Participations au Rendez-Vous des Plumes – Septembre 2022

Bonjour à tous 😊

Choix“. Voilà le thème-guide vous a été proposé en compagnie de trois excipits qui avaient pour mission de terminer votre texte. Vous avez puisé dans votre imagination, fait appel à votre créativité, et voici les textes que nous avons eu le plaisir de recevoir….

Les textes ne sont relus qu’au moment de leur publication, et ce uniquement dans le but de vérifier qu’ils ne contreviennent pas au règlement de l’atelier d’écriture. Si le cas devait se produire, le texte ne serait tout simplement pas publié, sans autre recours possible de son auteur. La Petite Boutique des Auteurs n’est pas responsable des coquilles, fautes d’orthographe, syntaxiques ou grammaticales éventuellement présentes dans les textes qui participent au Rendez-Vous des Plumes.
Merci d’en prendre note avant lecture.

Amelia

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· Texte de Brigitte Larignon ·

Cela faisait déjà plusieurs fois que je le croisais dans le quartier. La première fois, c’était un matin. Il était passé devant moi et s’était faufilé dangereusement entre les voitures pour rejoindre le trottoir d’en face. Le lendemain, je ne l’avais pas vu et les jours suivants non plus. Je me surprenais à m’inquiéter pour cet inconnu. Je ne savais si cette inconscience ou cet héroïsme m’avait émue et interpellée. Un soir, je le trouvais attendant tranquillement devant la porte cochère. Je composais les quatre chiffres sur le digicode et la porte s’était ouverte juste assez. Il s’était précipité vers l’escalier croisant à peine mon regard. Le sien était d’un vert transparent. Je remarquais son charme altier, l’harmonie de son apparence et de la grâce dans ses mouvements. Dans quel appartement logeait-il ? Je ne me souvenais pas de l’avoir vu auparavant dans l’immeuble. Il continuait à grimper à l’étage supérieur. Installée dans mon fauteuil, j’imaginais son petit « chez-soi ». Douillet, simple, pratique ou raffiné. Les jours suivants, il apparaissait toujours furtivement et s’enfuyait comme un voleur. Je décidais de m’improviser détective auprès du voisinage et des commerçants afin d’en connaître un peu plus. Mais personne n’en savait plus que moi. Il était tard lorsqu’un bruit discret derrière ma porte attirait mon attention. Je décidais d’ouvrir et sans un mot, le voilà qui s’engouffrait à l’intérieur. Sa façon de se vautrer sur mon canapé me contrariait. Je le trouvais alors, plutôt mal élevé. Il acceptait sans rechigner un peu d’eau et quelques friandises. Je lui proposais de passer la nuit. Au matin, je restais seule avec mes doutes. Avait-il dû faire un choix ? Quelques jours plus tard, sans doute par hasard, je découvrais derrière ma fenêtre, son collier accroché à la gouttière sur lequel était gravé « Félix ». En y repensant, je me disais « Et pourtant, ça aurait pu marcher ».


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· Texte de Laurent Martinot Dubary ·

C’était mon ´ petit ange ‘ mais un ange passe, sans consultations; en deux mots, je me réveille comme le consultant d’un sultanat perdu. Un remake du vieil homme et la mer ; c’est pas l’homme qui prend la mer, c’est l’amer qui prend l’homme . L’amer qu’on voit danser, des vagues à l’âme . C’est le prix à payer, mais quand arrive l’addition, on se rend compte que l’amer douille .Je vais pourtant devoir redémarrer ma vie, alzheimériser le déplorable dénouement de cette illusion décennale, mais avant d’entonner le chant du départ, peut-être faire une cure de Chasse-spleen toujours préférable au monde de Margnat. Appréhender, à défaut de comprendre, la psychologie féminine ; tout un programme. Quand une femme vous dit “oui”, qu’elle jure par tous ses seins que vous êtes “l’homme de sa vie”, qu’avant de vous rencontrer sa vie était décousue, que vous êtes l’idoine couturier qu’elle espérait depuis des lustres et qu’un tel amour paroxystique lui était à ce jour inconnu, évaluez au plus juste les probabilités ainsi que le laps de temps avant qu’elle ne change d’avis. Souvent Femme avanie et bien marri qui s’y fie!Vous avez quatre heures ou éventuellement la vie; autant chercher une goutte d’eau dans une meule de foin. D’aucuns collectionnent les conquêtes quand d’autres multiplient les défaites ; ma vie ,c’est Waterloo sans l’Eurovision ! Morne plaine . Fulgurants départs soldés par des gadins inopinés, idylles avortées ; this is the end my only friend ; les portes de la perception se ferment. Pour agrémenter mon récit, et vous sachant avides de croustillants détails, je m’en vais vous narrer par le menu, le meilleur épisode de ma vie tourmentée . Comme bien souvent, à l’aune de notre intrigue, tout se présentait sous les meilleurs auspices . De bonne foi qu’elle était alors, elle se reconnaissait mariée à un affairiste qui l’avait flairée avant de la ferrer. Sa vie conjugale l’ennuyait ; elle avait égaré ses tables de conjugaison . Tombé sous le charme, je devinais son corps fou sous son corsage . Lors de notre premier rendez-vous galant, un week-end dans une station balnéaire, j’occupais la pole-position et nous passâmes nos premières vingt-quatre heures dûment consacrées aux baignades et au batifolage. Un huitième ciel réciproque qui laissait présager une interminable romance à la hauteur de nos mutuelles espérances ; la résultante de deux longues décantations .
Mon cœur s’emballe et cent balles ça vaut le coup ! Aveuglé par la surprenante clarté de cet amour inespéré, je vivais un merveilleux rêve et, dans la cécité de ma léthargie amoureuse, j’avais succombé à la succube mais ne le savais pas encore. J’avais enfin trouvé l’âme sœur et mordu à l’hameçon . Le phare qui allait orienter ma vie; la plus belle invention depuis le lit à deux places. Apparemment, son mariage ne constituait pas un écueil . Je me rendis compte un peu plus tard et à mes dépens que j’avais malencontreusement saisi mes jumelles par le mauvais côté . Ce n’était pas un écueil ; c’était un roc, un pic, un cap, péninsule du débarquement de mes illusions à venir . Mais pour l’heure , rien de tout ça ; nous gambadions dans les nuages au milieu des lutins . Comment ne pas être transporté , comment douter !
De son côté , son mari entretenait une relation Slave qui paraissait le combler et une séparation, éventuellement un divorce, était des plus envisageable, voire même souhaité par les parties en présence ; comment ne pas être conforté ! Pour simplifier encore, elle connaissait un avocat au barreau qui avait débuté au bas de l’échelle . Nous promenions toujours nos Bisounours dans un domaine où l’Amour serait roi, où elle serait Reine . Nous faisions nid commun, décoré par nos soins, dans un lieu qu’elle avait choisi et, pour ma part, un retour en arrière était indubitablement inenvisageable ; je l’aurais juré ! Que nenni ! Absorbé par la construction et l’amélioration du dit nid, toujours affermi dans mon déni, j’avais occulté un infime détail qui n’allait pas tarder à révéler son importance . Le lien, la ligne, le câble qui maintenait le pécheresse à son conjoint ( peut-être en deux mots ; j’hésite ) était équipé d’un second hameçon séditieux et, tout à ma distraction, j’y avais mordu . Ma destinée était emberlificotée dans les liens sacrés et indéfectibles de leur mariage.Son mari, qui était peintre à ses heures, et quelques fois même à dix-sept, était également pécheur et au gros, s’il vous plait . Et, détail cocasse, c’est lui qui actionnait le moulinet . Avec la candeur qui me caractérise, j’ai pensé : “la canne va se rompre , ma naïade va lutter de toutes ses forces à mes côtés !” Erreur supplémentaire ; il avait un excellent matos, du genre qui vient à bout d’un espadon, d’un marlin, ou, dans le cas présent, de mézigue ! De plus, il moulinait sec le bougre , et avait sélectionné un appât Nevermind irrésistible pour ma sirène ; un billet pour le Nirvana . Un petit ange ne pèse pas lourd, mais quelle ne fut pas ma surprise de constater avec effarement que ses ailes, devenues nageoires, battaient avec force vigueur pour rejoindre le pêcheur! Et chemin faisant, n’omettant pas, suprême injure cynique ( là, par contre, en un seul mot…quoique…), de me faire le panégyrique de ce mari bon à jeter aux orties si peu de temps auparavant. Ses suaves serments, par moi sacralisés, s’avéraient soudainement spécieux, sibyllines billevesées . Après quelques années d’un combat épique, l’extrême patience étant la première qualité requise si l’on veut mener à bien son entreprise, et après moult tentatives de ferrage de cet obstiné, j’ai fini par me résoudre à rompre ma ligne pour interrompre l’irrésistible ascension, assurer ma survie en maugréant sur ma triste situation . Pince-mi et Pince-moi étant de nouveau réunis sur leur bateau, de concert, lui en chef d’orchestre et elle premier violon ; embarqués pour des courses lointaines, il ne me resta plus qu’à m’en retourner vers mon nid , solitaire, ce putain d’hameçon toujours fiché au travers de ma gorge que toutes les mies du monde ne sont pas prêtes de décrocher . Dieu ! quelle douleur de réaliser qu’on s’est trompé parce qu’on l’a été! Au nid soit qui bien y pense! Et pourtant, ça aurait pu marcher.


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· Texte de Riley ·

Lundi 3 octobre, 23h59. Dans une minute, toute ma vie va être définitivement bousculée. Pour le meilleur ou pour le pire, je ne le sais pas encore. Cela fait des jours, des mois, que dis-je, des années que j’attends cet instant et, maintenant que j’y suis, je me sens comme un mouton au milieu des loups. Il faut que je me reprenne, il n’y a pas de raison que ça ne fonctionne pas. J’ai préparé ce moment depuis si longtemps, je suis paré à toute éventualité. Dans ma tête, j’ai rejoué tous les scénarios possibles, du pire au meilleur, du plus plausible, au plus improbable. Que pourrait-il m’arriver que je n’aie pas pu prévoir ?
Je regarde ma montre, une montre suisse hors de prix, qui me vient de mon grand-père. Prenons un instant pour en parler. Officiellement, mon grand-père est mort. Si vous le cherchez, il sera obligatoirement fait mention de « décédé » ou « mort » quelque part. Officieusement, il est bien vivant et, à mi-chemin entre les deux, porté disparu. La version que vous connaissez définit votre degré de proximité avec mon grand-père. Mort, mon aïeul vous accordait autant d’importance qu’à un chewing-gum sur le trottoir. Porté disparu, c’est que vous avez dû lui rendre un service, sans demander de contrepartie. Enfin, si vous faites partie de la poignée d’élus à savoir qu’il est toujours vivant, alors, mon grand-père donnerait sa vie pour vous. Mais, trêve de bavardages, je vous disais donc qu’en regardant ma montre, j’ai noté qu’il ne restait que quelques secondes avant minuit.
Je sentais mon cœur s’accélérer, mes jambes devenir de la mousse. Plus que 5… 4… 3… 2… 1…

0… J’appuyais, comme prévu, sur le bouton de la machine dans laquelle je me trouvais. Comme prévu, une injection dans mon bras me plongea dans un coma profond. Mon rythme cardiaque était stable, je savais que le stress et la panique seraient mes pires ennemis.
A cet instant, je devais faire un choix : laisser mon esprit entraîner ma conscience dans un trou noir ou décider de prendre le contrôle et, ainsi, permettre à mon corps psychique de quitter mon corps physique.
Je choisis la seconde option. Un sentiment étrange s’empara de tout mon corps. J’avais l’impression d’être l’opercule d’un yaourt qu’on retire, je sentais mon esprit se désolidariser de mon corps. Sensation à la fois étrange et grisante.
Une fois ce sentiment passé, je décidai de baisser mon regard et, comme je m’y attendais, je vis mon corps assis dans la machine, immobile. Je distinguais à peine ma respiration. Je pris un instant pour l’observer. J’analysais les dégâts que mes 33 années de vie avaient eues sur mon organisme et je n’étais pas déçu du résultat. Une chevelure parsemée de grosses mèches blanches. Je pouvais relier chacune au choc qui l’avait provoquée. Des cicatrices sur les poignets, cadeaux de mon état dépressif majeur, qui ne me quittait plus depuis mes 16 ans.
Je détournai le regard et décidai de ma destination : le Machu Picchu. Aussitôt pensé, aussitôt arrivé. Je découvris ce site dont j’avais si souvent rêvé. Il était devant moi, majestueux, intact. Le temps semblait n’avoir jamais existé. C’était comme s’il venait de sortir de terre. Je voguais à travers le site, m’émerveillais de toute cette beauté, dont j’étais le seul spectateur. Je me gavais du moindre recoin de ce lieu historique. Il n’y avait personne.
Puis, je décidai de passer au niveau suivant. Je m’immobilisai, pris une grande inspiration et pensais à ma prochaine destination : les chutes du Niagara. Et en un battement de cils, j’y étais. Le fracas de l’eau, la puissance qui en ressort et la majesté des chutes, tant de merveilles devant mes yeux ébahis et, comme précédemment, personne. J’étais au fond des chutes, là où il est habituellement mortel de se rendre, mais, m’étant délester de mon enveloppe charnelle, je ne craignais rien. J’étais grisé par l’expérience.
C’est alors qu’une idée folle s’encra dans mon esprit. Cela faisait plus de 20 ans qu’un fait divers me passionnait et m’intriguait. L’affaire KWMD, soit Kevin-Walter McDouglas. Un homme comme les autres, père de famille aimant et aimé, chef d’entreprise au succès sans précédent, l’homme de l’année. L’homme de l’année, oui, jusqu’à ce jour macabre où KWMD a disparu, sans laisser de traces, enfin, si, des cadavres derrière lui. Ceux de son épouse, ses filles, sa mère et ses deux sœurs. Les corps ont été retrouvés à différents endroits où McDouglas a été vu durant sa cavale. Personne ne sait comment ils sont arrivés là, personne ne sait ce qu’il leur est arrivé. Et personne ne sait ce qu’il est advenu de McDouglas.
Alors, j’ai fermé les yeux, j’ai visualisé de toutes mes forces McDouglas, son visage, ses traits, son corps. J’ai poussé mon effort à son maximum pour matérialiser le moindre centimètre carré de McDouglas dans mon esprit et… rien. J’étais toujours aux chutes du Niagara. Je pensais alors qu’il me fallait attendre avant de pouvoir retenter un voyage, une sorte de temps de chargement. Je ne sais pas combien de temps j’ai attendu, cette notion disparaissant quand nous ne sommes plus qu’esprit.
Et j’ai réessayé. Les chutes sont devenues toutes noires, l’eau a pris l’apparence du pétrole. Le ciel s’est assombri à en devenir indistinguable du sol. J’étais dans le noir complet et un silence de mort s’est abattu sur moi. La panique commençait à gagner du terrain, j’essayais de me reprendre, je savais qu’une crise pourrait me coûter cher, très cher. Mais rien n’y faisait, tout était toujours tout noir.
C’est alors que je le vis. McDouglas. Une silhouette blanche déchirant les ténèbres. Il avait un sourire carnassier sur le visage. Son apparence n’avait pas changé de son avis de recherche d’il y a 20 ans. Était-il vivant lui aussi ? Ou mort ? Et moi ?
Arrivé à ma hauteur, McDouglas s’assit en tailleur, à même le sol et m’invita à faire de même.
« C’est culotté de votre part de venir ainsi me déranger ». Il avait parlé sans ouvrir la bouche, sans un mouvement. J’essayais de ne pas penser, pour ne pas communiquer ce qu’il se passait dans ma tête, mais c’était peine perdue. « Oui, vous pouvez oublier de me cacher quelque chose ici. Vous pensez, j’entends. Votre bouche est superflue ici. La communication verbale est obsolète. »
« Etes-vous vivant ou suis-je mort ? ».
« C’est infiniment plus complexe que cela, mais là n’est pas la question. Maintenant que vous êtes parvenu à interférer mes ondes, il faut que je vous fasse disparaître. Une communication spirituelle trop longue et vous pourrez accéder à certaines données qui causeront ma perte. »
A peine sa phrase terminée, McDouglas sortit un étrange couteau de derrière son dos. Il s’approcha de moi et leva son arme au-dessus de ma tête.
« Attendez ! Juste une question. »
A ce moment-là, je ne savais plus si c’était ma curiosité ou mon instinct de survie qui s’exprimait.
« Oui, demandez toujours. Rien ne m’oblige à vous répondre. »
« Que s’est-il passé il y a 20 ans ? Et pourquoi ? »
« Vous aviez dit une question, j’en compte deux, mais bien. Donc, il y a 20 ans, j’ai réalisé que cette vie ne m’était pas destinée. J’ai compris qu’ON avait un plus grand projet pour moi. Que je ne pourrais jamais pleinement m’accomplir en restant encombré d’une famille, qui ne serviraient pas mes intérêts, le moment venu. Ce que personne ne savait, c’est que j’avais déjà, par le passé, tué mon père, mon frère et mes deux fils. ON m’avait dit que c’était le passage obligé pour atteindre ce rôle qui m’attendait. »
Je pensais qu’il allait reprendre, mais, en une fraction de seconde, je sentis mon esprit se briser. Comme un puzzle que l’on détruit. Ma soif de réponses venait de causer ma perte, bien que j’eusse réussi à développer un pouvoir psychique sans précédent.

J’ai fait le mauvais choix.
J’aurais pu faire le bon, si je n’avais pas écouté ma curiosité malsaine.
J’aurais pu révolutionner le monde.
Je pensais que mon invention ferait de moi un fou.
Et pourtant, ça aurait pu marcher.


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· Texte de Ghislaine Victor ·

Elle tituba, se retint péniblement contre la rambarde et tituba encore. Rien ne s’était passé comme prévu. Ils avaient pourtant bien étudié les plans. Chacun connaissait sa partition par coeur. Ils avaient répété maintes et maintes fois, jusqu’à l’écoeurement. La confiance avait été au beau fixe malgré une légère tension dans les épaules et quelques crampes d’estomac. Elle ferma les yeux, ravalant sa nausée.
D’où était venue cette idée déjà ? Malgré le découragement qui commençait à l’assaillir, elle se surpris à sourire. Bien sûr, c’était lui qui en avait parlé en premier.
— Et si on affichait en grand notre slogan pro-nature ?
— Pro-nature ? De quoi tu parles ? On proteste contre l’ouverture de la chasse, pour la protection des animaux et la promotion du végétarisme ! Pro-nature c’est un peu vaste non ? S’énerva Anton.
Anton et Quentin étaient comme deux coqs de basse-cour, toujours à se chercher, se filer des coups de bec et se défier à celui qui ferait le plus beau cocorico.
Les filles de la bande en riaient, se moquant gentiment de leur rivalité ridicule. Leur groupe d’amis avait pris l’habitude de se réunir une fois par semaine, pour essayer d’établir une stratégie qui permettrait à leur mouvement pour le vivant de prendre forme et d’impacter les politiques de l’état concernant l’agriculture, l’élevage, la chasse et la pêche, les permis de construire défigurant le littoral et elle en oubliait. C’était ça leur problème, ils voulaient se battre sur tous les fronts. Elle aurait souhaité qu’ils choisissent un ou deux sujets, qu’ils l’explorent à fond et qu’ils agissent ensuite. Mais surtout elle aurait préféré qu’ils se battent pour quelque chose et non pas contre. L’énergie du pour n’était pas la même que celle du contre.
Quentin avait eu le dernier mot. La nature ça englobait les animaux, les légumes et le littoral.
— Ok Clémence, on se bat pour la protection de la nature. Ça te va ?
— Bah comme le dit Anton, c’est vaste la nature. On aurait davantage d’impact si on choisissait un angle d’attaque, non ?
— Oui, tu as raison. Et c’est pour cela qu’on se réunit toutes les semaines.
Ce soir-là ils avaient débattu longtemps sur la couleur qu’ils souhaitaient donner à leur mouvement. Ils voulaient avant tout être dans la non violence. La violence était déjà trop présente dans ce à quoi ils s’opposaient. Violence contre la terre, contre le microcosme et le macrocosme, violence faite aux animaux et par extension violence faite aux hommes. Ils voulaient ramener de la douceur, de la bienveillance et de l’humour dans le débat, dans le combat… d’où l’idée d’Anton.
Que cherchait-il à prouver ? Elle frissonna, l’humidité qui recouvrait ses vêtements la glaçait et elle n’avait plus les idées claires. Elle espérait que les autres avaient réussi à limiter la casse de leur côté.
Le but avait été que chacun affichât un symbole sur un lieu clé représentant ce contre quoi ils luttaient. Une sorte de rébus, pour ensuite faire marcher les réseaux sociaux et que leurs followers prennent en photo leurs affiches afin de recréer ledit rébus porteur de leur message.
Un par un ils postaient sur leur compte insta un indice permettant de retrouver le lieu où ils étaient, ensuite les abonnés pouvaient se déplacer et prendre en photo leur œuvre. Elle avait suivi les posts de chaque membre du groupe, deux manquaient à l’appel et elle n’avait pas réussi à placer sa banderole. S’il manquait des symboles, leur message serait incompréhensible et leur but ne serait pas atteint. Elle s’en voulait. Elle avait réussi à sympathiser avec le gardien du phare et lui avait subtilisé ses clés de façon assez sournoise d’ailleurs pour en faire un double. Elle avait prévu de venir à la nuit tombée lorsqu’il serait absent pour dérouler sa banderole du haut du phare et ensuite repartir tranquillement ni vue ni connue. C’était sans compter sur le temps pourri qui s’était abattu dans la soirée sur la côte atlantique. Ils avaient maintenu l’opération. Célia avait choisi un abattoir, Quentin un élevage intensif, Anton visait la fédération nationale des chasseurs, Ernest le ministère de l’agriculture et Rachel le local du parti du gouvernement en place. Quelle folie cette idée ! Mais elle leur avait plu, ils s’étaient cru dans un film style Ocean Eleven et s’étaient investis à fond dans leur « mission ».
Et voilà qu’elle était là, bloquée en haut du phare, la banderole envolée et les yeux rivés sur son portable. Elle avait prévenu les autres de ses déboires et du secours allait lui être envoyé. Finalement, ce n’était pas très grave, elle aurait pu tomber si le vent s’était fait plus violent, se noyer et disparaître à jamais. Elle soupira, se blottit contre le corps du phare et regarda en souriant le sms que venait de lui envoyer Quentin : « Et pourtant ça aurait pu marcher ».


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· Texte de Pascal Dandois ·

Le papillon sur la boîte de camembert

Muriel était arrivé dans le magasin peu avant sa fermeture. Son mari lui avait demandé de lui acheté une boîte de camembert et il n’en restait que deux dans le rayonnage, de deux marques différentes mais au même prix. Il lui fallait pourtant faire un choix. Celui-ci se porta sur le fromage qui avait le dessin d’un très joli papillon sur l’étiquette ; Muriel aimait beaucoup les papillons. Le second camembert fut acheté par la compagne du ministre à l’écologie qui était en plein travail lorsqu’elle lui apporta le produit alimentaire. Il était sur son ordinateur, en pleine réflexion à propos de deux projets affichés sur son écran ; celui du recyclage des plastiques divers et variés qui permettrait à partir de ceux-ci de reproduire du pétrole, de régénérer en quelque sorte cette huile singulière contenue dans ces plastiques afin donc de refaire le carburant. C’était tentant en effet, d’ainsi d’utiliser tous ces déchets, ces ordures pour leur rendre à nouveau un usage énergétique. Le second projet d’une origine obscure, indéfinie semblait quant à lui improbable, tellement évident qu’il n’y croyait pas ; il s’agissait simplement d’une technique de production d’électricité à partir de presque rien puisqu’elle se contentait de se servir de la pesanteur, de la gravité ; un simple poids chutait et par un système de poulies et de balanciers bien que complexe, pour autant pas si élaboré que ça, s’enclenchait quelque turbine qui générait de l’énergie éclectique. Il était perplexe. Il pris, tout à sa réflexion, un bout du fromage que lui avait apporté sa concubine pour sa collation. Ce camembert à vrai dire était très coulant, et quand il le porta à sa bouche la crème de produit laitier tomba sur le clavier de l’ordi. En quelque sorte ce fut le calendos qui fit un choix puisque le second projet fut alors envoyé, via le réseau internet du ministère, jusqu’à celui de la présidence où accidentellement, une femme de ménage, en passant rapidement un chiffon sur les touches du portable du président, envoya le document sur le profil du réseau social de sa femme qui venait d’y poster quelques photos avant de négliger de se déconnecter. De fil en aiguille l’invention fit alors le tour du monde et résolut le problème énergétique. Le mari de Muriel avait dit à sa femme que son camembert était trop plâtreux. Dans son bureau l’ex- multimilliardaire Joe Cash était un peu dépité, il se serait bien vu faire un max de fric avec l’économie du recyclage des plastiques, il se dit : « Et pourtant, ça aurait pu marcher. »


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· Texte d’Alexandra Morin · 1ère place

Le vieil homme tenait dans sa main une réponse positive. Il avait mis toute son âme, tout son coeur et toutes ses larmes dans son témoignage. Ce retour était la confirmation – dont il n’avait pas besoin – que son histoire était belle et qu’elle valait la peine d’être vécue. Il relut la lettre.
Habitant n°36,
Votre précieux souvenir a été étudié avec attention. Nous avons le plaisir de vous informer qu’il a été sélectionné pour participer à la reconstruction de notre société. Vous pouvez vous rendre dès à présent au bâtiment de l’Imperium de votre District afin de procéder à son extraction. Vous serez ensuite redirigé vers le bureau des admissions pour le prochain départ vers l’Oasis.
Nous vous remercions de votre dévouement et de votre partage, et soyez assuré que vous serez récompensé comme il se doit.
Imperium,
Département de la Mémoire collective,
District 1038.
Sur la table du vieil homme, il y avait le prospectus numérique reçu quelques jours plus tôt. On pouvait y lire, dans une fine police :
« L’Oasis vous ouvre ses portes ! Le confort est à portée de main. Revivez pleinement vos plus beaux souvenirs et aidez l’humanité à se reconstruire ! ».
Le document était illustré par la silhouette d’un homme foulant un sol désert et poussiéreux, et se dirigeant vers une vive lumière cachant des montagnes à l’horizon.
— L’Oasis… dit le vieil homme de sa voix tremblante, en fixant l’illustration.

Aussitôt, la silhouette se mit à bouger. Elle avança vers la lumière et le décor changea. Les couleurs devinrent chaudes, une musique douce résonna. Des images de paysages somptueux défilèrent, des cornes d’abondance remplies de mets savoureux apparurent et d’agréables odeurs s’échappèrent du prospectus.
Une voix harmonieuse vint accompagner la musique :
— « L’Oasis. Ce bonheur est à portée de main. Vous aussi, quittez la Terre et rejoignez la base spatiale de l’Imperium. Ayez la vie que vous méritez, retrouvez le confort et la sécurité. »

Les odeurs et les couleurs s’intensifiaient. Il se sentit apaisé.
— « Aidez-nous et rejoignez-nous ! Afin de se reconstruire, l’humanité a besoin de se souvenir, de laisser un témoignage positif pour les générations futures. Une trace essentielle, incontestable, profondément vraie. »

Des images d’enfants courant et riant défilaient. Des éclats de rire et des parfums sucrés habillaient l’air, renvoyant le vieil homme à son lointain passé.
— « Vos plus beaux souvenirs sont la clé. Partagez-les-nous et forgeons ensemble le monde de demain ».

Enfin, le prospectus retrouva son aspect initial et l’obscurité triste du box s’installa à nouveau. Le sifflement du vent à l’extérieur ramena le vieil homme à la réalité. Il regarda par la fenêtre ; le contraste fut brutal.
Depuis la Grande Catastrophe, propulsée par la folle période d’abondance, plus de la moitié des êtres vivants avait disparu. L’autre moitié était devenue stérile. Un désert de terre rouge avait remplacé la nature verdoyante, l’air était lourd et chargé de poussière. Les citoyens ne sortaient plus que pour se rationner aux heures imposées ou pour aller travailler dans les serres.
Pour instaurer un ordre et dans l’espoir d’un renouveau, l’Imperium avait rapidement pris le contrôle de la planète. Il dirigeait la base spatiale de l’Oasis, véritable terre d’asile pour les humains. Hélas, tout le monde ne put être emmené. Les Privilégiés partirent en premier, laissant derrière eux une terre dévastée dont les Oubliés durent s’occuper.
Pour perpétuer la race humaine, l’Imperium incubait des embryons artificiels. Ces enfants de l’espace avaient pour mission de reconstruire une civilisation. Afin de garder cet objectif en tête, ils devaient se
plonger régulièrement dans la machine des Temps passés. Cette technologie pouvait faire revivre les souvenirs dans les moindres détails. Elle était capable d’extraire des instants de vie afin que les plus belles émotions des femmes et des hommes d’autrefois puissent être partagées. Ainsi, l’avenir ne pouvait qu’être un espoir merveilleux pour ces enfants du futur et leur mission une conviction religieuse. Pour les Oubliés, la chance de pouvoir enfin rejoindre le reste des hommes était arrivée. Leur mémoire serait leur laissez-passer.
Ainsi, le vieil homme allait participer à la reconstruction de l’humanité. Il allait pouvoir revivre un souvenir précieux. Il sentirait son coeur battre à nouveau et cet instant en ferait naître des milliers d’autres. Enfin, il partirait pour l’Oasis.

Dans la pièce sombre et silencieuse de l’Imperium, on affubla le vieil homme d’un casque. Pas un mot ne fut prononcé. Il ferma les yeux.
Le chant d’un oiseau vint rompre le silence. Un cantique clair et mélodieux , celui d’un matin d’été. Un clapotis rond et régulier trahissait la présence d’un ruisseau, tandis qu’au loin des sons de cloches retentissaient, de celles suspendues au cou des bêtes. La douce caresse du soleil lui donna un frisson empli d’émotions. Il remarqua qu’il était assis, ses mains posées dans les hautes herbes. Il reconnaissait au toucher les fleurs sauvages des champs bleus d’antan. Ses narines frémirent. Des parfums familiers lui parvinrent ; celui de la lavande, de la terre sèche et du bétail. Le mistral emportait toutes ces odeurs et les assemblait dans une valse enivrante. L’arôme subtil des terres de son enfance l’envahit, il fut alors pris d’un vertige merveilleux.
Il ouvrit les yeux. Devant lui s’étendaient les vallées aux mille couleurs, celles qu’il avait tant aimées, tant parcourues, tant vécues. Le ciel pur et d’azur teintait l’horizon de sérénité. Mais ses songes furent chahutés par des rires cristallins. Des mains maladroites l’enlacèrent et deux galopins l’embrassèrent. Ils sentaient la pomme et le bois humide. Ils repartirent en courant. Il voulut les retenir, leur dire de ne jamais cesser de s’émerveiller, mais il ne put que les contempler, les chérir du regard.
Puis il sentit dans son cou un souffle l’effleurer. Un baiser naissant qu’il vint cueillir en se retournant. Ses lèvres aux saveurs divines et ses cheveux aux senteurs délicates le firent voyager plus intensément encore. Ses douces mains caressaient son visage. Lorsque leurs lèvres se séparèrent, il plongea son regard dans le sien. Des yeux sincères et sans nuages, dont les pensées trahissaient un amour exaltant. Il l’aimait. Aussi fort qu’il le pouvait. Et alors qu’ils se regardaient, de tout son être, de toute son âme, il les remercia d’être la promesse de lendemains chantants.
Le retour fut brusque. La froideur de la pièce envahit chaque centimètre de son corps. C’était terminé.
Il n’entendait plus que les cliquetis incessants de la machine poursuivre leur désagréable concert. On lui demanda s’il était apte à marcher car il avait retrouvé son corps fatigué et abîmé.
Il reprit la route, seul. Le paysage était désert, sec et poussiéreux. Le vieil homme se sentit hagard, perdu. Il sentait un vide en lui. Ses émotions se bousculaient, elles semblaient se livrer bataille. Son esprit était embrouillé. Il essayait de se souvenir, mais n’y parvenait pas. Il regarda alors le papier qu’il tenait dans sa main. C’était la preuve qu’il avait été utile. L’espoir qu’il pourrait permettre au prochain monde d’exister, que ce souvenir permettrait le retour de la vraie vie. Malgré son hébétement, il savait qu’il avait vécu un instant précieux. Le plus précieux de tous. Il sentait qu’il venait d’être heureux, mais comme cela était prévu par l’extraction, il ne savait pas et ne saurait plus jamais pourquoi. Marchant vers le soleil couchant, foulant la poussière des routes désertes, le vieil homme avançait vers un lendemain nouveau. Un jour dont le passé semblait plus vide, mais le futur chargé d’espoir. Un monde à venir plus beau que l’amer présent. Un autre jour, une autre vie.


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· Texte d’Athénaïs Grave ·

Ils n’auraient jamais dû se rencontrer. Et pourtant, la vie est parfois pleine de surprises. Inattendues. Ils n’auraient jamais dû se rencontrer. Et peut-être pour eux qu’il aurait mieux fallu. Cela leur aurait éviter les souffrances de leurs cœurs. Ils n’auraient jamais dû, pour eux. Mais pour le monde, leur brève rencontre cache un espoir dont même eux n’ont pas idée.
Ce ne sont que deux adolescents. Que tout oppose. Que le monde ne souhaite pas voir rire ou jouer ensemble. Et pourtant, leurs chemins se sont croisés. Un après-midi.
Lui, n’aurait pas dû se trouver là. Mais quand on a quinze ans, on aime désobéir. On se sent invincible. Et l’interdit a ce quelque chose d’irrésistiblement attrayant. Le danger a ce quelque chose de sensuellement romanesque. L’inconnu a ce quelque de décidément séduisant. C’est pourquoi il a franchi les murs. Qu’on est idiot et inconscient à quinze ans.
Cet après-midi là était ensoleillé. Cet après-midi là était censé être un après-midi de trêve. Il ne courrait donc aucun danger ? Il s’était alors décidé à se glisser dans les rangs ennemis. Il voulait les voir. Il voulait savoir s’ils étaient tel qu’on lui avait décrit. Il voulait les connaître, car un jour ce serait son tour de les affronter, quand il serait enfin devenu un homme.
Ce fut ainsi qu’il la vit. Assise sur une large pierre blanche. Ses rares mèches de cheveux noirs, échappées de son foulard réglementaire qui la protégeait des assauts du soleil, dansant dans le vent. Il fut frappé par le contraste de ses yeux clairs avec sa peau halée. Elle était belle. Belle malgré les épreuves. Belle malgré la guerre sourde. Belle malgré les souffrances. Pourtant, on les lisait nettement dans ses yeux. Deux livres ouverts sur sa vie.
Il s’approcha, précautionneusement, pour ne pas l’effrayer. Elle devait avoir à peu près le même âge que lui. Si semblable et en même temps si différente. Elle fit un geste de recul en l’apercevant. Il s’arrêta alors net, et leva les mains pour montrer pattes blanches. Avant de reprendre lentement sa progression.
Elle, ne fuyait pas. Elle était intriguée par ce garçon, qui avait eu l’audace de franchir leurs lignes. Elle se plongea dans ses yeux espiègles. Ils ne dirent rien. Ils se sourirent.
Le garçon sortit de sa poche un jeu d’osselets. Et ils commencèrent à jouer. Le langage du rire est international. Ensemble, ils ne virent pas les heures passées.
Malheureusement le monde est cruel, même avec deux jeunes innocents. Les sirènes résonnèrent. La trêve était terminée. Ils échangèrent un dernier regard avant de chacun trouver refuge dans leurs camps respectifs.
Peut-être que dans d’autres circonstances ces deux-là auraient pu devenir de grands amis. Mais pas sous le joug de la loi des grandes personnes et de leur soif de pouvoir. Plus tard, peut-être, nos deux rebelles d’un jour se retrouveront-ils ? Un autre jour, une autre vie.


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· Texte de Bernard Mollet ·

Comme tout un chacun, j’ai subi deux années bizarres, deux années désastreuses d’enfermement, d’isolement, d’ennui, de liberté surveillée et je viens juste de reprendre pied dans la vraie vie.
Enfin, dans ce que certains osent appeler la vrai vie…
Car comment vivre normalement dans ce monde ?
Je me suis interrogé longtemps et j’en suis arrivé à un rejet d’une humanité qui ne peut plus marcher sans un téléphone à la main, qui ne respecte plus les vieillards, qui pollue continûment cette pauvre planète qui n’en peut plus d’essayer de reprendre son souffle…
En fait, je viens de m’en apercevoir à l’instant, je n’aime plus les gens, dès qu’ils sont rassemblés, les foules hurlantes des défilés syndicaux ou des stades de football, les masses fanatiques des concerts ou des énormes spectacles télévisés qui sont comme manœuvrés tous ensemble par un grand manipulateur qui les fait applaudir ou huer.
Je rêve d’un nouveau Panurge qui parviendrait, en amenant au fleuve un meneur de ces multitudes, à faire s’y jeter ce grouillement moutonnier à sa suite, prouvant ainsi que les cerveaux réunis en communauté dans ces occasions sont mis en veille.
J’ai besoin de calme, de silence, de ne plus voir ni entendre de tas de tôles si laids et si bruyants, mais sur le moindre banc de square, dans le moindre coin de fin fond de vieux bistrot, et même caché sous un drap dans mon lit, je suis débusqué, envahi de bruit, de parlotes et de cris, de pétarades ignominieuses, de marteaux-piqueurs et de rappeurs à cent décibels.
Je crois que je deviens fou, je suis prêt à n’importe quoi, je repasse en boucle dans ma tête tous les endroits que j’ai visités pour en garder un dans ma ligne de mire, un où j’avais trouvé, en y passant, un peu du calme que je recherche.
Et voilà, je crois que je l’ai enfin trouvé, ce lieu de retraite, dans un vieux, très vieux souvenir d’une excursion où, enfant, je m’étais ennuyé car pour moi, à cette époque de mon adolescence, il n’y avait rien !
Et rien, c’est justement ce que je veux, avidement, rapidement, totalement.
Mon futur port d’attache, mon jardin secret ?
Une île…
Une île toute simple, toute grise, toute bête, toute plate, au large de tout continent, jetée là au milieu de l’eau comme une poignée de terre et de cailloux venue de nulle part.
Pas celle de la magnifique carte postale toujours ensoleillée qu’on aime envoyer aux amis envieux.
Non, un amas hétéroclite de limons gris et de rochers usés et battus par des vents furieux !
Pas de merveilleuse et inoubliable lagune bleue à l’eau tellement transparente qu’elle donne envie d’y retrouver tout au fond ses lointaines origines maritimes…
Non, une crique fangeuse et déchiquetée, tantôt envahie brutalement par une mer impétueuse couleur de plomb, tantôt laissée à découvert, toutes algues dehors, abandonnée de la moindre trace de vie comme un bourbier insalubre.
Pas de cocotiers à l’horizon pour y suspendre son hamac, nul filao ombreux pour s’y protéger des ardeurs solaires redoutables !
Non, quelques rares roses trémières rachitiques, quelques rosiers nains rabougris à force de vent chargé de froide humidité.
Pas de ces sortes de lézards multicolores et lents ou d’animaux exotiques improbables à peine différents de leurs ancêtres préhistoriques.
Non, quelques chats faméliques et sales venant en bande se frotter à vos jambes dans l’espoir de recueillir quelque hypothétique provende avant de repartir vers les vieilles masures pour y traquer la souris percluse.
Pas de ces magnifiques et inoubliables oiseaux de paradis tellement semblables à des fleurs totalement inventées et pleins de couleurs folles et fluorescentes.
Non, des vols entiers de mouettes tapageuses aux cris discordants venant troubler le soudain silence qui circonscrit deux vagues tumultueuses.
Pas de champs démesurés de cannes à sucre aux millions de feuilles vibrant à perte de vue sous la douce brise des alizés…
Non, des espaces exigus d’anciennes cultures d’artichauts dont il ne subsiste que les tristes bâtons, pauvres moignons noirs tendus vers un ciel maussade.
Pas de plantations d’ananas alignés comme à la parade et aux couleurs aguichantes amenant déjà à la bouche le subtil goût sucré du fruit…
Non, à perte de vue, des champs sinistres vides de pommes de terre, rendus bourbeux par les cafardeuses pluies quasi quotidiennes.
Pas de sable tellement fin couleur de miel où il fait si bon s’étendre, pas de galets polis et lustrés par les vaguelettes incessantes mais douces.
Non, d’abruptes roches brunes qui ne s’interrompent brutalement que pour laisser place à la vase malodorante ou à la mer agressive !
Pas de jolies naïades aux couleurs pain d’épices se dorant aux rayons avenants du soleil, ni de beaux surfeurs blonds se jetant courageusement dans les rouleaux pour défier les eaux !
Non, à marée basse, quelques autochtones bougons en vieilles bottes jaunâtres équipés de crochets rouillés et de cageots d’un autre âge, à la recherche illusoire de crabes suicidaires ou de coquillages perdus.
Pas de myriades de poissons exotiques multicolores et fluorescents venant vous suçoter la peau ni de petits requins maladroits cherchant aventure…
Non, des os de seiche blanchis et flottants, des carapaces d’étrilles récurées jusqu’au plus minuscule tréfonds, d’énormes et hideuses méduses bleuâtres échouées, perdant en un même filet s’écoulant lentement leur eau et leur âme.
Pas de nacres chatoyantes ou d’écailles chamarrées laissant entrevoir dans les yeux des femmes des envies de ces colliers sans fin de souvenirs diaprés.
Non, des coquilles d’huîtres blanchies et usées à force d’être emmenées et ramenées par les flots, des restes ébréchés de moules brisées extirpées des bouchots par les lames brutales d’une mer jamais apaisée.
Pas de fier trimaran blanc constellé de logos publicitaires et au spinnaker aux tons éclatants largement déployé battant sous les vents portants.
Non, un antique et bruyant chalutier puant le vieux gas-oil, tout mal rafistolé et recyclé cahin-caha dans le ramassage difficile du goémon croissant sans fin au fond d’une baie grise.
Pas de case typiquement créole, colorée et garnie de lambrequins, construite de bric et de broc ni d’hôtel tropical prétentieux mais accueillant, frais et ombragé…
Non, un antique phare rescapé et délavé tout rempli de cicatrices et misérable témoin de mille pitoyables naufrages meurtriers.
Pas de restaurant-snack-crêperie-bar-souvenirs accueillant inexorablement le sempiternel touriste débarqué par la navette matinale de dix heures et rembarquant à seize heures, heureux de repartir car mourant d’ennui, bourré de cidre et de crêpes, chargé de cartes postales et de mauvaises photos !
Non, une unique, minuscule, quasi introuvable et ancestrale échoppe-épicerie-dépôt de pain-café assurant vaillamment par tous les temps et tous les jours de l’année le ravitaillement entier du village, avec de vieux boutiquiers d’un autre âge servant patiemment la goutte ou la chopine aux trois éternels clients habitués du lieu.
Et pourtant, pourtant, comprenne qui peut, c’est là-bas, dans cette île ingrate, que j’ai envie de faire enfin une pause, c’est là-bas, dans ce bout de planète perdue, que j’aimerais vraiment m’arrêter un moment, là-bas que je voudrais tellement faire enfin le point, écouter s’exprimer mon corps, laisser discourir mon âme, m’extraire sans bruit du monde de ceux qui se croient encore vivants, m’évader enfin un temps de la civilisation par trop envahissante…
Je veux être une sorte d’ermite occupant une vieille cabane, se nourrissant de ses trouvailles et se chauffant au bois flotté, avec pour seul son celui de la mer.
Dans mon souvenir forcément enjoliveur, cette île, elle est remplie de lumière, calme, parfumée, accueillante, verte, aux plages vides et aux maisons rares, dans ma mémoire d’ancien enfant, cette île, mais bien sûr, voilà, c’est celle de Robinson !
Alors, pour de bon, cette fois c’est décidé, je vais faire mon sac, j’y vais, je pars, disons…
Vendredi !
Un autre jour, une autre vie.


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· Texte de Mallory Besson ·

Bulle

Ce matin, comme chaque jour je me réveille dans ce petit appartement que je partage avec ma meilleure amie, Céleste. Je sors de notre immeuble délabré, je monte sur la petite barque et je pars à la recherche de nourriture, cette denrée est de plus en plus compliquée à trouver, sous cette bulle qui nous étouffe. L’état nous dit que c’est pour nous protéger de l’extérieur, mais qui a-t-il de si dangereux à l’extérieur de notre prison de verre. Un garçon passe devant moi sautant de plateforme en plateforme. Je rame plus vite, je ne l’ai jamais vu, étrange pour une petite ville comme Bulle. Je le rejoins sur une ancienne terrasse en bois. Grand, Brun, tatoué. Tatoué ? Comment peut-il être tatoué c’est un délit ici, il risque la mise à mort sur la place publique. Qui serait assez inconscient pour se faire tatouer à Bulle. A moins qu’il ne vienne pas d’ici, serait-ce un étranger, comment est-ce possible ? Viendrait-il de l’extérieur ? Qui est-il ? Voyant mon regard intrigué, il se présente sous le nom d’Alex. Il me sert la main, je lui donne mon prénom : Thalya. Son regard est déstabilisant, il me dit qu’ici tout est totalement différent de chez lui. Il me chuchote que je suis la première habitante aimable qu’il rencontre, que jusqu’à présent il c’était fait poursuivre par des hommes en uniforme violet. Je lui demande de répéter, des uniformes violets, mince, il faut fuir, on risque tous les deux gros à rester à la vue de tous. On monte sur ma barque et je rame aussi vite que possible pour rentrer à l’appartement. Les marches montées 4 à 4 j’ouvre la porte à la volée en appelant Céleste. Elle répond présente inquiète par mon ton de parole, je lui explique que je viens de me mettre dans une histoire pas possible à cause d’un homme, charmant certes mais tout de même. Elle me traite d’inconsciente et dit au garçon, nous observant, qu’il faut qu’il parte. Il lui répond qu’il a essayé mais que le trou par lequel il a réussi à traverser la paroi de verre est maintenant surveillé pars des hommes. La panique commence à monter dans cette minuscule pièce. Le son des trompettes raisonne dans la bulle, ce n’est pas vrai ce n’est pas le moment. Céleste il faut qu’on descende. Que se passe-t-il ? nous demande Alex. Une exécution sur la place principale, tous les habitants de Bulle sont obligés d’être présent, c’est un exemple, on sait ce qui nous attends si on ne respecte pas les règles. Je lui demande de rester dans l’immeuble et de ne pas sortir. Céleste et moi sortons et nous ramons jusque-là place principale. Céleste me murmure de regarder sur le rocher. Je n’y crois pas c’est Théo, c’était un de mes amis d’enfance. Le chancelier lève le bras du garçon comme pour exhiber à toute la ville qu’il a le pouvoir, il lui montre la chaise. C’est horrible je déteste ces moments. Son regard, vide, en la regardant. De retour, chez nous, j’appelle Alex, aucune réponse. Céleste me dit que c’était probablement la meilleure chose. Je ne peux m’empêcher d’être déçus, je ne verrai plus ses yeux me transperçant, ses lèvres pleines. Toutes les deux sur la vieille banquette qui nous sert de lit, nous discutons, quand des coups acharnés se font entendre contre la porte en bois rouge. Je l’entrouvre, et je vois des boucles brunes, ses boucles brunes. Je lui libère la place pour qu’il puisse passer, il rentre à toute vitesse, mouillé de la tête au pied. Céleste arrive à son tour, mais que fait-il ici ? Me demande-t-elle. J’en ai strictement aucune idée. Mais où étais-tu Alex ? J’étais parti chercher une seconde sortie non surveillée, quand un garde en uniforme violet ma poursuivis. J’ai sauté dans l’eau, et je me suis caché, quand il ne pouvait plus me voir je suis revenu ici. Mais tu es complètement inconscient, que s’est-il passé dans ton misérable crâne, tu veux nous faire tuer ou c’est simplement de la stupidité. Céleste lui criait dessus, pendant que je me balançais d’un pied sur l’autre, ne sachant où me mettre. Si nous risquons d’être exécutées, c’est de ma faute, c’est moi qui l’ai ramené ici. Doucement miss dragon, certes je nous ai mis en danger mais j’ai trouvé un moyen de nous sortir tous les trois de cet endroit. Nous en sommes restés abasourdi, comment avait-il pu trouver une sortie en une après-midi alors que cela fait 16 ans que nous cherchons sans la moindre piste. Avant d’élaborer un plan, Thalya, j’aimerai te montrer un endroit que j’ai découvert aujourd’hui. C’est d’accord mais enfile quelques choses pour qu’on ne voit pas tes tatouages.
Chose faites il me prit par la main et m’emmena à travers ce qui restes des immeubles. Je me demande comment cela peut-être à l’extérieur de la bulle. Nous slalomons entre les débris, sautons de plateforme en reste de planche. Puis nous arrivons au bas d’un immeuble, vers l’ouest de la ville. Il me tira à l’intérieur et nous grimpons les marches. Après plusieurs étages, il ouvrit une trappe au plafond et nous nous retrouvons dans un petit jardin rempli de plantes, comme je n’en avais jamais vu auparavant. A Bulle, rien ne pousse, aucune fleur, aucun arbre comme nous pouvons le voir dans les livres. Mes yeux pétillaient d’admiration, il mit une main sur ma taille, et il me dirigea vers un magnifique arbre avec des fleurs roses et blanches. C’est un cerisier me dit-il. Il leva son tee-shirt et laissa apparaître un tatouage, un cerisier, j’en dessina le contour avec mon index. Le cerisier et signification de nouveau départ et de rêve. Me murmura-t-il. C’est joli, lui répondis-je. Il prit ma main toujours posée sur son abdomen, il se rapprocha de moi. L’air commençait à me manquer, quand il posa ses lèvres sur les miennes, plus rien n’avait d’importance. L’heure tournait, bien trop vite, le couvre-feu se rapprochait, nous avons dû rentrer. A la maison, Céleste lisait éternellement le même livre. Pendant que je préparais le repas, nous élaborions un plan pour fuir de cette ville. Le couvre-feu commençait à 21heure à partir de cet horaire, les gardes faisaient une ronde toutes les 1h. Nous avions 1 heure pour traverser la ville et sortir sans se faire prendre, sinon c’était la mise à mort assurée. Quand le garde, passa devant notre immeuble à 22h12 nous descendons les escaliers à toute vitesse sans faire de bruit. Alex nous guidait dans la nuit, comme s’il connaissait la ville comme sa poche. Nous louvoyons entre chaque obstacle. Une quarantaine de minutes plus tard nous étions devant notre sortie. Un trou, d’environ 1 mètre sur 75 cm. Alex passa le premier à quatre pattes suivit de prêt par Céleste et moi. Nous avançons le plus rapidement possible, des caméras étaient disposés dans la ville et nous n’avions pas eu le temps de voir si l’une d’entre elle était placée dans les alentours, plus vite nous sortirons plus vite nous serons sains et saufs. La bulle était bien plus épaisse que je ne le croyais. Nous continuons notre traversé calmement. J’apercevais un halo de lumière un peu plus loin. Nous sommes arrivés nous dit Alex. Des morceaux de bois bouchaient la sortie. Alex donna de grand coup de pied, et les planches de bois ne résistèrent pas longtemps. Il déblaya le passage et nous avons pu enfin sortir. De l’herbe couvrait le sol, un soleil brillait dans le ciel. A peine sorti de Bulle, tout était déjà différent. Contrairement à ici il n’y avait aucune verdure et un ciel gris permanent. Céleste me prit dans ses bras, un sourire gravé sur son visage. Alex me prit à son tour dans ses bras et posa un délicat baiser sur mes lèvres. THALYA ! Debout ! Il est 7h45 tu vas être en retard pour prendre ton bus. Ma mère cria mon nom du bas des escaliers. Je sortis difficilement de ma couette et me frotta les yeux, encore perturbée par ce rêve troublant. Je sorti de ma maison pour aller à mon arrêt. Quand un jeune homme, grand, avec de jolies boucles brunes, tatoué, passa devant moi. Alex ? L’appelais-je. Il se retourna et me dit que je devais faire erreur. Ma déception se lisait sur mes traits. Un autre jour, une autre vie.


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· Texte de Luc André ·

Combien de rendez-vous manqués, d’occasions ratées, de secondes dilapidées, d’amours envolés ?
Dans ce monde où tout n’est qu’éphémère, où l’éternité même est une chimère, laissons enfin notre esprit vaquer à son insouciance, les yeux ébahis d’avoir trop scruté l’horizon, contrée de l’espérance…
Alors un jour peut être, au détour de l’existence, tout deviendra possible et les regrets ne seront plus que les longues rides d’un passé à présent balayé par ce futur aux couleurs majestueuses d’un crépuscule de printemps, plus que jamais plein de promesses, dès demain qui sait, un autre jour, une autre vie…


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· Texte de Luc Baudot · Coup de ♥

Nelle regardait la règle. Denis, son collègue, l’avait sortie de son tiroir lorsqu’elle l’avait invité à venir boire un verre pour ses quatre fois dix ans. Sans aucune empathie et fidèle à son humour caustique, il lui avait mis sous le nez les 40 cm de plastique en lui affirmant : “tu vois cette règle, c’est ton espérance de vie, et toi, tu es au milieu, c’est-à-dire là !”. Il lui montrait le tiret des 20 cm. Ce fut comme un réveil brutal, une révélation cruelle : elle était arrivée à la moitié de son existence !
Elle n’en avait pas dormi de la nuit et avait passé les sept heures nocturnes allongée à visualiser cette fichue règle et à retracer le parcours qu’elle avait suivi jusque là : 40 ans ; 20 cm ; un cm pour deux années.
0cm : j’émerge de la tiédeur du cocon, mes poumons sont assaillis par l’air et je pleure… 3cm : j’ai de la vie plein la tête, je vis au présent… 6 cm : je veux intégrer le groupe qui m’entoure et perd ma spontanéité… 10 cm : “cherchez le garçon”, c’était un titre de Taxi Girl… 18 cm : Rupture d’avec Gill, après neuf années de vie commune…
Le samedi, elle se leva, déjeuna, passa par la salle de bain et se recoucha.
20 cm : première claque mentale et premier bilan, à cause de Denis qui lui avait foutu sa journée en l’air. Elle avait réussi à refouler son désarroi durant le pot mais la façade s’était écroulée ensuite. Dépitée, elle avait même ramené la règle chez elle ; une petite vengeance car elle savait que son collègue remuerait tout le bureau pour retrouver sa sacro-sainte règle, mais aussi une punition, de voir cette ligne de vie transparente, rectiligne et graduée sur sa table de chevet.
C’est vrai qu’elle vivait seule aujourd’hui, dans un appartement étroit situé dans un quartier morne d’une ville quelconque. C’est vrai qu’elle faisait un boulot sans grand intérêt qui lui permettait de payer le loyer, qu’elle avait peu d’amis et passait ses soirées dans une routine établie. C’est vrai qu’elle avait relégué ses espoirs, ses envies au placard, à côté du balai. Comment en était-elle arrivée là ?
Le samedi passa, horizontalement, avec juste quelques pauses pour les besoins vitaux, à ruminer sur cette vie qui l’avait endoctrinée, formatée, aplanie.
Seconde nuit sans sommeil.
Le dimanche matin ressembla au samedi jusqu’à ce que Nelle se remémore les moments heureux de sa vie. Cela lui fit du bien. L’après-midi, elle s’assit même un instant pour noter tout ce dont elle se souvenait de ses envies, ses projets, son rêve de faire du théâtre, de devenir une actrice reconnue. La table était près de la fenêtre et, finalement, la vue était assez jolie de son quatrième étage. Elle voyait le dessus des arbres, sa “canopée”, les oiseaux qui venaient s’y poser, une fois même, un écureuil.
Troisième nuit : le sommeil ne vint toujours pas.
Le lundi était férié, heureusement, merci, mois de mai, à mi chemin entre le printemps et l’été. Enfin un truc sympa !
Elle consacra sa journée à faire le point : que voulait-elle vraiment pour sa seconde demi-vie ? La première moitié, finalement, était bien remplie et n’avait commencé à s’engluer dans une routine édulcorée que sur la fin, insidieusement, une chose à la fois. C’était toujours la même grenouille que l’on mettait dans l’eau froide et qu’on réchauffait petit à petit de façon à rendre les degrés supportables et l’endormir pour la cuisson finale. Était-elle une grenouille ?
Ce jour là, elle resta plus longtemps à la table, à noter tout ce qu’elle avait en tête. La lumière passait par la vitre et lui faisait du bien, éclaircissant ses idées. Elle devait reprendre sa vie en main mais elle opèrerait le changement progressivement. Elle avait coupé le gaz juste à temps pour que la grenouille survive et puisse se retrouver nageant dans l’eau froide en se réveillant. Ce retour vers les fondamentaux devait se faire en douceur afin d’éviter tout choc thermique.
Il existait un petit théâtre pas très loin et, le mardi soir, il y avait des séances d’improvisation. Elle ne serait certainement jamais une star mais elle pouvait se faire plaisir. Elle passerait voir demain soir. Ce serait bien pour commencer. Ensuite, elle irait voir…
En fin d’après-midi, La petite liste des choses à faire était bien établie dans sa mémoire. Nelle prit alors le morceau de plastique gradué. Ce n’était qu’une règle d’écolier sur laquelle était noté “incassable”, mais ce n’était qu’un mot sérigraphié. Elle la tordit, força un peu, crac !
Demain, elle reposerait les deux morceaux sur le bureau de Denis, et le remercierait de lui avoir ouvert les yeux. Désenvoutée, elle s’endormit, enfin !
Demain serait un autre jour.
Un autre jour, une autre vie.


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· Texte de Marina Leridon ·

Je ne pouvais pas m’empêcher de regarder. Cela m’avait pris pendant le confinement. Toutes ces journées et ces nuits à attendre que quelque chose se passe. À rester enfermé pour ne pas risquer la mort. J’ai cru devenir fou.
Je me suis mis à la fenêtre pour passer le temps. Le problème c’est qu’il ne se passait rien dehors. Alors j’ai pris l’habitude de regarder l’immeuble d’en face. Tous ces gens enfermés chez eux, il y a toujours de l’animation. Les deux messieurs qui habitent ensemble. La dame qui peint des tableaux. Le couple qui se fait bronzer sur son balcon.
Puis nous avons à nouveau eu le droit de sortir, de revivre. J’ai repris ma vie d’avant sauf que…
L’espionnage de mes voisins est devenu une véritable obsession, une drogue. Dès que je rentre, c’est plus fort que moi, je dois regarder l’immeuble d’en face. Parfois je renonce à une sortie entre amis tellement j’ai besoin de mon spectacle vivant.
Mais les feuilles ont poussé. Je ne vois presque plus l’immeuble d’en face. Pourtant il me faut ma « dose ». Je scrute la façade et découvre deux fenêtres que je n’avais pas encore remarquées : une chambre et une cuisine. Je suis heureux comme un gosse qui vient de recevoir un nouveau jouet. J’ai hâte de voir le dernier épisode de la vie.
Une femme prépare le dîner dans la cuisine. Elle semble lasse et triste. Vit-elle seule ? A-t-elle perdu un être cher ? Je m’installe confortablement avec des biscuits à grignoter et une bouteille de soda. Elle disparait quelques minutes puis réapparait et ainsi de suite : c’est un ballet incessant. À chaque fois, elle emporte quelque chose et se hâte de manger ce que je devine être un croûton de pain quand elle revient dans la cuisine. J’ai l’impression que ses épaules se voûtent au fil de la soirée. Pendant qu’elle fait la vaisselle, quelqu’un allume la lumière dans la chambre. Elle n’est donc pas seule.
J’aperçois un homme assis au bord du lit. Il est grand et costaud, l’air peu engageant. Quand la femme entre, il se met à crier. Elle se recroqueville aussitôt au pied du lit. Ils ont une dispute. Elle ne dit que quelques mots. Il lui met une claque puis deux. Elle se met à pleurer et quitte la pièce à petits pas rapides. Elle revient en chemise de nuit après un long moment, les yeux rougis et gonflés, et se couche. L’homme est allongé de l’autre côté du lit. Ils se tournent le dos. Elle éteint la lumière.
Le lendemain matin, je ne vois rien. Il faut dire que je ne suis pas matinal. Je me dépêche de rentrer le soir pour reprendre mon observation. La même histoire recommence.
Le troisième soir, l’homme entre dans la cuisine, prend la main de sa femme et la presse sur la plaque de cuisson. Je vois la femme changer de tête et pousser un hurlement muet : il lui a volontairement brûlé la main. Elle sort en courant de la cuisine et je ne la revois plus.
Le quatrième soir, elle ne dîne toujours pas avec lui. Sa main est bandée. Ils se retrouvent dans la chambre. Il l’attrape, la jette sur le lit, défait sa ceinture et commence à la battre avec la boucle du ceinturon. Il lui écrase le visage contre le lit, sûrement pour que les voisins n’entendent pas les cris.
Et c’est ainsi tous les jours. Chaque matin, je me persuade que j’ai rêvé, que ça n’existe que dans les films. Et je continue mon voyeurisme.
Un soir, l’homme est seul. Il mange dans une boîte de conserve, le regard perdu. Tout à coup, il sursaute, prend un air interrogateur et sort de la cuisine. Je ne vois plus personne.
Le lendemain, je lis les gros titres des journaux en passant devant le kiosque. Aujourd’hui, un titre m’interpelle dans la gazette du quartier : un homme a été arrêté. Il a battu sa femme à mort.
J’achète la feuille de chou et remonte chez moi à toute vitesse. Je claque la porte, glisse par terre et tente de lire l’article. Ma vue se brouille. Mes oreilles bourdonnent.
Je me réveille je ne sais combien de temps après, éberlué : que m’est-il arrivé ? Le journal est près de moi avec la photo de l’homme qui battait sa femme. Tout me revient. Non seulement, je n’ai rien dit mais je l’ai regardé jour après jour. Je me fais horreur.
Je me relève d’un bond, allume mon ordinateur portable et commence fébrilement mes recherches. Les associations pour aider les femmes battues sont nombreuses, trop nombreuses tellement ce fléau est répandu. J’en sélectionne une, un peu au hasard même si le nom m’est familier.
La nuit tombe. Mon regard est irrésistiblement attiré par les fenêtres de l’immeuble d’en face. Je ferme le rideau et file me blottir sous ma couette. Demain commencera un autre jour, une nouvelle vie.


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· Texte de Nicolas Glady ·

La tête parvient enfin à briser la coquille ! L’eau est sombre et sale. Il est impossible d’apercevoir quoi que ce soit. Le corps s’extrait peu à peu de son chorion, et, malgré la difficulté, cette libération tant attendue provoque une exultation qui se propage dans l’ensemble du corps telle une décharge de plaisir violent. Libre, enfin ! Mais il ne faut pas rester là : l’immobilité, c’est la mort.

Les membres se détendent. Lentement d’abord, puis par saccades. Plusieurs dizaines – peut-être même des centaines – d’autres têtes triangulaires sortent de leur œuf en même temps. Certains ne bougent pas, blancs et figés dans le sable cristallin. Sont-ils déjà morts ? Où écloront-ils plus tard ? Peu importe ! Il faut se mettre en route ; les autres se dirigent à toute vitesse vers la surface.

Derrière les pierres qui recouvrent l’endroit, on peut apercevoir une lueur. Les premiers rayons du soleil font miroiter les vaguelettes à la surface un peu plus haut. L’insecte se dirige prudemment vers sa destination. Des dizaines de ses soeurs la précédent ; elles sont des centaines tout autour qui cherchent à rejoindre la berge.

Une ombre gigantesque surgit soudainement d’une anfractuosité. D’une bouche béante, le monstre dévore en quelques secondes des dizaines des petites nymphes, bien incapables de s’opposer à ce titan. Le combat est vain, le seul espoir des survivantes est la fuite.

Notre petite nage de toute ses forces vers la surface. La rive est en vue ! Mais la truite l’a aperçue et fonce vers elle à une vitesse terrifiante. Plusieurs de ses sœurs se fond gober à leur tour sans autre son que celui du reflux de l’eau. Son envie de survivre tend tous ses muscles vers le salut.

Ça y est ! Elle atteint enfin le rivage ! Elle s’y hisse avec ce qui lui semble être les toutes dernières réserves d’énergie qui lui restaient. Heureusement pour elle, le lac qui autrefois couvrait une étendue cinq fois supérieure a considérablement réduit depuis les sécheresses récentes. Son trajet n’en fut que plus court.

La nymphe s’immobilise soudainement. Une décharge de douleur lui traverse brusquement tout le corps. Ses membres semblent se déchirer. Une fissure apparait sur sa cuticule. L’insecte se contracte, et, comme des lances perçant un rideau, deux tiges surgissent sur son dos.

L’insecte s’extrait de sa mue. Ses ailes se tendent au dessus d’elle. Un peu de fluide gras subsiste sur son corps. La métamorphose est complète.

Elle s’élance dans les airs. La journée est si belle : le soleil chaud et rayonnant domine un ciel bleu limpide. Quelle joie de voler si librement sous cette brise légère et cette chaleur réconfortante ! Elle se pose sur la feuille d’un arbre qui se balance lentement avec le vent. Un vieux chêne plus que centenaires qui semble jouir de ses dernières années en cette lisère de forêt de moins en moins foisonnante. L’air est toujours plus pollué et l’eau de plus en plus rare, ses feuilles se font donc de moins en moins nombreuses, et de plus en plus fragiles.

Mais un autre insecte vient voleter autour de notre survivante. Elle le suit. Rapidement, ils s’engagent tous les deux dans un ballet magnifique. Elle, virevoltant de gauche à droite comme pour l’inciter à donner le meilleur de lui-même, lui l’entourant de figures de voltige toujours plus complexes et magnifiques.

Ils dansent ainsi pendant plusieurs minutes. Quelle joie que cette rencontre ! La femelle finit par se poser sur la branche d’un arbuste desséché. Le mâle se pose sur son dos. Une décharge d’extase et de douleur la saisit, et elle ne bouge plus pendant quelques secondes. Après l’accouplement, lui va se poser un peu plus loin, comme pour se reposer. Elle ressent une satisfaction mêlée de fatigue. Et une énergie renouvelée, comme si leurs ébats l’avaient vidée mais renforcée d’une nouvelle raison de vivre.

Une ombre passe au dessus d’eux. Un gros oiseau au bec acéré vient se poser à coté de son compagnon et d’un geste vif le dévore d’un coup sec. Le volatile tourne la tête vers la femelle et se jette sur elle d’un bond précis.

La terreur s’empare de tous ses membres à nouveau ! Mais elle arrive à la dernière seconde à échapper au prédateur en glissant sur sa droite. Elle se réfugie dans un tronc mort. L’oiseau furieux se jette sur sa cachette et frappe de son bec l’écorce de son refuge. Tac, tac tac ! C’est toute le bois qui semble résonner de ce glas terrifiant.

Recroquevillée au fond de sa cachette, l’insecte reste immobile. Les coups de boutoir du moineau ne semblent jamais prendre fin. Va-t-elle mourir ici, déchiquetée par le bec de l’oiseau ?

Soudainement le claquement s’arrête, et un battement d’ailes se fait entendre. Il est parti ! Elle n’ose y croire… Est-ce une ruse ? Elle préfère ne pas bouger pour rester protégée, recroquevillée au fond de son abri pendant plusieurs minutes.

Quelques temps plus tard, elle entend un grésillement sourd se rapprocher de plus en plus. Des dizaines de fourmis remontent l’arbre et s’approchent d’elle. Mieux vaut éviter un danger direct et certain plutôt qu’un danger potentiel : elle prend son courage à deux mains et s’envole pour échapper à la centaine d’insectes qui ne sont maintenant plus qu’à quelques centimètres d’elle.

Prudente, elle reprend son vol sans jamais trop s’éloigner du sol et d’abris potentiels. Le soleil commence à se coucher à l’horizon, lançant des rayons rouges et or sur les nuages. La journée arrive à son terme. Elle est tellement fatiguée !

Elle va se poser sur un nénuphar flottant non-loin de la rive du lac. Son ventre lui semble lourd, comme trop gonflé et trop chaud. Pour se soulager, elle pose le bas de son abdomen dans l’eau.

Brusquement, elle a l’impression que c’est tout son corps qui se déchire. Dans une douleur atroce, des centaines – des milliers se dit-elle – d’œufs sortent d’elle pour aller se poser sur le sable plus bas. La faible énergie qui lui restait se consume complètement pour l’aider à réaliser l’effort de la ponte.

Abasourdie et épuisée, le dernier œuf sort enfin de son ventre. Elle n’en peut plus. Elle s’immobilise là, sur le bord du nénuphar, espérant pouvoir enfin profiter d’un repos bien mérité.

Est-ce l’épuisement qui l’a empêché de la voir s’approcher ? Est-ce que, son devoir accompli, elle n’avait plus l’envie de vivre ? Quelque soit l’explication, elle ne bougeât pas quand une grosse truite dodue – peut-être celle qui l’avait attaquée le matin-même – vint par-dessous elle pour l’avaler d’un seul trait.

Plus tard, au point du jour, quand les rayons du soleil sembleront réveiller les rides de l’eau, à quelques mètres de profondeurs, sous les pierres paisibles, des centaines de nymphes éphémères écloront à nouveau. Qui sait ? L’une d’elle arrivera peut-être à voler un peu plus loin, un peu plus longtemps, et découvrira, si la chance lui sourit, une autre étendue d’eau, où elle pourra déposer ses cocons avant de s’éteindre à son tour. Un autre jour, une autre vie.


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· Texte de Patricia Forge ·

La faim de l’intimité

Le grand tilleul du jardin allongeait l’ombre de ses branches au-dessus de la table mise et des fauteuils d’osier. Une brise chaude agitait mollement son feuillage. Ce dîner ne ressemblerait à aucun autre…
Et pourtant, il n’y avait aucune festivités mondaines de prévues, pas de grandes tablées, de dress code imposé, de poses starlettes au bord de la piscine.
Non. Juste deux fauteuils en osier et une table à l’inspiration champêtre. Quelques épis de blés dans un vase, des assiettes aux couleurs du Sud et les senteurs du jardin.
Le seau à champagne était tout de même de la partie. Vouloir un moment intime en toute simplicité ne voulait pas dire renoncer aux bonnes choses et à la bonne chair.
La fée de son cœur s’était affairée en cuisine. Il le savait. Elle aimait ce moment de création, faire des choses simples avec les produits frais récoltés le matin même.
Désormais elle virevoltait dans le soleil couchant, son jupon provençal et son châle andalou le rendant fou.
Elle était un peu sauvage, un peu sorcière lui dirait certains. Elle aimait récolter des feuilles qu’elle faisait sécher pour des infusions ou des assaisonnements colorés. Alors peut être lui avait-elle fait absorber un philtre puissant pour qu’il ne puisse se dérober à cette passion qui l’habitait depuis qu’il l’avait rencontré.
Lui, l’homme des soirées couteuses, des vacances en club « tout inclus », des plaisirs bourgeois, il avait découvert la vie simple de la campagne dans cette petite maison de pierres et de bois, entre champs de blés, prairies verdoyantes et l’orée du bois.
Bien sûr, la rhinite allergique leur donnait du fil à retordre tous les ans. Mais c’était le prix à payer pour accéder au Paradis sur Terre.
Ici, pas de klaxons tonitruants. Pas d’odeurs de pots d’échappements. Pas de cris, de passants pressés obnubilés par leur smartphone.
Non, ici, on entendait braire l’âne dans le soir qui tombait, le cri de la chouette effraie. On admirait le vol des chauves-souris, se protégeait des coups des hannetons et entre chiens et loups, un hérisson cherchant sa nourriture passait à petits pas.
Pour se simplifier la vie, ils avaient réussi tous deux à obtenir le télétravail. Ils devaient passer néanmoins deux jours par semaine en ville, pas les mêmes jours pour chacun d’entre eux. Si lui s’en accommodait, sa bonne fée supportait difficilement ses jours à retrouver la foule, les faux semblants et les odeurs. Surtout les odeurs.
Cela aussi il le savait. Il l’encourageait autant qu’il le pouvait lui montrant l’intérêt de la chose, c’est si peu de choses deux jours par semaine quand le reste du temps on vit au paradis.
Elle aimait tournoyer au milieu de ses quelques chèvres têtues et rebelles comme elle. Il n’était pas facile d’obtenir le lait si parfumé dont elle faisait ses fromages. Un cochon courait les glands sous les grands chênes sous le regard du chien loup, sauvage et fier.
Cette chienne était la passion de sa fée. Longtemps elle en avait rêvé. Un chien au sang de loup, quand on aime aussi les chèvres, quelle drôle d’idée.
Mais elle avait toujours des drôles d’idées. Et il était bien difficile de la dissuader. Pourtant tout se passait bien dans ce petit monde où la Liberté semblait avoir voulu se poser.
Pourtant ce repas l’inquiétait. Il le sentait. Une nouvelle idée trottait dans la tête de sa belle. Il le voyait à son regard, à ces absences parfois, assise sous un frêne à regarder l’aube se lever, à ces conversations avec le petit bouddha posé près d’un châtaignier.
Elle posait sa main plus souvent que de coutume sur l’œil de tigre, ronde comme la Terre, qui pendait à son cou.
Il se doutait de l’idée et se sentait paniqué. Pourtant il aurait dû se douter que la question se poserait un jour. Comment n’aurait – elle pas pu se poser. On a beau être un peu sauvage, un peu sorcière (ou fée c’est selon la vision des choses que l’on a dans ce monde) elle n’en restait pas moins une femme. Et une femme plus jeune que lui. Alors forcément la question de l’enfant devait bien se poser un jour ou l’autre. Oui, mais voilà. Comment dire à sa fée que lui n’en voulait plus ?
Il avait eu sa vie avant. Une autre vie. Une vie réglée avec femme et enfants. Ceux – ci désormais étaient grands. Ils menaient leur vie, très indépendants. Et se replonger dans les affres de la paternité ce n’était pas sa priorité. C’était même une peur panique pour ce grand angoissé. Depuis quelques temps, il développait même une éco-anxiété. Alors ensemencer à nouveau la vie il n’osait y penser.
Elle arriva enfin, un panier d’osier sous le bras. A l’intérieur, les tomates fraîchement cueillies patientaient dans un saladier du potier du village. Le fromage de chèvre et le basilic leur tenaient compagnie. Un bon pain de campagne qui sortait tout juste du four complétait le tout.
Et pour le dessert des lentilles vertes du puy aux fraises. Tout un programme de saveurs et de couleurs.
Pour débuter ce moment de plaisir et accompagner le champagne, elle avait préparé des mousselines de courgettes, des beignets d’aubergines, des billes de melons décorées de bleuets. C’était un plaisir des yeux, un émerveillement de la découverte des trésors du panier.
Elle le trouvait un peu tendu, un peu absent. Sans doute ces deux jours à la ville se disait-elle. Elle voyait dans ses yeux ce reflet d’angoisse qui habitait son esprit. Les infusions de tilleul-camomille aromatisé au miel du village ne suffisaient pas à apaiser son grand angoissé. Comment ne pas être stressé par ces journées où les bruits tonitruants et les odeurs désagréables venaient agressés vos sens à longueur de journée ?
Heureusement, pensait-elle, il allait se détendre au fil du repas. Elle allait le faire sourire, le faire rire, le faire rêver. Le romarin embaumait et son chat avait déjà pris possession des genoux de son amoureux. Ha, ce chat. Noir comme il se doit. C’était une demoiselle câline qui prenait grand soin d’éviter son chien loup de Tchécoslovaquie. Car tous deux n’étaient pas vraiment de bons amis. Néanmoins, ils arrivaient à trouver un consensus quand venaient les soirées d’hiver et qu’ils se partageaient alors le feu de la cheminée et les plaids du canapé.
Elle en était convaincue. Sa vie était ici. Et ici à cent pour cent. Qui veut la fin veut les moyens, se disait – elle régulièrement. Elle avait donc mis en œuvre les moyens nécessaires pour atteindre son but.
Il était désormais le moment d’annoncer à son amant qu’elle allait concrétiser son rêve. Elle savait qu’il allait un peu frémir d’inquiétude mais quand les premiers bébés seraient là, il fondrait de bonheur et de joie. Elle n’en doutait pas.
Elle s’était beaucoup documenté, avait ingurgité des quantités de cours sur le sujet et elle savait que désormais elle était prête.
Alors quand arriva la fin du repas et que le champagne faisait pétiller leurs yeux à tous les deux, dans la douceur de la brise d’été, elle se lança :
« – C’est décidé, j’ai décidé de remplir cette maison de bébé. Je ne t’avais rien dit mais je viens de réussir mon diplôme, je vais devenir éleveuse de chiens loups ! A partir de demain, un autre jour, une autre vie. »


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· Texte de Sophie Pauliac ·

J’ai l’impression de n’être jamais venue au monde, d’avoir vécu ma vie vieille.
Je n’ai pas de rides, je n’ai pas de cheveux blancs, j’ai tout ce dont j’ai besoin ; des poumons qui respirent, des jambes qui marchent, des yeux qui voient, des oreilles qui entendent. Mais rien ne va.
Je me pose trop de questions, voilà mon problème. Si je m’interrogeais momins, si je ne m’éparpillais pas dans tous les sens, la vie serait plus facile.
J’ai l’impression d’avoir passé des années au pied du même carrefour, tiraillée entre deux chemins, et je suis la seule à m’empêcher d’avancer ou même de faire un choix. Je passe des journées debout, à courir dans tous les sens, soumise au temps et à mon travail insignifiant. Ce n’est pas la vie que je m’imaginais avoir il y a 10 de cela. Et puis quel travail franchement ; mes actes et mes paroles n’ont aucun impact sur le monde, les clients sont tous les mêmes, à quelques exceptions près. « Bonjour madame, je peux vous renseigner ? » est le mot d’ordre, et puis elle me donne ses tailles, je vais les chercher et je l’installe en cabine ; et le processus se répète une trentaine de fois dans la journée jusqu’à ce que les vigiles chassent les dernières clientes, jusqu’à ce que les lumières s’éteignent et qu’on passe notre badge à la sortie. Figurez-vous qu’après cette étape vient l’étape cruciale ; la vérification des sacs à mains et des poches de chaque employé par le personnel de sécurité ; histoire d’être certain que les employés n’aient pas la main baladeuse pendant qu’ils rangent leurs rayons. Le pire, c’est que la majorité du temps, ils ne les attrappent pas, quoique, je pense à l’histoire d’un vendeur qui était là depuis pas plus d’un mois et qui avait trifouillé dans la réserve jusqu’à voler plusieurs milliers d’euros.
Mais ce n’est pas une vie, c’est de l’auto sabotage. Au bout d’un certain temps on ne peut plus passer inaperçu, on est observé à longueur de journée par les nombreuses caméras du magasin. A chaque étage se trouve un bureau où des personnes sont chargées de regarder nos moindres faits et gestes. Nul n’est épargné et, au final, on s’y habitue. Il vaut mieux vivre sachant que l’on est observé plutôt que de ne pas le savoir. Ou pas. C’est la question du réel et de l’illusion. Si vous aviez le choix, préféreriez vous vire dans l’ignorance dans une illusion ou vivre en ayant conscience de ce faux monde et de ce qui nous entoure ?
Tant que j’y pense encore, ce travail est épouvant, les gens y défilent et s’éparpillent comme des fourmis, ils vont tellement vite que l’on ne peut même pas se remémorer un seul visage. Nous les servons, c’est presque cruel la vie qu’ont les vendeurs dans le luxe, être à proximité et effleurer un monde de paillettes, de cuirs, de soies que l’on ne pourra jamais atteindre. Je revois toujours les mêmes scènes : le couple constitué du vieillard en pleine crise de la cinquantaine et sa nouvelle conquête, le couple de quadragénaires étrangers aussi froid que les plus hautes cimes des Carpates, les jeunes filles milliardaires auxquelles on a jamais appris à dire « merci » et « s’il-vous-plaît », l’américaine bien trop amicale qui n’achète jamais rien, la mère de famille bourgeoise qui parle bien trop vite et est débordée avec ses enfants..ces catégories se créées malgré elles.
Je me remémore mes premières journées, qui ne sont pas si différentes des dernières ; accueillir les clientes et les conseiller, sachant que je ne savais même pas de quoi je parlais, la mode ne m’a jamais intéréssée, et pourtant je me suis retrouvée là. Notre devoir était de les faire acheter non pas le plus d’articles possibles mais les articles les plus coûteux, les vestes en cuir, les blazers en laine, les pulls en cachemire. Le jour où j’ai vraiment réalisé que mon travail n’avait aucun sens était le jour où l’on m’a chargée de reétiquetter certains articles. Voyez-vous, les prix avaient augmenté – je m’étais dis que c’était en rapport avec l’inflation, mais que nenni. Les soldes étaient prévues dans une semaine de cela, et on anticipait la baisse de prix pour ne pas perdre de chiffre ; une veste augmentait de 55 euros, pour finalement être remisée une semaine plus tard à son prix d’origine. Le travail de vendeur n’a aucun sens, je ne veux pas contribuer à cet univers consommateur, qui prend celles dont il dépend pour des cloches. La marque ne pense pas à leur bien-être quand elle passe au « vert », elle ne pense pas à elle non plus quand elle « baisse » ses prix, ni quand elle fait des offres et des bons d’achat. Il faut se dire que la marque n’est jamais perdante, les stocks ne sont jamais vides, on ne vous vend jamais la dernière pièce dans la dernière taille. Tout n’est que mensonge et facétie.
Et, une fois la journée terminée, je peux enfin reposer mon corps endolori par les vas-vient, les courses, les montées et descentes des escaliers. Le lendemain, tout recommence, un autre jour, une autre vie


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· Texte de Stéphanie Rault ·

La caverne

« Je vous le dis, mais ne le répétez à personne ». Omid ne s’était pas fait prier longtemps pour verser ses mots. Eux réclamaient de savoir depuis son « Frères, si vous saviez ce que j’ai vu ! ». Il s’était rétracté avant de céder et de distiller ses mots, sûr de son effet ! C’était il y a 20 ans déjà. Le monde avait tellement changé, après …

Depuis quelques jours, Omid ne cherche plus que les chaînes d’infos sur son autoradio. Dès les premières paroles des journalistes, il stoppe sa voiture, au milieu de la chaussée. Le temps s’arrête dans la capitale. Ses mains tremblent. Ghani a fui, lui qui portait tous leurs espoirs. Les autres, eux, reviennent. Il regarde son client, s’excuse puis essuie ses larmes qui l’ont pris au dépourvu, avant de redémarrer. Ses pensées le conduisent vers le village de son enfance, ce jour où il a fait rêvé ses amis.
Ils étaient inséparables depuis l’enfance à taper dans le même ballon et à rire des mêmes blagues. Ce jour-là, Younes et Ramin l’avaient écouté raconter. Ils avaient vu, dans les yeux d’Omid, danser son enthousiasme. Ils avaient promis de garder ce secret.

Sa femme lui réclame de fuir depuis plusieurs jours mais il n’y a pas cru et il n’a pas voulu l’écouter. Il se sent si minable d’avoir infantilisé ses peurs, de l’avoir sentie fragile quand au contraire elle avait la force de proposer leur envol. Elle était courage, prête à tout pour sauver les siens et lui n’y a vu qu’une faiblesse de femme. Il ne vaut pas mieux que les autres ! Derrière ses allures d’homme moderne, il reste entaché de ces traditions qu’il a si souvent dénoncées.
Alors, à cet instant, dans son taxi, ses tempes frappent son obsession: rejoindre sa femme, Hosnia, et ses filles. Son client déposé, il peut enfin téléphoner à Hosnia. C’est la cavalcade des mots qu’il ne contrôle plus. La voix calme de sa femme l’apaise et il accepte d’attendre le soir pour s’organiser. Inlassablement son esprit le ramène ensuite devant la porte de leur « caverne » .
Le lendemain de LA révélation, ils avaient attendu l’heure la plus chaude, que les rues soient désertées. Puis ses amis l’avaient suivi. Rapidement ils avaient bifurqué, tout en veillant à ne pas se faire voir. Ils avaient rejoint cette vieille bâtisse accolée aux rochers qui tombait en ruine et qu’on devinait sous la végétation abondante. En silence, ils avaient fait le tour pour escalader un des murs et atteindre une fente dissimulée sous des feuilles. Les visages collés, à sentir le souffle des autres, ils avaient regardé.

Alors qu’il gare son taxi devant son immeuble, il reçoit un message de Ramin. Quand il l’ouvre, un élan d’une force incroyable le pousse à rejoindre sa famille. A l’âge adulte, Ramin était resté au village quand Younes et lui, Omid, avaient préféré rejoindre la capitale. Ramin vient de leur envoyer une photo de l’entrée de la vieille bâtisse qu’il a apparemment nettoyé, accompagnée de cette phrase : « Il va falloir rouvrir la caverne ! ». Omid se sent envahi par la même tristesse que cet été-là.
Elles étaient cinq jeunes femmes, têtes nues à rire et à chanter entre ces murs délabrées. Elles faisaient tourner une cigarette tout en se racontant les anecdotes de leur quotidien. De là-haut, avec Ramin et Younes, ils ne voyaient que ces cheveux détachés et ces bouts de peaux qu’ils n’avaient pas l’habitude d’apprécier. Cette découverte réveillait leur chair d’adolescents. La pudeur taisait les conversations sur ces corps de la « caverne ».
Au début, ils observaient seulement. Parfois ils échangeaient un sourire devant des danses démonstratives. Ils se remplissaient des formes et des couleurs de ces femmes, venues chercher un soupçon de liberté entre ces murs. Se cacher pour s’accorder de vivre.
Et puis, avec le temps, ils avaient entendu, touchés, les doléances. Tout en se maquillant , chaque femme y allait de son refrain et détaillait ses envies et ses besoins. Ils avaient été frappés par la simplicité de leurs rêves : inlassablement revenait l’envie d’étudier, de regarder le ciel et non plus l’asphalte, de sentir le vent sur leur joue, d’être visible, et de sourire à la vie, et même aux hommes. Malgré eux, ils s’étaient sentis coupables. Des « presque hommes », de cette espèce-là. Cette culpabilité avait libéré leurs paroles. Ils s’étaient promis de ne jamais devenir comme les autres .

Lorsque Omid ouvre la porte de l’appartement, ses deux filles lui sautent au cou. L’imminence de leur départ les excite. Elles lui posent trop de questions auxquelles il ne sait répondre. Il est perdu. Il y a seulement cette nécessité de partir. Le lendemain, ils vont rejoindre l’aéroport. Younes a des billets pour fuir avec sa famille. Peut-être qu’il pourra les aider. Il espère. Peu importe la destination. Peu importe le poids des valises de l’exil. Omid veut juste que ses filles puissent danser les cheveux au vent, du soleil plein les lèvres. Il veut qu’elles puissent vivre leur liberté, bien loin des secrets des « cavernes » de Kaboul. Demain, ensemble, ils écriront une autre histoire. Un autre jour, une autre vie.


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· Texte de Jean-Jacques Camy ·

La péniche

La péniche au ventre rebondi
avançait doucement sur le canal,
propulsée par un moteur loyal
qui ne se souciait pas des on-dit.

Mon cœur souriait de la balade.
Un soleil opportun s’attardait un
peu sur nos têtes, et bien amical
nous donnait la fraternelle accolade.

Des oiseaux, sur le bord, nous regardaient
passer, d’un œil rond et circonspect.
Bientôt, aux dire du marinier,
nous atteindrons les écluses gaillardes.

J’aurai voulu m’éterniser
dans ce jour parfait plein de joie,
Mais avais-je vraiment le choix ?
L’excipit m’était imposé :

« Un autre jour, une autre vie. »


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· Texte de Jean-Charles Paillet ·

Sans sourciller
les ignares avalent d’un trait
la propagande mensongère
de la dictature sournoise

Pour contenir et asservir le peuple
l’ennemi dresse des murs invisibles
qui ne tiennent que par l’obéissance aveugle
des masses journellement manipulées

Et même la cour des écoles
n’est plus qu’une prison à ciel ouvert
pour les enfants sans défense

Parents laisserez-vous poindre l’injection
ou bien vous battrez-vous plutôt pour
un autre jour une autre vie ?


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· Texte de Martine Férachou · 2ème place

Alter… et go !

Mon aimé,
Nous avons vécu trois mois de bonheur intense qui resteront à tout jamais gravés dans ma mémoire. Mais si tu savais… Durant ces jours heureux, j’ai oublié de te dire tant de choses. « Oublié » : mot anodin qui évoque une défaillance dans l’aptitude à se souvenir et qui par conséquent déresponsabilise, éteint les flammèches de la mauvaise conscience. Ainsi donc, j’ai oublié, j’ai omis de te parler de moi, ou plutôt de nous, de te conter nos expériences de vie, nos malaises, nos anxiétés. Des mensonges par omission. Afin de ne pas t’effrayer, de ne pas te perdre, mais aussi afin d’assurer ma sécurité voire ma survie. Tu étais amoureux de moi, Lina, et d’aucune autre. Tu n’en chérissais qu’une. L’originale ! Pas les onze ! Alors j’ai choisi de me taire, de savourer l’instant présent et de botter en touche le moment fatal où tout basculerait. La tâche s’est révélée ardue : j’aimais pour la toute première fois… mais pas eux !
Maintenant, Il y a tant à raconter, tant à expliquer. L’ampleur de la tâche m’accable. Je ne sais par où commencer. Et toi, mon aimé, es-tu prêt à admettre l’incroyable, à accueillir l’inacceptable, à recevoir l’injuste et le révoltant ? Es-tu prêt à connaître la vérité dans toute sa noirceur ? Oui ? Vraiment ? Alors, voici quelques éléments d’une trop longue liste.
J’ai oublié de te dire… C’est moi qui ai volé le doudou de la petite voisine de palier ! Tu te souviens ? Un objet transitionnel sale et puant ! Une espèce de lapin rose affublé de quatorze oreilles que la petiote ne cessait de mordiller et de téter pour trouver le sommeil. Je le lui ai arraché des mains sans une hésitation alors que je la promenais tranquillement au parc dans sa poussette. Ce jour-là, sa maman l’avait confiée à ma garde pour se rendre à un entretien d’embauche. Malgré les cris aigus et incessants de l’enfant, j’ai jeté la peluche dans le fond de mon sac à main. Après cela, les parents et le bébé ont été en enfer… Des pleurs ! Des vagissements ! Aucun doudou de remplacement ne faisait l’affaire ! Horrible, non ? Haïssable aussi. Mais au moment du vol, je n’étais plus aux commandes de mon corps. Emmy avait switché. C’était elle la patronne, elle qui était au front, ma Little alter de cinq ans ! Et cette gosse éprouve une attirance exacerbée pour tout ce qui se nomme ourson, nounours, lapinou, tigrou, doudou… Celui de la petite voisine a rejoint dans mon lit la collection déjà remarquable d’Emmy. Elle refuse encore à ce jour de rendre l’objet !

J’ai aussi oublié de te dire… C’est moi qui ai fait dérailler le repas d’affaire de la société vendredi dernier. J’ai jeté mon tournedos Rossini sauce Périgueux à la tête d’Albert Tongourian, l’homme puissant de la soirée, celui avec lequel nous devions signer le contrat du siècle. J’avais pourtant fait preuve d’un grand professionnalisme dans la préparation de ce dîner-business : choix du restaurant (une fourchette au Michelin et proche du bureau de notre invité), réservation d’une table à l’écart du tumulte, tenue des grands soirs, arrivée dix minutes avant l’heure afin d’accueillir chaleureusement « l’homme puissant » du jour… et j’en passe. Mais mon stress était palpable et l’invité de marque se montrait acerbe et arrogant. Harry n’a pas supporté. Il s’est positionné, comme à son habitude, en défenseur du système. Il a pris les commandes afin d’éliminer le danger potentiel. Il s’est levé d’un bond, s’est emparé de mon assiette à deux mains… Tu connais les suites désastreuses de ce regrettable incident. Désemparée, je t’ai tout raconté le soir même, dès mon retour à la maison, mais en imputant la faute à une personne imaginaire. En réalité, Harry en est l’auteur. Harry, mon alter protecteur ! Il a switché pour notre bien et a tout fait foirer !

J’ai également oublié de te dire le plus grave. Te souviens-tu de cette affreuse semaine durant laquelle j’ai refusé tout contact avec toi ? Ma mère t’avait convaincu que j’avais contracté le coronavirus et que j’étais terrassée par la fièvre et la toux. Il n’en était rien ! En réalité, Juliette avait pris le dessus. Elle n’en pouvait plus de porter à elle seule l’essentiel de nos souvenirs traumatiques. Son état psychique était déplorable… Elle n’avait qu’une idée en tête : mettre fin à nos jours ! Nous étions en permanence au bord du gouffre. Au bout de cinq longs jours d’inquiétude, de pleurs, de cris, Harry a réussi à passer devant et à fronter. C’est lui qui nous a sauvé la vie.

Voilà, mon aimé, quelques exemples de ce que j’ai oublié de te dire. Par peur de ne pas être crue. Par peur d’être jugée. Par peur de probables réactions négatives qui seraient indubitablement pour nous un trauma supplémentaire ! La vérité est que je souffre de Troubles Dissociatifs de l’Identité. Je suis un être multiple, l’hôte d’un système comme on dit dans notre jargon. J’ai été diagnostiquée et le doute n’est plus permis. Pourtant, un fort sentiment d’illégitimité me paralyse encore et m’empêche de parler de mes alters et de moi-même. Se taire, c’est rester en sécurité ! Mais je t’aime et nous devons aller de l’avant. Je crois sincèrement que ces quelques confessions trouveront le chemin de ton cœur. Elles représentent aujourd’hui pour moi une véritable source d’anxiété. Elles prouvent aussi ma volonté de croire en toi, de croire en nous ! Ensemble, nous serons plus forts ! Ensemble nous ouvrirons le champ des possibles ! Un autre jour, une autre vie.


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· Texte de Vincent Morival ·

LE CONTRAT D’UNE NOUVELLE VIE

Dix ans que j’attends ce moment et j’ai du mal à aller jusqu’au bout, à franchir la dernière étape. Il faut dire que j’ai bien galéré avant de pouvoir signer ce contrat et que je ne réalise pas encore que ce soit vraiment en train d’arriver. Je n’ai lu que la première page et je sais que si je continue, je vais arriver à la signature. J’hésite à la tourner, cette page, parce que je me demande si je suis vraiment prêt. Les doutes m’assaillent, comme toujours depuis que j’ai décidé de me reprendre en main. Suis-je légitime ? Pourquoi moi et pas un autre ? D’où vient cette chance qui a enfin tourné ?
Mon chien, Felix, le bienheureux qui porte son nom à merveille, sent que je suis un peu stressé et, comme il sait si bien le faire quand ça m’arrive, vient glisser sa tête sous mon bras pour que je le caresse. C’est fou comme ça me fait du bien ! Déjà six ans qu’il est avec moi et je ne regrette pas un seul instant de lui avoir sacrifié des places dans des centres d’hébergement trop coincés pour nous accepter avec nos amis à quatre pattes. Ce labrador, c’est toute ma vie et je n’imagine pas mon existence sans lui. Même quand je n’ai pas assez à manger pour moi, lui ne manque jamais de rien. Fidèle, sans jugement, toujours là pour me soutenir, je ne pourrais espérer meilleur ami. Si je suis encore en vie aujourd’hui, je crois qu’il y est pour beaucoup.
Bref, je tourne la page et m’attaque à la seconde feuille de ce contrat qui va changer tout pour moi. Finies les galères, et j’en ai connues, je peux vous l’assurer. Les longues heures passées dehors dans le froid, l’humidité… Et la solitude. Je crois que c’est ça, mon pire souvenir. Contre les températures glaciales, tu te couvres et ça passe. Surtout si tu rajoutes une petite bière. Contre l’humidité, c’est plus compliqué, mais au bout d’un moment, tu sais où te mettre pour être à l’abri et tu limites les dégâts. En revanche, pour la solitude, franchement, il n’y a pas grand-chose à faire. Tu t’accroches à tout, genre le sourire d’une jeune femme quand vos regards se croisent, le rire d’un enfant quand ton chien lui aboie dessus, le ticket de restaurant tendu nonchalamment par ce businessman qui veut se donner bonne conscience. Non, n’importe quoi, je te dis.
Et puis, il y a LA rencontre, celle qui va tout changer, celle que tu as attendu toute ta vie et qui n’est jamais arrivée. Et là, quand elle se produit, tu n’y crois pas. Tu te dis tellement que ce n’est pas possible que tu fais tout pour faire capoter la relation avant même qu’elle ne commence. Mais la petite jeune s’est accrochée. Elle est revenue encore et encore même quand j’ai raté nos rendez-vous, même quand j’y suis venu plus bourré que nécessaire, même quand je l’ai insultée et que j’ai passé ma colère sur elle plutôt que sur la société responsable de ma déchéance. Et en ce grand jour, elle est encore là, toujours à mes côtés. Elle me sourit et m’encourage à continuer ma lecture, à poursuivre mon chemin jusqu’au bout du document. J’hésite car j’aimerais qu’elle soit toujours présente pour moi, même si je sais que c’est impossible. Elle a d’autres personnes à accompagner, une carrière à envisager. Et moi, je suis au bout du parcours. En tous cas, du parcours avec elle car je vais faire face à de nouveaux défis, c’est sûr, mais ce sera sans elle. Vais-je y arriver ?
— Tu es sûre que j’ai bien tous les papiers qu’il faut ? Parce que sinon, ça ne sert à rien de continuer… bougonné-je, le stylo en main.
— Mais oui, gros bêta ! Allez, va jusqu’au bout ! Fais-moi confiance.
Je le sais bien que j’ai tout ce qu’il faut, mais ça me plaît de pouvoir encore la solliciter un peu, ma jolie assistante sociale. Il faut que j’en profite tant que c’est possible et je ne me gêne pas. Je reprends ma lecture et me demande comment ça se fait que certaines personnes sont capables d’écrire de telles clauses, de les comprendre et de ne pas être perdues avec toutes ces négations, ces conditions, ces interdictions… Moi, je vois des lettres se balancer devant mes yeux et faire difficilement sens. Alors, je fais confiance, je me laisse aller et je parcours les lignes par acquis de conscience jusqu’en bas de la page que je tourne à son tour.
J’arrive ainsi à celle où mon nom est imprimé en lettres capitales. Quelle étrange sensation de le voir sur ce document officiel. Je continue à hésiter de signer, j’avoue que tout est encore trop nouveau, mais le fait de voir ce patronyme qui me vient de ma mère, cette femme courage qui m’a élevé seule, me permet de réaliser que le miracle est vraiment en train de se produire. Je ne sais pas pourquoi, mais contrairement à la chanson de Brassens, j’ai envie de le graver, mon nom, au bas de ce parchemin. J’ai envie de crier au monde que oui, j’y suis enfin parvenu, j’ai réussi. J’aimerais tellement que tous ceux qui m’ont rabaissé, tous ceux qui n’ont pas cru en moi, m’ont condamné d’avance, tous ceux qui m’ont méprisé, agressé, que tous ces croquants et ces croquantes puissent me voir signer ce document synonyme de Nouveau Départ et de Nouvelle Chance.
Maintenant que c’est fait, l’agent commercial de l’agence continue à parler, à me communiquer des informations sûrement très importantes, mais je ne l’écoute plus. Je suis tombé dans les bras de mon assistante sociale, en pleurs. Contrairement au passé, ce ne sont plus des larmes de tristesse, de souffrance, mais ce sont des larmes de joie. Ce soir, je vais dormir chez moi. Dans mon appartement. Je n’arrive toujours pas à y croire, pourtant ce sont bien mes clés que me tend l’agent avec un sourire. Je n’ose pas les prendre, j’ose à peine les toucher mais je me fais violence. Je n’ai pas fait tout ce chemin pour reculer maintenant ! Je récupère aussi mon contrat de location que je dépose presque religieusement dans mon sac, à l’endroit où j’ai stocké tant de bricoles récoltées au gré de mes pérégrinations quotidiennes. J’y ai glissé pas mal de bouteilles aussi, je ne le cache pas, mais maintenant tout ça est derrière moi. Maintenant, je suis locataire. La rue, c’est terminé pour moi.
La signature de ce contrat de location pour un petit appartement au troisième étage, c’est le signe pour moi que je peux laisser la Rue et toutes ses misères derrière moi. Je vais pouvoir commencer un nouveau chapitre de ma vie. Il fallait juste que j’arrive en bas de la page, tout en bas, au plus profond de la misère pour qu’enfin je m’aperçoive qu’il suffisait d’un petit effort, d’une petite aide, pour réussir à relever le défi de la soulever et la mettre derrière moi. Cette page a été la plus compliquée de ma vie, elle m’a bien amoché, je vais en garder des séquelles, mais maintenant que j’ai apposé ma signature et que je suis locataire, je vais pouvoir me relancer. Et qui sait, peut-être que mes enfants viendront m’y voir un jour, que je les recevrai, fier du chemin parcouru, et que je leur raconterai cette page du passé que j’ai tournée. Pas pour qu’ils m’admirent ou me félicitent, non, je ne suis pas un héros, mais juste pour qu’ils me comprennent. Désormais, tous les rêves sont permis même si ce n’est pas pour aujourd’hui. Demain, peut-être, j’aurais vraiment tourné la page. Demain… Un autre jour, une autre vie.


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· Texte de Angie Roinel ·

Elle est toujours accompagnée d’un sac noir, avec, toujours encore, des chaussures à talons, même dans le froid. Elle portait également un manteau différent chaque semaine d’automne et d’hiver. Le printemps commence à peine, quelle a sorti sa collection de gilet colorés. Le rose lui va si bien. Ses cheveux ont poussé en quelques mois. La douceur de l’air illuminent ses mèches presque rousses. Au mois de novembre, elle les rabattait sans cesse derrière ses oreilles. Ce matin, et depuis quelques autres avant celui-ci, sa coiffure cache son visage. Une frange caresse ses tempes, trempés par cette pluie matinale. Le temps l’a fait changer. Il n’a pourtant pas eu ses yeux bleus persans. Ainsi que son sourire qu’elle aborde toujours, avec ses dents parfaites. Ce matin, elle s’est assise au milieu du troisième wagon, à moitié vide. Elle tient un carnet et un stylo rose à la main qu’elle fait crayonner sur le papier. Théo regarde par la fenêtre du train, le paysage passe à une telle vitesse pour lui. Il n’oserait certainement pas la regarder à nouveau. Il doit se concentrer sur ses épreuves de la journée, la dernière année avant d’entrer dans la vie active. Il continue d’imaginer son âge, bien qu’elle ne semble pas plus jeune que lui. Où habite-t-elle ? Que peut-elle faire tous les jours ? Et puis, son nom aussi. Ils prenait le même train depuis septembre maintenant, mais jamais ils n’avaient échangé le moindre mot. L’avait-elle au moins remarqué ? Trop tard pour aujourd’hui, une occasion de manquer. Le train s’arrête, elle en sort. Théo est désormais seul. Peut-être qu’un jour, il osera…Le lendemain le soleil ramène avec lui une toute nouvelle beauté. Théo entend pour la première fois sa voix. Une voix si douce, basse et légèrement aigüe. Le train est en retard, alors Théo souffle plus fort qu’il ne l’aurait espéré. Elle se retourne vers lui, avec son sourire et ses dents parfaites.
— Au moins, il fait beau aujourd’hui.
Les premiers mots qu’elle lui adresse, malheureusement, Théo ne lui a rien répondu. Les premiers mots qu’il entend d’elle, et la dernière fois qu’il l’a voit. Les matins suivant, elle n’apparait pas au quai. Elle n’est ni dans le train du matin, ni dans celui de soir. Une semaine, puis une deuxième, et enfin, cinq sont passées. Alors Théo s’imagine des multitudes d’histoires durant ses voyages matinaux. Et puis, il s’est resigné. Elle n’était plus là. Et pourtant, elle doit bien être quelque part dans ce monde. Pour le moment, elle resterait dans la tête de Théo. C’est tout ce qu’il peut faire. En mai de l’année suivante, le soleil fait son grand retour, et elle aussi. Ses gilets de couleurs ont cédé leur place à un tissu noir. Et ses cheveux, sont redevenus courts et ternes. Théo ne l’a pas reconnu. Son sourire aussi n’est plus le même, celui qu’elle adresse à l’homme lui tenant la main est timide, voir absent. Seule sa voix reste inchangée. Ce timbre qui est resté dans l’esprit de Théo. Elle, et cet homme, s’installent dans le troisième wagon, toujours à moitié vide. Théo ne peux s’empêcher de les regarder. En descendant, elle s’arrête au niveau de Théo, de l’autre côté de la vitre. Leur regards se croisent, ses yeux abandonne leur clarté une bonne fois pour toute. Le train redémarre et Théo tourne la tête. Trop tard, se dit-il. Et pourtant…Laura regarde cet homme s’aligner. Elle n’a jamais su son nom, elle n’a jamais su s’il avait remarqué sa présence. Et pourtant. Si seulement. Ils auraient pu être amis au moins, ou autre, au plus. Il aurait pu l’aider, avec cet autre homme à côté d’elle. Ils auraient pu vivre toute une vie ensemble. Elle est folle de le penser, n’est-ce pas ? Elle s’est déjà imaginé une vie possible, ensemble. Peut-être est-elle vraie, ailleurs. Le train s’éloigne des yeux de Laura jusqu’à ce qu’elle ne le voit plus. Oh oui. Ça aurait pu être possible. Ça peut l’être. Dans un autre monde. Un autre jour, une autre vie.


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· Texte de Tuy Nga Brignol ·

Apprentissage de l’amour de Soi

Il est temps de mettre « de nouveaux verres à mes lunettes » pour mettre les ténèbres en lumière, dissoudre les illusions et les distorsions, et avoir une vision claire de la réalité.
Apprendre à s’aimer sans condition. Se regarder dans le miroir chaque matin, sa parler à soi-même sans se rabaisser. Choisir de se sentir bien avec soi de toute façon. Choisir de toujours reconnaître et d’aimer la lumière en soi. S’observer dans un miroir avec fascination, sans arrogance ni vanité. Ne pas se juger, ne pas se critiquer.
Je pourrais peut-être me traiter plus gentiment. Je pourrais peut-être reconnaître la bonté, la vérité, la beauté et la lumière qui sont en moi. Choisir de me valoriser, de reconnaître ma lumière. Choisir d’aimer mon cœur toujours battant et mon esprit ouvert. Choisir. Mon libre arbitre est mon plus grand cadeau. Il est difficile de s’aimer quand les autres ne le font pas. Il est difficile d’être gentil-le avec soi-même quand les autres ne le font pas. J’ai enduré des échanges moins aimants tout au long de ma vie – allant d’abus horribles à des jugements peu aimables.
Je choisis de m’approprier qui je suis et comment je choisis de me voir dans ce moment présent. Quel que soit le comportement de ceux qui m’entourent (ou même du mien), rien – rien ! – ne peut diminuer la lumière que je suis réellement. Rien ni personne ne peut me priver de l’essence même de mon être. J’ai plus de mal à m’aimer quand les autres ne le font pas, mais toujours, c’est à moi de choisir. Je peux choisir d’aimer la lumière qui est en moi. Je peux choisir de m’élever plutôt que de me rabaisser.
Je peux choisir de me parler avec douceur et gentillesse. J’ai le choix de me reconnaître et de m’aimer exactement comme je suis vraiment. Peu importe qui m’aime ou ne m’aime pas, je peux choisir de m’aimer moi-même.
J’exagère ce genre d’amour de soi jusqu’à ce que cela devienne une habitude. Car en choisissant d’aimer la lumière qui vit et respire en moi, je m’ouvre pour permettre à la bonté, à la grâce et à la guidance que je mérite vraiment dans ma vie… Il n’y a pas d’endroit comme la maison, et la maison est dans mon cœur !
Je suis l’héroïne de ma propre merveilleuse aventure dans la vie. Je me félicite pour chaque acte ou pensée aimante. Tout ce que je fais a un effet et me revient d’une manière ou d’une autre à un moment donné. Si je fais quelque chose d’aimant, c’est exactement ce qui me reviendra. Inversement, si je fais quelque chose de non aligné, cela me reviendra également. L’amour de soi peut se manifester de différentes manières, tout comme le non-jugement, la compréhension et la compassion. En fin de compte, c’est toujours l’amour qui triomphe et qui guérit.
Si je suis sincèrement prête à changer pour le mieux, prête à me pardonner à moi-même et aux autres personnes impliquées, je peux mettre fin au cycle néfaste. Un chemin plus agréable pourra commencer et fait en sorte qu’un nouveau départ soit possible.

Un autre jour, une autre vie.


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· Texte de Céline C. ·

Le tissu d’un blanc crémeux épousait ses formes à la perfection. Plus je la regardais, et plus je me disais que l’homme à ses côtés devait être le plus chanceux sur terre. Quant à moi, j’étais la plus malheureuse. Plus je l’admirai, et plus je sentais les morceaux de mon cœur encore intact se détacher un à un, et tomber, s’écraser au bas de ma cage thoracique. Comment en était-on arrivé là ?
Je l’ai toujours connue, nous avions grandi ensemble, comme deux sœurs. Au début, nous partagions nos jeux, nos secrets, nos peines d’enfant. Puis, plus l’âge avançait, plus la conscience de soi, et de l’autre surtout, s’aiguisait. Un sentiment nouveau se mit à me ravager les veines à chaque fois que mon regard se posait sur elle. Je pensais que c’était peut-être mes hormones qui me jouaient des tours. C’est vrai, très tôt j’ai su que je ne parlerai jamais de garçon. Là où les filles s’extasiaient sur une paire de pectoraux, moi, je ne rêvais que de courbes douces et féminines. Je me trompais lourdement. Nous prenions encore de l’âge, et ce sentiment était encore là. J’étais entièrement consumé par elle, par cette force qui me poussait vers elle.
La vie d’adulte nous happa bien trop vite, et avec elle, des relations sur lesquels elle me demandait mon avis, sans voir que cela me détruisait un peu plus chaque jour. J’affichai un grand sourire, quand elle se présentait auprès d’une nouvelle conquête, alors qu’au fond de moi, j’avais juste envie de hurler à m’en briser les cordes vocales, lui crier que c’était dans mes bras qu’elle devait être, pas dans ceux de mec qui la balancerait de toute façon pour une autre dans quelques mois. Pourtant, je me taisais. Si elle était heureuse, qui étais-je pour me mettre en travers de sa route ? Rester a ma place de meilleure amie, approuver, consoler parfois aussi et sécher ses larmes à cause de pauvres idiots qui n’ont pas su voir sa valeur inestimable. Je ne voulais pas la perdre, gâcher ce que nous avions et prendre le risque qu’elle disparaisse de ma vie… J’enfermais mes sentiments à double tour, espérant les noyer, comme je le faisais avec ma peine à chaque fois qu’elle partait dans le lit d’un autre.
Jusqu’au jour où mon cœur décidait de se rebeller, contre l’avis de mon esprit. Elle m’avait poussé dans mes retranchements, me posant encore et encore cette même question. « Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qu’il t’arrive ? » Alors j’ai craqué… Nos lèvres se sont rapprochées jusqu’à se toucher et danser le plus beau ballet ensemble. Mon cœur chantait sa joie à grand coup de battement dans ma poitrine, pendant qu’une nuée de papillons virevoltait dans mon estomac. Sa bouche avait un gout de paradis, et pourtant, c’était bien en enfer que je dégringolais la seconde d’après.
« C’était une erreur »… Mensonge
« Je ne t’aime pas comme ça. »… encore un mensonge
Elle n’avait simplement pas l’intention de se révéler à elle-même, et encore moins aux autres. Par peur peut-être d’être jugé sur ce qui n’était même pas un choix. Depuis quand les sentiments étaient à la carte ? Elle a choisi la facilité, même si ses regards et ses gestes ne trompaient personne, et surtout pas moi. Mais ne voulant pas me passer de sa présence, j’ai accepté, lui disant que ce n’était rien. Qu’il fallait oublier ce moment et faire comme s’il n’avait jamais existé. Mon cœur déjà fragile s’était comme fissuré.
Et puis il est arrivé. Gérard ? Phillipe ? Non… Felipe, je crois. C’est lui qui a donné le grand coup de masse à mon petit organe déjà bien abimé. Je ne m’y étais pas attendu, et pourtant j’aurais vraiment dû le voir venir. Le jour de mon anniversaire, nous étions au restaurant le soir. Et c’est à ce moment-là que la bombe a explosé. Une bague ornait sa main gauche, un sourire ravi étirant ses lèvres. Vous savez quel bruit fait un cœur qui se brise ? Aucun… certains vous diront que c’est comme du verre qui se fracasse sur un parquet, mais c’est faux. Mon cœur s’est brisé en silence mais la douleur était bel et bien là, pour me rappeler ce que cet homme m’avait arraché. Je devais me réjouir pour eux, faire bonne figure, mais je ne pouvais pas, je ne pouvais plus. Alors prétextant une urgence, je suis simplement partie. Ce que j’avais vu dans leur regard, je ne pouvais plus le leur enlever. Elle a fait son choix, à moi de panser maintenant mes plaies. Je me suis éloigné d’elle, jusqu’à ne plus lui répondre ni a ses messages, ni a ses appels. Je voulais simplement rester allonger sur le sol de mon appartement, sa voix résonante encore dans mes oreilles. J’essayais encore tous les jours de parler à mon petit cœur, de l’encourager à battre, encore et encore.
« Aller relève toi ! Tout ce chemin pour rester à terre ? Tu es quand même plus fort que ça non ? »
Faut croire que non. Petit cœur en eut assez de ne songer qu’a elle, fatigué par toute cette tempête qui faisait rage depuis trop longtemps autour de lui. Les médecins appellent ça le Tako Tsubo, le syndrome du cœur brisé. Ironique quand on y pense non ? Une paralysie de cette petite chose si fragile, sous le coup du stresse et d’émotions trop vives pour lui. Sans conséquence si pris à temps et avec du repos. Ce que j’ai bien sûr refusé a ce compagnon sanglant.
Ce qui nous amène a cette chapelle, où je fus sorti de mes pensées par les paroles du prêtre.
« Si quelqu’un s’y oppose, qu’il parle ou se taise à jamais. »
Une idée folle germa alors dans mon esprit. Je pourrais peut-être me lever, comme dans les films, et lui expliquer tout l’amour que j’ai pour elle. Elle planterait là son fiancé, devant l’autel, et on s’enfuirait toutes les deux.
« Allé petit cœur ! C’est l’occasion ! On le fait ? Je sais que tu as mal, je sais que tu es déchiré, mais il doit bien te rester un peu de courage non ? C’est complètement dingue, mais qu’est ce qu’on peut faire d’autre ? »
Pourtant c’est ma tête qui me répondit à sa place.
« Regarde-les… tu vois cette étincelle dans leurs yeux ? Tu veux vraiment briser ça ? Mais au nom de quoi ? L’espoir qu’elle accepte devant témoin ce qu’elle a toujours refusé alors que vous n’étiez que toutes les deux ? Et si ça ne marche pas ? Si tu l’aimes, tu n’en feras rien… »
Ma tête avait raison, et petit cœur le savait également. Nous n’étions pas dans un de ces films romantiques. Alors je restais assise a ma place en silence, a les regarder échanger leur veux. Je fermais les yeux au moment où elle prononça le oui final, qui lierait sa vie à la sienne. Une seule et unique larme roula sur ma joue. Voilà, c’était terminé.
Le vin d’honneur suivit, les mariés passant de convive en convive pour les remercier de leur présence. Elle arriva jusqu’à moi, alors que son mari était parti voir d’autres personnes. Je pus respirer une dernière fois son parfum quand elle me prit dans ses bras, me murmurant doucement à l’oreille.
« Je sais que c’est dur pour toi, mais merci d’être venue. Ça compte énormément pour moi que tu sois là. »
Ce fut la goute de trop. Si je n’avais pas eu la gorge nouée, si j’étais moins égoïste, j’aurais pu la féliciter, sourire et prendre sur moi. J’ai simplement hoché la tête, sans un seul mot, refusant même d’affronter son regard. Ce regard que j’aimai tant. Pourquoi ai-je accepté cette invitation ? J’ai tellement mal…
Je me suis reculé, et je suis parti sans me retourner. Je suis monté dans ma voiture, laissant enfin les larmes contenues dévaler mes joues, brouillant ma vision.
« Tout le plaisir est pour moi », voilà ce que j’aurai dû lui dire.


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· Texte de Rodd ·

Enfin assise dans mon lit, j’attrape rapidement mon cahier et mon stylo. Même mon stylo me fait penser à lui. Et oui ! Qui dit “souvenir de voyage”, dit “souvenir de lui”. C’est ça de partager ses rêves avec la personne qu’on aime. Quand la relation se termine, nos rêves nous font penser à lui. Après ce bref constat, j’attaque ma feuille, je couche mes mots sur le papier. J’ai besoin d’écrire ce que je pense, de l’écrire pour que cela soit vrai. J’ai réalisé qu’être en couple signifiait qu’on décidait de ne pas abandonner la personne. C’est pour cette raison que je n’ai jamais réussi à rester avec quelqu’un. J’ai toujours voulu fuir, vivre. J’ai souvent pris mes jambes à mon cou quand je finissais par découvrir la vraie nature de mon conjoint. Il y a toujours un moment, où je me dis que “non cette fois, je n’abandonnerai pas”, mais je finis toujours par le faire. Quand je rentre épuisée par ma journée et qu’il ne m’aide pas. A quoi bon être en couple si cela est pour ne pas être aidée ? Etre seule mais en couple. C’est le destin des personnes en couple ou alors mon destin en couple : j’ai toujours finis seule et en couple. C’est épuisant de tout porter : la responsabilité, le travail, la communication, le quotidien… Je trouve toujours le moyen d’être dans des relations qui me prennent mon énergie. Je finis épuisée et j’abandonne. Je finis par me connaitre à force. Je sais comment la relation va se terminer. Mais ça n’a pas fonctionné comme cela avec celle-là. J’ai déjà fais des erreurs, été rejetée. Je m’en souviens d’ailleurs comme si c’était hier. C’est souvent à ce moment que l’on voit la vraie nature de notre amant. Comment peut-on annoncer à la personne avec laquelle on vit qu’on ne l’a jamais aimée ? L’honnêteté a des limites, non ? Je me souviens avoir pris mes affaires de rage et avoir claqué la porte. Je me souviens être rentrée, avoir pleurer toutes les larmes de mon corps puis l’avoir rappelé le suppliant de m’expliquer ce qui se passait. Je n’ai jamais su. Plus je lui parlais, plus j’enrageais de honte, de tristesse, d’incompréhension. Comment pouvait-il être aussi insensible ? Les semaines ont passé et j’ai finis par comprendre qu’il ne me voyait pas, qu’il ne voyait pas celle que j’étais et finalement, je m’en suis très bien sortie. J’étais fière d’être devenue celle que j’étais après cette rupture. Il voulait absolument être en couple avec moi. J’i compris pour quelles raisons plus tard. Il voulait être sûr que je ne puisse jamais l’abandonner, que ce serait lui qui m’abandonnerait. A quoi bon ? Je suis bonne vivante, j’aime aimer, vivre de mes passions. Il n’y a qu’en amour que je ne suis pas aventureuse. J’ai le cœur prêt à aimer, j’adore aimer. Mais il y a une personnes que je n’avais jamais osé aimer. Dès notre rencontre, nous avons partager un rêve, partir vivre à l’étranger dans les pays nordiques. Il avait tout de l’homme dangereux pour mon cœur. De ses yeux bleus perçants, il me sondait, m’apprivoisais lentement. Nous sommes devenus amis. Biensur, son cœur appartenait à une autre. Cela m’arrangeait bien. Je n’avais pas à avoir peur, je pouvais lui faire confiance, être proche de lui sans m’embêter à être en couple avec lui. C’était simple pour moi. Lorsque j’ai appris que son histoire était terminée, je me souviens du rire nerveux qui m’a prise. Je n’ai jamais connu un tel état… Je me moquais de lui car son histoire ne fonctionnait plus depuis des années, j’étais triste pour lui mais surtout j’étais terrifiée. Et si, désormais, nous n’avions plus de barrières ? J’ai pris mes distances. Quand nous avons commencé à de nouveau nous rapprocher, j’ai choisi un autre amant. Puis cette histoire s’est de nouveau terminée. Quelle idée d’être en couple ! Je savais bien que cela ne fonctionnait pas pour moi. Alors j’ai entamé cette relation. Nous avons continué à partager nos rêves, il est devenu mon amant. Nous savions que ce même rêve de partir tous les deux vivre à l’étranger allait nous séparer. J’ai consciemment commencé cette relation à durée déterminée. J’ai vécu la meilleure des relations que je n’ai jamais eu. Une fois, nous nous sommes disputés car j’ai passé la soirée à fumer avec un inconnu. Les disputes d’amoureux peuvent être bête. Il a pris ses distances piqué par la jalousie. Le lendemain, nous avons discuté, réglé le problème. Il m’en voulait, je n’étais pas d’accord, mais cela s’est arrêté là. Il n’a plus jamais pris ses distances par jalousie, je n’ai plus jamais eu ce comportement. Nous avions ce sens de la justice. Il était honnête et me disait la vérité droit dans les yeux. Ce fonctionnement demandait des efforts à maintenir. Mais nous étions heureux, j’étais heureuse. Nous faisions que ce qu’il nous faisait plaisir en tant qu’individu, sinon nous restions chacun de notre côté. S’il avait envie de sortir et pas moi, il sortait. Si l’un voulait aller à la piscine et l’autre à la patinoire, chacun faisait son activité. Il était lui, j’étais moi, nous faisions équipe. J’ai finis par me prendre au jeu de cette relation, moi l’éternelle femme en couple. Je suis finalement restée dans cette relation longtemps sans même voir le temps défilé. Puis est venu le moment où nos rêves nous ont séparé, comme prévu. On aurait pu ne pas se séparer, mais il voulait respirer, du temps seul. Ce qui, selon moi, n’était pas incompatible. Je ne comprenais pas, j’étais perdue, cela m’énervait. Aucun des raisons qu’il me donnait ne fonctionnait. En soit, il n’avait juste plus envie. Je devais l’accepter, mais une part de moi refusait d’abandonner cette relation, alors que l’abandon en était l’essence même. Il allait suivre ses rêves et je suivrais les miens. Au fond, je savais bien que ca irait, et que rien ne changerait à ma vie. Mais impossible de me raisonner, j’avais peur de ne jamais retrouver cela. Rien ne s’est passé comme la première fois. Il ne m’a pas dit droit dans les yeux qu’il ne m’avait jamais aimé. Il a essayé de me donner toutes les raisons pour le haïr : m’annoncer cela la veille de son départ, me séparer de mes amis, m’annoncer cela avant le passage de mon concours. Il a essayé de me faire le haïr et je l’ai haïs pour avoir fait cela de cette manière. Mais comme notre relation avait le sens de la justice, la colère n’est pas restée. Je savais qu’il me suffisait de lui envoyer un message lui disant que je ne l’avais pas trouvé correct sur ce coup. Dans ma tête, il me répondait qu’il savait et qu’il comprenait, et cela serait passé. Je n’ai pas eu besoin d’envoyer ce message, la colère est passée seule. Cette relation était aussi simple que cela. J’adorais cette relation, c’était la seule que je n’ai jamais pensé abandonner. Mais nous n’étions pas en couple, il avait ses rêves, j’avais les miens, c’était le principe. Alors j’ai pleuré un bon coup, longtemps. Puis j’ai arrêté. Je me suis concentrée sur moi. J’ai pris soin de moi, j’ai poursuivi mes rêves. Il est resté dans mon cœur. Désormais, lorsque je vois des traces de lui, je souris en me rappelant à quel point je suis heureuse d’avoir pu partager ces moments avec lui. Je me rappelle que si notre relation était aussi belle, c’est parce qu’on pouvait s’abandonner. J’aurais voulu qu’il sache que je l’aimais de cette manière, que je n’étais pas triste. “Tout le plaisir est pour moi”, voilà ce que j’aurais dû lui dire.


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· Texte de Camille ·

A instant particulier, réaction particulière. Elle avait dû me prendre pour une personne étrange, une folle. Je ne sais même pas ce qu’il m’a pris de lui proposer une telle chose. Un coup de tête, si l’on peut dire ça, j’ai juste réagi sur l’instant comme souvent, ne faisant même pas attention à qui je m’adressais, puisqu’elle était de dos à moi se plaignant qu’un de ses tendres bambins avaient abîmés la robe choisi pour le gala, et qu’elle n’en avait pas d’autres de secours. Au vu de l’importance de l’événement, elle ne pouvait pas se vêtir de n’importe quoi. Et moi, j’étais arrivée, comme un cheveu sur la soupe, toujours perdue dans mes pensées, un écouteur à l’oreille.
« Je suis couturière, je peux tenter de retoucher votre robe. »
Cette phrase m’avait échappé avant même que je réfléchisse vraiment à la situation. Pour preuve, je ne les avais même pas salués, même pas remarquer que les hommes étaient armés, et donc des agents de sécurité… Et surtout, j’aurai dû la reconnaître même de dos. Elle apparaissait tellement parmi les tabloïds. D’un sourire poli, elle avait accepté ma proposition. Êtes-ce parce que la femme semblait désespérée, sans vraiment de plan de secours ? Ou devant mon manque d’excitation face à elle, comme beaucoup lorsqu’ils la croisaient ? Peut-être devrais-je remercier mon cerveau d’avoir « bugger » à ce moment-là. M’empêcher momentanément de remettre le nom sur son visage que je savais célèbre. Sûrement le choc inconscient. Comme le fait de lui avoir parlé naturellement dans sa langue, alors que ce n’était pas la mienne. On avait instinctivement continué en anglais, merci le travail au sein d’un lieu touristique, les amis virtuels internationaux, et le visionnage des séries en VO. Les mains tremblantes, j’analysais sa robe, d’un tissu noble : forcément. Malheureusement, je n’y pouvais rien, la déchirure était trop nette. Son visage décomposé et pourtant très joli, me tordait les tripes et de nouveau, sans vraiment réfléchir, agissant dans l’action, je choisis de m’engager à lui en faire une autre en peu de temps. Avec un peu plus de jugeote, je n’aurais premièrement pas osé l’aborder, encore moins proposer mes services. Le challenge imposant par le manque de temps, l’importance de l’événement et surtout l’identité de la cliente. Poliment, la brune prit mes coordonnées, promettant de me contacter le lendemain prendre des nouvelles de l’avancement. Ma fidèle jumelle en visio afin de bénéficier de ses connaissances sur la royauté, je mettais lancé dans le croquis du vêtement, une musique envoûtant en arrière-plan permettant à mon imagination de se mettre à l’œuvre. Coups de ciseaux, traçage, modifications imprévues, la robe prenait forme rapidement ayant chassé l’idée de dormir au vu de la tâche, mais quel plaisir… Le choix des matières, la façon de les superposer, de les faire fusionner. Opter pour des ornements discrets… Le lendemain, ne manquant pas à sa promesse, ELLE prit des nouvelles, curieuse, elle vînt jusqu’à voir la robe. À nouveau, mon cerveau se mit sur un mode étrange de fonctionnement. L’invité à prendre place dans un des fauteuils, ou le canapé, lui servir du thé, puis de reprendre mon travail de couture. Je fis le choix de ne pas parler, me concentrant sur mes mains tremblantes et mon travail si passionnant de la création d’un vêtement. Après un moment, je lui avais proposé de l’essayer afin de voir si la robe lui plaisait, mais surtout si je devais faire des retouches. Et de réfléchir ensemble si on rajoutait des détails au vu de sa silhouette.
Étant plus une devise qu’un choix, je ne lui demandai pas d’autographe, simplement son accord pour prendre une photo de la robe en vue de la mettre dans mes archives personnelles de création. Après une étreinte polie, et la princesse disparut avec mon invention sans que je n’ai le temps de réagir, pressée par son planning mais très certainement pour que je ne change pas d’avis et décide de faire du chantage. Loin de moi cette idée. Je refermai la porte d’entrée, encore abasourdie par ce qu’il venait de se passer, alors que le son de ses talons résonnaient contre les pavés de la rue et son rire s’élevait dans les airs. Quelle impolie j’avais été de quasiment pas lui adresser la parole, alors qu’elle venait de m’offrir un privilège.
« Tout le plaisir est pour moi », voilà ce que j’aurais dû lui dire.


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· Texte de Sandrine Drappier · 3ème place

Ils l’ont retrouvée comme ça. Nue et morte. Sur la plage de Dieppe. Le visage et le corps égratignés par les galets, comme si son corps avait roulé sur la plage avant de retourner dans l’eau puis d’être encore et encore rejeté par la houle.

Les gendarmes ont sonné à ma porte le lendemain de la découverte. J’étais la dernière personne à l’avoir vue vivante. Quand ils m’ont dit son nom, je n’ai pas réagi. Je ne le connaissais pas. Annick Contejean. Depuis, il emplit ma bouche, je décortique ses syllabes une à une. A/nick/Con/te/jean. Inlassablement. Sans me départir de l’odeur de fer qui se mélange à ma salive.

Je n’ai pas protesté. Cela aurait servi à quoi ? Mais j’ai hésité. J’ai pensé aux interrogatoires sans fin. A une possible garde à vue. Aux erreurs judiciaires. Je me suis vu, boulets aux pieds, dans un bagne en Louisiane. Pire ! Croupissant dans une prison insalubre, au milieu des rats et d’un codétenu à la mine patibulaire. Au lieu de cela, j’ai refait le film de ma soirée.

J’étais arrivé aux « Jours heureux », une boîte de nuit de la région nantaise, aux alentours de 23 heures. Non, je ne venais pas pour danser, monsieur l’agent. Je n’ai aucune appétence pour cela. Je suis aussi raide qu’un piquet. Mais ce n’est pas le sujet. Pour boire ? Non plus. En général, je m’arrêtais en sortant du travail chez le petit épicier du coin de la rue. J’étais un habitué. De ceux qui redescendent de chez eux à 4 heures du mat’ car ils sont à court de munitions. Je préfère, de loin, faire cela tout seul chez moi, à l’abri des regards. J’ai dégluti. Il allait falloir avouer.

J’étais dans cette boîte pour les filles. Pour faire des rencontres ? Non, pour baiser. Pour juste en trouver une qui veuille bien me suivre et coucher avec moi. Vous êtes donc un habitué des « Jours heureux » ? J’ai ri à cette question. On peut dire cela. Enfin, c’est cyclique. Mais quand je suis dans mes périodes où je suis déchaîné, où je ne pense plus qu’à cela, oui, j’y viens régulièrement. Je n’ai pas attendu qu’il me pose une autre question.

J’ai rencontré cette femme –les syllabes qui emplissaient ma bouche A/nick/Con/te/jean ne voulaient pas sortir- presque tout de suite en entrant. Elle était au comptoir et n’en était pas à son premier verre. Elle était fort peu vêtue. Une robe moulante léopard. La poitrine sortie plus que de raison. J’ai tout de suite su que ce ne serait pas compliqué. Je lui ai offert un verre. Elle m’a embrassée en premier. Elle avait la bouche pâteuse. Nous sommes sortis de la boite de nuit. Je l’ai aidée à marcher. Il y avait un terrain vague un peu plus loin. Les couples qui veulent baiser rapidos s’y rejoignent tous. Un vrai bordel à ciel ouvert à partir de deux-trois heures du matin. Là, il était encore tôt. Je n’ai pas entendu d’autres gémissements que les nôtres. Oui, on a fait notre affaire. Ça a été rondement mené. Elle a su y faire pour. Malgré sa bouche pâteuse. Si vous voyez ce que je veux dire. Humm, excusez-moi. Et puis, ensuite, c’est moi qui aie repris la direction des opérations. Et elle a aimé ça, c’est moi qui vous le dit. Ensuite ? Ensuite, elle avait soif. Oui, encore. Je l’ai emmenée dans un troquet à côté. Elle avait froid avec son grand décolleté. Elle a pris un café et un croissant. Et puis, on s’est quitté. Si je lui ai laissé mes coordonnées ? Non. C’était pas utile, en général je n’aime pas les revoir ensuite. Qu’elles ne s’imaginent pas des choses. Genre m’avoir mis le grappin dessus. Pas de promesses. Pas d’espoir d’une vie à deux. Sinon, je me serais marié et j’aurais fait ça avec ma grosse… Vous êtes marié vous ? Que je suis bête, ce n’est pas moi qui dois poser les questions. Mais je le vois bien à votre regard que vous me méprisez, que vous me trouvez dégueulasse à agir ainsi, en dépit des convenances. A utiliser ces filles comme de la marchandise. Je peux vous comprendre. Oui, ce n’est pas le sujet.

Ensuite ? Ensuite, je suis rentré. J’étais bien fatigué. Je me suis couché et au matin, en me réveillant, on m’a dit qu’un corps avait été découvert sur la plage. Les nouvelles vont vite, ici, vous savez, dans cette station balnéaire en plein automne quand tout est fermé. Cela frise l’ennui, la vie ici, à la morte saison. Alors un suicide, et d’une femme en plus, ça fait parler à l’épicerie.

Il m’a alors demandé ce que je pouvais dire pour certifier que ce n’était pas moi le meurtrier. Parce qu’après tout, c’était si facile de trouver des indices de ma culpabilité. Témoins, sperme, vous n’avez pas fait les choses à moitié dans votre genre. J’ai demandé s’il y avait eu des traces de coups, de disputes. A-t-elle été étranglée ? Égorgée ? Y’ a-t-il des traces de lutte sur la scène du crime ? Il me répondait. L’interrogatoire s’inversait. Apparemment non, mais il faut attendre l’autopsie. Tout peut être remis en question. L’avez-vous vue prendre de la drogue ? etc, etc … Rien, non, je n’avais rien vu.

En fait, cette fille, je l’avais vue vivante et je ne l’avais pas vraiment regardée. Je n’avais pas cherché à savoir qui elle était, ce qu’elle faisait de sa vie. Si même elle se droguait ou avait le sida. Je n’avais rien voulu savoir d’elle. Rien eu besoin de savoir d’elle, plus exactement. Je n’avais eu envie que de son enveloppe, de son corps. Est-ce qu’elle a fait une mauvaise rencontre après m’avoir quitté ? Est-ce que se donner était la fois de trop pour elle ? Est-ce que j’aurais pu l’aider ?

Alors, j’ai eu des regrets. J’aurais dû l’aborder autrement. Lui donner mon nom. Attendre le sien et déclarer, tout simplement, “Tout le plaisir est pour moi”, voilà ce que j’aurais dû lui dire.


Et pour terminer cette sélection, je vous présente le mien, hors concours :

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· Texte d’Amelia Pacifico ·

Lorsqu’il a posé les yeux sur moi, j’ai immédiatement senti que quelque chose n’allait pas. Quand il m’a adressé la parole, les frissons qui ont remonté mon échine ne m’ont pas trompée non plus. Son regard, le ton de sa voix, son sourire, tout en lui respirait l’homme dominant, lubrique et malsain. Je lui ai donné son dû, il est resté à me reluquer un certain temps. Je me suis occupée des autres clients, m’efforçant de ne pas faire attention à lui, à ses oeillades appuyées qui gênaient tout de même ma concentration. J’ai renversé le crème d’une jeune fille qui s’est brûlé le doigt par ma faute. Quand il m’est arrivé la même chose avec le diabolo grenadine d’un collégien, je n’ai pas pu m’empêcher d’aller le voir. Je lui ai demandé s’il désirait autre chose, étant donné qu’il avait terminé sa consommation depuis trop longtemps pour ne pas avoir une autre idée derrière la tête. Quelle qu’elle soit. Il a ri. Il me reluquait encore au moment où j’ai décidé de tourner les talons sans un mot. Je ne l’ai pourtant pas attendu à la sortie des toilettes devant lesquelles il m’a accueilli avec une lueur démente dans les yeux. D’une main, il m’a attrapé le sein et de l’autre, il a voulu me rapprocher de lui, pour… je ne sais pas très bien, je ne lui en ai pas laissé le temps. D’un mouvement rapide, mon genou est parti à la rencontre de ses parties intimes, mes mains repoussant violemment ses épaules vers l’arrière. Il est tombé comme un vieux pommier tout moisi, avec grand bruit et aucune élégance. Quand il a beuglé que j’étais une salope, une moins que rien qui savait plus aguicher les mecs que faire son boulot correctement, des larmes me sont monté aux yeux, et je suis partie sans un mot.
En mélangeant ma soupe en train de tiédir sur le réchaud, la certitude d’avoir perdu mon emploi de serveuse me permettant de payer mes études d’astronomie rétrécissant mon estomac, je ressasse ce que j’aurais dû faire, au lieu de m’emporter. Une petite voix dans un coin de ma tête prend vite le relais. Pour elle, aucun doute, la seule chose que j’aurais pu faire différemmmet c’est de quitter les lieux avec une sortie magistrale. “Tout le plaisir est pour moi”, voilà ce que j’aurais dû lui dire.


Merci à tous pour vos participations et lectures !

A bientôt 💋

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