Participations au Rendez-Vous des Plumes – Octobre 2022

Bonjour à tous 😊

Vous proposer des champs lexicaux proches de la nature pour que vous livriez vos meilleurs textes inspirés, telle était la mission de l’appel à textes d’octobre, dont vous pourrez découvrir les participations ci-dessous. Guidées ou non par le thème suggéré « Eléments », les plumes ont encore une fois fait preuve de beaucoup d’imagination !

Les textes ne sont relus qu’au moment de leur publication, et ce uniquement dans le but de vérifier qu’ils ne contreviennent pas au règlement de l’atelier d’écriture. Si le cas devait se produire, le texte ne serait tout simplement pas publié, sans autre recours possible de son auteur. La Petite Boutique des Auteurs n’est pas responsable des coquilles, fautes d’orthographe, syntaxiques ou grammaticales éventuellement présentes dans les textes qui participent au Rendez-Vous des Plumes.
Merci d’en prendre note avant lecture.

Amelia

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· Texte de Delphine Martin · 1ère place

In memoriam

Je ne vois pas la même chose que vous quand je regarde le refuge. A mes yeux, c’est déjà une bâtisse hors d’usage. Au paysage réel, je superpose une vision que j’ai eue il y a des années, lors d’un séjour dans une autre zone montagneuse. Après une montée essoufflante en lacets sur ce qui n’était déjà plus une route, mais un chemin accidenté progressivement rendu à la pierre, à la végétation et à ce qui fait obstacle à la volonté humaine, on parvenait à un hameau en ruines. Le dernier détour du chemin révélait un panorama si peu vraisemblable qu’il faisait l’effet d’un photomontage. Les quelques maisons dispersées à flanc de colline étaient surplombées d’un bloc de pierre disproportionné qui semblait posé sur un promontoire rocheux. Des fenêtres même les plus basses, la vue était spectaculaire, permettant la circulation du regard jusqu’à l’océan. C’était du moins ce que je pouvais calculer de l’extérieur. J’imaginais à l’intérieur, compte tenu du nombre d’ouvertures, un vaste rez-de-chaussée sombre, et des chambres spacieuses alignées sur quatre étages. L’ensemble, abstraction faite d’un panorama extraordinaire, ne présentait aucun intérêt sur le plan architectural. C’était un de ces hôtels construits dans la précipitation pour satisfaire un engouement passager pour la montagne, et qui avait fait faillite. Nous n’en sommes pas là, me direz-vous, en voyant monter à votre refuge, sur une route convenablement entretenue, des camionnettes de ravitaillement et, sur le sentier, des randonneurs à la file. Vous y viendrez.
Les touristes arrivés à la nuit se restaurent et vont se coucher. Au lever, quand la brise a éloigné les brumes, ils découvrent à l’horizon de leur parcours, dans le noir et blanc des premières lumières, une masse gigantesque, sombre, écrasante. Rien n’est reconnaissable du paysage photogénique qu’ils poursuivaient hier encore. A l’enthousiasme du réveil succède une sensation d’oppression, une angoisse d’autant plus difficile à desserrer qu’elle est sans cause immédiatement identifiable, qu’elle ne se s’accroche à rien de tangible. Le volcan leur fait soudain peur. Ils s’extasiaient encore, la veille, en plein jour.
Le malaise perdure au cours de l’ascension. Le vert se fait de plus en plus rare. Apparaissent des plantes grasses aux formes inquiétantes, une végétation étique succédant aux arbres épanouis. Puis, au détour d’un virage, le volcan s’approche soudain et montre des flancs arides, comme nus, où roulent des caillasses et des éboulis. Aux demi-cercles plus clairs qui se dessinent sur le cône, les marcheurs repèrent le tracé du sentier qui mène à son sommet et devinent que les moitiés complémentaires se trouvent de l’autre côté. De fait, à ces hauteurs instables, le sentier ne monte pas en lacets sur un seul flanc, mais s’élève lentement en tournant autour de la montagne.
Sous le soleil, la masse noire compacte aperçue à l’aube se laisse voir dans son hétérogénéité, faite qu’elle est de rochers, de pierres et d’éboulis. Comme gravir le sommet s’annonce fastidieux, les randonneurs se rassurent en pensant à la perspective que leur offrira la hauteur. Comme toute plaine volcanique, celles qu’ils verront est densément peuplée. La fertilité des terres rend acceptable la dangerosité d’une cheminée géante d’où s’échappent constamment des fumerolles. La nécessité fait sacrifier le futur au profit du présent. Que le risque devienne catastrophe, c’est une affaire de probabilités. D’ailleurs, ces réflexions sont oiseuses lorsque l’on travaille dur une terre qu’on n’a pas choisie plus qu’une autre, à laquelle le hasard vous a donné, et qui s’est attachée à vous. Et parmi tous les dangers qu’il y a à vivre sous un volcan, mourir enseveli sous la boue n’est pas celui auquel on pense spontanément. C’est la lave qui vient à l’esprit. La lave, c’est une providence ambigüe : deuils et fertilité.

C’est l’hiver. Le refuge a fermé. Les randonneurs ne reviendront qu’au printemps. La neige tombée abondamment fait du volcan une masse gris blanc. Des fumerolles s’échappent du cratère, et des cendres. Se calfeutrer pour ne pas s’encrasser les poumons est la consigne en pareil cas, et nous sommes des gens disciplinés. Mais on ne pense pas toujours à tout. C’est ainsi que les foyers deviennent des pièges. Le cône se réchauffe. Depuis les hauteurs, les neiges fondues entraînent avec elles la terre, qu’aucune végétation ne retient. Les flancs du volcan dégoulinent de boues qui vont alimenter les rivières en contrebas. Les lits débordent, et dans ces zones montagneuses, dans des couloirs étroits, l’eau comprimée prend de la vitesse, et une puissance devant laquelle tout cède. Les cours d’eau se chargent de caillasses de toutes tailles, de troncs d’arbres arrachés aux rives, et même de morceaux de roches détachés des canyons. Arrivés dans la plaine, ils s’étalent et gardent suffisamment de vitesse pour enlever sur leur passage, pêle-mêle, les récoltes, le bétail, les voitures, les infrastructures les plus imposantes et, bientôt, toute une ville et ses habitants pris au piège dans l’intimité de leurs maisons.

Et maintenant nous sommes les morts. Nous avons encore les poumons, la trachée, la gorge, la bouche, emplis d’eau boueuse. Nos membres sont gonflés, nos visages méconnaissables. Nos yeux noirs enfoncés dans nos orbites ne sont plus humains. Ils vous laissent entrevoir un au-delà du réel qui vous effraie. Nos corps ont été emportés par la coulée. Ceux que vous avez pu enterrer ont été arrêtés dans leur course, comme d’autres débris, par des murs, des piliers, coincés sous des fondations, écrasés par des toits. Les autres ne sont pas des corps de disparus, comme vous l’écrivez dans vos registres : ils ont été emportés. Disparus pour vous qui voyez tout à votre mesure. Les autres, vous les avez enterrés. Certains avec plus d’honneurs. Vous continuez à agrémenter leur tombe, vous les visitez, en pèlerinage. Si vous pouviez les entendre, ceux que vous admirez parce qu’ils ont su souffrir et mourir dans la dignité, ils cracheraient des mots qui repousseraient vos offrandes. Non contents de les avoir regardés crever, vous venez à présent leur demander des services après leur mort. Qu’ils reposent en paix ? Hypocrites. Cette poignée de morts devenus des icônes parce qu’ils ont agonisé sans heurter vos tympans, nous aurions voulu qu’ils hurlent, invectivent, se rebellent devant la mort, que l’expression de leur visage renvoient la monstruosité de ce que quelques-uns subissaient du fait de l’aveuglement collectif.

Vous avez fini par rouvrir le refuge. Pas tout de suite, je vous l’accorde. Il a fallu deux années de, disons, deuil, pour que vous repensiez au potentiel touristique des lieux. Deux années pour la décence. Après tout, les vivants vivent ; les morts se taisent. Tout est dans l’ordre. Jusque-là, les faits vous donnent raison : la fermeture, l’abandon, la reconquête par les éléments naturels ne sont pas d’actualité. Si j’étais un tant soit peu cruel, je donnerais un coup d’accélérateur au processus : j’irais bien noircir de boue pendant la nuit la face du randonneur qui se repose confiant, lui emplir le nez d’eau putréfiée, le faire s’éveiller dans des terreurs enfantines, de celles qu’aucun discours rationnel ne peut apaiser, lui faire passer l’envie de chercher un plaisir sur des lieux de malheurs. Mais on ne se refait pas, même dans la mort. L’indulgence l’emporte sur la colère. Quel espace sur cette terre serait habitable sans une part d’oubli ? Vous n’allez pas vous enterrer sous les morts. Alors laissons les choses se faire à leur rythme. Je sais ce que je dis, moi qui suis de l’autre côté : votre monde est déjà dépassé.


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· Texte d’Athénaïs Grave ·

L’Amour

L’Amour est comme la terre. Elle peut parfois être rugueuse comme un rocher ou douce comme un tapis de mousse. Si on n’en prend pas soin, elle peut s’effriter, telle une falaise de calcaire après les affres de la pluie. Et quand il est sincère, il est immuable, telle une montagne dressait en protectrice au-dessus d’une ville.
L’Amour est comme le vent. Il file à une allure folle, un clignement de cil, et nous laisse dévastés après sa tempête. Mais de temps en temps, il se pose en douce brise qui vient nous caresser la joue. On se sent alors léger. Tellement, qu’on pourrait voler. D’ailleurs, notre cœur s’envole ; il s’est échappé de notre poitrine ; et maintenant il caracole, au milieu d’un vol de cygnes.
L’Amour est comme l’océan. Il nous berce de ses vagues, autant qu’il fait chavirer notre navire. On se noie, on s’étouffe, on sombre. Et pourtant, on se jette à corps perdu dans ses eaux, ivre de son sel, ivre de ses remous, ivre de sa liberté. Car qui ose affronter ses dangers, découvrira sous sa surface, mille merveilles, un trésor immergé.
L’Amour est comme le feu. Celui d’un volcan, dont la lave nous consume à même la peau. On se brûle pour lui. On laisse nos chairs et nos âmes s’embrasser à sa chaleur. On se perd, volontaire, dans ses flammes voluptueuses. Et tandis que l’on se brûle, qu’il nous carbonise, jamais nous n’avons été aussi vivants.
L’Amour n’est rien, et à la fois tout. Il simple et divinement complexe. L’Amour est plein de petites choses, un ensemble de détails. L’amour est une brûlante respiration moite rocailleuse. L’Amour est le cinquième et ultime Élément.


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· Texte de Martine Lenoir ·

Plus imprévisible que Nature

Marine dormait profondément. Comme souvent elle rêvait de paysages grandioses. Pourtant depuis huit mois ses jours en étaient remplis.
Avec Julien ils étaient partis de Brest pour un tour à la voile dans l’océan indien.
Le voyage d’une vie. Dix ans qu’ils l’imaginaient et plus de cinq ans qu’ils le préparaient.
À 33 et 30 ans ils avaient acquis une solide expérience de navigation en écumant la plupart des rivages bretons, la meilleure école pour apprendre à naviguer dans des conditions délicates.
Ils avaient acheté un vieux voilier de 13 mètres qu’ils avaient remis en état et équipé d’un GPS marin avec sondeur pour visualiser les fonds marins.
Passionnés de voile depuis leur plus jeune âge ils avaient commencé leur carrière professionnelle avec l’objectif de mettre un pécule de côté pour réaliser leur rêve. À eux deux ils avaient économisé près de 20 000 euros. De quoi pourvoir aux frais du voyage.
Les brestois avaient longé les côtes françaises, l’Espagne, le Portugal et avaient rejoint la Méditerranée par le détroit de Gibraltar. Puis ils avaient atteint la Mer Rouge en passant par le canal de Suez et traversé la mer d’Arabie pour gagner l’Inde et le Sri Lanka. Ils avaient quitté Batticaloa à l’Est du Sri Lanka pour aborder le Golfe du Bengale par le sud afin de rejoindre la Thaïlande en faisant escale dans les îles d’Andaman et Nicobar. Le retour se ferait par la partie sud de l’océan indien et l’Afrique de l’Ouest.

Marine rêvait qu’elle était à la Réunion en train de survoler le Piton de la Fournaise en irruption. Des coulées de lave glissaient jusqu’au rivage et offraient vu du ciel un spectacle époustouflant. Dans son rêve pas de bruit de moteur, juste le grondement lancinant du cratère bouillonnant entrecoupé de légères explosions. Tout à coup une détonation monumentale la fit bondir. Elle se dressa brutalement sur son siège et se cogna la tête sur la carlingue de l’avion.
Dans la réalité elle venait de frapper le plafond de sa couchette. Elle mit quelques secondes à comprendre que le tonnerre d’un violent orage l’avait réveillée. Bientôt des éclairs balafrèrent le morceau de ciel visible du hublot.
Marine se frotta le front où pointait une bosse et tenta de se lever mais la houle l’obligea à progresser avec précaution.
Arrivée sur le pont elle dut s’accrocher à la main courante pour ne pas passer par-dessus bord tant le roulis était gros. Des éclairs fendaient le ciel, des trombes d’eau rendaient la visibilité nulle et la tempête malmenait le monocoque qui s’inclinait dangereusement. C’était la première fois qu’il subissait un tel déchainement des éléments. La jeune femme commença à s’inquiéter.
En rejoignant enfin Julien qui manœuvrait la barre sa peur se transforma en angoisse. Son amoureux, habituellement calme et rassurant, affichait une mine déconfite.
« Quand je suis venu vérifier le pilote automatique la foudre est tombée sur le GPS, hurla-t-il. C’était impressionnant. J’ai cru que ça allait provoquer un incendie. Heureusement la pluie s’est mise à tomber, ajouta-t-il en lisant l’affolement sur le visage de sa compagne.
« Mais la mauvaise nouvelle c’est que nous allons devoir naviguer à vue et sans sondeur et qu’il fait nuit. Pour le moment l’important est de ne pas dessaler, avec ce vent. Tiens enfile ça » dit-il en montrant un gilet de sauvetage.

Après une nuit particulièrement stressante, le jour avait apporté dans son sillage le beau temps. La tempête avait laissé la place à une agréable brise.
Julien bien qu’épuisé avait retrouvé son optimisme :
« Nous avions mis le cap sur les îles Andaman du Nord. Mais je pense que le vent nous a fait dériver vers le Sud et la boussole confirme. Donc changement de programme : nous nous dirigeons maintenant vers Little Andaman, la plus au sud, affirma-t-il en consultant la carte en papier. On pourra certainement y faire réparer le GPS ou en trouver un autre. »
« Il faudra aussi faire le plein d’eau potable » ajouta Marine.

Les navigateurs se relayèrent à la barre en gardant le cap à l’aide de leur boussole. Vers 16 heures ils aperçurent avec soulagement une île.
« Terre en vue », lança joyeusement le skipper.
La nuit commençait à tomber quand ils s’approchèrent suffisamment pour constater que ce côté de l’île était inhabité.
« Nous allons mouiller ici, décida Julien, je vois des rochers qui émergent près du rivage, et sans sondeur je ne veux pas risquer d’échouer. Demain à la première heure nous prendrons l’annexe et explorerons cette île mystérieuse ».
« Excellente idée, cette baie à l’abri me parait idéale pour passer la nuit » approuva Marine.
Aux premières lueurs du soleil les amoureux montèrent sur le pont pour découvrir le site de jour.
« En effet la côte a l’air sauvage, s’étonna Julien. Je prépare le petit-déjeuner et ensuite on y va. J’ai hâte ».
Marine s’assit sur l’avant du voilier et scruta le rivage. Elle crut distinguer des mouvements sur la plage. Elle prit des jumelles pour s’en assurer.
Cinq jeunes enfants se tenaient accroupis à la lisière de la forêt face à l’océan.
Etrange, se dit-elle, que peuvent-ils faire là ?
Soudain ils se mirent à ramper sur le sable par saccades comme s’ils jouaient à 1,2 3, soleil mais à plat ventre. La navigatrice observait intriguée. Tout à coup ils se levèrent de concert et se mirent à jeter des cailloux en direction du voilier. Marine, stupéfaite, lâcha ses jumelles. Elle vit alors les jeunes garçons repartir et disparaitre dans la forêt à toute vitesse.
« Quelle vue splendide, déclara Julien, en posant le plateau du petit-déjeuner sur le pont »
« Tu ne devineras pas ce que je viens de voir », assura la jeune femme légèrement troublée.
« Une tortue, un requin peut-être ? » plaisanta Julien.
« Des gosses sur la plage qui lançaient des pierres dans notre direction. Comme s’ils nous attaquaient ».
« Au moins l’île n’est pas déserte, c’est une bonne nouvelle », estima le jeune homme.
« J’espère que les adultes sont plus accueillants » lança Marine en finissant son café.
« On va vite le savoir. Je vais chercher les bidons pour l’eau. Sors les pagaies et on saute dans l’annexe ».
Le couple se glissa dans le petit bateau pneumatique et détacha la corde qui le reliait au voilier.
« C’est parti ! » cria Julien.
Après quelques coups de rames, Marine, à l’avant de l’embarcation, poussa un hurlement : « Oh !! C’est pas vrai ! Mais c’est quoi ça ? »
Au même instant son compagnon découvrait une scène surréaliste sur la plage :
Une dizaine d’hommes à la peau couleur ébène, portant pour seul vêtement un pagne et munis d’arcs leur lançaient des flèches en vociférant des sons guerriers. Une dizaine d’autres sortaient deux par deux de la forêt en portant des radeaux.
Le jeune homme réalisa immédiatement :
« Les sentinelles ! Vite, demi-tour ! » ordonna-t-il en pagayant avec la fougue que seul l’instinct de survie déclenche.
Marine s’exécuta sans réaliser vraiment ce qui arrivait sauf qu’il y avait danger.
En panique ils remontèrent sur le bateau.
« On ne peut pas partir à la voile. Il n’y a pas assez de vent. Ils seront bientôt là avec leurs radeaux, s’écria la jeune femme effrayée, je mets le moteur en marche ».
« Ça ne démarre pas », hurla-t-elle en pleurs alors que Julien lançait des fusées de détresse en guise de menace mais que les agresseurs ne reculaient pas d’un mètre.
Le moteur brouta, cala, brouta à nouveau sous les efforts désespérés de Marine qui tremblait de tout son corps. Enfin le ronflement devint plus régulier et le bateau vira de bord et s’éloigna de la côte.

« C’est qui ces sentinelles ? » demanda la rescapée encore choquée.
« Un peuple isolé qui refuse tout contact et qui tue les curieux. Je suis désolé je ne pensais pas que cette île était North Sentinel Island. On n’a pas dérivé au sud comme j’avais prévu »
« Tu connaissais l’existence de ces sauvages et tu ne m’as rien dit ? ».
« Je ne voulais pas t’affoler ma chérie, la veille avait déjà été éprouvante ».
« Je crois que j’aurais préféré périr en mer que de finir tuée par une flèche »


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· Texte de Pascal Dandois ·

Révélation

Au fil d’une déambulation, d’une promenade aventureuse labyrinthique et hasardeuse, je m’arrête.
Je fais une petite pause en un lieu qui d’aspect « normale », c’est à dire ayant l’apparence d’une « réalité » ordinaire, n’en contient pas moins tous les éléments nécessaires qui ne peuvent que me faire aboutir à cette évidence pour le moins extraordinaire.
C’est au bord de l’océan, je me suis assis sur un rocher, un petit vent, une brise légère frôle l’ensemble de mon corps, et le soleil a la couleur éclatante de la lave d’un volcan. La couleur de ce magma qui bouillonnent sans cesse dans mon cerveau au contact de ce réel qui s’empare de tous mes sens.
Et voilà que par une forme de géométrie mentale où s’entremêlent l’espace-temps avec toutes les probabilités possibles et impossibles, imaginables et inimaginables auxquelles s’additionnent, pour cimenter l’ensemble, les mots, c’est à dire le langage et la pensée, voilà que je réalise que tout ce monde, cet univers est tout autant contenu dans mon crâne que partout autour de moi, que ce réel n’est autre que mon âme.
Il me faut un nouveau mot pour cette métamorphose, cette révélation, ce nouvel état d’être.
Je trouve soudain comme dans un rêve le nom évident, ne pouvant qu’exister, de « Némométacéphale ».


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· Texte de L. Gagnaire ·

Les abeilles près du lac

Le bruit de l’eau l’apaisait. Ça lui rappelait ses vacances au bord de l’océan. Elle se sentait bien ; là, allongée sur la couverture qu’ils avaient apportée pour le pique-nique et posée sur l’herbe. Ses paupières étaient closes et elle appréciait sentir le vent frais sur sa peau, comme une légère brise qui la frôlait. Elle n’ouvrit les yeux que lorsqu’elle sentit comme une caresse sur sa jambe puis, des fourmillements et des guilis. Rien de grave. Juste une abeille. Le soleil s’était couché. Elle remarqua la pleine lune. Cela ne l’inquieta pas davantage de trouver des abeilles en pleine nuit. Ou alors, peut-être s’agissait-ils d’une éclipse ? Elle referma les paupières. Elle n’avait pas à s’inquiéter. Elle la sentit se promener le long de sa jambe. Il lui sembla qu’une autre arriva sur son bras. C’était marrant. Elle n’avait pas peur de ces petites bêtes. Peut-être n’avaient-elles pas réalisé sur qui elles étaient. Un être humain. Parce que d’habitude, les abeilles, ça ne se posent pas sur les humains.
Elle en sentit d’autres ; un peu partout sur son corps. C’était une étrange sensation ; c’était la première fois que ça lui arrivait. Peut-être était-elle chanceuse… Quoi qu’il en soit, elle ne bougea pas. Elle les laissa faire. Enfin, ça c’était vrai jusqu’à qu’elle ressente une drôle de sensation. Comme une piqûre. Sur sa jambe. Elle ouvrit immédiatement les yeux. C’était l’une des abeilles. Celle-ci lui buvait le sang, tout en grossissant à vu d’œil. Elle se sentait mal. Elle avait chaud, comme si elle était envahie de lave. D’un coup de main, elle essaya de se débarrasser de l’abeille mais maintenant toutes les abeilles l’attaquaient en même temps. Elle les avait laissé s’approcher sans se méfier. Après tout, comment aurait-elle pu savoir que les abeilles étaient des buveurs de sang ? Elle se débattait comme elle le pouvait mais c’était trop tard. Elle était recouverte d’abeilles. Elle poussa un cri, comme pour appeler à l’aide même si elle savait cela inutile.
Ses yeux s’ouvrirent et elle se redressa. Quelqu’un riait à ses côtés. Elle se tourna pour le regarder. C’était Lucien, adossé à un rocher.
— T’as fait un cauchemar ? Lui demanda-t-il.
Elle lui lança un regard noir et elle regarda tout autour d’elle. Elle était toujours sur la couverture, là où ils avaient fait le pique-nique. Elle s’était endormie. Son ami l’avait recouvert d’herbes et de feuilles. C’était donc ça, les abeilles… Il tenait entre ses mains une petite branche. Cela expliqua les sensations de piqûres.


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· Texte de Mauranne B. Poussart ·

Je pouvais sentir d’ici qu’il était en colère. On l’avait laissé seul. Les beaux jours étant derrière eux, les badauds avaient cessé d’aller le visiter. Seuls quelques courageux foulaient encore le sable à ses côtés, mais sans pour autant le remarquer. La brise emmêlait mes cheveux tandis que mes pieds caressaient le sable froid et humide de ce mois d’octobre. Les algues s’amoncelaient le long de l’océan, créant une barrière entre lui et moi. La texture spongieuse et gluante sous la plante de mes pieds me donnait la nausée mais il fallait que j’aille le saluer. Sa colère redoubla tandis que j’avançais. Les vagues s’abattirent sur les rochers, violentes, bruyantes, sauvages. Indomptables, comme le feu qui me consumait de l’intérieur. Les vagues léchèrent enfin mes pieds, jusqu’à mes mollets. Je regardai autour de moi avant de souffler :
— Bonjour, océan. Merci. Merci pour tout ce que tu fais pour nous. Pour tout ce que tu nous offres sans jamais rien demander en retour.
Le reflux d’eau salée me caressa à nouveau, étonnement chaud cette fois. Comme si l’océan me répondait. Faisant fondre la lave qui embourbait mon esprit depuis si longtemps maintenant.


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· Texte de Jean-Jacques Camy · 2ème place ex-aequo

Le vague à l’âme
D’après un tableau de Léon SPILLIAERT

Quand l’âme du peintre se faisait
en lambeau,
Il arpentait les rues et prenait
ses pinceaux…

Il posait parfois ses tubes et ses instruments
devant cet océan bien trop paisible.
Cela aurait pu être un volcan de tourments,
un déluge de lave, irrépressible.

Mais ce n’était qu’un désert de solitude,
mais ce n’était que le silence qui hurle.

Pas la moindre brise pour soulever le sable,
pas la moindre vague pour caresser de flots
le brise-lames. Aucun oiseau véritable,
nulle âme qui vive dans le discret tableau.

J’avais, moi aussi, arpenté les rues
avant d’entrer dans ce sombre musée
où je contemplais, maintenant, la vue
du brise -lames au poteau, médusé,
le cœur chahuté d’un vague à l’âme incompris,
mes pensées qui divaguent face au tableau sans prix.

J’aurais voulu être rocher dans la tempête,
J’aurais voulu être castel un jour de fête !

Mais ce n’était qu’un désert de solitude,
mais ce n’était que le silence qui hurle.


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· Texte de Sandrine Drappier Ferry · Coup de ♥

Adossée à la porte de mes rêves
Je me suis perdue dans l’insomnie
De mes nuits lune de plumes.
Dans l’embrasure d’un trop lourd silence
J’ai touché du bout des doigts
La tristesse du Diable.
Emportée par la brise du crépuscule
Dans une vallée d’émeraudes
Je me suis abreuvée
A la fontaine de nos souvenirs.
Dans cette nuit fauve
Comme un flash dans mes nuits d’errance
Tu es apparu, mon magicien d’argent,
Déposer un baiser de dentelles
Sur mes seins blancs.
Tel un rocher percuté
Sur le toboggan de mon désir
L’ombre de ta nudité offerte
Sur notre paillasse d’amour
J’ai caressé les braises du temps.
A l’aube, les débris de ton absence
Se sont échoués sur les rochers
Faisant exploser mon cœur ouragan.
J’ai murmuré une dernière prière
A l’océan couleur de lave
Pour que ne se lève pas le jour
Sur son fil frotté de sel.


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· Texte de Philippe Botella ·

La promenade sur le lac

La nouvelle attraction de cet été fut une réussite. Proposer une promenade sur le lac marin du Barcarès, en barque longue, effilée et plate, comme il sied à ces eaux, avec comme nautonier un grand échalas, au visage taillé à la serpe, et qui plus est, muet comme une carpe, véritablement muet, était risqué, mais l’idée a plu. Beaucoup. Les touristes se seraient presque battus pour avoir le privilège d’être transportés par cet étrange individu qui maniait si bien la perche, car il ne ramait pas.
La barque était munie de trois perches. Trois tailles différentes, selon la profondeur des eaux. La petite mesurait trois mètres, la moyenne, six, ce qui est déjà difficile à manier, et la grande, dix ! Là, on frisait l’exploit. Et quand il la prenait, tout le monde priait pour qu’il ne chutât pas dans l’eau.
Et moi, de la terrasse de ma maisonnette, sur le lac-étang aux eaux saumâtres, je regardais son manège, tout aussi séduit, mais bien plus patient, en attendant d’admirer les couleurs, toujours changeantes, des crépuscules tantôt dorés, tantôt mauve, en pensant que ces tons avaient toujours existé.

Vers la fin de la saison, je convenais avec lui, car s’il était muet, il n’était pas sourd, d’être son dernier client. Et nous prîmes rendez-vous pour le quinze octobre peu avant l’aurore. Et je précisais bien: « peu importe la météo ». Lui avait hâte d’en terminer, et moi, de découvrir ces instants de silence, quasiment seul, à sa présence près, au milieu des eaux- miroir.
Et justement, ce matin-là, il fallut que ce fût un de ces matins de brume comme il en y eut rarement. La brume faisait perler les perches et ramenait le monde à un cercle de deux à trois mètres de rayon. Le nautonier me regarda et son regard semblait me demander si cela me convenait. Et effectivement, c’est ce qu’il me demandait. Je lui répondis que si pour lui c’était OK, pour moi, ce serait de même. Et nous voilà tous deux partis dans un univers de ouate où les moindres bruits, et il y en avait peu, étaient étouffés. Le lac était plus silencieux que s’il avait neigé. Seuls, de temps à autre, les claquements des sauts d’un invisible mais sans doute gigantesque poisson révélaient qu’il y avait de la vie autour de nous. Sans doute un de ces mulets sauteurs si communs ici depuis la nuit des temps, le musée du port en exposant trois sous le forme de fossile.

Le temps sembla s’arrêter lorsque la brume céda, contre toute attente, au brouillard. Tout devint alors subitement glauque, comme l’atmosphère de ces ports dans les films du Commissaire Maigret, de certains tableaux impressionnistes. « Impréssio-sinitres »…. Il me semblait que j’étais, que nous étions totalement absorbés par le milieu ambiant. Tout n’était qu’humidité et les perles où brillait le plus pur argent avaient été remplacées par de grosses gouttes où ne se reflétait que le gris triste et terne qui nous entourait.
Tout en conservant son flegme, mon batelier, retirant la plus grande des perches, parut surpris. Elle n’avait pas trouvé pas le fond. Il lui adjoint par savante ligature la plus petite et reprit son geste, lent, silencieux, toujours recommencé sans que le moindre bruit, ni à son entrée, ni à son retrait de l’eau ne parvienne à mes oreilles. Le brouillard était toujours aussi épais mais les poissons ne sautaient plus. C’est alors que parfois on entendait, comme venu du diable Vauvert, quelques cris d’oiseaux de facture assez lugubre, ce qui fit sourire mon nocher. C’était sans doute un conciliabule entre flamands, hérons, ou quelques corvidés égarés par l’opacité de leur élément.
Avec la brume, nous avions immédiatement perdu de vue toute terre. Et le brouillard accentuait encore plus cet isolement qui devenait aussi lugubre qu’excitant. On eut dit une fumée sans feu ni flamme. Tout était, en effet, depuis le début, de ce calme quasi-divin, d’abord rassurant, mais de plus en plus inquiétant. Depuis combien de temps errerions nous à la surface de ce lac qui n’en finissait plus ? La perche avait une nouvelle fois été rallongée. Notre sillage flirtait-il avec la ligne droite où étions-nous condamnés à enchaîner cercles après cercles, sans fin, dans un univers sans lumières donc sans ombres ?

Sans doute, et à notre insu, nous avions depuis longtemps franchi les portes secrètes du lac. C’est alors que l’angoisse a commencé à déployer ses lourdes ailes qui encadraient un corps serpentiforme dont les ondulations commençaient à parvenir à mes oreilles comme autant de sourds battements d’un large et grave tambour. Je ressentis soudain l’impression de me fondre, de me diluer, de me confondre avec ce coton sans fibre, inconsistant, qui avait déjà avalé mon passeur. Je ne le voyais plus, ni lui, ni sa perche, mais la barque avançait toujours, et toujours sans le moindre bruit.
Le soleil, qui avait eu toutes les peines du monde à se débarrasser de sa grise pelisse nocturne, imposa finalement sa présence et, en un instant, la ouate disparut laissant les eaux du lac étinceler et refléter la lumière retrouvée. C’était comme une fête !
Aussitôt, le vent se leva. Curieusement, il avait perdu son accent catalan. Non, ce n’était pas l’habituelle Tramontane qui cingla l’air au son de ses flaviols, mais bel et bien le fier Mistral qui nous apportait ses notes enveloppées de fifres et de tambourins.
Bientôt, l’horizon apparut. Et nous étions comme perdus en pleine mer. Aucune terre en point de mire. Et cela dura des heures. Puis, soudain, au très loin, une ligne. « Terre ! » Aurait crié un marin. Mais mon marin était muet, et nous étions sur un lac, un petit lac, marin certes, mais un lac. Comment expliquer cela !

Le soleil était déjà bien bas. Bientôt il disparut. Mon nautonier n’en paraissait pas affecté. Il avait manié la perche toute la journée. Nous ne nous étions ni alimentés, ni désaltérés, et n’en ressentions aucune envie, aucun besoin.
C’est sous les étoiles qu’il continuait de me promener, moi l’ultime passager de sa première saison, pour cette balade qui peut-être serait vraiment la dernière. Bientôt, des reflets de plus en plus précis s’affirmaient sur l’eau. Puis nous croisâmes des pieux. Certains ressemblaient à des « bricola », d’autres, à des palines. Et nous naviguions au milieu d’eux, toujours sans bruit.
Entre nous et les étoiles, trois vols de migrateurs se sont succédé. D’abord, de majestueux cygnes, quelques instants après, ce fut le tour d’élégantes grues. Étaient-elles cendrées, sûrement, mais impossible à voir. Enfin, aussi bruyantes qu’une clameur dans un stade, des oies cendrées. Après toutes ces heures de silence, que cela était le bienvenu ! Mon muet regardait le ciel en souriant. Il me jeta un regard confiant qui se voulut rassurant.
Au petit jour, nous étions arrivés à bon port. Mais pour aussi incroyable que cela pu nous paraître, nous n’étions étonnés qu’à moitié. Devant nous, fier et droit comme un gnomon se dressait… le Campanile de Saint Marc !
Et alors, il se mit à chanter…


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· Texte de Thomas Giulliani ·

« Tu en as encore pour longtemps ? »
Je suis tenté d’assommer Noé avec le caillou entre mes mains. Je pourrais ensuite me servir de son corps comme combustible. Un châtiment mérité pour cet idiot qui a oublié les allumettes. Mais je me contente de l’ignorer et redouble d’efforts. Montrer les crocs ne ferait qu’envenimer les tensions qui électrisent l’atmosphère. Une heure que nous avons établi le camp au bord du lac quand le soleil tirait déjà doucement sa révérence.
Au début, tout allait bien, les enfants taquinaient l’eau avec quelques pierres et bouts de bois, improvisaient des jeux avec du matériel transporté pour le week-end ou exploraient les alentours à la recherche d’empreintes d’animaux. Bref, ils s’ennuyaient sagement en attendant l’heure du dîner.
Mais maintenant que la fraîche obscurité réduit de minute en minute notre champ de vision, que les estomacs animent la pénombre de leurs grognements affamés et que le feu de camp refuse d’apparaître, l’inquiétude s’échappe de plus en plus de leurs minuscules bouches qui ronchonnent pour ne pas se changer en glaçon. Pour couronner le tout, nous avons confisqué tous les téléphones portables qui sont restés à l’auberge pour éviter que l’émerveillement des gosses ne soit trop perturbé par une envie irrépressible de partager chaque petit bout d’existence sur les réseaux sociaux. Je mériterais qu’on me laisse couler attaché à un rocher pour avoir eu cette idée. Heureusement, il reste les lampes torches rudimentaires pour éclairer timidement le cercle formé autour de moi, en attendant un miracle. Quelle idée de partir explorer d’anciens sites druidiques perdus au pied des montagnes pour les vacances.
« Vous verrez, grâce au réchauffement climatique, cet endroit reste propice au tourisme sauvage même au mois de novembre. »
J’aurais dû me méfier d’un crétin qui utilise les problèmes écologiques comme argument commercial. Le sol est boueux, l’humidité se glisse par l’extrémité de chaque vêtement, et le vent s’acharne à asphyxier toutes les misérables étincelles que je parviens péniblement à extirper des brindilles.
« Il va me falloir encore un peu de bois… Qui est volontaire pour la récolte ? »
Narquois, le silence me répond. J’arrive à identifier les visages à la discrète clarté de la lune, et constate que chacun espére qu’un héros va surgir des ténèbres pour cette mission.
« Il n’y a rien à craindre. Nous sommes à la lisière d’une forêt, il y a du bois partout. »
« Mais peut-être que des bêtes sauvages guettent… »
« Comme des renards ou des lapins ? »
« Ou des monstres ! Il y a des légendes sur cet endroit. Je l’ai lu sur Wikipédia. »
Chaque enfant va de son commentaire, nourrissant la boule pâteuse d’angoisse qui enlise le groupe, membre par membre. Je dois désamorcer la situation et tends une perche à mon collègue pour qu’il fasse une plaisanterie :
« Ridicule. Qu’en penses-tu, Noé ? Aucun risque de croiser des crocodiles ou des lions, n’est-ce pas ? »
« Non. Cependant il y a des loups et des ours qui descendent parfois des hauteurs pour taquiner le territoire quand les températures redescendent. Mais c’est très rare, et puis, ils craignent le feu… »
Les frissons redoublent en apprenant que la seule ressource capable de nous protéger est actuellement absente. Le mistral qui siffle de plus en plus fort au-dessus de nos têtes accentue la terreur en portant jusqu’à nous l’écho de bruits mystérieux que je n’avais pas remarqué jusqu’à présent. C’est étrange, cette sensation que les sons se réveillent au fur et à mesure que l’acuité visuelle diminue.
Des grésillements, des grommellements et des grondements qui dessinent de glaçantes formes imaginaires dans les fourrés. Et pourtant, les résonances donnent l’impression de nous avoir déjà encerclés, que nous sommes emprisonnés dans leurs graves cordes vocales.
« Je veux ma maman ! »
« C’est fini ! On va tous mourir ! »
Les pleurs commencent, et le virus est lancé. L’épidémie se propage en quelques secondes, même Noé grelotte. Je dois reconnaître que moi-même, je peine à rester serein. Les sonorités s’accentuent de plus en plus, l’impression que des cors vibrent à l’unisson tout autour du lac. Une chorale de gigantesques coassements. Je m’acharne de plus en plus vite avec les pierres et les bouts de bois, espérant que le brasier va surgir d’entre mes mains et transformer cette horrible soirée en souvenir léger.
« Dans l’eau ! Quelque chose bouge dans l’eau ! »
Le sol se met soudainement à rugir, les enfants fuient la surface aqueuse en mouvement pour se réfugier derrière Noé et moi. Je tente de les regrouper avec mes bras, de me convaincre naïvement que je serais capable de les protéger contre toute menace surnaturelle. Mon collègue, lui, est recroquevillé. Je crois qu’il attend la mort pour être délivré. Toutes les lampes torches sont braquées sur le lac en ébullition. Et là…
Je dois cligner des yeux plusieurs fois pour accepter cette réalité. D’abord une petite masse faisant office de crâne, puis des épaules et ensuite des corps entiers. Des géants qui émergent.
Nos faisceaux de lumières ne savent plus où donner de la tête avec ses carrures digne de créatures mythologiques, composées de roches, de chairs, de végétaux et d’os. Des fossiles vivants qui s’immobilisent sur le rivage, à quelques mètres de notre misérable troupeau tétanisé.
Plus aucun son de notre part. J’observe le visage de l’abomination qui est la plus proche de nous, sans trop savoir s’ils attendent des salutations. Est-ce que ces morceaux de montagne humanoïdes peuvent parler ? Sa mine est sévère avec de brillantes pupilles brunâtres qui sont peut-être capables de tirer des éclairs. La sensation qu’une éternité s’écoule avant qu’une partie de sa mâchoire de granit ne se détache enfin pour s’exprimer :
« Vous perturbez la forêt avec votre peur. »
Personne n’ose répondre. Je pense avoir mal compris et demande de répéter.
« Votre peur ! Elle ronge les insectes près de vous. Votre effroi agresse les êtres vivants de ce lieu que nous avons pour mission de protéger. »
« Mais nous… »
« Nous tolérons la venue d’humains, tant que vous ne brusquer pas la vie qui suit son cours. Cessez cet affront si vous ne voulez pas subir notre colère ! »
Je sens derrière moi l’agonie psychologique des enfants qui se retiennent de partir à toutes jambes entre les arbres en hurlant. S’ils font cela, nous sommes foutus. Je réfléchis vite, et tente une idée :
« Pardonnez-nous, vénérables colosses. Nous souhaitions juste allumer un feu pour nous réchauffer et nous rassurer avant le coucher. Nous avons été surpris par la nuit et… »
« Un feu ? »
« Oui. Notre feu de camp. »
Le gardien jette un coup d’œil au tas de brindilles sur lequel je me suis acharné. Impossible de deviner le fruit de sa réflexion.
« C’est donc cela qu’il vous manque pour vous calmer ? »
J’acquiesce, et j’ai envie de remercier le ciel en sentant que toute la troupe derrière moi fait de même.
« Bien. »
Il se penche dans notre direction, et je crains un instant de voir le trépas venir m’embrasser, avant de réaliser que son doigt pointe nos matériaux. Attentif, je l’entends murmurer dans un langage inconnu, puis aperçois de dansantes flammes violettes prendre vie. Parfaitement domptées dans un périmètre de sécurité, et éclairant les alentours sur plusieurs dizaines de mètres. De la joie explose dans ma poitrine.
« Maintenant, nous pouvons repartir. »
Sans même attendre la moindre réaction de notre part, les géants se retirent un à un, engloutis par les profondeurs insoupçonnées du lac. Une fois le calme revenu, aucun de nous n’ose bouger, l’impression que nous sommes tous bloqués dans un rêve absurde.
« Bon… Maintenant, que ce problème est réglé… Qui a faim ? »
Tous les enfants s’animent avec leurs ventres implorants. Une simple blague de Noé, et ils ont digéré le fantastique de cette rencontre. Je me sens vraiment vieux d’un coup, et ce n’est que le début du week-end.


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· Texte de Chloé Pluchard ·

Où est le beau, où est le moche ? Ce qui est imperceptible pour les yeux et visible pour nos coeurs Là où souffle le mistral, près des côtes : des vents et des tempêtes embrasées. Contre les changements de saisons et le temps capricieux, il n’y a rien que l’on puisse faire. – Vous qui arborez vos flammes, face à la beauté de ces magnifiques paysages. C’est peut-être de là que surviennent les manteaux braisés et enflammés qui coulent sur vos lacs embrasés. Ouvrons grand nos cœurs écorchés. La terre et ces vastes fossiles. Lorsque les couleurs se mélangent sur un fond sombre. Un ciel zinzolin, qui baigne de douceur. On écoute le battement métallique des colères endormies.On entend encore les cris, qui se libèrent dans la nuit. Les bruits assourdissants des flammes. Tels des S.O S lancés dans les vastes horizons. De lourds silences drus et brûlants frictionnent avec les reflets de ces lacs si calmes. Nous admirons, de beaux matins, les restes de ce que les flammes nous offrent, dès que l’aube sur les hauts toits des limbes. Où vous déversez cette rage et cette grandeur.Les esprits de la nature qui ont déployé leurs arcs de flèches allumées. On bondit, comme des rosées chaudes sur les plaines somnolentes. Abondance de chutes d’étoiles couleur braise. Ce n’est guère la saison des étoiles filantes. Petite brise, sur les terres asséchées et ardentes. On n’ose y déposer nos tente afin d’y faire un camp. Ce qui crépite sous nos pieds c’est de la coulée rutilante qui vient se déposer dans ce lac transparent. Pour se transformer en d’ immenses déserts de coulées fumantes. Ont ouïe et vous rappelle à quel point vous n’êtes que merveilles. Sur ces jolis tableaux où l’on peins vos étincelantes valses endiablées. Les pinceaux qui glissent sur les tempo de vos aisance. Vous êtes les volcans les plus majestueux de l’histoire. Lorsque vous expulsez votre venin rutilant et poussiéreux et que le mistral danse avec les particules de cendres. Cela dessine des histoires . Du bout de nos doigts, on applique ces amas de nuages. De curieux mélanges éclectiques de joie et de tristesse. Un peu de jazz et de métal qui ne forme qu’une seule matière. Une symphonie, une synesthésie, qui se jouent tout un drame devant nous. Les cendres ont un goût de cookies noirci et les flammes brûlantes ont un goût amer . Subtile et délicat comme ces danses entre ces tourbillons qui allument mon cœur. Nous regardons, muets, ces éléments qui se déchaînent. On capte la nature, on souhaite la voir et la sentir. Je retiens mon souffle. Autour de moi s’amoncellent les grains de folies et la tempête qui m’engloutit. La lune est si belle, lorsqu’elle se joue devant elle. Des rixes violentes. Nos cœurs tressautent et ont virevolte comme les flammes de ces volcans. Nos respirations face à cet élan splendide ! Se coupent net. Nous sommes comme les aiguilles d’une montre, le peuple vacille. Le tempérament de ces flamboyantes flammes. Comme devant une cheminée. Les mains tremblantes de peur, face à la force de la nature. Je suis figée dans cet espace-temps. Tout petits que nous sommes, immortelle est cette atmosphère. Néanmoins si fragile à la fois. Les substances abrasives qui virevoltent dans mes cheveux. Nous dote d’une chair de poule, qui soulève les poils. Nous nous sentons suspendu dans le courant d’un mistral, néanmoins le vent ne nous transporte pas avec lui. Des tableaux pleins de paillettes argentées. N’est que les ternes reflets de notre triste réalité. Les battements incessants de mes tympans me déstabilisent. Je ferme alors les yeux, n’écoutant que ma voix intérieure.Qui me dit tout bas : que l’on ne peut rien y faire. Nous ne sommes rien, face à ces splendeurs que nous donnent ces fusions. Tout ce qui n’est que métaphore, lorsque l’on gravit les hautes montagnes suffocantes de flammes. Qui montre à quel point l’être humain peut être infâme malgré sa noblesse. L’intelligence est dangereuse et quelques fois légèrement malsaine entre les mains de génies prêts à conquérir notre siècle. Ce que nous observons ne sont que de grosses usines à fossiles nucléaires. Nous marchons tous droit vers une catastrophe pétrolière. Mais nous préférons croire que ceci n’est qu’un lac sombre qui nous sera toujours abondant. La misère est plus dure à voir que la beauté d’un paysage. On se montre plus féroces comme ces dinosaures il y a de ça 250 millions d’années, à la Mésozoïque. Nous observons les collines de poussières et de soufre. Ces étranges flammes qui éteignent nos espèces comme autrefois. On avance vers le futur, une catastrophe se prépare-t-elle vraiment? Des années lumières nous séparent de ce qu’ont vécu nos ancêtres. Des vagues fossiles d’os et de chair. Peut-être que notre espèce s’éteindra. De la naissance des paysages à nos jours. Les flammes et la peur.Nous cherchons la laideur dans nos desseins. L’homme n’est que roman à l’eau de rose,, mais là où les flammes grondes nos bonheurs sont effronté. La honte est laide, pleine de cruauté. On préfère de jolis paysages endiablés, des forêts qui s’enflamment, des déchets fossiles. Nos yeux dessinent sur des toiles vierge et immobiles. Des volcans qui crachent leurs fumées noirâtres. Nous marchons, mais nous sommes immobile, dans ce monde si abondant de merveille. Ne jetons pas nos réserves et nos ressources, si les forces de la nature nous détruisent.—Embellissons nos régions, qui peignent sans raison. Leur envie du moment présent. Les flammes détruisent mais la nature reconstruit. Nos ancêtres nous ont prédit ces magnifiques décore, des pavés d’or. Nos pas resteront ancrés dans le sol bouillant de fièvre. Humain écoutons les chants de la nature sauvage. Nous ne sommes que des dinosaures, assoiffés de pouvoir et de talents. écoutons notre dame nature. Sous nos pieds une mine d’or et de gloire. Si nous pensons tout savoir sur les monts de la vie, seuls les pétales de rose. Si délicates que notre peau. rétrécissent lorsqu’ elles sèche. Nous ne voyons pas cette pollution, nous la subissons. Nous ne pouvons revenir à notre état d’origine. De simples gestes, seraient efficaces pour, dès lors faire renaître nos fourrures et nos manteaux d’hiver, et nos cratères refermeront leur écailles. —Nous ferons revivre ce qu’était la vie avant que l’intelligence humaine ne prenne le dessus. Les hommes tombent comme le blé en saison hivernale, Nous fermons nos paupières et écrivons un bonheur perdu mais ces volcans devant nous ne sont pas les volcans de nos ancêtres.Sommes nous des êtres humbles, afin de nourrir les tableaux de grands peintres ? Ces verdures flamboyantes et ses maisons toutes fleuries. Où est passé le temps où l’on courait dans les bois, l’automne naissant. Où l’on cueillaient en chantant les châtaignes dans nos paniers en osiers . Les artistes transpire leurs arts de différentes façons. Nos fossiles se déterre à coip d’outils, on découvre chaque seconde de nouvelles choses. Peut-être que demain, la vie nous sourira de nouveau. On entache nos noms, depuis des siècles et des siècles. Certains sont des héros, certains on voulu expérimenté. D’autres sont allés beaucoup trop loin. Aussi longtemps que l’on vivra sur cette planète. Aussi longtemps que les voiles noires de notre histoire baignent le sol. La nature répondra : ont vous aura prévenu, Les forces des éléments qui se déchaînent et déferlent sous vos yeux sont plus puissantes que l’homme. Où se trouve le beau du moche ? Si la vie nous fait survoler les montagnes, est-ce que demain des déserts fleuris feront d’eux les plus jolis paysages ? On peut gravir le mont Evrest, comme de petites collunes. Le bonheur est à porter de mains et on doit pouvoir le touché de la pulpe de ses doigts. De couleurs en couleurs et de saisons en saisons, le bois nous fascine et cela demeurera ainsi jusqu’à l’inifini.


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· Texte d’Alexandra Morin ·

A l’orée de la forêt, une petite tête jaillit de derrière un rocher. Affublée d’un chapeau pointu, la lutine, Eole, remue son nez pour humer les odeurs alentours. Ne sentant rien d’autre que le pétrichor, elle comprend que personne ne l’a suivie. Elle soupire de soulagement. Si l’ancien l’attrape, elle est bonne pour des mois de corvées. D’après lui, tout ça est trop dangereux, mais pour elle, c’est l’espoir d’un futur.
Dans le monde d’Eole, il n’existe pas d’astres capables d’éclairer la nuit et de guider les voyageurs. Depuis les temps anciens, les créatures de l’ombre chassent et dévorent les plus faibles sans pitié. Elle grandissent toujours plus terrifiantes et malfaisantes. Le temps est compté et Eole le sait.
La survie des êtres qui ne voient pas dans le noir ne tient qu’à leur instinct et à la lumière. Les ombres la craignent. Elle leur est fatale.
Hors des bois, de l’autre côté de la rivière, s’étend une vaste plaine. Aussi loin du village, Eole ne voit pas plus loin que le bout de son nez. Elle détache de sa ceinture une petite lanterne de sa confection. Avec deux cailloux gardés au sec dans sa besace, elle crée des étincelles. La mèche s’embrase et le visage déterminé de l’elfe s’éclaire. Il n’y a pas un instant à perdre, chaque seconde est dangereuse. De son pas léger et rapide, elle traverse les eaux sans se mouiller et se faufile dans la plaine. Elle semble glisser sur les brins d’herbe encore humides. Les gouttes perlent sur ses bras nus alors qu’elle se fraie un chemin dans l’étendue sauvage. De loin, on dirait une petite sphère de lumière qui avance à toute vitesse. Elle atteint rapidement une grande butte au sommet de laquelle elle s’arrête et observe les alentours. Elle tend l’oreille, mais tout semble paisible. Elle souffle alors sur la petite flamme de sa lanterne et ferme les yeux. Dans le silence et l’obscurité de la nuit, le temps semble suspendu. Mais ce doux rêve ne dure que quelques secondes. Les créatures de l’ombre l’ont repérée.
Des hurlements démoniaques se dirigent vers elle, se rapprochant plus vite à chaque instant. Des grondements, des râles, des jappements. Ils hurlent de rage, de faim, de folie. Ils font claquer leur mâchoire et leurs crocs acérés. Encore quelques secondes et ils la dévoreront. Sans pitié.
Encore quelques mètres. Elle se met à trembler.
Encore quelques mètres… elle sent l’odeur du sang.
Encore quelques…
Soudain, comme une gifle sèche et froide, la bise vient lui fouetter le visage. C’est le signal qu’elle attendait.
Les hurlements laissent place à des jappements plaintifs, hésitants. Leur odeur pestilentielle a envahi l’espace et son intensité trahit leur proximité. Mais les créatures se sont arrêtées. Les créatures s’enfuient.
L’elfe, tremblante, ouvre les yeux.
Tout autour d’elle, de doux tintements résonnent. Le monde se transforme. Les plantes nocturnes s’éveillent, chatouillées par le vent. A son contact, la bioluminescence s’est activée et un circuit d’énergie parcoure la plaine dans un flux irrégulier. Les herbes tanguent au rythme du vent , la végétation scintille d’une lueur bleutée et illumine les environs. Elle soupire de soulagement. Tant que la lumière est là, elle ne risque rien.
La petite elfe décroche le cerf-volant attaché dans son dos et le pose au sol. Quelques pas en arrière pour tendre le fil et le voilà qui s’envole dans un bruissement. Emporté par les vents, sa toile composée de lierre s’illumine à son tour. Aussitôt, des nuées blanches jaillissent des herbes. Des centaines de lucioles s’envolent et se joignent à la danse du cerf-volant. Il les appelle, les guide et virevolte avec elles. L’elfe court sans s’épuiser et s’adonne à une chorégraphie imprévisible. Elle laisse derrière elle des sillons luminescents et teinte les cieux d’une traînée énigmatique.
Bravant l’interdit, Eole risque sa vie. Sa quête de liberté est trop importante, la survie de ses proches essentielle. Depuis trop longtemps, les peuples qui ne voient pas dans le noir sont attaqués, depuis trop longtemps ils risquent de disparaître et de laisser les démons régner.
Cette fois encore, comme à chaque nuit où la bise soupire, elle trace un chemin pour guider les lumières qui vivent dans l’obscurité. Parfois, des lucioles s’arrêtent et choisissent de prendre position dans le ciel. Parfois, elles accompagnent Eole jusqu’à l’aube.
Lorsque le ciel s’éclaircit, d’autres nuances colorent la faune et la flore et le vent nocturne retombe. Lorsque le soleil réchauffe son visage, elle sait qu’elle ne risque plus rien.
On dit dans les légendes que l’elfe et son cerf-volant guident les âmes de la nuit dans une danse infinie. Que dans leur valse enivrante, ils se confondent avec les cieux et que de cette communion sont nées la lune et les étoiles, éclairant et guidant à leur tour dans la ronde éternelle de la Terre.


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· Texte de Ghislaine Victor · 3ème place

Il frotta énergiquement ses mains l’une contre l’autre. La bise soufflait fort ce matin-là et il n’arrivait pas à se réchauffer. Malgré ses épaisses moufles, ses doigts étaient comme des glaçons, gourds et maladroits. Il avait dressé son camp non loin de la rivière qu’il venait explorer. Comme la plupart de ses camarades, l’hiver précoce l’avait surpris assez loin de chez lui. Heureusement, ses moufles le quittaient rarement, même en plein été ce qui lui avait valu le surnom de « moufle » justement. Cela le faisait sourire. Cette propension que les gens avaient à vous mettre des étiquettes, des sobriquets, à vous cataloguer. Il suffisait d’un tic de langage, d’une petite manie, d’un défaut physique pour provoquer chez les autres la trouvaille de surnoms pas toujours très tendres.
Il l’avait appris à ses dépends lorsqu’il était jeune adolescent. L’âge où l’appartenance à un groupe est quasiment vital non seulement à son développement psychologique mais aussi à sa survie. Ils avaient eu le choix, non seulement il était petit pour son âge mais en plus il n’avait pas de père. « Le nabot » et « l’orphelin » faisaient partie des mots doux qu’on lui adressait. Il ne leur serait pas venu à l’esprit de l’appeler par son prénom tout simplement. Des mots comme objets de pouvoir, de soumission, de torture. Sa mère qui l’élevait seule n’avait pas été d’une grande aide, elle lui répétait continuellement « il n’y a que la vérité qui blesse ». Quelle phrase imbécile ! Ce n’est pas la vérité qui blesse, c’est l’absence d’amour, de compassion, d’intérêt. La volonté de faire mal car tu es identifié à la proie, le bouc émissaire, le catalyseur des colères. Il avait alors développé un sens de l’autodérision qu’il érigeait comme bouclier à la méchanceté humaine. Et aussi une endurance à la solitude qui l’avait emmené bien des fois explorer ce vide qui l’entourait et qui menaçait de l’engloutir.
Assis au bord de la rivière, essayant de faire jaillir une étincelle d’une pierre à feu, il repensait à ses moufles justement. Personne n’avait pensé à lui demander pourquoi il les gardait toujours sur lui. Alors que le feu pétillait devant lui, il se leva et jeta un caillou dans l’eau. Raté… Il n’avait jamais su faire des ricochets. Sa gorge se noua et son coeur lui fit mal. Les moufles, le ricochet… il avait baissé la garde et les souvenirs remontèrent à la surface comme les bulles qui accompagnaient la noyade du caillou qu’il venait de lancer. Il revit ce soir de Noël, il l’avait tellement revécu qu’il en connaissait les détails par coeur. L’odeur du pain sorti du four, la lumière des bougies allumées dans le salon, et leur rire. Sa femme et son fils qui dansaient au son des musiques de fête, les courses effrénées dans la maison, les glissades sur le parquet et enfin l’ouverture des cadeaux. Il ferma les yeux, malgré sa volonté de garder intact ces images là, leurs visages étaient devenus flous, seuls les autres sens avaient survécu au temps. Il avait neigé toute la matinée et son fils tenait à ce qu’il essaie ses nouvelles moufles, ils avaient décidé d’aller faire du patin à glace sur le lac qui avait gelé la nuit précédente. A mi-chemin, il s’était aperçu qu’il avait oublié de prendre leur appareil photo. Sa femme et son fils avaient continué jusqu’au lac pendant qu’il faisait demi-tour. Il avait mis du temps à remettre la main dessus.
En arrivant au lac, il n’avait vu personne. Un trou noir élargissait la glace.


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· Texte de Sylvain Reybaut · 2ème place ex-aequo

Quand mon grand-père décidait après tant d’années de me révéler enfin son fameux coin à truite, duquel jamais il ne rentrait bredouille, j’ai tout d’abord pensé qu’il se moquait de moi. Son fameux coin secret se serait trouvé tout simplement au fond du parking de la station de lavage du quartier des lilas.
Devant mon air incrédule, il avait longuement insisté, jouant la carte de la nostalgie entremêlée de sentiments et de mystère.
Ainsi me retrouvai-je à l’aube du jour, sur le parking de la station de lavage et déjà je commençais à regretter de suivre ses idées farfelues. Combien de fois étais-je venu ici pour nettoyer ma voiture ? Trop souvent, et ce depuis plusieurs années. Et pourtant jamais je n’avais vu un quelconque chemin partir au-delà des dernières places de parking. La seule chose qui s’y trouvait était une épaisse haie de buis, qui marquait la séparation entre le bitume et l’imposante forêt du Bois de Léouvé qui s’étendait bien au-delà.
Je remarquai rapidement qu’un olivier, dont la bise matinale faisait danser les feuilles, se détachait et dénotait sévèrement des chênes voisins. Était-ce là un premier signe à l’énigme de grand-père ?
En examinant l’arbre, caché par son tronc, se trouvait une sente qui descendait en pente douce à travers le sous-bois. Ma canne à pêche en main, et ma musette en bandoulière, j’étais prêt à prendre ce chemin inouï.
Ma curiosité grandissait au fil des pas, si bien qu’elle se mua en une forte impatience mêlée d’excitation. J’accélérais alors, pressé d’en savoir plus.
Au bout d’une dizaine de minutes, j’arrivai au second indice : le gros rocher.
Je devais trouver un petit chemin, qui descendait encore plus, situé sur la gauche, juste avant ce gros caillou. Malheureusement, les bords du sentier étaient fermés par des buissons si épais qui ne pouvaient être franchis.
Je remontai le sentier sur une cinquantaine de mètres, pensant que mon grand-père s’était trompé dans les distances, et cherchait de nouveau un accès, mais je ne trouvais aucune voie accessible.
Je redescendis alors vers le rocher, la mine déconfite. Devais-je continuer à suivre le chemin principal ? J’examinai une nouvelle fois la bordure du chemin quand un curieux buisson attira mon attention. En me rapprochant, je remarquais qu’il s’agissait d’une branche cassée. Je la débarrassai du rebord et découvris le fameux sentier.
Je repris ma marche, rythmée par le bruit incessant de mes pas broyant les feuilles mortes disséminées sur le sentier, brisant ainsi le silence de la forêt. Il m’était difficile de me faire discret tellement le chemin en était envahi.
Quelques dizaines de minutes plus tard, je fus à la fois surpris et ravi d’atteindre une clairière parsemée de grands trembles somptueux. À leurs pieds, des dizaines de morilles sauvages, d’une taille à en faire baver un chef cuisinier, pointaient leurs chapeaux bien au-dessus des brins d’herbe d’un vert luxuriant. À défaut de truites, je ne rentrerai pas bredouille ce soir. Lors de ma cueillette, je me rendis compte du silence apaisant des lieux, et surtout perçu comme un bruit familier : un ruissèlement continu mêlé de clapotis. J’accélérai mon pas en direction de la source du bruit, qui grandissait et se transformait au fur et à mesure que je m’en rapprochais. D’un clapotis faible, il évoluait peu à peu en un tumulte bouillonnant.
Et soudain, du haut de ma butte, je découvris un miroir d’eau somptueux. Ici, la rivière s’agrandissait pour former un petit lac d’une eau limpide et claire juste avant de se transformer en une belle cascade.
Assurément, j’avais trouvé le coin secret de grand-père : des arbres aux longues branches pendantes au-dessus de l’eau, un soleil direct réchauffant l’eau dès les premières lumières, un courant continu : les conditions parfaites pour que le coin foisonne de poissons.
Je bridai mon envie de pécher et décidai de me poser un instant sur l’herbe pour profiter du lieu. L’endroit était vraiment féérique. Une douce symphonie naturelle orchestrée par les oiseaux sauvages raisonnait dans l’air ambiant. Mille questions vinrent assaillir mon esprit : comment un tel lieu pouvait-il exister à quelques dizaines de minutes de la ville et tomber dans l’oubli ? Comment mon grand-père en avait-il eu connaissance ? Pourquoi ne nous y avait-il jamais emmenés ?
Ma réflexion fut interrompue par un poisson bondissant hors de l’eau pour attraper une mouche en plein vol.
Oui, sans aucun doute, c’était bien le coin secret de grand-père.
Je profitai d’être tiré de ma rêverie pour sortir la boite d’appât, et attrapa une première teigne, que je piquais à travers l’hameçon. Puis d’un geste rapide et vif, je lançai ma ligne.
Le fil partit en cloche droit devant moi, et avant qu’il n’atteignît la surface de l’eau, je le freinai d’un geste doux et précis. L’appât passa par-dessus le bouchon et plongea directement dans l’eau.
Je patientai une dizaine de secondes, jugeant que c’était le temps nécessaire à l’appât pour atteindre le fond, et commençai à le ramener vers moi à une vitesse proche du courant de l’eau.
À peine avais-je exécuté quelques tours de manivelle, que je sentis le fil se tendre, et transmettre de grosses vibrations, signe qu’un poisson avait mordu. Je ferrai alors d’un coup sec et franc, et moulinai de nouveau, mais les vibrations cessèrent aussitôt. Je patientai de nouveau, puis refis quelques tours de manivelle, et rapportai doucement ma ligne vers moi. Plus aucune touche. Je rembobinai complètement ma ligne et m’aperçus qu’il n’y avait plus rien sur l’hameçon. Sans tarder, je remis une nouvelle teigne, et lançai de nouveau mon fil au même endroit.
Je répétai les mêmes mouvements que précédemment, et le poisson mordit aussitôt. Je ne ferrai pas de suite et continuai de ramener la ligne au rythme du courant. La vibration se fit plus forte. Je patientai encore un peu, résistant à l’envie de ferrer, et donnai encore un tour de manivelle, quand la canne plia en deux sous la force du poisson. Je tirai d’un coup sec en arrière, et ferrai le poisson qui se débattit aussitôt. La ligne partit sur la droite du lac, et je desserrai le frein du moulinet pour éviter la casse. Je tirai en arrière et sentis le poisson aller en opposition m’obligeant à abaisser ma canne vers l’eau. J’en profitai pour donner quelques coups de manivelles pour raccourcir le fil et sentis le poisson mettre plus de force m’obligeant à ancrer mes deux pieds profondément dans le sol. Je tirais de nouveau, faisant appel à toutes mes forces, et le poisson sauta hors de l’eau. Les rayons du soleil filtrèrent à travers les gouttes d’eau projetées telles des milliers d’étincelles inondant de leurs lumières les couleurs arc-en-ciel de la truite.
Je restais stupéfait de la taille entraperçue du poisson, et abaissai de suite ma canne pour remettre le poisson à l’eau. Je profitai du mou de la ligne pour raccourcir immédiatement la distance entre la truite et le bord de la rivière à grands coups de manivelle. La truite se débattit encore un peu, mais dans cette eau peu profonde des berges, elle eut du mal à continuer le combat. Je raccourcis encore le fil puis calmement je sortis le poisson hors de l’eau le déposant sur l’herbe fraiche. La truite entama sa danse de la panique, gigotant et sautant dans tous les sens, dans un but ultime de rejoindre la rivière. Mais elle ne rencontra que ma musette. Je sortis mon ruban pour mesurer ma capture : quarante-sept centimètres. C’était vraiment un très beau poisson.
Fier de ma prise, je décidai de rentrer rapidement afin de garder la fraicheur de la truite. Et surtout, je voulais rendre visite à mon grand-père pour lui montrer mon trophée, et tout lui raconter. Je pourrai aussi m’excuser de ne pas l’avoir cru jusqu’au bout, et le remercierait de m’avoir partagé son coin.
Sur le chemin du retour, une question vint me tarauder l’esprit : allais-je parler de ce coin secret à mes enfants ou ferais-je comme mon grand-père et le garder rien que pour moi ?


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· Texte de Sandrine B Holder ·

La bise soufflait sur la plaine, balayant la poudreuse en une multitude de petits tourbillons éphémères. À son approche, les rares animaux présents s’enfuyaient, craignant d’être emporté dans son funeste sillage. L’homme marchait vers cette contrée encore inconnue, qui l’attirait inexorablement. Nul n’aurait pu stopper sa destinée.
Débarrassé de tout son barda, il tournait le dos aux innombrables combats, écœuré par tant de cruautés où l’humanité avait sombré. Des rides précoces creusaient son visage. Ses yeux délavés scrutaient le crépuscule à la recherche d’un souffle de paix qui pourrait raviver un court instant l’étincelle qui naguère animait son cœur.
C’est alors qu’il le vit… l’Espoir, égaré sur la grève parsemée de petits cailloux.
Le bel enfant, parmi des corps meurtris, implorait la pitié de son regard larmoyant. Immobile, pieds nus, les vêtements déchirés, il ne savait plus vers qui se tourner. La balle assassine siffla, le fauchant en un clin d’œil. Il tournoya telle une feuille emportée par le vent et son corps gracile retomba aussitôt dans le courant de la rivière.
Un craquement fit se retourner le tireur isolé. Une bleusaille, dont l’esprit empreint de folie, ne verrait plus jamais le jour se lever. Des doigts puissants comprimèrent sa trachée rageusement. Il n’offrit aucune résistance.
Le soldat se jeta ensuite dans l’eau glacé. Il voulait encore croire.
Illusion fugace. Le pantin désarticulé fut vite retrouvé, accroché à une branche immergée. Un trou béant dans la poitrine.
Le cri déchirant du soldat se fit entendre au-delà des plaines et des vallées. La nature faisant écho à sa douleur.
Le jour se leva dans un silence assourdissant. Un homme assis, fixait l’horizon à tout jamais. Dans ses bras, un jeune enfant semblait dormir paisiblement. La nuit les avait emportés.


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· Texte de Marina Leridon ·

Ma principale résolution de cette rentrée scolaire était de marcher tous les jours, même si ce n’était que pendant une demi-heure.
Deux mois plus tard, je suis très fière de moi : je pars tous les matins, quel que soit le temps ou mes obligations. Je marche environ une heure. Puis je rentre, me prépare un café bien fort et m’installe devant mon ordinateur pour écrire mon troisième roman.
Cette routine me plait bien et, moi qui n’étais pas du tout sportive, je progresse de jour en jour.
Pourtant chaque matin, un phénomène étrange se produit : mes pas m’amènent invariablement au bord de cette petite rivière, même lorsque je décide d’aller à l’opposé.
L’eau a toujours été mon élément préféré. Nous partons très rarement en vacances loin de la mer ou d’un lac.
Très logiquement, un magnifique ruban argenté serpente non loin de notre maison, au milieu des bois.
Chaque jour, je marche donc sur sa rive parsemée de cailloux. Je m’amuse parfois à le traverser en sautant de pierre en pierre.
Des étincelles m’éblouissent lorsque le soleil brille de tous ses feux. Je ne peux m’empêcher de m’asseoir sur un rocher pour admirer ces lumières. J’ai parfois la chance d’apercevoir un poisson qui joue avec le mouvement de l’eau.
Avec l’automne sont arrivées les feuilles orange, jaunes, rousses ou violettes. Ce matin, elles tourbillonnent poussées de leur arbre par une bise légère.
Je traîne un peu, émerveillée par ce ballet incessant.
Mon roman se rappelle à mon souvenir : je visualise la partie déjà écrite et surtout la suite. Mes personnages prennent vie devant moi parmi les arbres colorés.
Soudain, je bloque : tout se fige jusqu’à ce qu’une feuille me frôle le visage et me force à fermer les yeux. Je reste immobile, les paupières baissées quelques instants. Et, comme par miracle, une étincelle de soleil m’éblouit juste au moment où je les relève.
Tout s’éclaircit alors dans mon esprit : la suite de mon roman est maintenant évidente. Je me presse de rentrer pour l’écrire.


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· Texte de Tuy Nga Brignol ·

Macrocosme et microcosme dans l’Univers

Selon les anciens Grecs, l’Univers est composé de quatre éléments : Eau, Feu, Air et Terre. Cette théorie des quatre éléments comme unités constitutives de la matière a été proposée il y a 2500 ans par Empédocle. Toute matière est alors composée de plus ou moins de ces quatre éléments. Les différentes propriétés des diverses substances s’expliquent par la différence de proportions du mélange des quatre éléments.
L’homme de l’Antiquité se sent en harmonie avec le ciel, avec ses astres et ses constellations. Admettre l’influence des astres sur les conditions météorologiques semble en effet conduire nécessairement à étendre cette influence aux fonctions des êtres vivants. L’homme est fait de quatre éléments comme l’Univers. Au VIIe siècle, Isidore de Séville reprend les idées platoniciennes et introduit le terme de « microcosme », abrégé de l’Univers ou petit monde. Les Anciens appellent le monde cosmos et font de l’Univers un géant immense ou « macrocosme ».
L’homme est comparé à l’Univers, et l’Univers à l’homme. L’être, le corps humain est considéré comme un monde en miniature dont chaque partie représente et correspond terme à terme à une partie de l’Univers. C’est sur ces principes, où domine l’idée de correspondances entre l’être humain et le ciel, que repose la pensée développée durant l’Antiquité et le Moyen Âge. Elle a été incorporée au christianisme. Le lien intime entre vécu intérieur et vie extérieure du monde a été alors particulièrement souligné par la mystique Hildegarde de Bingen du Couvent des Bénédictines en Allemagne. « L’homme a en lui-même le ciel et la terre ». L’analogie entre l’homme et le cosmos est présentée de façon détaillée dans son Scivias : la tête de l’homme est ronde, comme le ciel ; il possède sept orifices (sept planètes) et deux yeux (le Soleil et la Lune) ; l’air circule dans sa poitrine, l’eau dans tout son corps ; les quatre saisons correspondent aux quatre âges de la vie humaine.
Ce lien est le plus souvent guidé par des analogies. L’Eau et son élément opposé le Feu constituent deux éléments prépondérants dans la nature. Lorsqu’on brûle des résineux, il y a beaucoup d’étincelles qui se détachent du brasier, contrairement à la flammèche qui désigne une parcelle plus importante de matière enflammée.
Lorsqu’il est équilibré dans le microcosme, l’élément Eau apporte fluidité, lâcher-prise et nettoyage. L’Eau en excès entraîne la congestion. L’Eau correspond à un tempérament variable, pouvant être colérique comme calme. Retisser des relations équilibrées et pacifiées avec l’élément Eau et l’Esprit de l’Eau, d’abord en nous et avec les eaux de l’Univers permet de créer cet égrégore puissant d’amour pour l’Eau.
Au sens allégorique, on peut dire que la nature humaine n’est plus seulement, comme disaient les Anciens, un microcosme ou un abrégé de l’Univers : elle remplit l’Univers même, elle le dépasse, et se perd dans l’infini.
L’énergie vitale circule en nous comme une rivière au cours rapide lorsque rien ne l’obstrue. Mais divers contextes tels que des émotions bloquées, des déceptions, des relations toxiques, des attachements malsains, des vibrations négatives agissent comme de gros cailloux qui entravent le courant. Si nous les laissons s’accumuler, notre énergie vitale sera soit déviée de son cours, soit bloquée entièrement, ce qui pourrait provoquer un manque de vigueur, des maladies… En revanche, si nous prenons le temps d’éliminer ces diverses forces, nous leur retirons le pouvoir d’influence néfaste sur notre existence. Lorsque nous prenons des habitudes simples mais positives, comme effectuer avec régularité des exercices de respiration, pratiquer la méditation, entreprendre des bains purificateurs, nous nous protégeons des influences extérieures et intérieures qui pourraient autrement entraver notre flux énergétique. L’analogie peut aussi être faite avec les jours de bise, accompagnés parfois de précipitations par temps nuageux, froid, humide. Cela provoque des turbulences accentuant quelque peu les rafales de vent, généralement secs et responsables d’un temps froid.
Un champ énergétique fort et fluide est la clé qui ouvre les portes de la paix de l’esprit et de l’auto-guérison. La conscience du flux d’énergie qui nous soutient nous permet de prendre en charge notre propre bien-être en prenant des mesures pour débloquer, corriger et améliorer ce flux. La peur est probablement la principale cause. Lorsque nous ne pouvons pas identifier la source de la stagnation, nous aurons tendance à avoir peur de lâcher ce qui obstrue le flux.
Lâcher-prise peut être un défi, mais le bien-être ressenti lorsque le flux sera rétabli est une récompense bienvenue et bénie.


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· Texte de Patricia Forge ·

Je suis une petite étoile, un petit caillou brillant dirait certains. Je suis toute petite car ma lumière céleste n’a que deux ans de vie. Et deux ans de vie d’étoiles ce n’est pas beaucoup.
Avant, ma lumière a été terrienne. Terrienne et humaine. Et ma vie sur Terre a été loin d’être facile. La maladie a pris mes forces petit à petit. Et ma lumière terrienne s’est éteinte lentement aussi jusqu’à disparaître définitivement un jour de juillet.
Mais ce qui semble être définitif aux humains ne l’est pas forcément dans le mystère de la vie.
Et donc, quand ma lumière terrienne s’est éteinte sur la planète bleue, elle s’est allumée dans les cieux.
Je me nommais Angélique. Ici, les autres lumières qui m’entourent m’ont appelée Célestine. Et ce prénom me plaît bien. C’est joli Célestine.
Ici, j’ai découvert que la lumière circule constamment entre la Terre et le Ciel. Tous les êtres vivants présents sur Terre deviennent un jour ou l’autre une lumière céleste. Et nous formons une rivière d’étincelles.
Par exemple, je suis entourée d’une étoile de la lumière d’un chêne et d’une étoile chat.
Et du coup, ici, j’ai appris pleins de choses incroyables. L’étoile chêne m’a expliqué que les arbres, comme les humains, ont des émotions et des sentiments. Ils ont de l’Amour pour leurs enfants et leurs familles. Ils pleurent des larmes de feuilles quand l’un d’eux s’en va à la suite d’un orage violent ou lorsque la hache d’un bûcheron l’abat. Ils connaissent la souffrance, la faim, la soif, la colère et la peur.
J’étais loin de me douter de ceci quand j’étais humaine.
La lumière chat, elle, m’a réjouie. Il se trouve que c’est une amie. Mon chat blanc que j’aimais tant. Elle m’a avouée regretter les moments passés sur mes genoux, dans notre canapé moelleux et doux. Mais depuis que je suis arrivée, elle est enchantée.
Grâce à ceux qui m’entourent, j’ai eu d’autres informations. La maladie existe aussi pour les lumières d’étoiles. Une d’elles bien connue, le Soleil, souffre de violents rhumes. Une lumière d’aigle m’a raconté qu’elle est placée (car oui, sur Terre, on dit le Soleil mais je vous informe que c’est LA Soleil !) en plein courant d’air. Une bise glaciale. Alors, elle passe son temps à éternuer. Sur la belle bleue, on nomme tempête solaire ce qui est en fait un rhume d’étoile. Car il fait froid là-haut. Sauf quand une comète passe à proximité. Personne ne sait vraiment qui elles sont. Elles vont si vite qu’elles ne font pas la conversation.
Il se murmure dans le monde étoilé que ce serait des lumières venant de Jupiter. Mais difficile de le prouver car personne n’a pu les questionner.
J’ai aussi voulu savoir ce qui se passe quand notre lumière d’étoile s’éteint car quand j’étais humaine j’ai appris à l’école qu’il y avait des enfants étoiles, des adultes et des étoiles seniors. Puis, l’étoile explose et c’est la fin.
Et bien non, figurez-vous ! Il se passe encore quelque chose. En fait, la nature et la vie sont en recyclage permanent. Et la lumière repart sur Terre pour recommencer une nouvelle boucle, un nouveau cycle de vie. Mais attention, mon énergie lumineuse deviendra peut-être une algue, une coccinelle ou un prunier. Rien n’est fixé.
En attendant, je veille sur ceux restés sur Terre et que j’aime de toute ma lumière d’étoile.
Quelle que soit la forme que la vie nous donne, la lumière de l’Amour ne s’éteint jamais.


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· Texte de Kouzik ·

Trois mois qu’il n’a pas touché son pinceau. Il déambule seul dans sa maison. Sa femme et son adorable fille ne semblent être que des poupées sans vie. A vrai dire, c’est surtout lui qui joue la marionnette. Le pantin dit bonne journée à sa fille sans même la regarder, il embrasse sa femme, dépourvu de passion et avale son repas machinalement avant de partir s’exiler dans son atelier. Autrefois sa pièce favorite, son bureau des merveilles. Aujourd’hui, sa grande dépression, sa plus belle prison. Cette fois encore il ne prendra pas la peine de se mettre devant la toile. Il n’a même plus idée de ce qu’il lui reste en stock. Peu importe si cette couleur est finie et si cette autre est en fin de vie, de toute façon il ne voit plus. Pourtant il était si bien parti. Il commençait à être exposé dans la galerie du célèbre Guilhem Pamart, lui qui expose maintenant dans les galeries du monde entier. Mais depuis que c’est arrivé, ses nouvelles toiles ne sont plus acceptées.
La dyschromatopsie, lié “sans doute” à sa consommation de tabac. C’est tout ce qu’on a pu lui dire pour expliquer l’état de sa rétine, tout ce qui explique pourquoi il a perdu la perception des couleurs, ainsi qu’un bout de sa vie. Il ne l’a pas encore annoncé à sa femme, certainement par peur, mais de quoi ? De qui ? Elle qui pense naïvement qu’il s’agit d’une mauvaise phase, d’une période de mélancolie ou de fatigue passagère. Comment lui dire ? Comment lui avouer ? Combien de temps mettra-t-elle à le quitter pour quelqu’un de plus utile, de plus habile ? Il s’attendait à toute une panoplie de maladie en fumant son tabac, le cœur, les poumons, la gorge, conscient des dangers. Il préfèrerait franchement un bon vieux cancer, comme ceux qu’il voyait sur ses paquets de cigarettes, mais non pour lui le sort en a décidé autrement.
Au début il passait surtout son temps sur les forums de discussions et les groupes de soutien anonymes, mais maintenant il ne fait que scroller les réseaux sociaux sur son smartphone, jusqu’à ce que sa femme ou sa fille rentre à la maison. Peut-être est-il à la recherche d’un signe qu’il n’a pas été oublié, ou bien essaye-t-il de se convaincre que ses problèmes ne sont pas si graves à côté de tous ce qui se passe dans le monde…
Cette fois, c’est sa fille qui rentre en première, mais encore une fois elle a perdu sa clé. Son père se lève, obligé de sortir momentanément de sa torpeur. Il va lui ouvrir et affiche son masque du sourire commercial, celui qu’il a travaillé lors de son premier job. Elle s’excuse directement et tente une explication plus ou moins plausible de la façon dont sa clé aurait pu s’échapper. Puis, elle enchaîne habilement sur le déroulement de sa journée pendant que son père hoche la tête régulièrement, lâchant des “hm”, des “ah” ou encore des “hm hm” sans trop savoir à quoi il répond. Elle le force pourtant à revenir à elle quand elle insiste avec un “hein papa, tu voudras dis ?”.
— Pardon, je n’ai pas bien compris ma puce ? dit-il en se concentrant sur elle
— Ben, j’aurai bien aimé faire des dessins avec l’ordinateur à la maison aussi. Comme toi tu fais beaucoup de dessin je pensais que tu pouvais me montrer.
— Ah ! Euh si tu veux, on prend le goûter et on voit ça ?
Cela fait si longtemps qu’il n’a pas vu son sourire, si longtemps qu’il ne l’a plus regardé. A défaut d’être un bon peintre, il essayera dorénavant d’être un meilleur père. Cela fait un moment qu’il n’a plus d’appétit. Malgré cela ils s’installent à table et la regarde patiemment manger sa brioche. Aussitôt fini, ils vont se laver les mains et s’installer devant le logiciel de peinture.
— Voilà, là-dessus tu peux faire tout ce que tu veux, des ronds, des lignes, des carrés. Tu choisis ta couleur dans la palette et tu cliques.
— Chouette ! Mais… il n’y a que ça comme couleur ?
Le père prend un temps avant de répondre et un peu hésitant, fini par essayer une couleur au hasard dans le nuancier. La petite parait satisfaite et commence son œuvre abstraite.
Pendant les jours suivants, ils répètent ce même rituel du goûter et profite de partager ensemble un moment de complicité. Sa fille est ravie de retrouver son père, même s’il ne semble pas encore tout à fait heureux. Puis en s’intéressant à son nouvel outil elle lui demande soudainement :
— C’est quand même embêtant de ne pas pouvoir garder mes couleurs, à chaque fois je dois passer beaucoup de temps à retrouver la nuance que j’avais utilisé le jour d’avant. Il n’y a pas un moyen plus facile pour ça ?
— Hm, si je pense que tu peux utiliser le classement hexadécimal.
— Euh… c’est quoi ça l’hexadécimal ? demanda-t-elle, perplexe.
— Oh c’est un nom bizarre, ne fait pas attention, c’est juste une liste de toutes les couleurs qui vont du noir au blanc avec un petit code pour chacune.
— Comme un code secret ?
— Oui et regarde si on imprime la liste tu auras les couleurs du monde entier juste pour toi.
— Wah super ! Merci papa !
Il la regarde quelques instants d’un air satisfait, avant de brutalement réaliser ce qu’il venait de faire. Il a enfin trouvé la solution, il peut repeindre ! Il lui suffit de regarder cette liste et toutes les nuances de couleurs sont de nouveau utilisables. Il embrasse sa fille en la remerciant et pour la première fois depuis longtemps elle reconnait le véritable sourire de son père. Le fantôme s’en est aller, son papa est revenu. Pendant toute la journée suivante, il étiquette ses vieux pots de peinture, fait des recherches, lis les nomenclatures, il redevient actif en cette journée de renaissance.
Malheureusement, sa joie s’évanouie tout de même lorsque, décidé à reprendre le travail, il s’équipe de son matériel et s’installe devant sa toile, pinceau en main. Mais, rien ne vient. Son monde est toujours monochrome et la beauté de ce qu’il capturait lui est toujours cachée. Il ne se décourage pas, il réessayera demain. Or le lendemain, il n’a toujours rien à peindre. L’inspiration s’en est aller et ne semble pas décidée à revenir toute seule. Il continue de feindre ses émotions pour ne pas décevoir sa fille qui semblait si fière. Mais c’est un nouvel orage à essuyer et il a cruellement besoin de soleil.
Cette fois-ci il décide enfin d’en parler à sa femme. Soulagée, elle lui propose d’attendre la fin de semaine pour partir faire un pique-nique en famille à la clairière du mont Télica-de-lédon. Persuadé qu’elle va encore lui parler de sa médiation il soupire intérieurement, mais pour le coup, son regard est différent. Il va l’écouter, il n’a pas le choix. Dans ses yeux réside une autorité nouvelle, une fermeté bienveillante. Leur jour de repos venu, la petite famille part donc s’aventurer à travers les plaines, jusqu’à trouver un coin agréable, comme par exemple cette bande de verdure, avec un aulne blanc jouxtant une modeste rivière. Les trois s’installent près de l’arbre et commencent à mettre en place le déjeuner. Le moment est plaisant, les deux parents sont apaisés par cette pause dans leurs habitudes et ouverts aux bruits de la nature. Le temps de digérer, la petite jette un caillou à l’eau puis s’en va quelques mètres plus loin regarder les papillons. Le plongeon de la pierre éveille l’attention sur le bruit de l’eau, tandis que sa mère savoure l’instant présent. La bise les maintient éveillés pendant que la digestion les forces à ne pas trop bouger. Elle allonge volontairement sa respiration, la rendant quelques peu plus audible et profite de l’ouverture dans la tête de son homme pour le guider à travers une séance de sophrologie improvisée. Consciente qu’il l’imite souvent, même s’il tient toujours à faire ça discrètement, elle ralenti et allonge progressivement ses mouvements respiratoires, inhalant l’air revigorant de ce début de printemps. Elle tend ses doigts comme pour saisir le vent et ouvre son ouïe en invitant son bien-aimé à faire comme l’eau, laisser glisser les éléments et lâcher prise sur la vie. C’est dans cette harmonie que son mari s’est senti libéré et a vu de nouveau briller l’étincelle de sa créativité.


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· Texte de Luc André ·

Là sur cette Terre, minuscule caillou, frêle étoile perdue dans l’univers, scintille encore l’espoir sans doute un peu fou, d’un Amour providentiel, qui au cœur de la nuit froide où la bise traverse l’horizon de son long souffle nomade et caresse la campagne d’un sifflement glacial tout autant que chaleureux, rapprochera nos cœurs d’un bienvenu foyer d’où le matin venu, à la lueur du jour, on entendra le murmure du ruisseau rejoignant la rivière sous un vol d’étourneaux filant vers le soleil, il chuchotera alors à qui saura l’entendre, ses secrets sur les chemins de nos vies qui resteront des mystères, jusqu’aux origines d’un tout qui n’était que néant avant cette étincelle qui devint un flambeau, transmis de main en main, de cœur en cœur, d’âme en âme par delà les âges, les frontières et les cieux pour permettre à ce songe, l’Amour, de filer vers son rêve, l’universelle Éternité …


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· Texte de Jean-Charles Paillet ·

À tes lèvres masquées
bise et sourire ne sont plus
qu’un lointain mystère
Ta bouche et ton nez camouflés
comme une rivière asséchée
font s’égarer le souffle vital

Masqué jusqu’aux yeux
et même jusqu’aux neurones
sans plus aucune étincelle
impassible tu t’abîmes corps et âme
et te fermes aux douleurs du monde

En bon mouton docile
tu as troqué une liberté illusoire
avec des injections expérimentales
et maintenant te voici avec le troupeau
à bêler violemment contre les éveillés
en leurs jetant des cailloux

Portés par l’obscurantisme de ton maître
tu as besoin d’un bouc émissaire
pour tenter de soustraire en vain
ton ignoble médiocrité notoire


Et pour terminer cette sélection, je vous présente le mien, hors concours :

gray steel chain on orange surface

· Texte d’Amelia Pacifico ·

La flamme postale ne donnait aucune indication sur la provenance du courrier. Une texture de papier ancienne, de celle qui gratte un peu la main, qui peluche comme un vieux fossile laisserait des particules de sa vie parcheminée entre les doigts qui le manipulent. L’odeur, quant à elle, faisait penser à ces grandes étendues que l’on voit dans les films, un lac à la surface calme, paisible, bordé d’arbres gigantesques aux cimes toujours plus imprenables. Une odeur rassurante et fraîche à la fois. L’écriture manuscrite ne me donnait aucune indication sur l’expéditeur. Intriguée, l’enveloppe ne m’a résisté qu’une seconde, et l’intérieur, aussi énigmatique que le dehors, ajouta une intensité que je ne m’attendais plus depuis longtemps à éprouver en revenant de la boîte aux lettres. Alors que je dépliai la feuille, mon coeur augmenta sa cadence, m’obligeant à prendre une profonde respiration pour le calmer. Peine perdue. Le mistral était lui aussi de la partie. En une bourrasque, le vent m’ôta toute possibilité d’assouvir ma curiosité et c’est interdite, debout au milieu de ma cour, que je regardai la correspondance s’envoler loin de mes mains, de mes yeux et de mon coeur encore emballé.


Merci à tous pour vos participations et lectures !

A bientôt 💋

2 réflexions sur “Participations au Rendez-Vous des Plumes – Octobre 2022”

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