles, je reconnais les vieilles bâtisses noircies par la suie de cette ville que j’ai parcourus des milliers de fois. Puis de plus en plus le paysage devient reconnaissable, jusqu’au moment ou le brouillard se dissipe et comme une bouffée d’air, je me mets à nouveau à respirer. Dans mes yeux un paysage que je n’ai encore jamais vu, il y a un sentiment d’explorateur qui découvre de nouvelles contrées. Au loin la mer de nuages que l’on vient de quitter, tout autour des prairies vertes remplies d’arbres sauvages à perte de vue. Puis soudain on prend de la hauteur sur un pont et c’est à ce moment que le soleil se décide à percer les derniers nuages. Sous mes yeux, il inonde de son éclat le paysage, transformant la végétation en un jaune doré. Un frisson me parcourt et vient me hérisser les poils. Ma peur qui m’a habité ces derniers jours est toujours présente, mais je me sens libéré d’un poids, une épiphanie, une révélation que mon choix était le bon. Le train tire la sonnette comme pour nous indiquer que nous sommes sortis de notre routine et nous y voici, dans la nouveauté.


  • Athénaïs Grave

La désillusion de la cheminée
À six ans, j’ai arrêté de croire que le Père Noël viendrait par la cheminée. À onze ans, j’ai arrêté de croire que des lettres un jour en sortiraient, qu’un train roulant sur une voie invisible m’emporterait vers un monde merveilleux. J’ai compris que dans la cheminée, je ne trouverai que cendres et suie.
À dix-huit ans, j’ai embarqué dans un train, bien réel. J’attendais de sa destination monts et merveilles. Mais le monde n’est pas plus magique d’une gare à l’autre. Et dans le train-train quotidien, on oublie, on perd, on égare ses rêves d’enfants. J’ai enterré les dragons, les mages, les elfes et les sorts de translocations. J’ai arrêté de peindre le ciel en arc-en-ciel et lui ai rendu son bleu habituel. J’ai rangé mon fougueux orage et me suis installée dans un brouillard confortable. Bien sage. Pas d’excentricité. On rentre bien dans les cases. On respecte son rôle à jouer.
Et je suis montée dans des dizaines trains, allant toujours là où on m’attendait. Parfois, à l’occasion d’une lourdeur de paupières, je m’évadais encore, involontairement, un court instant, dans mon ancien univers. Mais la réalité a tôt fait de nous rattraper, et ce genre d’égarement, ne dure jamais bien longtemps.
Un jour d’orage, coincée dans un train à l’arrêt suite aux intempéries, j’ai cru apercevoir un lapin blanc, probablement le fruit de mon imagination. Je fermais les yeux, attendant le départ du wagon. Je ne les ai rouverts que bien plus tard en sentant le train se remettre en marche. C’est à ce moment que je l’ai revu. Le lapin blanc. Il bondissait dans la plaine derrière les arcs-en-ciel. Alors j’ai eu le déclic. J’avais à portée de main la solution pour voyager dans et entre ces mondes de mon imaginaire. J’ai sorti mon ordinateur et j’ai laissé mes doigts courir à l’aventure sur le clavier. Et je savais exactement par où commencer mon exploration :
« À travers ma cheminée, j’ai voyagé au pays des arcs-en-ciel ».


  • Siv Heigberg

Remonter le temps, avant de se perdre dans les hauteurs.
Je revenais à peine de me réveiller que je me revoyais dans les paysages de mon enfance, terre où l’eau chante, la verdure se répand, le vent réchauffe les cœurs. Me relevant à peine de ma couchette, je pouvais distinguer la fenêtre vers mes souvenirs d’enfance. Je n’avais pas fermé les rideaux avant de m’endormir. Le cliquetis des roues métalliques contre les interstices rouillés séparant deux rails me berçait le temps de vraiment éveiller mon esprit. Je me tournais vers mon aimée qui dormait encore. Le train de nuit encore très peu apprécié nous apportait l’occasion de nous mouvoir en gardant notre intimité intacte. Je la regardais un peu avant de me laisser absorber par le paysage mouvant. La rivière baillait autant que moi. Je voyais alors la brume se répandre sur les flancs des montagnes, l’air humidifié par la fière Durance serpentant entre les contreforts des Alpes. Bientôt il faudrait descendre et marché sur le béton de la gare de Briançon puis monter sur le goudron des routes nous menant enfin vers les immensités montagneuses et se retrouver au-dessus du ciel.
Pour l’instant, je me roulais encore dans le sac de couchage prêté. Douce étoffe de tissu rembourré évitant de mettre du chauffage couteux en ressources. Je froissais les plis que j’avais fait en dormant. A plat ventre ma tête arrivait au milieu gauche de l’ouverture protégé par le double vitrage. J’essayais de me fondre dans le balancement de la voiture pour moi aussi m’élever avec elle vers le terminus. Voyage à travers des paysages que même les anciennes mines d’argent avaient épargné. Travail pénible, difficile et mortel mais qui avait eu la bonne idée de respecter le paysage en creusant des tunnels invisibles de l’extérieur. Seule à ce moment, j’étais ce long serpent qui forçait pour se frayer un chemin sur la corniche des falaises, au-dessus de ce torrent furieux devenu rivière, au travers des ces monts qui dépassait de loin l’imagination des humains. Un convertisseur pour seul cœur, mes poils étaient devenus électriques sous les frissons qui me parcouraient. Sentiment d’être moi aussi par les lignes à haute tension qui avait enfin permis de s’échapper de la pollution carbonée du diesel et facilité l’apprivoisement en énergie de cette vallée abandonnée.
Le soleil transperçait à peine les derniers nuages repoussés par la tramontane. Vent du Nord froid mais synonyme de beaux-jours en cette période automnale. Au bas des pentes ardues s’épanouissaient des grands mélèzes encore verts alors que le reste de la flore s’était parée de ses couleurs plus vives, synonyme de la perte de leurs feuille imminente. Soudainement je reconnus la montée d’Embrun. Nous nous éloignâmes du creux du lit aqueux pour monter la colline où le bourg était perché. Lente ascension ponctuée d’un pont aux multiples arceaux permettant de ne pas épuiser la locomotive. Je refermais les yeux et me laissais emportée par la sensation d’élévation. A mi-chemin, je dépassais déjà les nuages, prête à attraper le soleil. Ses rayons parvenaient à percer mes paupières laissant apparaitre des tâches rouges, violacées ou bleues selon l’angle que l’astre faisait avec le véhicule ferroviaire. Je me sentais partir encore plus haut quand le cortège dépassa la fin du viaduc et retoucha terre m’empêchant de toucher vraiment l’étoile de notre système. Je ne voulais pas encore retourner à la vision de la réalité et m’imaginer encore un peu dans ses mélanges de fiction et de mémoire qui me revenaient subitement.
Une peau douce me poussa à me tourner vers elle et à rétrécir mon iris plongée dans le noir jusque-là. Quelques larmes de joie me saisirent en observant le sourire fatigué qui se profilait devant moi. Je répondais à la caresse qui m’avait éveillé une nouvelle fois par des tendres embrassades. Toujours en pleine rêveries, je ne voyais pas que l’on s’affairait dans les sacs de randonnées qui nous accompagnaient pour trouver de quoi passer un dernier repas confortablement assis dans un endroit assez chaud et synthétique avant la grande aventure. Toujours enroulée dans les couvertures, j’installais ce que l’on me donnait. Je mangeais mes grappes de raisin laissant dérouler le paysage suranné sous mes yeux. La vitre était bien mieux que tous les écrans citadins qui s’affichaient avec des couleurs trop vives pour être réels. Nous mangions dans le silence du voyage. Ecoutant le moindre bruit de la machine. Les vibrations, les claquements, les roulis… Puis nous nous attardâmes sur le vent qui se frottait contre la fenêtre. On imitait ses caresses contre le verre, tendresse qui me frôlait l’épiderme de mon bras droit. Je restais sans voix.
Prenant mon temps avant d’ingurgiter mon petit déjeuner, j’enlevais la fine peau des fruits, habitude ou jeu que j’avais gardé, puis croquer dans la sphère devenue molle. Je prenais alors le temps de séparer les graines de la chair, usant de petits coups de langue. Enfin, le comestible avalé, je recrachais en visant le sac de lin, poubelle improvisée, en les lançant un par un telle une mitraillette. Alors que j’avais fini ce rituel je sentis quelque chose contre ma dent et en croquant, je sentis une vague d’amertume se répandre sur le palais. J’en avais oublié un. Ce tsunami m’emporta bien plus loin que ce que je l’imaginais. J’étais de nouveau enfant, le dur soleil de l’été plaquait toute forme vivante avec la volonté de la brûler le plus vite possible. Les végétaux s’étaient adaptés en profitant les uns des autres pour se protéger. Je ne voulais pas le croire mais ce souvenir était pile le moment où j’avais rencontré celle qui me tenais encore la main. Bien que ma vision soit perdue dans le passé, je sentais ses doigts enlacés dans les miens. Je revivais le moment quand je sentis une pression me tirer de mes pensées.
Inquiète par mon manque de réaction, je vis les yeux bleus qui me faisait fondre au-dessus de moi. Je m’étais évanoui sur ses genoux. Elle m’avait remise délicatement sur le lit et je me retrouvais belle au bois dormant. Contrairement au conte s’étaient ses larmes et ses caresses sur mes joues qui avaient brisées le sort. J’essayais de lui montrer que j’allais bien mais me redressant trop vite, je vis des papillons danser devant moi. Les traumatismes de mon enfance remontaient à la surface de cette eau stagnante qui m’avais fait croire qu’ils étaient bels et bien enterrés. Malgré mon suivi psychologique et l’arrêt des cauchemars, ils n’étaient pas encore derrière moi. Nous voulions revenir ici pour les affronter dans les conditions hivernales les monts qui s’étaient parés de nuages pour notre arrivée.
On me tendit un peu de viande séché. Résultats de nos chasses de ces derniers mois. En total autonomie, il fallait se réhabituer à écouter son instinct et manger de la viande. Petite, on m’avait enlevé les 3 canines définitives, la dernière n’ayant jamais existé. Mes prémolaires avaient été taillées mais restaient moins efficaces que des naturelles. Le gout était bizarre, je ne m’étais tant déshabituée que cela me paraissait très étrange. Nous essayions de ne prendre que ce dont nous avions besoin sans outrepasser nos besoins. Le goût étrange nous coupait rapidement la faim. Nous attendîmes l’arrêt complet du train avant de se lever. Les lourds sacs sur le dos, une pancarte à la main, il nous restait plus qu’à gravir les sommets et s’enlever du brouillard du passé qui me gelait au fin fond de cette vallée que je connaissais par cœur.


  • Delphine Fontaine

Partir
Elle aurait pu, elle aurait pu se laisser envahir, se laisser envoûter par cette fumée vacillante, cette fumée ondulante, la course des nuages, et tout ce moutonnement, cette cavalcade, cet entraînement de chimères. Elle était là, devant ce tableau, devant cette photo de train fumant, circulant sur un pont, sous la course des nuages. Et ça lui donnait envie de voyager, de partir, de tout quitter. Est-ce que réellement ça existait, ça ? Est-ce que réellement on partait, on se départait de tout, on tirait un trait dessus ?
D’un seul coup, Delphine regarda par dessus son épaule.
Il était parti.
Il était parti discuter avec l’artiste.
Alors ni une ni deux, elle délaissa son sac, courut vers la porte, bouscula une vieille dame, tendit le pouce, monta, changea de voiture, dit je vais où vous allez. Il y en a bien qui trouvèrent ça bizarre, mais bon, ils la chargèrent quand même. Delphine arriva en haut de la France, se nicha dans une entrée de maison abandonnée, observa le passage, à ras du sol. Les jambes qui cavalaient, en collants, en pantalon, nues, poilues, lisses, les museaux de chiens, les petits hommes, petites femmes – les enfants – .
Le ventre gargouillant, elle fouilla dans les poubelles, testa. La vie sans argent, la vie sans abri, la vie avec ses pieds pour se déplacer. Elle imaginait. Elle imaginait Hervé pleurer, entendre son téléphone à elle sonner si près de lui, là-bas, dans cette galerie, découvrir son sac à main, se demander où elle était encore.
Car c’est pas la première fois qu’elle fuguait. Fuguait … comme si elle était sa fille.
Non.
Ils étaient en couple, mais la redondance, ça lui plaisait pas.
Elle aimait errer, aller où la portait son instinct, suivre son envie, fuir les convenances, les horaires, les journées sans surprise.
Là, maintenant, elle avait envie de descendre dans le sud. Collioure, les murailles, l’eau transparente, l’ambiance, le temps suspendu. Et puis ce serait Strasbourg, la cathédrale, la Kammerzell ; le plateau d’Assy, Cap Creus, tous ces endroits qui avaient laissé un tel souvenir à sa tête. Tous ces endroits indemnes depuis si longtemps, ces lieux que tant de générations avaient foulé. C’est ça qui lui plaisait. Ce qui avait traversé le temps. Elle ressentait les ambiances, les drames, les temps pas si cléments qui avaient fait s’ériger ces hautes tours, la sérénité d’un lac émeraude. Delphine était une éponge. Oui c’est pas bien beau comme mot mais c’est ça qui lui plaisait. Laisser ouvertes ses écoutilles en pleine rue, humer, être figée, parmi la tourmente, la vitesse, les gens pressés, les obligeant à la contourner, à souffler, à soupirer, à la bousculer peut-être.
Delphine pleura. Elle se demanda si elle était faite pour ce monde ou un autre. Elle ne sut que répondre, sécha ses larmes, elles n’y changeraient rien, et vit dans ses yeux se dessiner les vagues ourlantes, déferlantes, attachantes, appelantes. L’océan. N’importe où mais maintenant. La nuit était avancée, elle heurta le pavé, les gens se clairsemaient, elle dormirait où ? A l’abri, sur un banc, dans un parc. Sous le banc. Chercher des cartons, s’enrober, écouter bruisser le feuillage, et puis se réveiller à l’aube, la truffe froide, les cheveux en bataille, se lever rouillée, s’étirer un peu, quémander un croissant, l’odeur du beurre à plein nez qui fait fermer les yeux, lever le pouce.
La plage. La plage déserte. Enfin. Le sable, le vent, le picotement, l’abri, se mettre à l’abri, écouter les vagues, le fracas, le remous, sentir la vase, le sel, l’iode, c’est ça, c’est ça que recherchait Delphine. L’exaltation de tous les sens, sortir de soi, de la ville, retrouver les odeurs, la nature, ne pas penser au lendemain, se laisser voguer, transporter, même si le ventre gargouillait, même si elle avait froid, un peu, beaucoup.
Mademoiselle ?
Quelqu’un la secoue.
Mademoiselle ? Vous avez les lèvres toutes bleues.
Elle ouvre la bouche, elle sent qu’elle ouvre la bouche, mais aucun son ne sort.
Mademoiselle, vous venez d’où ?
Elle lève les épaules, écarte une aile, dirige son index transi vers sa poche. L’homme extrait un papier plié en quatre, le déplie, pianote sur son téléphone.
Hervé ? Vous pouvez venir ? Je suis avec quelqu’un qui m’a fait signe de vous appeler. Dunkerque. Oui, je suis à Dunkerque. Où ça ? C’est loin. Je l’emmène chez moi ?
Et puis le noir.
Et puis les bras d’Hervé, l’odeur du chocolat chaud, la chaleur, la couverture qui gratte sous le nez, les épaules d’Hervé qui se soulèvent de dépit, les lèvres de Delphine qui sourient, qui craquellent, qui font mal, mais tant pis, elle y peut rien si elle a le goût du voyage.

  • Jean-Marie Gandois

La petite odyssée vaudoise
« Ouf ! Enfin ! Vous voyez le panneau, là-bas au loin, les filles ?
— Où ça ? Ah ! Oui, je le vois. Enfin, nous voici revenus à la civilisation ! Répondit-elle ironiquement. T’en penses quoi, Chloé ?
— J’ai faim, répondit Chloé, et puis je suis fatiguée. Je n’pensais pas que la route était si longue entre La Sarraz et Cossonay ! Si seulement j’n’avais pas oublié mon téléphone portable à la maison, ce matin !
— Désolé, ma fille. Mais s’il n’y avait pas eu cette congère de malheur… »
Cela faisait bien 45 minutes que Gérard, Charline et leur fille Chloé marchaient le long de la « route d’Eclépens » en direction de Cossonay. La tempête de neige avait tout recouvert en quelques heures, on ne voyait plus où était la chaussée. Juste à la sortie du village d’Eclépens, au détour d’un virage, le vent avait formé une énorme congère qui avait caché la direction de la chaussée. Coup de frein brutal, dérapage, et la voiture s’était précipitée tout droit dans cette congère qui cachait un profond fossé. Impossible de s’en sortir. Le crépuscule hivernal s’avançait et l’ombre impressionnante du Jura enveloppait le plateau. Gérard avait convié sa petite famille à prendre la route à pied. Bah, il n’y avait que quelques kilomètres jusqu’à l’entrée de Cossonay où ils résidaient. Et puis, avec un peu de chance, peut-être croiseraient-ils un automobiliste.
« Et le gâteau de Grand-Mère, Maman, tu l’as pris ?
— Evidemment, répondit Charline à sa fille, et les röstis aussi. Personne ne les cuisine aussi bien que ta grand-mère. Je n’allais tout de même pas laisser tout ça dans la voiture – quoiqu’ils auraient été au frais. J’ai tout mis dans mon sac à dos.
— Mais j’ai faim ! Et j’ai froid ! Je suis épuisée.
— Tu ne peux pas attendre un peu, non ? On est bientôt arrivé, tu vois bien. Dix, quinze minutes. Et puis, je t’avais bien dit de prendre ta doudoune… Tu ne m’écoutes jamais !
— Hé ! Maman, je te signale que normalement on devrait être en voiture, tranquille, bien assis, au chaud, à l’abri du vent et des frimas, à regarder le paysage… Pas à se promener par moins cinq degrés sur des kilomètres ! Et puis, Papa, quelle idée de passer par cette minuscule route au lieu de prendre la route directe qui est bien plus jolie !
Le ton commençait à monter entre Chloé et ses parents. Son petit visage d’ange et l’insolence de ses seize ans tendaient à agacer Charline. Gérard, lui, faisait celui qui n’entend pas. Faut dire qu’il n’était pas très fier. Cet accident stupide lui rongeait l’esprit. Le train avant de la voiture devait avoir été faussé. Quant aux réparations… Encore heureux qu’il y ait eu ce fossé profond car, sinon, c’était la bascule dans la pente plongeant vers la vallée de Penthalaz. « Va falloir un tracteur ou un treuil pour la sortir de là, j’vois pas autrement». Il en était là de ses réflexions lorsque la petite troupe entendit un bruit de moteur encore lointain et étouffé par la neige. Gérard tendit l’oreille.
— Ecoutez, les filles… Vous entendez ? On dirait un camion… Non. Une v…
— Ouais, Papa ! On est sauvé, cria Chloé.
— Oui. Enfin, « Sauvé », « sauvé » ! Y a pas mort d’homme, quand même ! Répondit son père. On dirait… un tracteur plutôt.
— Tiens, le voilà ! S’exclama Charline apercevant le rouge vif du capot se détacher au loin sur le blanc immaculé. Mais… Ce ne serait pas, par hasard… On dirait… le tracteur des Sandoz ?
— Les Sandoz ? répéta Gérard.
— Oui, tu sais bien, la grande ferme, juste à la sortie de Cossonay, vers Aubonne…
— Ah ! Oui. Tu veux dire le jeune, là… Fit-il en grimaçant.
— Exactement. Tu vois qui je veux dire, répondit Charline avec un rictus complice. On l’a rencontré l’autre jour à la Migros.
Il faut dire que Denis, le fils Sandoz, tournait autour de Chloé depuis plusieurs mois déjà et cela ne plaisait pas du tout aux parents de Chloé. « Un paysan, non, tout de même ». Ils avaient déjà échafaudé un autre genre de relations pour leur fille : « Et puis quand elle sera à la fac… » Ce qu’ils ne savaient pas, c’était que Chloé était follement amoureuse de ce jeune homme de dix-neuf ans beau comme un Dieu, et que, depuis déjà deux mois leur relation s’était concrétisée à l’insu de leurs parents respectifs.
« Hé ! Maman, Papa ! C’est Denis. »
Chloé sautillait de joie sur la route en faisant de grands gestes. Gérard et Charline, eux, ne pipaient mot. Ils regardaient sans bouger l’engin s’approcher lentement. On voyait bien sur leur visage que ce n’était pas vraiment le « sauveur » le plus désiré et qui, maintenant, était tout proche.
« Bonjour M’sieur. M’dame Sanier ! Je suis Denis Sandoz, un ami de Chloé. On s’est vu à la Migros, y a pas longtemps. Un problème, on dirait ? Incroyable, cette neige ! J’ai déjà sorti trois voitures des ornières sur la chaussée près de La Sarraz ! Par endroits on ne sait plus où est la route. Heureusement que je la connais par cœur. »
Faisant fi de l’opinion que ses parents pouvaient avoir sur elle, Chloé s’était blottie contre Denis. Celui-ci ôta prestement sa veste de peau de mouton et recouvrit les épaules de Chloé en y ajoutant un tendre baiser sur le front. Charline, dont le cœur n’était pas insensible à un peu de romantisme, esquissa un imperceptible sourire. Gérard étouffa un moment ses idées préconçues et décida de se présenter.
« Heuu… Bonjour ! Voilà… On s’est planté dans un fossé juste à la sortie d’Eclépens. Une congère… Pas vu la route… Presqu’une heure qu’on marche dans la neige, et…
— Ne vous inquiétez pas M’sieur. Je vous ramène chez vous, c’est tout près. Regardez, on aperçoit le haut du clocher du temple qui dépasse. On verra ensuite pour votre voiture. Va falloir se serrer un peu dans le tracteur, mais bon… »
Tous grimpèrent avec quelques contorsions dans la cabine du tracteur. Chloé était ravie. Fini les pieds gelés (« Je t’avais dit de mettre tes bottes… Pas ces petits escarpins… Gna-gna-gna »). Elle s’était installée carrément sur les genoux de Denis, et ses parents sur l’unique siège « passager ». Gérard, curieux de nature, était fasciné par le confort de ce tracteur. La cabine était chauffée et une multitude de cadrans lumineux faisait ressembler l’engin à un avion. Chloé, elle, ronronnait comme une chatte. Elle voyait bien que ses parents commençaient à adoucir leur point de vue sur ce jeune « paysan ». Lequel paysan avait décroché pas mal de diplômes à l’Ecole polytechnique de Zurich, en Agriculture et Environnement. Et puis, ne les avait-il pas sauvés ? Il tardait tant à Chloé de s’isoler un peu avec Denis pour le couvrir de baisers. La nuit était tombée et les six phares du tracteur projetaient leur puissant faisceau à des centaines de mètres sur le manteau neigeux créant un aspect fantomatique à la campagne vaudoise. Puis ce fut la descente sur la ville.
« Hé bien, vous voilà arrivés, dit Denis dans un chuintement dû au freinage de l’engin.
— Merci Denis, dirent ensemble Gérard et Charline. C’est vraiment gentil.
— Oh, de rien. Vous faites pas d’souci. Je m’occuperai d’votre voiture demain matin, ça ira ? »
D’un bond, Denis sauta à terre, entraînant Chloé puis contourna le tracteur pour venir aider Madame Sanier et son mari à descendre. Ses bottes faisaient un bruit de biscotte broyée en marchant sur la neige gelée. Il leur serra la main. Gérard, habituellement avare de contact physique, passa sa main sur l’épaule de Denis et lui donna une petite tape amicale. Charline, elle, avait souri. D’un geste gracieux elle repoussa ses cheveux sur son front tout en balayant son manteau d’une poussière imaginaire. Denis passa le bras autour de la taille de Chloé et regarda ses parents dans les yeux.
« Dites, j’vous enlève Chloé pour dîner. C’est OK ?
— Chloé, dit Charline, va chercher ton manteau ! Et tes bottes. Tu ne vas quand même pas laisser Denis sans sa veste, par ce froid ! »
Quelques minutes plus tard, sur le pas de la porte de leur maison, Gérard et Charline se regardèrent sans mot dire, puis ils suivirent des yeux les deux enfants dont le bonheur était évident.


⭐ Inspiration n°2

  • Laurence Mayet

Alors que je franchis les portes de l’aéroport de Roissy, mon euphorie est ternie par un je ne sais quoi qui entache déjà mon voyage.
La salle d’embarquement est comble de mes futurs colocataires. Avec eux, je vais faire un saut dans le temps grâce au prodige du sournois décalage horaire.
Pour annihiler la pesante ambiance du lieu, j’imagine les pensées, j’invente les fantaisies et les hantises de ces visages et je matérialise un carrousel enchanté en les reliant par un fil de couleur que je lance vers le plafond. Là-haut, mon esprit fantasque donne naissance à un malicieux diablotin, qui, assis à califourchon sur la charpente, se saisit de mes ficelles et s’approprie les perceptions intimes de chacun. Derrière son sourire hilare, je soupçonne son triomphe insolant alors qu’il jongle avec les chimères de ceux qui vont prendre place dans la frêle carlingue.
L’avion étant le moyen de transport le plus sûr, il y a pourtant une clandestine parmi les passagers. La hantise. Elle se faufile, s’insinue, malsaine et contagieuse, il faut lutter pour la tenir éloignée afin qu’elle ne se révèle pas prémonitoire !
Au moment de l’embarquement, je découvre l’espiègle luron du plafond qui éructe, dans une aigre grimace, un nuage noir libérant le spectre chafouin de l’angoisse.
Passé l’espace préservé de la Business Class, le rideau se lève sur la classe économique. Voici révélée la zone populaire, beaucoup plus conviviale avec ses petits sièges étroits, légitimant leurs occupants à une joviale proximité.
L’idée acide qui me colle à la peau depuis la salle d’embarquement explose enfin : en cas d’accident, le degré de panique est-il moindre, installé dans un large fauteuil moelleux ?
Je me persuade que le vol se passera bien, et reporte mon attention sur l’emplacement du siège A42 qui m’a été attribué.
Ça y est, les réacteurs s’affolent, l’avion se cabre, se soulève prend l’air.
A son altitude de croisière, les moteurs s’apaisent et bercent les passagers de leur ronron régulier, laissant la vie à bord s’égrener au rythme des déplacements du personnel naviguant.
La diversité des programmes, fournis par l’écran intégré au dossier du passager devant moi, confesse sa volonté de me faire oublier l’étroitesse de mon siège, incompatible avec un potentiel changement de position. Quant à l’idée de m’en extraire, cela demanderait autant d’adresse et de souplesse que de compréhension de la part de mon voisin.
Alors que l’appareil semblait somnoler, une coupure générale d’électricité éteint soudain toutes les lumières, nous plongeant dans le noir le plus profond.
Un noir d’encre, intense, comme venu des ténèbres.
Plafonniers, écrans, chemins lumineux, panneaux de sortie de secours ont disparu, emportant nos repères.
Insupportable attente qu’aucun système de sécurité ne vient pallier. Mon cerveau s’affole.
La nuit nous recouvre de sa cape sombre et un silence étrange s’installe. La temporalité disparaît. Aveugles et sourds, pétrifiés à en perdre la sensation de nos corps dans le siège on attend l’estocade finale. La respiration engourdie, l’organisme sur pause.
Il ne se passe rien.
Mais alors des faisceaux de lampe de poche balaient la cabine à la manière d’une boule à facettes, et des voix suaves tentent, en vain, de calmer l’hystérie des passagers.
C’est dans cet affolement que l’éclat d’une puissante lumière rouge s’invite par les hublots et pétrifie les voyageurs. Le rutilant vermillon inonde l’habitacle comme si les réacteurs étaient en feu et en pittoresque inquisiteur, le rayon pourpre vient goûter l’émoi sur les visages blêmes. L’incandescence se propage parmi les sièges mais la carlingue ne se disloque pas.
Une sensation d’apesanteur escortée d’une béatitude inattendue fait son apparition alors que l’intonation régulière des moteurs coule de nouveau dans les oreilles étonnées.
Un apaisement s’approprie l’espace et bannit la peur. Hôtesses et stewards se déplacent au ralenti, la relation au temps évolue, nous rassure. On se prend alors à accepter un futur différent en attendant que la carlingue nous dépose sur le tarmac.
Des grésillements dans les hauts parleurs accompagnent une lumière crue et la voix du commandant s’impose. Son fort accent étranger maltraite des syllabes, mais son timbre de voix, et la pertinence de ses explications sur l’orage électrique traversé, rassure. L’éloquence rodée nous convainc, notre sécurité est sauve et déclenche instantanément un brouhaha euphorique.
Les hôtesses se lancent dans un balai empressé de sourires et de jeux de mots accompagnant boissons et collations et alors que les écrans étaient restés noirs malgré le retour de la lumière, ils se rallument tous en même temps. A la joie de retrouver une semi-normalité, la fascination s’efface, abasourdie par les images d’énormes débris en feu. Un drone survole des restes de ferraille qui jonchent le sol. C’est un crash aérien. Le fuselage est éparpillé sur des centaines de mètres.
Ça aurait pu être nous !
Ça peut encore être nous… Je repense au loustic indécent au plafond de la salle d’embarquement et veux éteindre mon écran, mais ma télécommande ne répond pas. Même scénario de l’autre côté de la rangée, où des doigts nerveux écrasent frénétiquement les boutons insensibles des manettes.
A peine le temps de se demander d’où proviennent ces images qu’une manœuvre depuis le cockpit met fin à cette projection, stoppant les rires inexacts et des voix suraiguës.
Trop tard ! La clandestine a fait son apparition. Cette carcasse désagrégée titillera la loi des séries. Et comme une maladie contagieuse, l’idée terrible va s’épanouir dans les esprits jusqu’à l’atterrissage, avec la peur comme urticante compagne.
Comme l’appareil s’aligne sur les pointillés lumineux de la piste d’atterrissage de l’aéroport international de Bangkok, on attend la secousse libératrice des roues qui reprennent contact avec le sol.
Une étrange sérénité m’accompagne et je savoure la moiteur de la rue, éberluée par les dégradés orangés du soleil qui embrase l’horizon.
La beauté du ciel me chavire et je perds la notion du temps. Emue par cette féérie, je m’embarque sur une Ruea Hang Yao, typique barque Thaï, propulsée à une vitesse fulgurante par un pétaradant moteur. Je goûte l’instant, le visage au vent, abandonnant dans les remous joyeux de la rivière Kwaï les frasques du vol. Déjà, mes souvenirs se détachent de moi, je me sens libre de profiter tout à mon aise de l’intensité des sons de la forêt et de l’éclat des couleurs.
L’or flamboyant du couchant illumine les quais flottants du lodge où accoste mon embarcation. Là, je reconnais les visages affables qui m’accueillent avec leur gracieux sourire. Pas besoin de mots entre nous, on se comprend par nos seuls regards. Le bleu de nos yeux est nos racines. Nous étions si loin et nous voilà si proches.
Ici, la nature marie habilement l’émeraude et le jade et quand vient l’heure bleue qui charrie sa parure de pastel, le ciel se reflète dans l’éclat cobalt et intense de l’onde vive.
Ici les mots n’ont plus de raison d’être. Tout devient simple. Evident.
Eblouie par la clarté laiteuse du jour, j’ai du mal à ouvrir les yeux dans ce matin frileux de décembre. Je ne ressens pas le froid qui fait ciller les fleurs sous la bise hivernale. Je me recueille un instant devant la tombe de mes parents tout en laissant jaillir des souvenirs heureux. C’est étrange cette impression de les avoir quittés il n’y a que quelques minutes.
Mes yeux balaient cette lourde pierre de marbre aux veines polies dissimulée par un sinistre cortège. Et alors que dans l’amas végétal j’aperçois mon nom en lettre d’argent, un travelling-arrière m’extrait de ce monde auquel je n’appartiens plus.
BFM TV reviendra encore quelques jours sur cet accident d’avion qui n’a laissé la vie à aucun des passagers du vol AF 4873 reliant Paris à Bangkok en ce 29 novembre.
Ce vol dans lequel j’avais pris place, siège A 42.


  • Patricia Forge

Je n’ai pas mon mot à dire.
Je connais désormais la date de ton départ : le 02 janvier.
Tu as choisi et décidé. Tu vas t’envoler direction l’Amérique du Nord. Du grand Nord !
Le Canada et ses espaces, le Québec et son fleuve légendaire. Autant dire un sacré changement de décor.
Ta découverte de Montréal, la vie en mode glaciale, tu en parles depuis plusieurs années, j’ai eu le temps de m’habituer. Alors pourquoi, j’ai mal à en hurler ?
Depuis que tu es tout petit j’ai voulu t’ouvrir au monde. La culture, la littérature, le sport et mille aventures. Je t’ai fait voyager.
En France, nous avons apprécié les multiples régions, la découverte des trésors patrimoniaux, la gastronomie, la ville et la campagne, les étendues sauvages et la faune et flore locale.
Puis j’ai ouvert ton esprit sur l’Europe et ses charmes. Venise et la magie des gondoles, la Suisse et ses alpages, l’Autriche et ses verts pâturages, la beauté allemande de l’ile de Mainau et le lac Bodensee.
Puis est venu l’Espagne, une terre chargée d’histoire, la grande et la plus petite celle de notre famille. Barcelone la magnifique s’est révélée à tes yeux de jeune adolescent. Tu t’es émerveillé des splendeurs merveilleuses de Gérone. Et si le Covid et les aléas de la vie n’avaient stoppé notre élan, nous serions allés ensemble à la découverte de ces terres andalouses dont nous rêvons depuis si longtemps. Une histoire familiale toujours…
Alors oui, bien sûr j’ai dû planter quelques graines mais comment imaginer que tu voyagerais si loin de moi… sans moi…
Je savais pourtant qu’un jour ce moment arriverait. Le poussin grandit, grandit, il agite ses ailes, il veut quitter le nid. Maman poule veille au grain, elle lui assure qu’il a le temps, il est encore un enfant.
Et puis, sans crier gare le voilà devenu un jeune coq de vingt deux ans. Et maman poule a des cheveux blancs.
Sans s’en rendre compte, le temps défile et nous pousse sans remord. Ainsi passe les générations. La vieillesse nous ne la voyons pas venir. Nous voulons juste ralentir. Vivre autrement. Plus calmement. Prendre son temps justement. Car nous savons qu’il est compté.
Nous avons passé vingt ans à s’agiter. Entre compétitions et ouverture d’esprit. Entre travail et plaisirs de la vie. J’ai tenté de te tracer la route, de t’éviter les embûches. J’ai veillé sur toi au-delà du raisonnable. Toujours dans l’inquiétude, parfois une angoisse intenable. Tu es le bijou de mon cœur, mon trésor inestimable. C’était nous deux et le reste du monde.
Les deux années aux multiples confinements, c’est ensemble que nous étions à cent pour cent. Dans notre bulle isolée, mais tellement bien, sereins.
Mais désormais, tu veux mener ta vie, un souhait normal et me voilà marri.
Le cœur en souffrance, les larmes débordants aux fenêtres, la plume en instance de crier mon mal être. Il ne faut rien montrer, surtout feindre l’enthousiasme, il faut te soutenir dans tes premiers pas d’adulte indépendant. Être là dans tes démarches, dans la préparation, quatre mois au Canada c’est court mais c’est si long.
Il y a vingt deux ans, on t’a posé dans mes bras. Ton corps contre le mien je n’avais pas le mode d’emploi. Tu venais d’arriver au bloc opératoire, mon ventre semblait vidé et je me sentais désemparée. Notre premier peau à peau, ton cœur contre le mien, a scellé mon destin. Je serai désormais l’esclave de ton bonheur.
Au-delà de nos différences, il y a la même ressemblance, cette soif d’indépendance. Ce caractère fougueux qui parfois s’emballe, ce sang impétueux, ce besoin de cavale.
On se ressemble, nous sommes le même sang aux mêmes émotions. Et ces quatre mois vont me paraître si long.
Toi, tu veux déjà que je m’envole à mon tour pour venir te rejoindre. Et je suis prête pour ton sourire, ton regard, un câlin contre toi.
Je suis l’esclave de ton bonheur. Mon fils, sans toi j’ai si peur. Je suis le roc sur lequel tous s’appuient mais sans toi, je ne suis plus qu’un sable englouti par les larmes de la vie.
Je traverserai le monde, je traverserai les continents, pour toi.
Je braverai les vents, les flots, les éléments, pour toi.
J’irai te voir là-bas. Et je te ramènerai avec moi.
Je t’aime mon fils. Et la distance n’a pas d’importance. Je serai chaque jour avec toi et toi avec moi grâce à ce fil invisible qui nous relie. Notre amour.


  • Anna Marelise

J’ai bouclé ma ceinture. Malgré mes mains moites, je l’ajuste au plus serré.
Par le hublot, j’aperçois la tour de contrôle au loin. Pourvu que l’aiguilleur du ciel ne s’endorme pas sur son écran au moment du décollage.
Je suis admirative de l’homme assis de l’autre côté du couloir. Il lit son journal sans en lever les yeux. Il n’a aucune inquiétude, aucune appréhension. Pour lui, se retrouver à dix-mille mètres d’altitude semble inné et sans risque. Il y’a des inconscients partout.
Déjà, lorsque j’étais enfant, les oiseaux me fascinaient. J’appréhendais toujours le moment où je les voyais piquer vers le sol, coursant une proie, puis remonter sans peine vers le ciel. Je percevais quelque chose d’étrangement surnaturel dans leur manière de se déplacer.
Mais voilà qu’aujourd’hui je suis assise dans l’oiseau. Je suis terrifiée.
Pourtant, j’adore voyager. Tu me disais sans cesse que tu aurais aimé faire le tour du monde. Nous étions trop jeunes et trop fauchés pour pouvoir accomplir ce rêve, ce qui m’arrangeait bien je dois l’avouer. Imaginer prendre des dizaines d’avions d’affilée me donnait des palpitations.
Mais nous avons quand même bien bourlingué, en France, en Europe. Nous avons pris la voiture, loué des vans aménagés, fait des escapades en train, vomi sur des bateaux en pleine tempête.
Mais nous n’avons jamais réalisé ton rêve qui était de t’élever dans le ciel, au dessus des nuages, pour rejoindre un continent lointain.
Pour me faire pardonner et parce que tu le mérites, j’avais passé le cap : cadeau surprise, voyage à Punta Cana pour tes trente ans.
Je me rappelle encore combien j’étais excitée de te l’offrir. J’avais tout imaginé : Dîner aux chandelles, une bouteille de vin rouge bien corsé. Petite musique douce, ambiance tamisée. Ma tenue légère en dentelle, ta préférée, la noire, avec les noeuds sur les bretelles. Et au moment où tu aurais voulu m’en débarrasser, le papier plié en quatre caché dans mon soutien gorge dévoilant la destination de notre prochaine escapade.
Je t’ai attendu longtemps ce soir là. J’ai même cru que tu m’avais quittée. Mais je ne savais pas encore à quel point j’avais vu juste. Ce n’est pas un, mais deux hommes qui ont toqués à notre porte ce soir là. Et ce n’était pas pour voir les noeuds sur mes bretelles.
Dégringolade en enfer, sensation de chute libre. Je n’ai entendu qu’un mot sur deux. Accident. Poteau électrique. Malheureusement décédé. Pouvez-vous nous suivre?
La viande va refroidir. Mon soufflé au Grand Marnier va retomber. Il faut d’abord que j’éteigne les bougies. Et comment faire pour vous suivre, je ne peux décemment pas laisser seule ma fille de deux mois qui dort dans son berceau?
Alors aujourd’hui, mon amour, je fais cet effort pour toi. Je suis dans cet avion, la place à coté de moi est libre. C’était la tienne. Nous allons faire ce dernier périple ensemble et tu vas l’avoir, ton vol au dessus des nuages. Même si, dit-on, ton âme est déjà quelque part là-haut : je ne voyage pas si seule, nous ne sommes pas loin.
… Le lendemain …
Je débarque après une nuit de vol, impossible de fermer l’œil. J’ai l’estomac noué, je soupçonne le pilote d’avoir fait deux ou trois loopings pour s’amuser.
Le taxi me dépose à l’hôtel.
Je vais à la plage sans même passer par ma chambre.
Voilà, on y est.
Le vent caresse mon visage, comme tu le faisais si bien pour me rassurer lorsque j’étais triste.
Je te tiens entre mes mains. Toi qui trouvais que tu avais pris un peu de brioche, tu ne prends pas tant de place que cela dans cette petite urne.
C’est maintenant que nos chemins se séparent. Tu rêvais de plages et de cocotiers, tu vas pouvoir y rester pour l’éternité. Je vais te saupoudrer comme du sucre glace sur l’immensité des flots. Une partie de toi va se mélanger aux vents chauds. Tu vas te lier aux embruns, communier avec la nature qui t’était si chère.
Et tu seras ainsi partout avec nous, dans chaque bouffée d’air que nous respirerons, dans chaque repli de mon coeur, dans chaque sourire de ta fille ; dans chaque instant de notre vie en somme.


  • Lis ABCD

Je t’attends.
Encore et toujours, tu te fais désirer.
Après avoir préparé, organisé notre envolée, me voilà enfin prête à tout quitter.
Je suis impatiente d’embarquer, pour admirer tous ces paysages avec toi, la tête dans les nuages. Le dépaysement me manque. Traverser les mers, affronter les airs, observer ce temps, pourtant si rapide mais qui parait si lent tant la pluie s’abat dans la nuit. Chaque gouttelette qui tombe sur la fenêtre me remémore un souvenir passé, partagé avec des proches, avec toi. Des moments heureux puis tristes traversent mon esprit. Un vent de nostalgie m’effleure.
J’ai besoin de ce départ, prête à affronter cette nouvelle vie. Débuter un récit neuf dès lors non abordé, où la sécurité et la sérénité rythmeront mes journées.
Des frissons me transpercent. Je suis là, blottie dans ce fauteuil, loin de tes bras, attendant l’ultime au-revoir, pour un énième départ.
Ces sensations de doute et d’hésitation m’envahissent maintenant, ai-je fait le bon choix ? Délaisser une vie de sacrifice pour me tourner vers l’inconnu, avec toi.
Ce sentiment de culpabilité est unique tant il se divise par la nécessité de se faire comprendre comblé par son immense besoin d’évasion.
L’heure est à l’appel, je salue mon entourage et m’avance vers ma destinée, sans jamais me retourner. J’entends les encouragements et les paroles réconfortantes de mes proches, qui sont mêlées de chagrin et d’incompréhension.
Avec pour seul bagage ma mémoire remplie de photos, c’est là que le voyage commence.
Une épopée toujours comblée par le risque, l’aventure et les imprévus pour faire place à l’improvisation.
Je me questionne sur les embûches que je pourrais rencontrer cette fois : une regrettable rencontre, un logement laborieux, un microbe maléfique ?
Je marche vers toi. Où es-tu ? Je n’arrive pas à te trouver parmi cette foule qui m’obstrue la vue.
Je patiente dans le calme face à la tempête qui sévit dehors.
Les voix qui m’entourent se mettent à hausser le ton, ils parlent de trouver des solutions.
Je ne suis clairement pas sur la même voie, ai-je raté quelque chose ?
J’observe l’eau s’écouler sur le sol, en écoutant une symphonie me coupant de toute conversation superficielle.
Je vois leurs lèvres qui murmurent, des mouvements de bras brusques traduisant la tristesse et la trahison.
La foudre vibre dans mes oreilles. Une résonance me frappe en plein coeur. Mon souffle s’accélère.
Mon esprit est aspiré vers l’orage qui sévit dehors. Je me résigne à l’abandon.
Une annulation de dernière minute. Moi qui patientais depuis plusieurs heures déjà. Quand j’y pense, la notion du temps est d’autant plus accentuée en prenant considération que l’attente est encore plus longue que le trajet lui-même.
Je suis blessée.
Tu es meurtris.
Je suis brisée.
Tu es morose.
Comme mes proches face à mon départ inattendu, à mon tour je ne comprends pas ce départ interrompu.
Tu m’attendais pour ce trajet, mais tu dois filer vers d’autres horizons, sans moi à tes côtés.
Toi qui m’a toujours soutenu dans des périodes houleuses,
Moi qui n’ai jamais raté une occasion de te croiser,
Toi qui voulait me faire plaisir, me conduire vers d’autres peuples.
Moi qui étais prête à tout abandonner peu importe le prix, pour faire un pas en avant.
Aujourd’hui, le moi que j’étais a disparu. La force et la détermination de parvenir à destination est encore plus présent que jamais.
J’atteins un point de non retour. Faire marche arrière n’est plus une option. Je dois aller au bout, de ce chemin miné.
Je dois, sans toi, me reconstruire, encore une fois, sans me retourner.
Pourquoi ne viens-tu pas à moi ?
J’aimerais tant aller là-bas grâce à toi.
Toi qui m’a tant accompagné,
Soudainement j’apprends que tu dois,
Vers d’autres missions te précipiter.
Comment peux-tu oser,
Toi qui devait m’emmener,
Loin d’ici visiter,
Un pays désormais fermé.
Pour cause de guerre ailleurs; chez moi, je dois rester.
Moi qui languissais cette date, où j’écrirais le début de ce chapitre,
Soudain je réalise que ce jour là et les suivants,
Vers là-bas, tu ne t’envoleras plus.


  • Marina Leridon

Allongé sur l’herbe, je suis parcouru d’un frisson glacial de la tête aux pieds.
J’ouvre les yeux : un avion masque le soleil.
Des trainées blanches dessinent des cercles autour de l’astre de lumière.
L’avion semble tourner sur lui-même. Toujours devant la boule jaune.
Je cligne des yeux, incrédule. D’autant plus que l’avion est pile au-dessus de moi.
La température est de plus en plus basse. Mes extrémités sont glacées mais je n’arrive pas à les bouger.
Je suis comme cloué au sol. Seuls mes yeux oscillent dans leur orbite, cherchant une explication. En vain.
Epuisé, j’abandonne. Mes paupières se baissent.
Tout à coup, je retrouve le soleil. Je suis de l’autre côté, au-dessus de l’avion dont j’aperçois brièvement les ailes et la queue. Il continue à tourner sur lui-même.
Je commence enfin à me réchauffer.
Une forêt de gratte-ciel me tend les bras. Comme un enfant je saute sur le premier, puis le deuxième et ainsi de suite… Je tourne en rond et le tournis me guette. Je tente de sauter sur l’avion. Impossible. Il est trop loin. Il paraît tout petit maintenant. Comme s’il tombait.
Je me sens libre mais une sensation de malaise envahit mon esprit. Ma joie s’éloigne peu à peu.
Je cours de plus en plus vite. Rapidement. Trop rapidement. Rate une tour. Effectue une descente à toute vitesse.
Les tours se resserrent autour de moi. L’avion grossit en-dessous. Je respire difficilement. Je suis enfermé. Mes pieds touchent la carlingue. Je maintiens mon équilibre en battant des bras. Terrorisé.
L’appareil tremble. Perd le contrôle et fonce dans la plus grande des tours.
Un choc sur ma tête. J’ouvre les yeux. Je suis couché sur le côté, ma joue collée à un tronc d’arbre.
Au-dessus de moi : un grand ciel bleu, quelques immeubles mais pas d’avion. J’entends seulement le bruit de la ville, étouffé par les feuillages.
Je me redresse. Scrute les alentours. Ma pommette me fait mal. Je pose mes doigts dessus machinalement et vérifie qu’il n’y a pas de sang.
Tout à coup, tout me revient. Je me suis tranquillement installé pour faire une sieste. Je me souviens juste de l’avion qui est passé devant le soleil. Puis plus rien. Sauf ce cauchemar qui m’a ramené des années en arrière.


  • Yza

La porte d’entrée de l’immeuble se referme dans un claquement.
Je resserre le col de mon manteau autour de mon cou, le vent d’octobre qui s’engouffre entre les façades est glacial et humide. Mon taxi peine à atteindre l’endroit où je me tiens tellement la circulation est dense ce matin. Je lève la tête pour constater que l’état du ciel, petit bout de gris aperçu au sommet des hauts bâtiments qui m’entourent, n’annonce pas une météo à venir très clémente. La silhouette noire fugace du fuselage d’un avion de ligne qui se détache soudain une fraction de seconde sur ce fond triste suffit cependant à me réjouir.
Dans quelques heures si tout se déroule correctement je survolerai moi aussi la ville tentaculaire pour te rejoindre. Enfin. Des mois loin de toi sans autre contact que le téléphone et les visios, le temps s’étirait insupportablement ces dernières semaines malgré cette promesse de se retrouver bientôt.
Je m’engouffre dans le taxi tandis que le chauffeur charge mes bagages puis lui indique l’aéroport.
Bob Marley en sourdine, je m’évade déjà vers les iles et le soleil. Ici pourtant les habitants ne pensent qu’à Halloween et j’admire les porches décorés avec plus ou moins de talent et de moyens. Les escaliers croulent sous les citrouilles et de gigantesques toiles d’araignées tapissent fenêtres et clôtures en fer forgé, les squelettes suspendus ondulent au gré des bourrasques. Dans quelques jours lutins, monstres, squelettes, sorcières et fantômes arpenteront les rues en quête de friandises. Mais ils ne me trouveront plus là pour les recevoir, le son de l’interphone retentira dans l’appartement vide, je serai avec toi, loin.
Ça bouchonne franchement et mon chauffeur grommelle, je le rassure en lui donnant l’horaire de mon vol, nous sommes largement dans les temps et la circulation se fluidifiera au fur et à mesure que les travailleurs auront rejoint leurs bureaux, que les livreurs auront terminé leur tournée, que seuls les retraités, les touristes, les oisifs en tout genre se rendront maîtres de la rue… sur les trottoirs.
Alors que l’emblématique Yellow Cab continue sa route tant bien que mal, je me perds à nouveau dans mes pensées qui inexorablement ma ramènent à toi.
Je t’imagine dans la jungle urbaine d’Honolulu, ou perdue sur l’ile de Lanai en compagnie des tortues vertes dont tu étudies le mode de vie, ces tortues que tu cherches sur les plages qui ne sont pas colonisées par les touristes fortunés, logés dans les complexes hôteliers luxueux omniprésents, construits à la place des anciennes plantations d’ananas. J’imagine également la splendeur du lieu mais as-tu seulement le loisir d’en profiter ou, telle que je te connais, consacres-tu tes journées à ces animaux menacés ? Est-ce que tu chasses les milliardaires responsables de la transformation de cette ile, ma petite extrémiste aux idées arrêtées, es-tu capable de t’introduire dans ces resorts opulents pour leur ouvrir les yeux sur la beauté en péril de la nature qui les entoure ? J’ose espérer que non, les cellules à Hawaï n’ont probablement rien à envier à celles d’ici…
Nous approchons tranquillement de l’aéroport et je confirme au chauffeur que mon avion partira du terminal 4. De longues heures de vol et une escale à Seattle me séparent encore de toi mais dès demain nous pourrons passer tout notre temps ensemble. Tes congés sont les bienvenus, j’ai remarqué tes traits tirés, signes d’un manque de sommeil répété, tu t’investis beaucoup dans cette mission mais pense à toi mon amour, les tortues sont précieuses pour l’humanité mais tu es toute aussi précieuse à mes yeux.
Déjà nous quittons les petites maisons et leurs rues formant quadrillage pour longer les parkings, les réservoirs, les hangars de l’aéroport gigantesque. La pluie tombe maintenant, couvrant ma vitre de dizaines de stries obliques, transparentes, qui déforment le paysage et m’empêchent de rien distinguer au-delà de quelques mètres. Mon chauffeur a dû ralentir – bonne idée — et grommelle encore. Ayant en tête une vague idée du prix de la course je le trouve plutôt chanceux, il n’aura pas perdu sa matinée…
Cette pluie qui glisse inlassablement me fait penser à tes larmes et j’ai soudain la gorge nouée. Tes larmes qui coulent si spontanément, que tu ne retiens pas puisqu’elles expriment tout ce que tu ressens, tes larmes de joie, de peine, de colère, de plaisir. Si intrigantes pour moi qui ne pleure jamais, si déstabilisantes quand je soupçonne d’en être l’origine… Notre relation longue distance n’a pas toujours été facile et les larmes de fatigue sont celles que tu as le plus versées ces derniers temps. J’espère que ma présence te fera du bien, t’apaisera, t’aidera à supporter la pression liée à ton travail.
— Et voilà, nous y sommes.
Le terminal 4 étire sa façade vitrée sur ma droite, je paye et ouvre ma portière. J’ai envie de faire les boutiques pour t’apporter un cadeau. Le chauffeur a ouvert le coffre et posé ma valise et mon sac à terre. Je les empoigne en lui souhaitant une bonne journée et me tourne pour entrer dans le bâtiment. Un chariot à bagages manque de me percuter et je recule aussitôt pour l’éviter. Je n’ai pas vu arriver le taxi qui vient remplacer le mien le long du trottoir…
— Et voilà, nous y sommes ! lance d’un ton joyeux l’homme en blouse blanche maculée de faux sang.
Ce soir c’est Halloween et tout le personnel s’est déguisé. Les internes entourent mon médecin, je suis leur dernier patient de la journée et je sens qu’ils sont très pressés d’en finir, soit pour se rendre dans le hall où les attendent friandises et pâtisseries, soit, pour les plus chanceux d’entre eux, pour terminer leur journée avec des amis et faire la fête comme toute la ville…
Au milieu de ces maquillages macabres et des chapeaux de sorcières ou cornes de diable, je pense être le plus réussi. Mes bandages suintants à la tête et mes membres plâtrés de blanc, sur lesquels les infirmières se sont relayées pour dessiner toiles d’araignées, têtes de mort et fantômes hurlants, forment un ensemble parfait en ce jour…
Mon premier jour conscient depuis que je me suis fait renverser devant l’aéroport par un taxi un peu trop pressé de déposer sa passagère. Mon premier jour conscient pour réaliser que je ne suis pas monté dans cet avion pour te rejoindre. Mon premier jour conscient pour apprendre que mes multiples fractures me permettent certes de rivaliser avec tout l’hôpital niveau tenue d’Halloween mais m’empêcheront de marcher pendant de longs mois. Mon premier jour conscient pour le début d’une nouvelle vie puisque tu m’as dit que tu ne viendrais pas.


  • Jude

On ne pense pas assez qu’à tout voyage correspond une musique. Ou peut-être est-ce que chaque musique existe spécifiquement pour un voyage ? Non, l’hypothèse n’était pas plausible. Là où une musique des Stones pourrait évoquer les Etats-Unis à quelqu’un, à d’autres elle évoque le métro parisien, son urbanisme et la densité de ses foules.
Chaque musique ne correspond pas à un unique voyage, et un paysage n’est pas dédié à un seul morceau qui lui serait spontanément associé. Ce qui est sûr pour moi en revanche, c’est qu’il n’y a pas de voyage sans musique.
Je sors de la rame de métro sur les dernières notes de Under the Bridge. Si le morceau des Stones fait à la base référence à la cité des Anges, ce n’est pas à Los Angeles que je me trouve, mais au beau milieu de la Big Apple.
À vrai dire, il n’est pas vraiment nécessaire de physiquement sortir du métro pour se sentir dépaysé. Toutes les cultures vivent et grandissent dans l’écosystème du métro new-yorkais, comme autant de mauvaises herbes poussant dans la moiteur d’une allée humide et mal famée. Aux touristes, nombreux à cette période de l’année, se mêlent les populations locales, elles-mêmes très hétéroclites. Deux hommes en complet 3 pièces dialoguent à un rythme effréné. Leurs visages impassibles laissent échapper sans sourciller des grossièretés mâtinées de la misogynie la plus primaire. À leur droite, une femme tente de calmer son bébé qui vagit irrépressiblement. Le voile qui lui couvre les cheveux vient doucement caresser la tête du tout petit, qui agite ses poings minuscules en braillant d’impuissance. La mère et l’enfant sont observés par une paire de lycéens. La fille, qui mastique avec application un chewing-gum aussi bleu que ses cheveux, les fixe sans vraiment d’intérêt. À son côté, le jeune homme leur porte pour sa part une attention réelle.
Je les observe tous. Ils me fascinent, et ils m’emmènent chez eux, sans même que je sache où cela peut être. J’ai sans doute complètement faux quand je me figure leur vie, et néanmoins, quelle importance ? Le voyage est-il moins beau s’il nous emmène vers un pays fictif ?
Dans mes oreilles, les Stones ont laissé place à un Keith Richards solitaire, qui offre toutes ses dimensions à la guitare. Je sors du métro d’une démarche légèrement altérée par le rythme du morceau.
Autour de moi, le monde se déroule à la verticale aussi bien qu’à l’horizontale. Les rues qui quadrillent l’espace, droites, infinies et pleines de gens, semblent avoir été répliquées vers le ciel.
Les buildings, leurs formes géométriques lancées à l’assaut de la perspective, semblent se rencontrer sur la toile bleue des cieux. Pas un nuage ne vient couper leurs parallélépipèdes parfaits, mais le ciel est pourtant loin d’être uniforme. Lorsque je baisse les yeux vers les façades des géants de la ville, oubliant leurs têtes effrontément dressées, les vitres rutilantes des gratte-ciels se parent de reflets moutonnants. Ces grandes formes régulières se dotent d’une dimension différente, d’une granularité particulière que mon instinct de photographe aimerait capturer sur une pellicule de noir et blanc.
Le bruit irrégulier de la ville me sort un peu de la musique, ou plutôt, il vient ajouter un vernis propre au lieu. Peut-être la question n’est-elle pas s’il existe un voyage pour une musique ou l’inverse, mais faudrait-il plutôt s’interroger sur le mariage des deux.
Les plaintes des moteurs apportent un vrombissement impressionnant au morceau de base, mais il s’agit d’un bruit connu, et quelque part, attendu. Ce qui me sort du pur ressenti de la musique et me fait conscientiser son existence, c’est d’identifier le ronronnement de l’eau qui coule, au sortir d’une station de métro new-yorkaise et de deux boulevards outrageusement bordés de publicités. Comment puis-je passer d’un tel extrême à l’autre, alors même que mes écouteurs me font basculer vers les notes plus sauvages et libres d’un Neil Young évoquant une fille chevauchant une moto ?
La réalité se rappelle à moi avec autant de brutalité qu’une fausse note retentissant au paroxysme d’un chef d’oeuvre. À Ground Zero, l’eau qui s’écoule n’est pas naturelle et ne cherche pas à masquer discrètement le fracas de ses cascades de pleurs. Un voyage dans le temps en plus d’un voyage géographique. Les noms gravés sur la stèle luisante, parfois piqués d’une rose en deuil, ramènent aussi bien au passé du lieu que le métro m’a amené au One World Trade Center.
Fracas de l’eau, réminiscence des cris et grattements plaintifs de guitare, tout se mêle en un chant funéraire inhabituel.
Je lève à nouveau la tête, portant mon regard vers le ciel, qui peut donc abriter des forces meurtrières aussi bien qu’évoquer irrésistiblement la sérénité. Deux trainées blanches marquent à retardement la trajectoire de deux avions, mais il n’y en a plus trace dans le ciel. Je prends cela comme un signe que pour moi, il faut continuer le voyage.
Je prends un boulevard perpendiculaire, et très vite les échos de l’eau et le fourmillement des touristes s’effacent de ma vision aussi bien que de mes oreilles. J’aime aussi lorsque les grandes artères ne sont pas uniquement parcourues par des touristes, qui fixent tour à tour leurs smartphones et les pubs de leurs grands yeux émerveillés, sans vraiment voir la ville qu’il y a derrière. Quitte à voyager si loin, ne devraient-ils pas chercher à voir la ville au-delà de ses façades les plus connues ? Aller à New York et ne faire que la Statue de la Liberté et Ground Zero, c’est un peu comme écouter le single d’un artiste sans explorer l’album qu’il sort derrière.
J’aime autant me mêler aux touristes que rire d’eux avec un cynisme un peu grinçant. Ma ville, je la connais mieux qu’eux et sous plus de facettes, et pourtant je sais qu’ils la voient sans doute d’un œil plus neuf, plus émerveillé que le mien.
Néanmoins, je sais que je voyage chaque fois que j’arpente ses rues. Parce que je ne suis jamais seul, toujours accompagné d’un artiste que j’aime ou que je découvre. Il n’y a pas une musique pour un voyage ou un voyage pour un musique, mais ce qui est certain, c’est qu’à chaque fois, la musique fait voyager.


  • Bachir Djaider

Tel un oiseau dans les airs
Bercé par une noria de nuées
J’épands mes odyssées picaresques
Dansant dans les cabarets de Paris
Nageant dans les plages de Miami
Bronzant sur le sable de Tahiti
Et contemplant les jolies filles de Polynésie
Baignant dans les eaux de Malibu
Et charmant les sirènes de Honolulu.
Au pays des Incas,
J’ai contemplé le temple des Maya
Caressant les nuages depuis Lima
Admirant les chutes de Niagara
Et séjournant dans l’Ottawa
Fumant des cigares de La Havane
Allongé sur l’herbe drue de la savane
Scrutant les belles gazelles en caravane
Poser pieds aux montagnes du Kilimandjaro
Vibré au rythme de la samba au Carnaval de Rio
Et exécuter des pas langoureux de boléro
S’émerveiller à l’Acropole d’Athènes
Faire la balade des amoureux aux eaux de Venise
Déguster le bon fromage suisse
Entouré de carafes du vin d’Espagne
Seul dans ma chambre, un livre entre les mains
Je voyage de pays en pays telle une cigogne
Un papillon aux jardins d’éden
Avec ma plume, je joue au rimeur !
Quand je saute d’humeur
Je raconte mes joies et peines
Glanant les vers dans ma triste mémoire
Et étalant tous mes déboires
Je m’abreuve de ma solitude
Embrouillée par l’incertitude.


  • Amel Bakkar

L’ avion
Depuis l’arrivée de l’automne,
J’entends le feu qui crépite le soir dans la cheminée. La nouvelle saison est arrivée à grands pas, il y a quelques jours. Pour moi, ce changement s’accompagne d’un chocolat à l’ancienne et de chamallows grillés. Pour toi, ses délicates cornes de gazelle. Et, voici un thé chaud à la menthe dans cette délicieuse porcelaine placée sur tes genoux.
Amoureusement nous nous offrons ses faveurs, dans ce joli cocon avec un temps suspendu qui en dit long.
Prêt de nous ce bouquet de roses fraiches du jardin.
Dans cette ambiance gourmande qui circule tout nous laisse penser que l’on va passer une soirée exceptionnelle rien que tous les deux.
Mais, devines quoi ? Qui vient diner ce soir ?
….
Le fils. Thomas !
….
Un vrai tanguy celui-là.
Les idées fusent et une retient mon attention.
Et si ce soir, nous ne répondions pas présent ?
Et si ce soir, nous changions nos habitudes ?
Un cinéma vient d’ouvrir en Centre-Ville.
J’imagine, je nous imagine tous les deux dans le noir…dans la salle de cinéma. Puis, un avion passe nous rappelant la réalité. Je suis dans mon bureau quelques jours après le World Trade Center. Un évènement terrible qui a fait plusieurs victimes.
Je n’arrive pas à me concentrer. J’y ai perdu mon mari qui ne devait pas travailler ce jour-là. Quand j’ai su j’ai d’abord nié avant d’accepter de vivre avec un poumon en moi. Je n’arrivais plus à respirer. Le souffle coupé.
Le week-end précédent nous étions dans cette maison de campagne ensemble. Et la société, la ville m’avait volé ce qui avait de plus cher au monde. Qu’est-ce que j’aimerais un précieux moment ensemble ?!
On dit toujours qu’il n’est jamais trop tard pour l’Amour. Mais, là lui n’est plus là. Je viens de voir cet avion passé qui me rappelle ce drame et aussi les souvenirs que je garde de notre amour dans cette maison de campagne. Le cœur déchiré, l’âme vide je bascule petit à petit dans le travail pour oublier.


⭐ Inspiration n°3

  • Tuy-Nga Brignol

Méditation au bord d’un lac dans les Alpes Suisses
Voyager c’est quitter un lieu connu vers un autre, inconnu ou peu connu. Les voyages nous permettent de garder une certaine souplesse d’esprit, en remettant en question nos façons de faire et de voir les choses. Partir à l’aventure, changer nos habitudes et découvrir de nouvelles choses permettent de stimuler le cerveau.
Le cerveau humain est prêt à embarquer dans n’importe quel scénario. Qu’il soit long ou de courte durée, il est prouvé que le voyage présente un effet bénéfique sur notre développement personnel.
À la suite de ses multiples voyages, Céline aime bien voir et revoir en visualisation les beaux paysages enregistrés dans son cerveau. Elle se souvient plus particulièrement d’une connexion à la nature lors d’un déplacement en Suisse par une belle journée ensoleillée au bord d’un lac dans les Alpes.
Dans le calme qui se trouve en son centre, Céline se connecte à l’Univers, à la Grande Intelligence, pour rééquilibrer ses énergies physiques et psychiques. Elle prend le temps de sentir, de ressentir, pour vivre pleinement l’instant présent. Elle se concentre sur son corps et sur l’air qu’elle respire. Une respiration profonde la ramène à son centre. L’eau du lac l’invite à ressentir ses émotions pour les faire remonter en surface. Un fort sentiment de stabilité émerge à l’intérieur de son cœur quand elle entre en contact avec la montagne. Elle réajuste ses propres besoins du moment et libère les schémas qui ne lui servent plus. La compréhension de soi-même, des autres et du monde lui fournit un nouveau terrain de construction, mosaïque complexe pour avancer sur son Chemin.
Elle éprouve un sentiment de bien-être, d’apaisement. Une sensation d’être juste à sa place,
avec ses propres valeurs. Vivre sa vie en accord avec sa propre vision pour manifester son être authentique au quotidien, arrêter de (sur)vivre pour satisfaire les attentes des autres.
Lorsque nous inhalons, nous remplissons notre corps de l’oxygène nécessaire pour permettre à l’air de circuler en nous. Nos besoins physiques les plus élémentaires sont reconstitués. En expirant, nous libérons l’air vicié, usé, potentiellement toxique. Nous avons toujours la possibilité de faire un choix conscient de prendre de profondes respirations afin de sentir l’air frais entrer et sortir. Nous pouvons aussi sortir – physiquement, mentalement ou émotionnellement – de l’endroit où nous sommes dans le moment. L’air reste le même, c’est seulement notre perception qui change. Lorsque nous en prenons conscience, nous pouvons penser à l’intégralité d’un circuit fermé qui permet à l’énergie de se connecter au champ d’énergie suprême pour circuler correctement. Là est notre responsabilité.
Apprendre à clarifier nos objectifs est essentiel pour manifester nos rêves. Chacun de nous peut regarder dans son cœur pour découvrir ce qui nous passionne, ce qui est vrai pour nous, ce qui donne un sens à notre vie. Nous pouvons rester en phase avec nos propres valeurs pour vivre en accord avec notre propre vision et avancer sur notre Chemin. Nous pouvons choisir de nous libérer de toute pression de performance venant de l’extérieur qui ne correspondrait pas à nos priorités du moment.
Nos pensées sont les graines de nos actions. Il n’est pas nécessaire de surveiller de manière obsessionnelle toutes nos pensées, mais nous pouvons choisir une pensée ou une action par jour et simplement remarquer si nous sommes en accord avec cette expérience d’intégrité.


  • Claire Plume

Dans un de ces appartements empilés en de larges immeubles vivaient deux jeunes femmes. Elles s’aimaient depuis plusieurs années d’un amour tendre. Elles s’éveillaient ensemble et le soir, elles se lovaient en de paisibles étreintes, l’une lisant un livre, l’autre lisant ses traits. Elles épousaient avec plaisir ce flot tranquille de leurs vies, tels deux sillons qui n’en faisaient plus qu’un. Clothilde, tourmentée d’interrogations confuses, eut un jour l’idée qu’un voyage parviendrait à l’apaiser. Quelques jours plus tard, le couple partit pour la Bolivie. Elles y virent des monts de terre cramoisie couverte d’une étoffe vert sapin. Puis visitèrent des mines sombres et humides où brillaient zinc et argent avant de goûter l’air chaud et sucré de Santa Cruz. Depuis la Bolivie, Maya et Clothilde s’enfouirent dans la Toscane italienne. Elles marchèrent parmi des oliviers et de sveltes pins sur des chemins de poussière et d’histoire, dormant et mangeant à l’improviste. Un soir dans une auberge, Maya s’extasiait sur les vitraux d’une ancienne église visitée dans l’après-midi. Mais Clothilde semblait ailleurs.
— Qu’est-ce qu’il y a Clothilde? Parle-moi.
— Pardon, dit sincèrement Clothilde, Tu as l’air si heureuse de ce voyage. En tout lieu la beauté te touche et t’éblouit. Et moi, je me sens si égoïste. Nous sommes partis pour moi ; pourtant, je suis insensible à ces paysages dont je vois la splendeur. Ces œuvres magnifiques, que je ne reverrai peut-être jamais, n’ont pour seul intérêt que ma volonté de les admirer. Partout où je vais, je ne rencontre que la lassitude.
— Tu sais, je pense que les réponses que tu cherches viendront d’elles-mêmes. Il faut que tu acceptes d’être impuissante et que tu sois patiente.
— Tu as raison, répondit Clothilde, Mais tout de même, pourquoi ne puis-je savourer ces merveilleux moments que nous partageons ? Je suis toujours ailleurs.
— Tu es en toi-même, répondit Maya, Ne t’en veux pas ma Clothilde. C’est comme ça, parfois on ne peut pas se forcer. Et puis le voyage n’est pas un remède ; si tu pars dans l’inconnu en sachant déjà ce que tu cherches, tu ne verras rien.”
Après un instant, Maya reprit :” Je pense que l’on devrait rentrer si tu ne vas pas bien. Ne t’inquiète pas, je ne t’en veux pas.”
Le soir même, elles cherchèrent un bus qui les mènerait de San Benedetto à Florence. De là, elles en prendraient un autre pour Paris. Elles se levèrent à l’aube le lendemain et attendirent la première navette. Clothilde remarqua pour la première fois des fleurs violettes et bleues à la forme alambiquée et aux pétales délicats. Lorsque les premiers habitants sortirent de chez eux, la navette arriva. En avance à la gare, les jeunes femmes s’installèrent dans un café. Devant elles, un groupe de trois femmes vêtues de robes désuètes, leurs visages ridés brûlés par le soleil, parlaient avec des gestes virulents. Clothilde était captivée par l’ardeur de leurs voix éraillées.
Peu de temps après, elles montèrent dans un bus et Maya s’endormit. Clothilde, qui n’avait pas sommeil, se perdait en rêveries romanesque sur chaque nouveau passager. Brusquement, le bus s’arrêta. Un pneu qu’il fallait attendre le lendemain pour réparer, avait crevé.
« Ça va Maya ? demanda Clothilde, car elle se tenait le ventre, les traits tirés.
— Oui ce n’est rien, juste un peu secouée par la route. »
Mais elle fut bientôt prise de violentes douleurs qui lui arrachèrent des cris déchirants. Clothilde la prit dans ses bras alors qu’elle s’effondrait sur elle-même. Le conducteur du bus fit signe à Clothilde de le suivre et la confia à deux hommes. Leurs visages, difficilement visibles dans la nuit semblaient jeunes et sérieux. Ils les menèrent à un lac où mouillait un bateau à voile. Clothilde et Maya montèrent à bord avant que les deux hommes, Marco et Alessio, ne le firent partir vers le large. Clothilde ne voyait presque rien dans la nuit noire dont l’eau prenait la teinte. Elle voulut lutter contre le sommeil pour veiller sur Maya, mais s’endormit au bout d’une heure. Le lendemain, en s’éveillant, elle fut frappée de l’élégance du ciel bleu dragée, drapé d’une fine brume. Les montagnes qui s’élevaient aux loin telles de nobles majestés en paraissaient plus imposantes encore. L’eau très pure et immobile faisait écho à la beauté des lieux. Émue d’une telle harmonie, Clothilde ne s’aperçut alors que Maya la regardait et s’enquit précipitamment de son état. Elle allait beaucoup mieux et lui apprit que les deux hommes connaissaient un endroit où l’on pourrait la soigner. Sans eux, elle serait sûrement encore souffrante au bord de la route.
Ils arrivèrent dans la chaleur accablante de l’après-midi sur une plage rocheuse. Marco et Alessio les conduisirent dans une ville. C’était un joyeux ensemble de maisons colorées et de hauts bâtiments de pierres blanches. Marco entra dans l’un d’eux et revint avec une voiture qui les mena dans un hôpital. Des infirmières s’y occupèrent immédiatement de Maya. Elle souffrait d’une infection intestinale dont il faudrait plusieurs semaines pour la soigner. Un vieux couple accepta de loger Clothilde. La femme dirigeait une petite épicerie où Clothilde lui vint en aide chaque jour. Les habitants étaient souriants et accueillants. Elle appréciait de s’éveiller au chant des oiseaux dont elles connaissaient maintenant les différents chants. Monsieur et Madame Rossini l’emmenaient en forêt pour lui montrer les plantes bienfaisantes. Ils mangeaient les merveilleux plats de Monsieur Rossini dans des prés de blés qui semblaient d’immenses plaines d’or. Chaque jour, Clothilde rendait visite à Maya qui fut remise au bout de deux mois et vint vivre chez les Rossini. Avec Clothilde, elles vaquèrent ensemble dans des jardins de bonheur et festoyèrent avec leurs nouveaux amis. Puis elles confectionnèrent des présents pour leurs hôtes et les remercièrent de tout cœur. Elles partirent au petit matin et prirent le soir même un bus pour Florence où elles passèrent trois jours charmants. Après quoi, les deux amantes rentrèrent à Paris.
“Et dire que nous allions rentrer sans avoir voyagé, sourit Clothilde la tête posée sur l’épaule de Maya.”


  • Gagnaire

Un jour, je partirai sur mon bateau, un voilier blanc qui brisera les vagues avec grâce et légèreté. Je m’appelle Loïc, un jeune rêveur avide de liberté, en quête d’aventures inoubliables. Depuis ma plus tendre enfance, je suis fasciné par les océans et la sérénité qu’ils semblent apporter.
Loïc habitait une petite ville côtière où les longues étendues de sable fin se mélangeaient harmonieusement aux eaux turquoise. Chaque matin, il se réveillait avec l’envie irrépressible de naviguer vers l’horizon, là où le ciel se fondait avec la mer. Ses camarades l’appelaient “Le Rêveur”, mais peu importait, car Loïc était convaincu que la destinée lui réservait des surprises extraordinaires.
Le jour de ses dix-huit ans, une lettre mystérieuse lui fut remise par un vieux marin au regard profond. Elle provenait d’un ami de son père, disparu en mer lorsqu’il était encore un bébé. Cette missive incita Loïc à réaliser son plus grand rêve et lui révéla l’existence d’une île légendaire, cachée au plus profond de l’océan.
Sans plus attendre, Loïc réunit tout son courage et partit à la recherche de ce paradis oublié. Il passa des mois à préparer son voilier, à l’équiper de tout le matériel nécessaire pour un voyage audacieux. Les jours se transformèrent en nuits sans sommeil, peuplées de cartes marines et de boussoles.
Un matin ensoleillé, Loïc quitta enfin la terre ferme et s’élança vers l’inconnu, voguant au gré des vents capricieux. Les jours s’écoulaient, rythmés par le silence brisé seulement par le bruissement des vagues et le chant des mouettes. Les nuits étoilées réconfortaient Loïc dans sa solitude, lui rappelant pourquoi il avait entrepris cette inoubliable expédition.
Après de longues semaines de navigation, Loïc aperçut enfin une terre émerger à l’horizon. Son cœur battait la chamade, mêlant excitation et appréhension. Aurait-il enfin découvert l’île légendaire de son père ? Une fois amarré, il prit une grande bouffée d’air salé, emplissant ses poumons de cette atmosphère nouvelle.
L’île était d’une beauté à couper le souffle. Des palmiers majestueux se dressaient fièrement sur le sable blanc, tandis que des lagons cristallins scintillaient comme des joyaux précieux. Mais ce qui captiva Loïc fut la présence de peintures anciennes, des symboles mystérieux gravés sur les parois abruptes des falaises. Il était le premier à poser les yeux sur ce lieu sacré depuis des siècles.
En explorant l’île, Loïc découvrit un temple caché au cœur de la jungle luxuriante. Il se sentait comme un archéologue, dévoilant les secrets d’une civilisation perdue. Dans la pénombre, des statues énigmatiques semblaient surveiller chaque mouvement. Loïc ressentait une connexion unique avec ce lieu, un lien ancestral qui transcenda le temps.
Au sommet du temple, il trouva une vieille cassette audio avec une inscription désormais illisible. Il décida de la rapporter sur son bateau, espérant trouver un moyen de la décoder. Cette cassette était peut-être la clé ultime pour comprendre le mystère de cette île.
De retour sur son voilier, Loïc contempla une dernière fois l’île, souriant à l’horizon. Il réalisait que le voyage était bien plus que la destination, que chaque étape était une aventure en soi. Son ardeur de jeune rêveur était restée intacte, et maintenant, il avait l’île et ses secrets à explorer.
Ainsi, Loïc, le jeune rêveur, continua son périple, voguant vers de nouveaux horizons et prêt à affronter toutes les mers, animé par la passion de découvrir les merveilles insoupçonnées que le monde lui réservait.



  • Ma participation, hors concours, sur l’inspiration n°3

Un voilier apparaît sur la ligne d’horizon.
Je n’ai jamais aimé la mer, et pourtant, je suis là, assise sur un rocher, à regarder les embarcations me passer sous les yeux comme si elles étaient les choses les plus passionnantes au monde. Je les fixe, les scrute, pour avoir une réponse, pour qu’elles me disent, parce que je ne sais plus.
L’odeur iodée me soulève le coeur, je me dis que c’est bien fait. Au moins, si je n’ai pas le courage d’aller plus loin… la mer me donne une bonne leçon.
Une mère de famille attrape son enfant pour le faire tournoyer dans les airs, quelques mètres en-dessous de moi.
Je pense à la mienne, à celle qui m’a été donnée, certainement pour me punir d’actes atroces dans une vie antérieure, je ne vois que ça.
Un autre voilier me nargue avec sa liberté et sa voile gonflée d’orgueil, comme pour me répondre.
Je reviendrai demain, comme chaque jour après les cours. Et peut-être que cette fois, j’aurai le cran de m’embarquer dans ce dernier voyage.


Merci à tous pour vos participations et lectures !

A bientôt 💋

4 réflexions sur “Participations au Rendez-Vous des Plumes – Octobre”

    1. Je tiens à vous remercier chaleureusement pour vos mots encourageants concernant mon texte “Terminus”. Aussi, je suis ravi de savoir que la qualité des textes a retenu votre attention. Patrick

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